Book Title

Une ville du sud vue du nord : Narbonne dans le cycle d’Aymeri

Micheline de COMBARIEU

Université de Provence

« La ville… un lieu plus proche du désir du cœur »

J. Brunner. La ville est un échiquier

Les chansons de geste, en l’état des manuscrits conservés, sont, majoritairement, des textes de langue d’oïl, mais l’espace géographique dans lequel elles se situent est plus souvent méridional. On peut parler d’un « grand sud » qui comprend les terres d’Europe que s’y disputent chrétiens et Sarrasins, en une représentation qui doit un peu à l’Histoire et beaucoup à l’imaginaire : Italie, Espagne et midi de l’actuelle France. Présence forte qui déborde ce thème : si le souvenir des Quatre Fils Aymon s’est inscrit en Ardenne1, le plus long épisode de la chanson se déroule en Gascogne, entre Bordeaux et Toulouse2 ; la geste des Lorrains est aussi celle des Bordelais, et Bégon de Belin y emprunte son nom de terre à un toponyme aquitain, pour donner des exemples qui se limitent aux régions de langue d’oc.

Régions d’ailleurs perçues comme étrangères – on n’y est pas en France – par nos poètes. « Provence, cel estrange roion » (v. 1726) écrit celui du Moniage Guillaume II3, une Provence qui, en effet, ne lui semble pas familière, puisqu’il l’installe entre Toulouse et Montpellier (vv. 3003-04). Hermenjart elle-même, la « dame de Nerbone », affirmant sa confiance dans l’aide que le roi Louis, prévenu, apportera à la ville assiégée, dit :

« Secorra nos en estrange païs »

Narb., v. 5259

Avec ce qui paraît être un intérêt pour marquer l’écart entre l’autrefois et l’aujourd’hui, le trouvère du Moniage Guillaume II (encore lui !), décrit le long voyage des messagers royaux à la recherche de Guillaume :

La terre n’ert de si grant gent garnie

Comme ele est ore, si drue ne si riche.

En quinze liues n’avoit pas quatre viles.

Tout cevalchierent…

Par bos, par tertres, par plains, par praerie ;

Passent tant mont et tante roce bise,

Cerkent Provence, le bos et le gaudine,…

M.G. II, vv. 2995-3002

Mais cette « desertine » pourrait bien être adaptée surtout à son propos : montrer les difficultés des envoyés et souligner combien le héros a voulu chercher la solitude. En effet, contrairement à cette représentation, le Sud épique est très riche en villes4 :

AGEN – AIGUES-MORTES – ALES – AIRE-SUR L’ADOUR – AIX-EN-GASCOGNE (c’est-à-dire DAX) – AIX-EN-PROVENCE – ANIANE – ARLES – AUBENAS – AVIGNON – BAYONNE – BEZIERS – BEAULANDE (si c’est bien NICE) – BLAYE – BORDEAUX – BRIOUDE – CAHORS – CARCASSONNE – CASTRES – CLERMONT-FERRAND – FORCALQUIER – GERONVILLE (qui est ville imaginaire, mais, dans la fiction, ne le sont elles pas toutes ?) – LIMOGES – LUC (en DIOIS ou en PROVENCE) – LUNEL – MAGUELONNE – MARSEILLE – MONTAUBAN (qui n’est pas MONTAUBAN mais est en AQUITAINE) – MONTELIMAR – MONTPELLIER – NARBONNE – NIMES – ORANGE – OSTABAT – PIERRELATTE – POITIERS – ROCAMADOUR – SAINT GILLES – SAINT GUILHEM LE DESERT (mais ce n’est pas une ville, comme son nom l’indique) – SAINT JEAN PIED DE PORT – SISTERON – TARASCON – TOULON – TOULOUSE – VALENCE.

Elles ont connu un sort épique bien différent, de l’obscur à l’éclatant.

J’ai choisi de parler de NARBONNE, très présente dans au moins quatre des chansons consacrées à Aymeri de Narbonne et à ses enfants : Aymeri de Narbonne, les Narbonnais, le Siège de Barbastre, la Mort Aymeri de Narbonne5.

C’est la charge d’Histoire et d’Imaginaire dont elle y est douée que je voudrais cerner.

Pour ce qui touche à la géographie et à l’Histoire, je suis contrainte de ne donner que les conclusions d’une enquête dont le compte-rendu, à lui seul, fournirait matière à communication6.

