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Un espace en marge : l’image de la Hongrie dans quelques chansons de geste

Jean-Pierre MARTIN

Université d’Artois

L’univers de la chanson de geste est structuré, schématiquement parlant, à partir d’une opposition manichéenne entre tort et droit, mal et bien, païens et chrétiens, ces derniers le plus souvent identifiés à l’empire de Charlemagne1. L’espace où se déploie l’action épique est lui-même défini par ce caractère, du moins dans les œuvres qui mettent en scène le conflit entre Chrétiens et Sarrasins ; mais cette opposition spatiale recouvre en fait la projection d’un ordre temporel sur un ordre spatial : alors que le monde chrétien a connu la Révélation, le monde sarrasin, qui l’ignore, apparaît ipso facto comme une survivance de l’ordre ancien, des croyances erronées de l’Antiquité. C’est en ce sens que Baligant est bien, dans la Chansons de Roland, le viel d’Antiquitet, qui

Tut survesquiet e Virgilie e Omer2.

Dans cet imaginaire orienté de l’espace dans l’épopée, certains lieux appartiennent clairement à l’un ou l’autre de ces domaines : la France, la Normandie, la Bourgogne, la Bavière, la Lombardie s’opposent ainsi à l’Afrique, à l’Egypte, à l’Arabie, à la Perse, à l’Inde, au royaume des Lutis, ou Leutices. Mais il en est dont le statut peut paraître plus ambigu : tel est le cas de l’espace hongrois, généralement chrétien mais à l’occasion païen3 ; et qui, même chrétien, semble souvent traité d’une façon particulière.

L’étude qui en est esquissée ici se voudrait une contribution à l’analyse du chronotope de l’épopée médiévale4 ; elle vise, à partir des textes, à mettre à jour l’imaginaire de l’espace épique dans son autonomie, et non à y rechercher a priori la connaissance d’une réalité historique extra-littéraire précise. La question est : comment l’image ou l’imaginaire que recouvre le mot Hongrie s’inscrit-elle (ou il) dans l’espace symbolique primordial que se construit l’épopée pour y situer ses valeurs ? Elle sera envisagée successivement en termes de localisation pure (où les chansons de geste placent-elles la Hongrie ?), de représentation socio-politique (quelles en sont les activités et les mœurs, dans quel réseau de relations féodo-vassaliques et lignagères se trouve-t-elle prise ?) et de fonctions narratives (à quoi sert la Hongrie dans l’économie des récits épiques, quelle position occupe-t-elle dans la construction du mythe carolingien ?).

Il ne s’agit que d’une ébauche, non exhaustive, surtout fondée sur des textes des XIIe et XIIIe siècles, avec le témoignage éventuel que la tradition franco-italienne peut donner de certaines œuvres perdues, en particulier dans le cas de la Reine Sebile5. Je souhaite simplement proposer quelques pistes de recherche, en prenant appui sur des études antérieures, au premier rang desquelles je voudrais rendre plus particulièrement hommage à celle qu’a donnée R. Colliot dans sa thèse sur Berte aus grans piés.

Au plan purement géographique, il convient tout d’abord de distinguer entre les textes qui ne connaissent que les Hongres et ceux qui parlent de la Hongrie. Pour les premiers, qui rapportent aussi les traditions les plus anciennes, la Chanson de Roland, celles des Saisnes, de Garin le Lorrain ou de Girbert de Metz entre autres6, il s’agit uniquement d’envahisseurs païens associés, sinon assimilés, tantôt aux Saxons et aux Bulgares7, tantôt aux Avars ou aux Valaques8 ; les différents manuscrits de Garin le Lorrain appellent les Sarrasins qui dévastent la Gaule tantôt li Hongre, tantôt li Woandre9. Dans ces conditions ils sont moins perçus comme les occupants d’un territoire que comme une multitude guerrière susceptible de surgir d’un extérieur indistinct dans l’espace carolingien.

La Hongrie, dès lors qu’elle est désignée en tant que telle, donc qu’elle représente une entité géographique, apparaît au contraire le plus souvent comme un pays christianisé, et surtout visité par les héros ou leurs messagers. Dans Parise la Duchesse, l’enfant dérobé à l’héroïne est baptisé dès qu’on l’apporte au roi du pays, et Parise elle-même entend la messe dans le premier château rencontré après ses relevailles10 ; dans Doon de La Roche, l’héroïne Olive trouve refuge en Hongrie chez son oncle l’évêque Auberi11.

La localisation de la Hongrie nous est essentiellement indiquée par des itinéraires12, deux en particulier. Le premier, décrit dans les chansons franco-italiennes, passe vers le Sud : Provence, Lombardie, Venise ; de là, pour atteindre la ville où séjourne le roi de Hongrie, les ambassadeurs de Pépin venus demander la main de la jeune Berta passent par l’Esclavonie13, tandis que l’épousé de Charlemagne en route pour l’exil s’embarque sur un navire14, et doit d’ailleurs reprendre la mer pour rejoindre Constantinople15. L’autre route passe par le Nord, à travers l’Allemagne : c’est celle qui est régulièrement empruntée dans la Berte d’Adenet16, mais qui peut se déduire aussi des indications fournies par Doon de La Roche, Parise ou encore Girart de Roussillon17.

