Préface
INTRO
Vérités d’auteur et vérité insciente
Les lumières se rendent où l’affamé les voit1
« Tout travail historique décompose le temps révolu, choisit entre ses réalités chronologiques, selon des préférences et exclusives plus ou moins conscientes »2. En s’introduisant ainsi par effraction dans le cercle herméneutique pour étudier les réalités chronologiques et en essayant de mettre à nu les intentions des hommes et leurs projections dans les œuvres, bref en épiant le réel tel qu’il s’offre à notre regard d’affamés plutôt qu’en cherchant à en déconstruire l’armature intellectuelle, l’historien et l’exégète peuvent courir le risque de ne pas saisir le principe interne de ces réalités et aboutir à une sorte de lecture analogique et anachronique des realia, et plus particulièrement des realia littéraires. Or, d’une part, le logos des faits littéraires répond à des causes efficientes propres, d’autre part, le réel est seulement l’une des facettes des realia littéraires, qui ne sont à leur tour qu’une expression possible de la réalité, ou plutôt l’une de ses réalisations subjectives.
Le présent ouvrage a l’ambition d’étudier la question du réel et des effets qui en forment le reflet dans les œuvres littéraires médiévales. La richesse et la diversité des approches m’oblige à aborder de manière nécessairement allusive un large éventail de sujets aussi divers que fondamentaux pour la médiévistique. Le thème est donc délicat à appréhender et le périmètre vaste, car la question du réel est tout entière celle des lettres médiévales : de leur réalité matérielle et intellectuelle, de leur milieu de production et de transmission, de leurs auteurs prétendus, affichés ou anonymes, de leur vocation et de leur horizon de réception. Le sujet se décline donc d’emblée en une arborescence de questions secondaires dont les principales matrices peuvent se résumer en trois grandes interrogations : qu’est-ce que le réel au Moyen Âge (mais serait-il plus correct de dire « aux différents époques de cet âge ») ? quels vestiges l’historien peut-il encore saisir de ce(s) réel(s) ? quelle image réfléchie dans le tapis des textes le philologue peut-il espérer cueillir sans glisser sur la pente savonneuse de l’anachronisme herméneutique ?
Comme le suggère Georges Duby, cité ici par Jean-Jacques Vincensini, dans le reflet de « L’écriture, la belle écriture, celle qui a résisté à l’usure du temps, […] la réalité vivante est inévitablement déformée »3. Elle est déformée par l’appréhension ou la compréhension que peut en avoir l’auteur, par les mots à travers lesquels il choisit de l’imiter ou de l’adapter, voire de la déguiser ou de la trahir, en créant ainsi des contrefacta du réel ; elle est déformée par le jeu de celui qui la lit à voix haute ou en en mâchant les syllabes, par les interventions volontaires ou involontaires de copistes qui ne la comprennent pas ou qui la comprennent trop bien et la censurent ou l’édulcorent ; elle est déformée à travers les yeux et les oreilles des lecteurs/auditeurs qui en saisissent le reflet que leur propre expérience humaine et littéraire leur permet d’identifier ou d’ignorer à dessein. Notre tentative d’en restituer la matrice originelle (la vérité, la réalité, le sens, la signifiance, le projet esthétique, l’intention affichée ou voilée) malgré ces multiples diaphragmes qui nous séparent définitivement de ce réel, et qui sont autant de segments du cercle herméneutique, répond aussi bien à un besoin de connaissance, de compréhension, qu’à une tentation d’inclusion civilisationnelle, et parfois à l’hybris de l’anastylose interprétative.