Pour l’espace, un site qui n’est qu’approximativement connu et une topographie urbaine des plus lacunaires. « Nerbone sor mer », c’est, déjà, inexact. Narbonne « sus un pui » (AdN., v. 160), c’est une vue de l’esprit. Deux (ou trois) noms font effet de réel : l’Aude, l’église saint Paul (mentionnée dans les quatre textes) (et la « porte Aigiere », AdN.), – mais ne silhouettent même pas la ville de façon précise, loin des descriptions de l’allemand Münzer7 ou, antérieurement, du dithyrambe de Sidoine Apollinaire écrit en 465 alors qu’il y séjournait :

Salut, Narbonne,… belle à voir… avec tes murailles, ton enceinte,… ton forum, ton théâtre… tes capitoles, tes thermes,… tes greniers, tes marchés,… tes îles, tes salines, tes étangs, ton fleuve, ton vent, ta haute mer… tes vignes… tes pressoirs à olives8.

Poème 23, vv. 37-47, cité d’après H. N., pp. 79-80

ou du sec croquis d’un chroniqueur arabe du VIIIe siècle :

… une grande ville qui est traversée en son milieu par un grand fleuve enjambé par un grand pont sur lequel se trouvent des marchés et des maisons et que l’on emprunte pour aller d’une partie de la ville à l’autre.

Cité d’après H. N., p. 174

Pour l’Histoire, les souvenirs des luttes sarrasines, mais déplacées dans le temps (Charlemagne ni son fils n’y jouent aucun rôle, les deux Aymeric meurent l’un à Jérusalem en 1105, l’autre à Fraga en 1134, en croisade ou reconquête, mais n’eurent pas, au XIIsiècle, à défendre ou reconquérir Narbonne), héroïsées (les Wisigoths ouvrirent la ville à Pépin-le-Bref) ignorant de surcroît tout le reste : le lointain passé romain et le proche passé wisigoth, l’importance de l’Eglise narbonnaise et de ses archevêques (au XIIe siècle co-seigneurs de la ville), comme les jeux politiques, à la même époque, d’Ermengarde entre Barcelone et Toulouse, entre Gênes et Pise.

Mais si les références géographiques et historiques des textes sont fuyantes et quand elles traduisent le réel, parfois le trahissent, toujours le recomposent, sans doute vaut-il mieux considérer sous cet angle – poétique, signifiant – les descriptions de la ville qu’ils nous procurent.

Les noms de la ville

Le nom de la ville est souvent décoré, honoré par des épithètes qui participent d’une rhétorique de l’éloge, plus suggestive que descriptive. La valeur de la cité est attestée par les témoignages supposés dont elle a déjà été l’objet (« la grant cité louee ») et qui sont, par définition, justifiés (… « qui tant fet a loer »). Si elle n’est pas exactement une « merveille », elle est « (a) mirable ». Quand on en vient aux valeurs fondant cette excellence, on trouve la puissance sous les espèces de la richesse (« riche cité », « Nerbone la riche », « cité de riche ator »), de la force militaire qui inclut celle des murs (« fort cité ») et celle de ses occupants qui n’en est pas distinguée (« fort cité vaillant »), valeurs associées sans doute dans des termes comme « garnie » et « bone ». Il faut y ajouter l’ancienneté (« cité antie ») et le très polyvalent « grant », dont on ne doit pas sous estimer la valeur d’espace, mais parfois peut être perçu comme trop banal, d’où une formule comme « la grant cité major ». Pour une plus grande concentration de l’éloge ces termes sont souvent associés par paires : « la fort cité antie », ou « la fort cité loee »9. Il est exceptionnel qu’on s’écarte de cette liste restreinte. On notera donc Narbonne « la cité real » (Narb., v. 3954). D’autre part, ces termes peuvent évidemment servir à mettre en valeur poétique toute ville : dans la Mort Aymeri, Babylone la sarrasine est tout autant « amirable » (vv. 1764, 2348) que Narbonne la chrétienne (v. 2087)10.

Description de la ville

Outre les nombreuses notations éparses dans les quatre poèmes, plusieurs descriptions de Narbonne nous sont offertes.

Pour en apprécier le contenu, il faut tenir compte, lorsqu’il y a lieu, du personnage dans la bouche de qui elles sont placées, et de l’effet qu’elles sont donc supposées produire sur celui à qui elles s’adressent.