Dans le Voyage de Charlemagne, cet itinéraire conduit, au-delà de la Hongrie, aux régions occupées par les Turcs et les Persans18, alors que dans Macaire la Hongrie est plutôt une étape entre l’Italie et Constantinople. D’autres textes proposent des localisations plus floues, ainsi Beuve de Hantone (deuxième version continentale) qui la situe entre Rome et la Lombardie ou entre l’Allemagne et la Puille19, donc aussi en Italie20. Une conclusion analogue pourrait être tirée du nom de la localité, Seine la ville, où trouve refuge l’héroïne de Doon, la duchesse Olive, si l’on retient l’identification proposée par les éditeurs avec Sienne21. Mais son mari Doon lui-même, à peine arrivé chez le roi de Hongrie, se trouve enrôlé par lui pour la campagne qu’il prépare contre l’empereur de Constantinople, et en vue de laquelle il rassemble son armée sur le fleuve Hongre, celui-ci marquant apparemment la frontière entre les deux royaumes, qui sont donc bien perçus comme voisins (v. 2414-35).

Plus généralement l’idée de limite est souvent associée aux évocations ponctuelles de la Hongrie. On rencontre à de nombreuses reprises des formules telles que

Il n’a si forte tour decy en Honguerie22,

ou plus fréquemment encore

N’avoit plus bele jusc’as pors de Hongrie23.

La Hongrie est alors moins localisée que perçue comme l’extrémité d’un monde, réduite finalement à cette désignation comme port, lieu de contact entre terre et mer ou entre les deux versants d’une montagne ; plutôt que la valeur de passage, de lieu d’entrée que peut recouvrir le mot port, ce que suggèrent ainsi les textes c’est que l’espace hongrois perd toute autre réalité que celle d’une région si éloignée qu’elle n’est plus qu’un indice expressif de distance extrême, au même titre, et peut-être avec la même valeur quasi fantastique, que la Mer Betee qu’on trouve parfois dans un contexte analogue24.

Si la Hongrie est un espace limite, existe-t-elle encore ? C’est un peu la question qu’on se pose à la lecture d’Hervis de Mes. Lorsque le roi Eustache de Tyr et de Constantinople et sa femme entreprennent de se rendre chez leur fils, le roi Floire de Hongrie, ils font demi-tour avant d’y arriver25 ; et si par la suite ce dernier occupe dans la chanson une place de premier plan, ce n’est jamais comme souverain de son pays. Son seul acte de gouvernement, au moment de quitter le royaume de Tyr pour se rendre à Metz, est de dire à ses barons (v. 5950-53) :

« An Honguerie vos en covient aler :

Gardez ma terre, franc chevalier manbré !

Et la roïne vos me saluerez,

Berte, ma fille, qui tant ait de biauté… »

Mais lui-même, entièrement occupé des intérêts de ses parents et de leur royaume, ne semble jamais éprouver le besoin d’y mettre les pieds.

C’est évidemment lorsqu’elle s’écarté le plus de la réalité que la localisation de la Hongrie nous aide le mieux à percevoir quelle place elle occupe dans l’imaginaire spatial de la chanson de geste. Elle s’y trouve en quelque sorte au bord du monde, qu’il s’agisse d’une limite extrême et par là même à peu près inaccessible, ou d’un espace intermédiaire entre le monde chrétien le plus assuré, celui qui dépend directement des souverains carolingiens, et son extérieur, qu’il soit païen, maritime ou éventuellement byzantin.

Une deuxième série de données concerne la représentation humaine de cette Hongrie imaginaire, ce qui touche à ses habitants et à leurs activités, d’une part, à son statut politique d’autre part.

Au plan économique et social, la description tient en quelques traits d’inégal intérêt. Il y a d’abord l’évocation formulaire de l’or de Hongrie26 où A. Eckhardt voit le souvenir des richesses de Béla III, dont Philippe-Auguste avait exigé de connaître le montant pour lui accorder la main de sa demi-sœur27, mais qui doit surtout à la fréquence de l’assonance en – i-e dans les textes épiques, tout en contribuant à en donner l’image d’une région hors normes28. Tout aussi formulaire, la mention de mulets, chevaux ou destriers de Hongrie29 peut sembler une évocation plus sûre de la réalité extra-littéraire30.

La Hongrie apparaît d’autre part liée parfois à l’idée du commerce. Guillaume la mentionne lorsque, cherchant à se faire passer pour un marchand, il énumère les régions où il a voyagé31, et les Hongre figurent parmi les rice marceans de toutes nationalités qu’on rencontre à Lanson32. C’est en Hongrie enfin que le petit Beuve de Hantone, emmené sur mer par des traîtres sur ordre de sa mère, est vendu aux marcheans de Roussie33 dont le navire le conduira vers le pays du roi Hermine.

Mais les seules indications pittoresques se rencontrent dans Parise la Duchesse et dans la Berta da li pe grandi franco-italienne34. Dans cette dernière chanson, la Hongrie, quoique chrétienne, semble un pays quelque peu arriéré puiqu’on y mange assis à même le sol, ce qui fait dire à Aquilon, ambassadeur de Pépin :

« En nostra tera si manue li truant

E la jent povre e la menue jant,

Que non oit da spendere or coito ni arçant… »35

Dans Parise, le roi de Hongrie est montré comme une sorte de roi des voleurs, puisque ceux qui ont enlevé le fils nouveau-né de l’héroïne viennent directement au palais lui rendre compte de leurs larcins comme d’une activité ordinaire, en ajoutant que l’enfant, une fois baptisé dans les règles, pourra à son tour apprendre leur métier. Et par la suite il recourt à nouveau à leurs bons offices pour faire subir au jeune garçon une épreuve destinée à tester sa noblesse, et qui consiste justement à lui faire exécuter un cambriolage (v. 886-92 et 1007-17). Le caractère insolite de cette société est sans doute à mettre en rapport avec le paysage qui accueille l’héroïne lorqu’elle passe d’Allemagne en Hongrie : alors que les autres textes nous font immédiatement entrer dans un univers construit et habité, Parise se retrouve d’abord, pour y accoucher, dans une vaste forêt, large de huit lieues (v. 796-822), espace sauvage et sans lois où précisément rôdent les voleurs.