Qu’il s’agisse de la matérialité de l’œuvre, de sa paternité, des commanditaires ou des destinataires qui en éclairent l’existence ; qu’il soit question des faits de langue qui la connotent, la localisent, la datent, l’inscrivent dans un continuum linguistique ; qu’elle ait trait aux enjeux intellectuels, politiques ou religieux qui la subsument ou de la création poétique ou fictionnelle qui en fait une réalité littéraire à la fois subsidiaire et autonome par rapport à l’horizon temporel dans lequel le texte est écrit, la recherche de ce réel et de ses effets est confrontée à l’éternel calibrage de la bonne distance critique. Or cette « bonne distance » dont a parlé le premier Claude Lévi-Strauss dans la Pensée sauvage, et dans laquelle Michel Zink a voulu identifier à la fois le salut du philologue et la seule méthode herméneutique qui permette de respecter la surface de la lettre4, est au réel littéraire ce que l’histoire est à la « réalité vivante » dont parlait l’auteur de Hommes et structures du Moyen Âge. Les deux réels parfois s’imbriquent l’un dans l’autre, peuvent se confondre jusqu’à ne plus faire que l’envers d’un endroit difficile à démêler, à déchiffrer. Si ce que l’on doit comprendre est déjà en partie compris dans le texte, il est alors essentiel pour l’historien et le philologue de savoir reconnaître ce que l’intention des auteurs a voulu faire apparaître dans l’œuvre pour qu’elle soit ainsi comprise, mais il est tout aussi indispensable de savoir identifier ce que s’y est glissé malgré l’auteur et qui constitue la partie résiduelle du cercle herméneutique, que seuls le temps et la recherche peuvent espérer mettre au jour.
Les deux réels et leurs intentiones
Le premier de ces deux réels, que Roland Barthes a baptisé « effet de réel »5, paraît signaler des processus esthétiques qui jouent sur les ressorts de l’illusion référentielle, parfois de la suspension d’incrédulité, presque toujours d’une forme de vraisemblance mimétique6. Le second, que Nancy Regalado a appelé avec une formule dont elle aime rappeler qu’elle est due à une erreur de traduction et qui grâce à cette erreur féconde s’est transformée en une perspective critique heureuse, c’est l’« effet du réel »7. Cet effet semble désigner les traces plus ou moins visibles des relations biunivoques que le texte, parfois malgré ou contre son auteur, entretient avec la réalité extratextuelle. Bref, ce que Michel Zink a appelé dans sa conférence de clôture du colloque de Poitiers avec sa clarté habituelle : « la vérité du sens »8. Cette vérité n’est ni supérieure, ni nécessairement autre que celle que nous révèlent les effets de réel, mais elle est sans doute plus difficile à déceler, et dans ce sens, souvent mieux préservée.
Ainsi posés l’un en face de l’autre, ces deux réels semblent recouvrir la presque totalité des lettres médiévales, et les dix-neuf chapitres qui composent cet ouvrage témoignent de ces deux mimesis inversées. Rares sont en effet les œuvres où l’auteur n’a pas essayé d’entraîner le lecteur vers un monde en trompe l’œil ; encore plus rares sont les textes qui ne révèlent pas des signes, du moins à nos yeux, de la réalité historique, linguistique ou intellectuelle dont ils sont à la fois le reflet et le creuset. C’est-à-dire des symptômes9 qui ont parfois échappé à la vigilance de l’auteur, mais dont les effets du réel peuvent laisser apparaître les traces non verbales dans les blancs de la narration.
La perception du réel et sa représentation
Or la notion de réel n’est évidemment pas la même au Moyen Âge et aujourd’hui ; elle est aussi très différente pour un auditeur de la matière de Bretagne ou des chansons de geste au xiie siècle – et plusieurs contributions au présent volume analysent finement cette différence – ou pour un lecteur de Charles d’Orléans et de François Villon à la moitié du xve siècle.
Les lettres médiévales posent à l’herméneute une multitude de questions qui gravitent autour de ces deux réels et de leurs seuils. Qu’est-ce qui est réel et qu’est-ce qui ne l’est pas pour un lecteur médiéval qui, tels les clercs de l’école de Chartres, croit davantage aux merveilles et aux miracles qu’à la réalité qui l’entoure ? En lisant le Roman d’Eneas, dont l’auteur ne revendique pas la source réelle, le lecteur médiéval reconnaît-il dans ce silence une volonté de dissimuler le réel, une sorte de rejet de l’effet de réel, une forme de désintérêt pour l’éventuel socle « réel » du voyage mythologique du héros, ou alors un effet du réel poétique ? Et que pense ce même lecteur devant ce que nous appelons le topos du livre source ou la multitude de motifs folkloriques qu’il rencontre dans un grand nombre de romans arthuriens ? Effet de réel ou effet du réel ? ou les deux, selon que l’on se situe du côté de l’auteur ou d’un lecteur pas toujours suffisant ? Que perçoit au juste ce lecteur de l’effet du réel ? Les enjeux historiques, idéologiques, dynastiques qui traversent les lettres médiévales et qui expliquent en partie les choix des auteurs voire leur non-choix, sont-ils compris comme des effets du réel par des lecteurs qui seraient en dehors du cercle des commanditaires ou des destinataires ? L’effet de réel du lecteur médiéval est-il le même que croit reconnaître aujourd’hui l’herméneute en quête d’illusion référentielle ?