Aymeri de Narbonne s’ouvre (presque) sur un de ces passages (vv. 160-191). Est ainsi désigné, d’emblée, non seulement le lieu de l’action, mais son enjeu. Cette première description est le fait de l’auteur, mais elle présente en même temps Narbonne vue par Charlemagne :

Par devers destre se prist a regarder ;

Entre.ij. roches, près d’un regort de mer,

Desus un pui vit une vile ester.

A. de N., vv. 158-160

Elle aboutit à cette constatation :

La cité prent li rois a resgarder,

Dedans son cuer forment a goloser.

A. de N., vv. 190-91

Sa finalité est donc de montrer le type de la ville désirable, on peut aller jusqu’à parler de « ville idéale », – c’est pourquoi je l’utiliserai comme texte de référence. Ce passage est redoublé par un autre, d’une longueur équivalente (vv. 200-219 et 260-276) où s’exprime le point de vue de Naime : celui-ci tend à dissuader l’empereur d’entreprendre la conquête de la ville ; il insiste donc sur ses défenses, et sur les obstacles infranchissables qu’elles opposent aux ennemis.

Dans les Narbonnais, deux autres descriptions sont faites, par un Sarrasin venu demander du secours à l’« amirant » de Tudele puis à celui de Babylone : il représente le point de vue de ceux qui ont été chassés de la ville et voudraient bien la récupérer. Dans les vv. 3401-426, l’accent est alors mis sur la richesse et la beauté de Narbonne, – apparaît ainsi la perte subie et l’intérêt de reprendre la cité ; dans les vers 3545-3605, la perspective est plus militaire : la force des murs (vv. 3565-66) et l’importance de la garnison (vv. 3557-3565 et 3568-3572) sont renseignements utiles communiqués au futur assiégeant ; les ressources du terroir et de la ville sont appréciées dans le même sens : la forêt proche fournira aux troupes de quoi se nourrir (elle est giboyeuse) et de quoi fabriquer des machines de guerre ; les marchés, avec le produit des taxes encaissées permet (tra) au maître des lieux de payer de nombreux « soldeiers » (vv. 3573-589).

On voit que les points de vue sur Narbonne sont très différents.

Elle peut être marquée négativement : pour Naime, elle est le lieu interdit parce que ce qu’elle paraît promettre est un leurre. Et c’est ce que répètent à l’envi tous les hommes de l’empereur qui se refuseront même à tenter l’entreprise de la conquête, allant jusqu’à la dire « terre haïe » (AdN., v. 367), « terre sauvage » (v. 532). « Maudite soit tel terre » (v. 539), « De man feu soit ele arse » (v. 371), paroles de rejet auxquelles fera écho, beaucoup plus tard, le désespoir, un temps, d’Hermenjart :

« Lasse, fet ele, perdu ai mon enfant.

Tant mar vos vi, Nerbone ! »

Narb., vv. 4377-78

avec le très fort effet produit par l’association, au vers orphelin, de la particule de malheur (« mar ») avec le nom de la ville.

Mais elle l’est, majoritairement, de façon positive. Soit par le regret de ceux qui en ont été dépossédés : sa vue tire des larmes aux Sarrasins :

Li mur blanchoient comme flor en esté.

Plus de.x.m. en ont de pitié ploré

Por lor lignaje qu’en iert desherité.

A. de N., vv. 3622-23

soit par le plaisir qui s’offre à celui qui vient de la conquérir : Charlemagne la présente ainsi à Aymeri quand il va la lui donner à tenir :

« . Molt avez bele tor,

Riche cité, biau palès, riche ennor,

Dedanz l’estage del tans enciennor,

Poroiz manoir a joie et a baudor ;

Vitaille avez a vos vivre maint jor ».

A. de N., vv. 1253-57

Narbonne est d’abord une ville forte. Elle est « grans fermetez » (AdN, v. 922), « forteresce » (AdN, v. 1109) et les très nombreux récits de combats qui se déroulent autour d’elle dans les quatre chansons multiplieront le vocabulaire militaire des murs, tours, ponts, créneaux, etc. Sa situation (« sus un pui », AdN, v. 161) lui est un premier avantage11. Les descriptions prennent un tour hyperbolique pour évoquer les ouvrages fortifiés qui la défendent et la protègent. La M.A. énumère « les mestres arz votis, /les forteresces et les ponz torneïz » (vv. 1559-560), « la forteresce et la plus haute tor » (v. 1572) ; AdN. mentionne l’enceinte :

Molt bien fu close de mur et de piler ;

Onques plus fort ne vit hom conpasser.