Tout cela donne de la Hongrie l’image d’une contrée tout à la fois romanesque et imparfaitement civilisée. Mais c’est là le fait de ces deux seuls textes. Adenet tient au contraire à souligner que le roi, la reine, la princesse, et même Aliste, fille de la serve traîtresse Margiste, parlent français, indiscutable signe d’un haut niveau de culture36. Il n’en reste pas moins que la Hongrie semble ainsi dotée d’une étrangeté potentielle.

Des divergences analogues apparaissent quant à son statut politique et féodal. Le mode de gouvernement de ses rois et ses structures sociales sont certes partout calqués sur le modèle français, pour autant du moins que les textes y fassent allusion. Mais la situation de la Hongrie par rapport à l’empire carolingien y est diversement représentée. Si Floovant est une des seules chansons à la désigner sans plus comme l’une des conquêtes de Charlemagne37, elle apparaît souvent en revanche comme une terre vassale de l’Empire. Dans Girart de Roussillon, Charles Martel se fait fort de mobiliser contre son rival les Hongrois avec les Anglais, les Ecossais, les Lombards et les Grecs, et par la suite il envoie ses gens en Hongrie pour le faire rechercher (v. 706-09 et 7536-37). Dans Anseÿs de Mes, le refus que le signor de Hongrie oppose à l’empereur lorsque celui-ci demande son aide s’explique par le fait que chacun des deux se trouve apparenté à l’un des lignages opposés38, ce qui fait tout au plus du premier un vassal rebelle, mais ne remet pas en cause l’appartenance de son domaine à l’empire. Dans Girart de Vienne, les Hongrois sont présents à la cour de Charlemagne, et dans Aspremont c’est le roi Brunols lui-même qui, à table, lui sert le vin le jour de la Pentecôte39. Contre les Sarrasins, la Hongrie est appelée à l’aide aussi bien dans Aspremont que dans la Chevalerie Ogier franco-italienne40. Elle relève ainsi de l’Empire dans la mesure où celui-ci peut s’identifier à la Chrétienté. A la fin d’Aspremont, elle se voit toutefois accorder un statut à part : Brunols ayant été tué, Girart de Fraite obtient de Charlemagne que soient attribuées à son héritier Florent la veuve (désormais convertie) et les terres du chef païen vaincu, en présentant le défunt roi comme un modèle de sage gouvernement (v. 11119-276). La Hongrie fait alors figure d’espace privilégié de l’Empire, résumant ce qui pourrait en représenter l’idéal féodal41 : un bon gouvernement, assuré par les plus grandes familles, et l’intégration de terres païennes à la Chrétienté ; mais ce statut lui est en même temps donné suite à l’intervention du prince le plus rétif à l’égard de la prééminence impériale.

Ailleurs la Hongrie paraît dépourvue de toute subordination par rapport à l’Empire. Ni les différentes versions de Berte, ni les chansons, Macaire, Doon de La Roche ou Parise, inspirées par le thème de la Reine Sebile42, ne laissent supposer la moindre vassalité. Sans doute peut-on trouver dans Macaire l’idée que Charlemagne règne sur la Chrétienté43 ; mais cette suzeraineté universelle n’est jamais concrètement appliquée à la Hongrie. Il est au contraire indiqué que la reine est envoyée en exil fora de [son] tener (v. 14167). Lorsque, dans Doon de La Roche, l’empereur chasse de sa terre le héros éponyme, c’est aussi en Hongrie que ce dernier vient trouver refuge (v. 2403-08 et 2413-16). Dans la Berta franco-italienne, les envoyés de l’empereur jugent même utile de préciser qui est leur seigneur au roi de Hongrie, impliquant ainsi qu’il pourrait en ignorer l’existence44 :

« Celu qe a vos nos ont envoié

Est rois de Françe d’un molto bon regné. »

Si dans la version d’Adenet la cour de Hongrie paraît mieux au fait des réalités françaises, rien n’indique pour autant une quelconque dépendance par rapport à l’Empire. Les seuls liens mentionnés avec d’autres régions sont d’ordre familial et concernent la Saxe, Namur et la Pologne ; mais la Saxe étant vite occupée par un roi païen, la Hongrie se trouve bien alors isolée de l’espace carolingien.

C’est au contraire souvent avec l’empire d’Orient que sont évoqués des liens, encore d’ordre familial dans la plupart des cas. Dans Girart de Roussillon, le roi de Hongrie Oton est le neveu de l’empereur de Constantinople (v. 7234-35) ; même chose dans Doon de La Roche pour Dorame, qui réclame sa part de l’Empire (v. 2434). Dans Hervis de Mes, Floire est le fils du roi Eustache de Tyr et de Constantinople, et même si cette dernière royauté semble résulter d’un remaniement tardif du texte, c’est sans doute un indice supplémentaire du rapport de parenté que l’imaginaire épique établit entre les deux pays45. Il n’y a pas en revanche de lien familial dans Macaire entre les deux rois dont l’un est le père de l’héroïne et l’autre le parrain de son fils, mais lorsque l’empereur de Constantinople entreprend les armes à la main de venir demander des comptes à Charlemagne sur le traitement infligé à sa fille, le roi de Hongrie lui prête main forte, et la paix faite tous deux s’en retournent ensemble vers leurs états46.