A contrario, comment se façonne pour un auteur médiéval et pour son propre lecteur la perception du réel ? Robert de Clari décrivant Constantinople reflète-t-il ce qu’il voit ou témoigne-t-il de la diffusion de la matière d’Antiquité dans son milieu culturel ? Y a-t-il une langue pour les effets de réel et une langue propre à l’effet du réel ? Ces deux effets sont-ils l’un et l’autre associés spécifiquement à des motifs, à des genres, à des matières ? L’illusion référentielle opère-t-elle de la même manière dans un poème en vers ou dans un récit en prose ? La réalité psychologique et la réalité historique peuvent-elles modifier l’interaction entre ces deux réels jusqu’à parfois les confondre ? Enfin, comment la réalité plurielle du texte médiéval s’articule-t-elle avec ces deux expressions de la création littéraire ?
Il ne s’agit là que de quelques-unes parmi les interrogations que pose la question du réel, sous toutes ses formes, dans les textes médiévaux et qui ont été pour l’essentiel abordées dans les dix-neuf contributions ici réunies. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer qu’à quelques exceptions près, où le médiéviste a cherché à analyser en parallèle les stratégies auctoriale et les réverbérations de l’histoire dans le texte10, les chapitres de ce livre prêtent davantage d’attention aux effets de réel qu’à l’effet du réel. Ce qui paraît être en étroite corrélation avec la discipline d’origine du médiéviste, les historiens, moins nombreux, faisant la part belle aux représentations factuelles du réel, alors que les littéraires s’intéressent davantage à la mimesis de la vraisemblance et à ses indices poétiques, rhétoriques ou lexicaux.
Réflexion ouverte
Au-delà des réponses et des perspectives qui sont ici présentées au lecteur, la question est manifestement encore ouverte et une autre approche, qui ne répond que très partiellement aux interrogations déjà posées, mérite d’être très rapidement esquissée. Si cette brève réflexion est consacrée plus spécifiquement aux effets du réel, c’est parce que depuis Barthes les « effets de réel » et la vraisemblance fictionnelle ont fait l’objet de nombreux travaux, dont témoignent abondamment les pages de ce livre ; les effets du réel ont été souvent analysés, en revanche, comme une expression du réalisme narratif, alors qu’ils sont aussi le miroir d’une immanence historique. La « vérité du sens » que les effets du réel nous donnent à rechercher ou à penser n’est évidemment pas plus authentique que celle que les mots de l’auteur nous donnent à voir. Le fait que la vérité subjective soit plus ostensiblement présentée que la vérité objective du sens ne la rend ni historiquement moins réelle ni littérairement moins intéressante. Les deux concourent à la réalité du texte et justifient ce que l’on pourrait appeler l’intentio lectoris clericalis.
Nous l’avons déjà rappelé plus haut, et les pages de ce livre le mettront encore plus en évidence : le Moyen Âge tout entier s’offre aux yeux du lecteur moderne comme un formidable terrain de jeu entre ces deux réels. Il arrive que dans les textes médiévaux l’artifice de l’effet de réel soit plus vrai que le réel lui-même, que le trompe-l’œil révèle une image de la réalité qui aurait échappé autrement au regard pénétrant de l’historien, et qu’aucun effet du réel n’aurait su produire. Pour le dire avec les mots du poète, « O poeta é um fingidor. / Finge tão completamente / que chega a fingir que é dor/ a dor que deveras sente »11. L’effet de réel, la mimesis en trompe l’œil dont parle Fernando Pessoa dans son poème Autopsicografia, peut travestir le plus authentique des réels, car subjectif, en effet de réel pour mieux le rendre accessible à tous. Les vers du poète rappellent bien mieux que le propos analytique du critique cette vérité de l’art : c’est aux mots que la littérature confie la mission impossible de dire le réel. Le rôle de l’auteur n’est pas dans ce cas-là de le décrire, sans jamais parvenir à le restituer complètement, mais d’en suggérer la vérité à travers la différence, le mensonge si besoin, car seules cette volupté et cette émotion peuvent espérer combler le fossé entre les faits et les mots. Or cette mimesis de l’émotion – mimesis qui est à l’opposé de l’ekphrasis qui entend restituer à l’objet décrit sa dimension figurative, visuelle – n’est possible que si l’auteur est prêt à sacrifier la vérité en construisant un faux aussi vraisemblable que l’original, car l’original, lui, se passe de mots, alors que son double mimétique n’existe que par eux.