A. de N., vv. 162-63

Cf. aussi Narb., vv. 3566-67

et, dans les deux cas, la référence à la construction sarrasine (AdN., vv. 161 et 172 et Narb., v. 3566) est une garantie de qualité12. L’enceinte est ponctuée de tours :

.XX. tors i ot fetes de liois cler.

A. de N., v. 167

et le trouvère s’attarde sur l’une d’entre elles (AdN., vv. 168-174) :

Et une en mi qui molt fist a loer.

N’a home el mont tant sache deviser.

vv. 168-69

renonçant en fait à la décrire par incapacité avouée rhétoriquement, ne mentionnant que deux détails exceptionnels sur la hauteur et les créneaux :

Les creniax firent tout a plon seeler ;

Jusqu’as batailles ot.i. ars que giter.

vv. 173-74

A cela s’ajoutent les portes impossibles à forcer garantissant en particulier contre les surprises nocturnes :

Qant de la porte ont le clavel fermé,

Et li portiers a sus le pont levé,

Lors puet estre très bien aseuré

Qu’il ne redoutent home de mere né ».

A. de N., vv. 272-75

et les fossés :

Plus de.xx. toises ont li fosé de lé

Et autretant sont en parfont chevé.

A. de N., vv. 264-65

La force de la ville la rend donc en principe imprenable :

« S’avoir voléz la cité que ci voi,

Onques si chier n’achetastes, ce croi,

Qu’il n’a si fort jusqu’au val de Martroi.

Ne crient assaut, perriere ne berfroi.

A. de N., vv. 211-14

« Forz est Nerbone, ne la porai baillier ».

« Forz est Nerbone, ne la porai abatre,

Haut sont li mur et d’ancienor marbre ».

Μ.A., vv. 962 et 969-970

Mais Narbonne n’est pas seulement une ville de garnison. Ses défenses sont là pour protéger un lieu de vie paisible. – osera-t-on l’anachronique « luxe, calme et volupté » ? Ou parlera-t-on de Cocagne ? Ou de quoi d’autre encore ?

Conjointement avec le vocabulaire de la forteresse est très présent celui de la vie civile. Les vers précédemment cités de la Μ.A. (vv. 1559-560 et 1972) se complètent avec la mention de « la grant cité major, la cité et lo borc13, lo palès del tens ancienor » (vv. 1570-73). La « tor » est elle-même évoquée dans son double aspect : dispositif militaire et écrin pour des richesses ostensibles ou dissimulées. Aussi, quand Hermenjart affirme :

« Forz est la tor, n’i enterrez oan,

Toz li mortiers en fu pestri a sanç ;

Vos i poez piquier jusqu’a.x. anz,

N’en abatrez solement plain un gant ».

M.A., vv. 1700-03

l’émir assiégeant expose à ses hommes comment il se refuse à utiliser la force (« a pis d’acier et a cisiax trenchanz », v. 1713), car, leur dit-il :

« Maumis seroit l’azur et l’orpiment

Et le ciboire saelé a arjent ».

M.A., vv. 1716-17

Dans la M.A., la « tor » est ainsi décrite :

.XIIII. estajes a el palès nobile

Avant qu’on viegne a la mestre establie,

Es hautes chanbres dant Aymeri lo riche.

Plus i a or qu’en Cordres n’en Sezile

N’en Corcenie n’en terre Femenie.

M.A., vv. 1615-19

La richesse de Narbonne (« Nerbone la riche ») s’expose d’abord dans le luxe du palais seigneurial. Comme la ville, il a droit à des épithètes de nature unanimement louangeuses : dans les Narbonnais, il est vu comme « le grant palès volti » (v. 497), le « palès que resplant » (v. 4229), le « grant palès marbrin » (v. 6005) et on retrouve dans AdN les mêmes expressions (« palais marbrin »), v. 383 ; « plenier », vv. 1167 et 1179) « voltis », v. 454, « maginois », v. 616, « seignoris », vv. 973 et 993, « reluisant », v. 1034). Dans la description initiale de la même chanson, même si le mot n’y est pas, on peut parler de « merveille »14 :

Sus as estages del palès principer

Ot.j. pomel de fin or d’outremer ;

Un escharbocle i orent fet fermer

Qui flanbeoit et reluisoit molt cler,

Com li solauz qui au main doit lever ;

Par nuit oscure, sanz mençonge conter,

De.iiij. liues le puet en esgarder.