L’image de la Hongrie paraît ainsi flotter entre une appartenance pleine et entière à l’Empire d’Occident et une attirance vers l’extérieur, en particulier vers Constantinople ; entre une idée de la Chrétienté universelle dominée par la figure impériale de Charlemagne, et une idée plus ou moins bien assumée de la tradition historique qui s’incarne dans l’Empire d’Orient comme héritier et continuateur de la romanité antique. La situation géographique de la Hongrie entre les deux empires contribue à susciter une telle hésitation, ou plutôt à l’enraciner dans un espace intermédiaire. Ainsi s’expliquent peut-être certains traits observés dans la description qui en est faite, et qui y font découvrir une région aux mœurs étranges, imparfaitement civilisée parce qu’imparfaitement intégrée à l’Empire.

C’est aussi ce statut ambigu, marginal, hésitant entre l’intérieur et l’extérieur, qui rend compte du rôle narratif fréquemment attribué à la Hongrie et de la sémantisation symbolique qui en résulte.

Son incertaine appartenance à l’espace impérial correspond bien, tout d’abord, à sa fonction de lieu d’exil. La parenté entre Macaire, Parise et Doon de La Roche explique qu’on la retrouve à peu près dans les mêmes conditions dans chacune de ces trois chansons. Les différences sont en effet minimes : la forêt de Parise renforce par exemple l’idée d’un lieu à l’écart du monde, mais la nécessité du voyage par mer peut dans Macaire avoir une signification analogue en soulignant de façon voisine la rupture avec l’espace carolingien. Le cas de Doon offre une autre particularité dans la mesure où ce sont successivement la femme et le mari qui se trouvent contraints à l’exil, et où tous deux se réfugient en Hongrie sans pour autant s’y rencontrer : la Hongrie de l’évêque Auberi, à Seine la ville, paraît ainsi entièrement étrangère à celle du roi Dorame ; et en effet il n’est jamais question du roi chez l’évêque ni de l’évêque chez le roi, même lorsque chacun d’entre eux mobilise ses troupes et conduit sa guerre. Tout se passe comme si l’on pouvait appeler Hongrie tout territoire virtuellement défini par son aptitude à abriter un exilé. C’est précisément parce qu’elle fournit un asile destiné à faire temporairement échapper un personnage à l’ordre établi dans un espace chrétien organisé, une parenthèse définie en quelque sorte comme un espace négatif, qu’elle ne peut pas avoir ici de cohérence interne et se réduit à une fonction strictement narrative et symbolique. Ces raisons expliquent sans doute en partie que la Hongrie constitue aussi un refuge possible pour le héros de Girart de Roussillon.

Dans Macaire et Parise, le refuge est en outre le lieu où les deux héroïnes mettent au monde le fils de celui qui les a injustement chassées. Elles accouchent ainsi tout à la fois en dehors des deux empires chrétiens d’Occident et d’Orient, et néanmoins en terre chrétienne, puisque c’est là que chaque enfant trouve dans le roi du pays le parrain qui lui donne son nom, Louis dans Macaire, Hugues dans Parise. Dès lors que l’espace paternel, identifié à tout ou partie de l’empire carolingien, se trouve soumis à l’influence des traîtres, c’est de l’extérieur seulement que peut venir le salut, la possibilité d’un avenir susceptible de renouer avec l’ordre légitime des choses. On retrouve là d’ailleurs un topos constant des mythes héroïques : la naissance du héros doit être cachée, elle implique un état initial de latence préalable à la reconnaissance qui lui restitue ses droits et son aptitude à succéder à son père. L’imposition du nom par un roi étranger contribue ici tout à la fois à l’occultation et à la reconnaissance du héros, puisqu’elle lui donne une légitimité royale en marge de celle dont il doit hériter47. Il n’est donc pas indifférent que le lieu où se produisent et une naissance obscure et l’imposition d’un nom soit doté de caractères qui en font un espace lui-même marginal, intermédiaire et provisoire.

Avec l’histoire de Berthe aux grands pieds, la Hongrie n’est plus seulement un lieu de latence provisoire. Mère de Charlemagne, Berthe désigne la Hongrie comme territoire originel du mythe épique. Il n’est pas inutile ici d’évoquer le conte de Floire et Blanchefleur, qui donne une des évocations les plus anciennes de la légende, antérieure en tout cas à celles des textes épiques conservés. Floire, nous dit le prologue du conte,

Uns rois paiiens l’engenuï,

Et Blanceflor que tant ama

Uns cuens crestiiens l’engenra.

Flores fut tos nés de paiiens

Et Blanceflors de crestiiens.

Bautisier se fist en sa vie

Flores por Blanceflor s’amie (…)

Puis que Flores fu creestiiens,

Li avint grans honors et biens,

Car puis fu rois de Hongerie

Et de trestoute Bougerie.