Et cependant dans cet effet de réel qui dit le réel mieux qu’une fidélité mimétique absolue, il n’y a pas à proprement parler un effet du réel sur le texte, mais un effet du réel sur l’auteur, qui le traduit dès lors selon ses moyens esthétiques, sa puissance poétique, son intention artistique. Cette restitution du réel par sa semblance littéraire n’est possible que parce que l’auteur le veut, que parce que telle est sa stratégie poétique ou narrative. L’effet de réel est donc ici consubstantiel à l’intentio auctoris. Il est l’indice de la présence de l’auteur, de sa conscience artistique, de sa volonté d’inclure le lecteur dans sa dissimulation, de le faire adhérer à un projet esthétique.
L’effet du réel peut en revanche se manifester à travers les mots, ou les blancs qui les séparent – un non-dit, un silence savamment interrogés peuvent nous révéler la pression du réel sur ses représentations verbales bien plus qu’un tout plein de mots – et être l’expression d’une action du réel sur l’auteur ou sur les mots, dont l’auteur n’a pas nécessairement une conscience pleine, dont il ne maîtrise pas entièrement ou pas du tout les effets, dont il ne soupçonne parfois pas même la présence ou les enjeux. Si l’intentio auctoris semble définir le processus d’essentialisation du réel grâce à l’effet de réel, l’intentio operis, telle que la définit Umberto Eco en miroir de l’intentio lectoris, paraît être la cause efficiente de l’effet du réel. Cette intention désigne « un système de significations sous-jacent, original »12. Or cette cohérence interne au texte, la « vérité du sens » dont parlait Michel Zink, n’exige pas nécessairement la reconnaissance du lecteur. Elle ne l’exige pas car elle ne se destine pas au lecteur, n’étant pas une réalité volontairement exprimée par les mots mais une réalisation quasi factuelle du réel inscrite dans les mots ou dans les blancs du texte. Le lecteur peut ou non la percevoir, la comprendre ; le critique et l’historien peuvent dans certains cas la reconnaître et l’interpréter plus fidèlement que le lecteur médiéval, mais elle peut aussi leur échapper pour toujours, sans que cela enlève à cette présence in absentia sa valeur à la fois de témoignage du réel et d’intentio operis non encore actualisée. Dans l’intentio operis le mot intentio révèle ainsi moins une intentionnalité qu’une réalité sous-jacente aux mots, un effet du réel pour ainsi dire involontaire. Elle nous rappelle que l’œuvre littéraire n’est pas seulement le reflet de données matérielles mais elle est elle-même une donnée matérielle qui possède sa propre choséité, inscrite dans sa « vérité du sens ».
L’effet du réel qui se dissimule dans l’intentio operis peut ainsi faire ressurgir ce savoir uchronique des textes qui en savent toujours plus qu’ils n’en disent ou que ne le croit leur auteur, ou ne le devine le plus suffisant des lecteurs. L’effet du réel fait ainsi pièce à une certaine suffisance de l’intentio lectoris, voire aux dégâts d’une œuvre ouverte.
Cette immanence du réel s’apparente à ce que j’ai appelé ailleurs13, en paraphrasant Flaubert, une lectio insciente14. On peut aussi emprunter les mots pour le dire à Paul Valéry : « La fatigue des sens crée. Le vide crée. Les ténèbres créent. L’incident crée. Tout crée excepté celui qui signe et endosse l’œuvre »15. Le poète du Cimetière marin n’aimait pas beaucoup les lettres médiévales, mais il en avait manifestement saisi l’un des secrets et peut-être le sens profond.
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1 René Char, « À une ferveur belliqueuse » (1943), dans Fureur et mystère, Paris, Gallimard, « Poésie », 1967, p. 217.
