L’épopée du retour et le / la vrai(e) héros / héroïne de l’Odyssée

John Miles Foley

Résumé

Dans cet article je propose une brève comparaison entre l’Odyssée et un type d’épopée slave du sud, le sous-genre appelé l’épopée du retour. Les deux exemples suivent le même dessin narratif : l’absence du héros ; le désastre pour le héros (et son épouse, et peut-être son fils) ; le retour : le voyage lui-même, avec beaucoup d’événements dangereux ; la vengeance – quelquefois ritualisée (les luttes athlétiques), quelquefois mortelle ; la réunion entre le héros et son épouse (ou le fiancé et la fiancée). D’après cette comparaison, je voudrais proposer quelques observations sur trois sujets : (1) l’ordre de la narration de l’Odyssée (et tout spécialement l’idée de « in medias res » comme principe d’organisation) ; (2) l’ambiguïté de Pénélope en tant que qualité fonctionnelle de son personnage ; et (3) le telos et « la dernière partie » du poème – la question « où se trouve réellement la fin » ? Les témoins slaves du sud sont tirés de la Milman Parry Collection of Oral Literature, et ont été enregistrés par Parry, Albert Lord, et Nikola Vujnović dans les régions de Novi Pazar et Stolac en Bosnie dans les années 1934-35. Ce sont La Captivité de Četić Osmanbeg (Ropstvo Četić Osmanbega), par le guslar Alija Fjuljanin et La Captivité d’Ograšćić Alija (Ropstvo Ograšćić Alije), par le guslar Mujo Kukuruzovic. Nous mettons face à face la narration de l’Odyssée, et spécialement les mots dits par la psuchê d’Agamemnon parlant à Ulysse (Odyssée 24.192-202), où le héros défunt décrit une morphologie de deux types d’une chanson épique (ἁοιδή) : la chanson agréable (ἁοιδὴν χαρίεσσαν) de Pénélope et la chanson d’horreur (στυγερὴ άοιδὴ) de Klytemnestre. Ce sont deux variations d’un conte qu’Homère et sa tradition identifient comme un nostos, et qui est réfléchi dans la morphologie du même sous-genre chez les guslars, les aèdes slaves du sud. A partir de cette perspective comparative nous pouvons répondre aux trois questions. (1) Au regard de l’ordre de la narration de l’Odyssée, ce n’est pas une question de « in medias res » parce que tout procède d’après la « chronologie » du dessin narratif. Même le « flashback » est une caractéristique régulière de l’épopée du retour. Quand Ulysse explique ses travaux à Pénélope à la fin du chant 23, il utilise un autre ordre de narration ; cet ordre ne suit pas la séquence de l’épopée du retour. On peut dire qu’Ulysse raconte ses aventures à Pénélope comme elles lui sont arrivées en réalité ; cependant c’est Homère qui décrit ces aventures comme elles lui sont racontées. (2) Au regard de l’ambiguïté de Pénélope – comme Agamemnon le dit lui-même, il y a deux possibilités de forme pour l’épopée du retour. Du point de vue de la morphologie comme contexte pour chaque épopée, nous resterons nécessairement dans le doute concernant l’identité de l’épouse – positive ou négative, fidèle ou infidèle, héroïne ou non – jusqu’au dévoilement de sa vraie nature. Dans toutes les narrations qui appartiennent à ce sous-genre, le héros parvient toujours à rentrer chez lui – il n’y a jamais d’exceptions. Mais une autre question, plus importante, se présente : qui l’attendra à son retour ? Dans ce sens Pénélope est vraiment une héroïne ; son personnage est au moins aussi important que celui d’Ulysse. (3) Finalement, concernant le telos et « la dernière partie » du poème, nous pouvons observer qu’après les cinq parties ou éléments du dessin narratif on trouve toujours un épisode supplémentaire, constitué individuellement afin de s’accorder avec chaque poème. C’est aussi le cas avec l’Odyssée d’Homère, dans laquelle la rébellion des familles des prétendants tués, l’épreuve imposée à Laërte par son fils, et la Paix d’Athéna suivent le telos (en 23.296) de la réunion de Pénélope et Ulysse. La morphologie de l’épopée du retour peut éclairer la question de l’unité de l’Odyssée par analogie.
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