Uns siens oncles fu mors sans oirs,

Qui de Hongerie estoit rois…48

La conversion de Floire est donc à l’origine de la christianisation de la Hongrie. Son histoire reproduit celle de Clovis, païen marié à une chrétienne qui le conduit au baptême49, et la Hongrie se trouve ainsi liée à cette conversion fondatrice de la royauté franque. Cette valeur d’origine se repère à deux séries d’indices. D’une part à sa position intermédiaire, en quelque sorte antérieure à une christianisation accomplie. La Hongrie est rattachée au passé païen dans le prologue de Huon de Bordeaux, qui en fait une terre sauvaige, possession de Jules César50. Même chrétienne, elle conserve des liens avec le monde préchrétien : c’est le roi Floire, dans Hervis, qui se montre le plus acharné à retrouver Beatrix pour la donner en mariage au roi d’Espagne, qui ne s’est converti que pour pouvoir l’épouser51. Dans Berte as grans pies, la conquête de la Saxe par le païen Justamont vient la mettre durablement à l’écart de l’espace chrétien (v. 1507-17), et le Prologue des Loherains, dans le ms. T d’Heruis, montre saint Seurin vainqueur d’un empereour Bruiant vandale qui

Dusqu’en Hongrie tint l’Alemagne grant52.

On peut enfin évoquer le cas du roi Florent, qui reçoit à la fin d’Aspremont la charge de christianiser les anciennes possessions du païen Agolant, et est notamment invité à jurer (v. 11228-31)

Les fauses lois abatre et oblïer,

Totes les bones essaucier et lever.

Et sainte iglise servir et anorer.

Les signes occasionnels qui montrent en Hongrie un état insuffisant de civilisation concordent avec cette représentation imaginaire d’un domaine encore proche dans l’espace comme dans le temps du paganisme et du désordre originels.

D’autre part, Pépin n’est pas le seul à épouser une princesse hongroise, ni Charlemagne à en descendre. Si dans Doon de La Roche Olive peut se réfugier chez son oncle l’évêque de Seine la ville, c’est qu’une partie de sa famille, et donc de celle de son frère l’empereur Pépin, avait déjà des origines hongroises. L’une des versions de Beuve de Hantone fait épouser Malatrie, fille du roi de Hongrie, à l’un des fils du héros53. Parise la Duchesse s’achève sur le mariage de Huguet, fils de l’héroïne, avec Sorplante, la fille du roi Hugues. Dans Aspremont Girart de Fraite a pris pour femme celle de Brunols, et R. Louis montre qu’il en allait sans doute de même à l’origine pour Girart de Roussillon, et que la parenté conservée entre Berthe et le roi Oton est un vestige de cet état ancien ; chez Bertrand de Bar-sur-Aube, qui transmet sans doute une autre version de la légende, l’épouse de Girart de Vienne a de même pour frère un Oton54. Les alliances hongroises semblent aussi recherchées pour les mariages des héros que celles avec Constantinople, et sans doute présentent-elles une signification analogue. Caractérisés par leur aptitude à fournir des femmes, le royaume hongrois et l’Empire Byzantin apparaissent comme des territoires originels.

Pour celui-ci, cette valeur est évidente dans la mesure où il incarne l’héritage de l’Empire Romain, et où le parallèle entre l’empereur d’Occident et celui de Constantinople est fréquemment établi dans les textes, en termes de rivalité dans le Voyage de Charlemagne55, mais aussi en termes de substitution, si l’on peut dire, lorsque l’Empire d’Occident doit suppléer dans Girart de Roussillon aux faiblesses de celui d’Orient ; ou au contraire lorsque, victime du désordre régnant dans le premier, le fils de Doon de La Roche, Landri, auquel son oncle Pépin a refusé d’apporter son aide (v. 1319-75), vient trouver dans le second les forces nécessaires à la restauration de l’ordre. Le mariage de Charles Martel, de Charlemagne, ou même de Landri de La Roche avec une princesse byzantine matérialise donc pour ainsi dire la transmission de la dignité impériale à la dynastie carolingienne. Au début de Girart de Roussillon, le Pape lui-même indique que Rome appartient à l’héritage de l’empereur de Constantinople, qui en transmet la possession à ses filles56.

Dans le cas de la Hongrie, la symbolique ne saurait être celle d’un héritage57. Elle semble fondée sur les deux séries d’indices déjà relevés : comme espace dont la christianisation et la civilisation sont encore fragiles, elle renvoie au temps fondateur de la conversion des rois francs, et par conséquent à l’univers mythique carolingien que célébré la chanson de geste. Comme région limitrophe à la fois de l’Empire franc et de celui de Constantinople, elle se trouve sur le chemin du retour vers le passé romain sur lequel se fonde la légitimité impériale. Sans doute convient-il aussi d’évoquer l’installation légendaire des Francs en Pannonie avant leur arrivée en Gaule, autre trait désignant la Hongrie comme lieu d’origine pour la représentation imaginaire du passé58 ; il ne semble pas toutefois que cette tradition ait laissé dans les chansons de geste une trace suffisamment explicite pour qu’on puisse la retenir comme une donnée de l’imaginaire épique. En revanche le fait que les origines légendaires de Charlemagne aient pu servir en partie de modèle à celles de saint Martin, lui aussi descendant d’un roi Florus hun ou hongrois est un signe supplémentaire de leur valeur originelle59.

Ce n’est pas pour elle-même que la Hongrie est mentionnée dans nos textes. On ne saurait d’ailleurs y repérer une cohérence interne, comme on l’a déjà vu avec les exils parallèles d’Olive et de Doon. La même absence de continuité s’observe à propos de ses rois, qui ne servent jamais que d’expansions aux aventures des héros et des rois carolingiens. Même leurs noms ne se recoupent guère : le grand-père de Charlemagne se nomme Floire, Brunor, ou encore Alfaris60. Si le nom de Brunor est à rapprocher de celui du roi Brunols, néanmoins contemporain et vassal de Charlemagne, celui d’Alfaris peut l’être d’Auberi, l’évêque de Seine la ville, qui n’est donc pas un roi ; et Floire de Florent, fils de Brunols61 : les noms circulent sans jamais constituer une série parallèle à celle des rois de France. Seul Florent est donné pour fils d’un roi de Hongrie et successeur de son père : les quelques éléments généalogiques proposés conduisent ordinairement vers Constantinople, nouveau signe que la Hongrie sert d’intermédiaire entre la dignité impériale et les Carolingiens. Il n’y a rien là qui constitue un ensemble autonome, parce qu’il s’agit d’une construction entièrement dépendante du mythe épique au service duquel elle se trouve.