A. de N., vv. 175-181

Celle-ci se monnaye d’abord en richesses accumulées, celles qu’Aymeri et ses hommes trouvent dans la Narbonne sarrasine :

D’or et d’arjent troverent leanz tant

Que plus n’en ot ne roi ne amirant.

A. de N., vv. 1197-98

comme celles que les Sarrasins trouveront dans la Narbonne chrétienne :

Et vers et gris et hermins peliçons,

Granz nés d’arjent a riche covertor,

A chieres pierres qui jetent grant luor.

M.A., vv. 1586-88

Dans le luxe des objets comme le lit d’Aymeri :

.. un lit, d’arjent sont li crepon

Et de roje or sont li pomel d’entor,

Et furent tuit d’ivoire li limon,

Totes les cordes de vermeil soie sont :

Coutes i ot ne sai o. IV. o. II.

Et traversiers et linciex et velox,

Et orilliers et martrin covertor

Point a oisiax, a bestes et a flors.

M.A., vv. 138-145

et peut-être faut-il aussi porter au compte de la ville la somptuosité des vêtements (le manteau d’Aymeri, M.A., vv. 308-08), de l’armement (M.A., vv. 750 sq., 1051 sq.), des tentes15 (le « tref » d’Hermenjart dans le SdB, vv. 70 sq.) de ses maîtres. Enfin dans le caractère exceptionnel de la décoration avec les murs peints (à fresque ?) d’animaux sauvages et de scènes diverses16 que décrivent deux longs passages des Narbonnais (vv. 3410-426 et 4400-414).

Cette richesse est aussi celle de l’abondance qui permet de bien vivre (« Il n’est trésor que de vivre à son aise »).

A côté des objets précieux, on trouve dans Narbonne :

.. tant .. pain et vin et fromant

Et char salee et de fresche ensement.

A. de N., vv. 1202-03

Le terroir tout proche est le vivier de ce bonheur qu’il y a à ne manquer de rien : vergers (AdN., v. 1097), « vignes et prez » (Narb., v. 663) et encore :

Defors la vile sont les bois et les prez,

Les bones vignes, les terres et les blez.

Narb., vv. 3402-03

sans oublier les forêts pour la chasse (Narb., vv. 3545-3556).

A ces ressources procurées par la terre, s’ajoutent celles que fait naître le commerce, – l’Aude et la mer y jouent un grand rôle en acheminant jusqu’à Narbonne toutes les richesses du monde. Cet élément est développé à plusieurs reprises :

Li floz de mer cort parmi le fossé ;

Aude la grant, sachiez de verité,

A tot entor le mur avironné.

Par ilec vienent li grant dromont ferré

Et les galies plaines de richeté,

Dont cil sont riche de la bone cité.

A. de N., vv. 266-271

Cf. aussi AdN., vv. 182-89, Narb., vv. 3404-09

Les moulins transforment le grain en farine, les marchés sont le centre d’un commerce fructueux (Narb., vv. 3573-589). Voilà pourquoi je parlais de pays de Cocagne, – ou de lieu de « bonne vie », pays prospère où coulent métaphoriquement le lait et le miel, telle nous apparaît Narbonne, ce que résument bien ces quelques vers :

Vit de Nerbone le païs tot entor,

Les prez, les vignes, le port Sarrazinor,

La mer salee qui li bat tot entor,

Qui li amoinne les nes par grant viguor

Dom cil sont riche qui mainnent o labor.

Narb., vv. 29-33

On comprend qu’après s’être absorbé dans la contemplation ce qui est aussi lieu de beauté (et, déjà, par sa richesse même) :

Virent l’arbroie contre le vent brenler

D’is et d’aubors q’an i ot fet planter.

Plus biau deduit ne pot nus regarder.

A. de N., vv. 164-66

Cf. aussi Narb., vv. 499-500

l’empereur « golose » Narbonne.