2 Fernand Braudel, Écrits sur l’histoire, Paris, Flammarion, 1985, p. 44.
3 Georges Duby, Dames du xiie siècle, Paris, Gallimard, 1995, p. 11-12.
4 Voir Michel Zink, « Perspectives sur le Moyen Âge. À la recherche de la bonne distance », dans Premi Balzan 2007. Laudationes, discorsi, saggi, Milano, Libri Scheiwiller, 2008, p. 71-82, et « Discours de remerciement », p. 186-188.
5 Roland Barthes, « Les effets de réel », dans Littérature et réalité, éd. Tzvetan Todorov et Gérard Genette, Paris, Seuil, 1982, p. 81-90.
6 Voir à ce propos Gérard Genette, « Vraisemblance et motivation », Communications 11 (1968), p. 5-21.
7 Nancy F. Regalado, L’Art poétique de François Villon. Effet de réel, Orléans, Paradigme, 2018, p. 9, qui reprend le titre d’un article de Nancy F. Regalado, « Effet de réel, Effet du réel : Representation and Reference in Villon’s Testament », Yale French Studies 70 (1986), p. 63-77.
8 Michel Zink, « Le réel objet du désir », dans Effet de/du réel : la littérature au miroir des histoires, colloque organisé par Claudio Galderisi, Vladimir Agrigoroaei, Christelle Chaillou, Pierre-Marie Joris, Pierre Levron et Cinzia Pignatelli, Poitiers, CESCM, 20-22 janvier 2022, https://www.youtube.com/watch?v=mDGbWAX22Ho (15 février 2024).
9 J’utilise ici symptôme selon l’acception que lui donnent les sémioticiens, c’est-à-dire lorsque « l’expression type est une classe d’événements physiques qui renvoient à la classe de leurs causes possibles ». (Voir Umberto Eco, Les Limites de l’interprétation, trad. Myriem Bouzaher, Paris, Grasset, 1992, p. 269-270). L’indice est en revanche la marque d’une volonté, d’une intention auctoriale et peut ainsi rendre compte fidèlement des « effets de réel ». Umberto Eco écrit à propos des indices qu’il s’agit « des objets laissés par un agent extérieur à l’endroit où est arrivée quelque chose, … sont en quelque sorte reconnus comme physiquement liés à cet agent, si bien qu’à travers leur présence effective ou possible, on peut trouver la présence passée, effective ou possible, de l’agent. » (Ibid.) L’agent extérieur se confond ici avec l’auteur et, surtout au Moyen Âge, ses multiples avatars.
10 Je pense en particulier aux contributions de Christine Ferlampin-Acher, Philippe Haugeard et Jean-Jacques Vincensini.
11 Fernando Pessoa, « Autopsicografia », dans Obra Poética, Rio de Janeiro, José Aguilar, 1972, p. 164, v. 1-4 (première parution dans la revue Presença 36 (1932), p. 9). « Le poète est un dissimulateur. / Il feint si complètement / qu’il en arrive à feindre qu’est douleur / la douleur qu’il ressent vraiment ».
12 U. Eco, op. cit., p. 58. Eco distingue ici trois intentions sous-jacentes au texte : intentio auctoris, intentio operis et intentio lectoris. L’intentio auctoris désigne la mise en œuvre du « vouloir-dire et du vouloir-faire de l’auteur », c’est-à-dire le sens qu’il veut produire et la stratégie qu’il met en œuvre pour réaliser son objectif. L’intentio operis renvoie en revanche à l’autonomie de la parole écrite ou orale, qui peut charrier des sens et des éclats de réel que son auteur ne saisissait pas ou ne connaissait pas.
13 Claudio Galderisi, « Lectio philologica, lectio poetica et lectio pigra. Variantes poétiques et philologie d’auteur dans trois poèmes de Charles d’Orléans », Le Moyen Français 64 (2009), p. 85-110, ici p. 110.
14 Flaubert parle de « poétique insciente » (Gustave Flaubert, « Lettre à George Sand », 2 février 1869, dans Correspondance, éd. Jean Bruneau, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, t. iv, p. 15).
15 Paul Valéry, Tel Quel, dans Œuvres complètes, éd. Jean Hytier, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2 vol., 1968-1970, t. ii, 1970, p. 674.