La Hongrie de nos chansons est pour l’essentiel une fiction symbolique. Si sa localisation, largement approximative il est vrai, coïncide en gros, le plus souvent, avec l’emplacement historique du royaume unifié et christianisé par Géza et Etienne Ier, le rôle qu’elle y joue n’a de sens que par rapport au mythe carolingien. Or la valeur originelle de celui-ci tient notamment au fait que la collectivité qu’il célèbre garde une claire conscience de son passé païen, et la Hongrie des chansons constitue en quelque sorte le milieu géographique où se spatialise cet événement fondateur. Elle y figure à la fois une marge et un espace intermédiaire. Comme marge, elle semble un lieu presque extérieur au monde, et fournit aux personnages un espace de latence propice aux régénérations et aux aventures qualifiantes. Comme zone intermédiaire, elle figure à la fois le lien entre l’empire d’Orient et l’empire d’Occident, et le passage du paganisme ancien à la Révélation nouvelle, et se situe ainsi, par rapport à l’empire franc, sur le chemin qui remonte vers le passé, la légitimité impériale, mais aussi les origines païennes de la France féodale.

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1. Cf. Roland, éd. et trad. J. Dufournet, Paris, 1993, v. 1015 ; la « Geste Francor » di Venezia, ed. A. Rosellini, Brescia, 1986, v. 15019, 15341-42.

2. V. 2615-16. Cf. J.-P. Martin, « Les Sarrasins, l’idolâtrie et l’imaginaire de l’Antiquité dans les chansons de geste », dans Littérature et Religion au Moyen Âge et à la Renaissance, études recueillies par J.-Cl. Vallecalle, Presses Universitaires de Lyon, 1997 (XI-XVI Littérature), p. 27-46.

3. Voir tout particulièrement à cet égard l’article de L. Karl, « La Hongrie et les Hongrois dans les chansons de geste », Revue des Langues Romanes, janvier-février 1908, LI, p. 5-38. Cf. aussi A. Eckhardt, De Sicambria à Sans-Souci. Histoires et légendes franco-hongroises, Paris, P.U.F., 1943, notamment p. 11 à 124, et surtout R. Colliot, Adenet le Roi : « Berte aus grans piés ». Etude littéraire générale, Paris, Picard, 1970, I, p. 197-241.

4. Cette notion a été introduite par M. Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, trad. D. Olivier, Paris, Gallimard, 1978, p. 235-398 et 439-473. Voir aussi D. Madelénat, L’Epopée, Paris, P.U.F., 1986, p. 108-114.

5. Dont un des principaux témoignages nous est conservé par le Macaire franco-italien : M. de Riquer, Les Chansons de geste françaises, trad. I. Cluzel, Paris, Nizet, s.d. (1970), p. 224.

6. L Karl, art. cit., p. 11-16 ; cf. R. Colliot, op. cit., p. 223.

7. Roland, V. 2921-22. Selon A. Eckhardt, op. cit., p. 75-76, il y avait en outre confusion entre les Hongrois et les Huns.

8. Les Rédactions en vers de la Prise d’Orange, éd. Cl. Régnier, Paris, 1966, Red. A, v. 967, li Vavar et li Hongre ; et C, 891, li Baclë et li Ongre. Plutôt qu’avec les Basques, il me semble que le nom de Bacle est à mettre en rapport avec la Blaquie, ou Valachie, dont Villehardouin parle au § 202 de la Conquête de Constantinople, éd. J. Dufournet, Paris, 1969, et dont les habitants sont les Blas, c.s.p. li Blac (§ 352 et 359).

9. Par exemple les mss. A, éd. J. E. Vallerie, Garin le Loheren, Ann Arbor, Columbia University, 1947, v. 3 ; ou F, éd. A. Iker-Gittleman, Garin le Loherenc, Paris, 1996-1997, même vers.

10. Parise la Duchesse, éd. M. Plouzeau, Aix-en-Provence, 1986, v. 901 et 920-21.

11. Doon de La Roche, éd. p. Meyer et G. Huet, Paris, 1921, v. 2162-64.

12. R. Colliot, op. cit., p. 227-41.

13. Geste Francor, v. 1477-84.

14. Ibid., v. 14779-89.

15. Ibid., v. 15161-86. Même itinéraire dans Berta, Ibid., v. 1477-83.

16. Adenet le Roi, Berte as grans piés, éd. A. Henry, Genève, 1982, par exemple v. 114-119 et 231-251 ; cf. R. Colliot, op. cit., p. 230-31.

17. Dans Doon, les exilés partent de Cologne : v. 2160-2162 ; ou de La Roche, sans doute quelque part en Lorraine ou en Allemagne : 2403-2414. Cf. Parise, v. 795-96, et Girart de Roussillon, éd. W. Μ. Hackett, Paris, 1953-1955, v. 7533.

