Omer m’a tuer… ou Moi-Même en Personne

Christian Abry

Résumé

Il faut prendre acte de l’ubiquité de « Moi-Même » dans la tradition orale – un fait établi depuis la monographie comparative finlandaise de Hackman (1904) – là où Homère fait dire à Ulysse l’hapax « Personne ». Ainsi Autos, Atos ou Apatos, en dépit du prestige de l’Outis d’Homère, sont bien présents en Grèce dans la tradition orale contemporaine. Et pourtant, à notre connaissance, personne n’a encore écrit « Ulysse en Moi-Même ». Récemment, en 1997, J.-P. Vernant a résumé dans son ouverture « Ulysse en Personne », les jeux de mots outis/Outis et Outis/mêtis. Le dispositif rusé dont se félicitera explicitement Ulysse (poly) métis est au sens propre très sophistiqué. Alors que « Moi-Même » est une ruse encore plus ridiculisante pour le dupé – « encore plus naturelle », selon Germain – que « Personne », quel est le bénéfice pour un récit légendaire de Polyphème de se décliner en Outis plutôt qu’en Autos, ce qui implique de mémoriser un dispositif aussi sophistiqué ? Si ce n’était pour épater un public tout autant sophistiqué ? Dans sa contribution à la typologie et à l’histoire de l’art verbal de l’humanité, Meletinsky, demeuré tout aussi stadialiste que son maître Propp, pense toujours que le Trickster est bien le personnage le plus archaïque de cette tradition. Du point de vue de la psychologie cognitive comparée, développementale et évolutionnaire, on peut penser que la ruse traditionnelle de « Moi-Même », qui a pour milieu narratif les êtres sauvages, ici celui des Cyclopes, met au narratif leur manque de « Théorie de l’esprit ». Et ceci sur un point où elle est un pré-requis pour l’utilisation des indexicaux de la personne, ce que réussit le petit être humain non autiste qui parvient à maîtriser son langage.

Comment citer
Formats de citations