Un devenir féminin de la poésie ?

Économie du livre, renouveau lyrique et crise de l’ordre genré de la production poétique (France, v. 1800 – v. 1840)

Augustin Guillot

Résumé

La publication en 1820 des Méditations poétiques de Lamartine semblait introduire dans la France de la Restauration une voix féminine – parce qu’intime, souffrante et élégiaque – au sein d’un univers très viril de l’imprimé poétique. Qu’une véritable féminité poétique s’affirmât en ces années-là, beaucoup le pensaient, et ce sentiment fut renforcé par l’émergence d’une génération de poétesses aussitôt connues et reconnues. Cette place nouvelle du féminin s’inscrivait dans un contexte éditorial caractérisé par un accroissement de la concurrence. Dans le cadre de stratégies d’innovation de produit, certains libraires structurèrent un véritable marché de livres d’étrennes poétiques à destination des dames, et contribuèrent ainsi à la promotion commerciale de formes littéraires peu légitimes. À bien des égards, le grand recueil individuel de l’époque romantique s’inscrivait dans cette économie du livre d’étrennes, tant du point de vue matériel, commercial que littéraire, tout en produisant une rupture symbolique majeure puisque le féminin n’y était plus seulement un espace de réception, mais devenait aussi une instance de production. Le présent article propose donc d’interpréter la transformation de l’idée de poésie entre Lumières et romantisme comme le produit des mutations éditoriales de la période. Il en résulta une crise du modèle de virilité poétique hérité de l’âge classique : c’est bien à l’époque romantique que s’instaura une association entre poésie et féminité qui, loin de bénéficier aux femmes, perpétua paradoxalement les logiques de la domination masculine en ce domaine.

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