18. Le Voyage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople, éd. P. Aebischer, Genève-Paris, 1965, v. 101-02. Le v. 103, selon Ph. E. Bennet, « La grant ewe del flum : Toponymy and Text in Le Pèlerinage de Charlemagne », dans The Editor and the Text : in Honour of Prof. Anthony J Holden, Edinburgh, Edinburgh University Press & Modern Humanities Research Association, 1990, p. 125-136, évoque le franchissement du Danube au niveau de la vallée de l’Olt, limite orientale de la Hongrie, donc, autour de l’an 1000, du côté des Khazars ou des Petchenègues.

19. Der festländische Bueve de Hantone, Fassung II, hg A. Stimming, Dresden, 1912-1918, v. 13240-43 et 12625-27.

20. C’est peut-être pour cette raison qu’Anseÿs de Mes, éd. H. J. Green, Paris, 1939, v. 4576, lui donne un roi nommé Desier, homonyme du roi lombard de la Chevalerie Ogier, ed. Μ. Eusebi, Milano-Varese, 1963, v. 3099 et passim. A moins que le nom de Puille ne désigne la Pologne.

21. Doon, v. 2925 et note correspondante.

22. Jehan de Lanson, ed. J. V. Myers, Chapel Hill, s.d. (1965), v. 172. Cf. Raoul de Cambrai, ed. and trad. Sarah Kay, Oxford, 1992, v. 3494-95, 3474 et 5095 ; Der festl. Bueve de H., II, v. 2180-82 ; Girart de R., v. 1194.

23. Der festl. Bueve de H., II, v. 18497. Cf. Otinel éd. F. Guessard et H. Michelant, Paris, 1859, v. 178 ; Gui de Nanteuil, ed. J. R. McCormack, Genève-Paris, 1970, v. 2607 ; La Chevalerie Vivien, ed. D. McMillan, Aix-en-Provence, 1997, ms. E, v. 9 ; Girbert de Metz, mss. E, Paris, BN fr. 19160, f° 236d, 20 ; M, Paris, BN fr. 1622, f° 148d, 20 ; et P, Paris, BN fr. 1442, f° 148d, 20.

24. Aliscans, red. A, éd. Cl. Régnier, Paris, 1990, v. 289 et passim.

25. Hervis de Mes, éd. Jean-Charles Herbin, Genève, 1992, v. 1032-37.

26. Par exemple Chev. Ogier, v. 11882 ; Jourdain de Blaye, éd. P. F. Dembowski, Paris, 1990, v. 3272 ; Anseÿs de M., v. 3015 ; Girart de Vienne par Bertrand de Bar-sur-Aube, éd. W. van Emden, Paris, 1977, v. 5637.

27. Op. cit., p. 120-21. Cf. R. Colliot, op. cit., p. 224-25.

28. Outre la mention de l’or d’Arabe (Chanson de Guillaume, éd. et trad. F. Suard, Paris, 1991, v. 373 et 2193) ou de l’or de Rome (Prise de Cordres et de Sebille, éd. O. Densusianu, Paris, 1896, v. 331), on rencontre par exemple l’or de Monpellier, qui se justifie essentiellement par son aptitude à fournir une assonance en -ié (Bataille Loquifer, ed. M. Barnett, Oxford, 1975, v. 1991 ; Girart de V., v. 3800 et 4765 ; Enfances Guillaume, éd. P. Henry, Paris, 1935, v. 1134). Cf. aussi l’or de Roussie dans Ami et Amile, éd. P. F. Dembowski, Paris, 1969, v. 2874.

29. La Chanson des Saisnes, éd. A. Brasseur, Genève, 1989, ms. L, v. 5608 ; Garin, ms. F, v. 1572 (de Surie dans le ms. A) ; Anseÿs de M., v. 5565 ; Aliscans, réd. M (La Versione franco-italiana della « Bataille d’Aliscans », hg G. Holtus, Tübingen, 1985), v. 2319 (de Sulie dans la rédaction A, v. 2489) ; Renaut de Montauban, éd. J. Thomas, Genève, 1989, v. 1894 ; Otinel, v. 721 ; les Narbonnais, éd. H. Suchier, Paris, 1898, v. 5426 et 5558. On rencontre aussi cependant, avec d’autres assonances, des chevaux d’Arabe ou d’Espagne : Guillaume, v. 139, 373, 2193, 3789. La Chev. Ogier, v. 11882, associe cevals (…) d’Espagne et de Hongrie.

30. R. Colliot, op. cit., p. 227.

31. Le Charroi de Nîmes, éd. D. McMillan, Paris, 1972, v. 1194.

32. Jehan de L., v. 319.

33. Der festl. Bueve de H., II, v. 1564.

34. Sur les traits de « couleur locale » présentés par ces deux chansons, cf. R. Colliot, op. cit., p. 212-19.

35. Geste Francor, v. 1551-53.

36. Adenet, Berte as g. p., v. 153-58. Cf. R. Colliot, op. cit., p. 206-12.

37. La Chanson de Floovant, éd. F. H. Bateson, Loughborough, 1938, p. 69, v. 91. Peut-être en va-t-il de même de Roland, si du moins il faut corriger au v. 2328 Burguine par Hungerie : cf. éd. Moignet, Paris, 1969, p. 175.

38. Anseÿs de M., v. 4678-79 ; cf. v. 4573-76, 5566-73, etc.

39. Girart de V., v. 1131-32 ; la Chanson d’Aspremont, éd. L. Brandin, Paris, 1924, v. 41 et 408. Dans Aliscans, réd. M, v. 3163, le dus d’Ongrie se trouve à la cour de Louis lors de la querelle entre Guillaume et sa sœur (même leçon, Hongherie, dans l’éd. de Halle, v. 2960, mais la rédaction A, v. 3338, donne li dus de Normandie).

40. Aspremont, v. 940 et 947 ; au v. 4367, le roi Brunols est nommé parmi les chefs du sixième corps en compagnie de Droon de Poitou. Geste Francor, v. 12494.

41. Sur les conceptions du pouvoir royal exposées dans Aspremont, cf. D. Boutet, Charlemagne et Arthur ou le roi imaginaire, Paris, Champion, 19992, p. 34-37.

42. Sur cette parenté, on se reportera à l’introduction de mon édition d’Orson de Beauvais.

43. Geste Francor, v. 15019, 15341-42 et 16350.

44. Geste Francor, v. 1569-70.

45. Hervis, v. 623-627 ; cf. Introduction, p. lxxvii. Si l’influence de la légende de Berthe aux grands pieds est explicite en ce qui concerne le personnage de Floire, il n’est pas exclu que celui d’Eustache doive quelque chose à Girart : aux v. 75-76, cette dernière chanson montre en effet l’empereur de Constantinople engagé dans une guerre du côté d’Auçir, localité identifiée par P. Meyer avec Tyr : cf. Table de Noms Propres, t. III, p. 569a. Girart aurait pu ainsi donner à Hervis le modèle d’une appartenance commune des deux villes à un même souverain.

46. Geste Francor, v. 16288-89 et 16993-95.

47. Dans Macaire, Geste Francor, v. 14868-914, le roi reconnaît l’origine royale de l’enfant à sa beauté et à la croix blanche qu’il a de naissance sur l’épaule ; dans Parise, v. 883-902, ce sont les conditions romanesques dans lesquelles l’enfant lui est amené ainsi que, cette fois encore, sa beauté, qui conduisent le roi à lui donner son nom.

48. Le Conte de Floire et Blancheflor, éd. J.-L. Leclanche, Paris, 1980, v. 14-28. Ce conte, que son éditeur date des environs de 1150 (cf. Introduction, p. 11), est sans doute antérieur au Spéculum Regum de Godefroy de Viterbe, mort en 1191, et donné par A. Eckhardt, op. cit., p. 96, pour « la plus ancienne version de l’histoire de Berthe ».

49. Cf. Floovant, v. 1-10 : Seignors, or escoutez (…) Dou premier roi de France qui crestiens dent. (…) Pluis de. XX. et. VI. anz fu il rois sarazins (…) Damedex l’amai tant, li rois de paradis, Que il se fist an fonz batisier et tenir.

50. Huon de Bordeaux, éd. P. Ruelle, Bruxelles-Paris, v. 10. Il a aussi possédé Rome, puisque c’est en tant qu’héritier de Romulus et de Jules César que Galafre prétend la disputer au Pape et à Charlemagne : les Rédactions en vers du Couronnement de Louis, éd. Y. G. Lepage, Paris-Genève, 1978, réd. AB, v. 466-469 ; mais le fait qu’il s’agisse d’une revendication païenne implique du même coup l’appartenance indiscutable de la capitale impériale à l’espace chrétien, dont, en tant que siège de la Papauté, elle apparaît en outre comme le centre même. La sémantisation qui s’ensuit est donc toute différente.

51. Hervis, par exemple v. 691-700 et 5937-5947.

52. Hervis, App. XXVI, p. 530, v. 118-138.

53. Der festl. Bueve de H., II, v. 17994.

54. De l’histoire à la légende : III, Girart, comte de Vienne, dans les chansons de geste, Auxerre, 1947, t. 2, p. 75. A propos de Girart de Vienne, cf. W. van Emden, Girart de V., Introduction, p. xxviii. Dans Der festl. Bueve de H., I, Dresden, 1911, v. 4351, Beuve, cherchant à passer inaperçu en présence de son parâtre criminel, prétend être d’une famille originaire de Hongherie.

55. Ou au début d’Aspremont, v. 1165-68 : « Troi siege sont esleü et sevré, Costantinoble est li uns apielé Et l’autre Rome, li tiers ceste cité, Li quars Toulouse qui est de m’ireté », dit Girart de Fraite.

56. Girart de R., v. 77 et 106. Cf. supra, note 50 : le combat qui oppose Guillaume à Corsoit illustre du même coup la rivalité entre l’ancien monde païen et celui de la foi chrétienne désormais révélée. L’héritage de Rome est une donnée symbolique essentielle de la légitimité carolingienne.

57. P. Gautier Dalché, « Un problème d’histoire culturelle : perception et représentation de l’espace au Moyen Âge », Médiévales, 18, printemps 1990, p. 5-15, signale d’ailleurs « les difficultés qu’éprouvèrent les géographes médiévaux à reconnaître en tant que tels des peuples inouïs, tels que les Hongrois », absents des descriptions antiques.

58. A. Eckhardt, op. cit., p. 11-51, « Sicambria, capitale légendaire des Français en Hongrie ».

59. Id., Ibid., p. 91-104, « Les Sept Dormants, Berthe aux grands pieds et la Manekine », notamment p. 94-96.

60. Respectivement dans Floire et Bl., v. 7-12, Hervis, v. 626-0, Berte, v. 171 ; Karleto, Geste Francor, v. 7769-70 ; et Berta, Geste Francor, v. 1719.

61. Respectivement Aspremont, v. 940-41 ; Doon, v. 2165 ; Aspremont, v. 11124-46. On peut encore ajouter Dorame et Oton, tous deux neveux d’un empereur de Constantinpole : Doon, v. 2421-22 ; Girart de R., v. 7234.