L’ensemble de ces traits n’offrent pas exactement de contradiction avec l’appréhension de la Narbonne historique, – sauf, et ce n’est déjà pas négligeable, sa situation sur une montagne. Mais les effets d’accumulation, les hyperboles, gagnent à être appréhendées comme la représentation d’une ville idéale, c’est-à-dire utopique, plutôt que comme l’idéalisation d’une ville historique. Tous ces éléments se retrouvent dans les descriptions de ces citadelles imaginaires que sont, par exemple, dans Renaut de Montauban, aussi bien Aigremont que Montauban17 ou Géronville18 dans Gerbert de Mes. Du nord au sud, les stéréotypes sont les mêmes. Poursuivons jusqu’à Barbastre pour en trouver un exemple de plus :

Si regarda Barbastre qui estoit grant et lee,

Le pomel flanboiant desor la tor carree

Qui autresin reluit con fust glace gelee.

La forest regarda qui fu espés ramee,

Ou avoit venoison qui estoit aprestee ;

Par devant lor cort Sore qui est et grant et lee,

Qui nes lor amoine d’outre la mer salee ;

Voit la gaengnerie, la vignoble, la pree.

Siège de Barbastre, vv. 1162-69

Comment se définit cet idéal ?

Cette ville militaire est un hâvre de paix et de grâce. C’est aussi le sens des paroles de tous ceux qui la disent imprenable et qui, lors même qu’ils la regardent, découragés, de l’extérieur, s’imaginent comblés de l’avoir investie. La forteresse est moyen de repousser à coup sûr les assauts, elle n’est pas le centre d’où on part à l’attaque. Dans l’ordre de l’imaginaire, elle est pensée et perçue du point de vue de ceux qui s’y abritent et qui, comme on l’a vu, peuvent, le soir venu, en fermer sur eux les portes et dormir tranquillement. Le stockage de la nourriture, lui, garantit contre les longueurs d’un siège, seule cause possible de famine au centre de ces cercles de champs et de troupeaux. Tout l’apparât guerrier a pour fonction de dissuader et de protéger. Ne rien avoir à craindre de la violence humaine, telle est la première fonction de la cité.

La seconde est d’offrir un espace suffisant à la vie d’une communauté humaine. Narbonne est « grant », – et les poèmes en chiffrant par centaines les barons rassemblés à la cour (Μ.A., VIII ; SdB., I) et par milliers les « soldeiers » (AdN., vv. 215 sq., pour ne donner qu’un exemple) l’impliquent.

Cet espace est sécurisant en ce qu’il est clos, – et l’enceinte de pierre, les portes fermées le soir ne protègent peut-être pas seulement d’éventuels agresseurs ou brigands : les limites – l’ordre – rassurent, les lieux ouverts – vains et vides – effraient, c’est bien connu ; et toute la sauvagerie de la forêt et de la nuit est repoussée hors les murs.

Dans ce lieu, la nourriture abonde et les moyens de se la procurer sont inépuisables. Non seulement on y a toit et murs, mais ceux-ci sont de marbre et ornés de peintures, les pièces sont vastes, les meubles somptueux.

La mer et la rivière sont comme les artères de ce cœur urbain et elles drainent vers lui sur les « granz dromonz » « quanqu’il (c’est-à-dire les heureux occupants de ce paradis) savent penser » (AdN., v. 184) :

Riens n’i faut q’an sache deviser

Qui mestier a cors d’ome ennorer.

A. de N., vv. 188-89

Comment plus et mieux dire, et plus brièvement ?

Dans cette ville idéale, sont rassemblés lieux, personnes, édifices, objets qui président aux trois fonctions duméziliennes.

La plus évidemment représentée, parce que cette ville demeure ville d’épopée, est la fonction guerrière : par la hauteur de ses murs, la hauteur de ses tours, la profondeur de ses fossés, par les réserves en armes et en destriers (par exemple, sur ce point pas encore mentionné, AdN., vv. 1199-1201), elle est, en elle-même, un dispositif de guerre, renvoyant non à la violence du furor, mais à l’élaboration savante des techniques militaires.

Par la beauté et le luxe des matériaux de construction, des objets qui la meublent, des ornements qui la décorent, et aussi par l’abondance matérielle qui y règne et s’y renouvelle sans risque de s’épuiser (agriculture, commerce), elle s’inscrit aussi à l’évidence dans le cadre de la troisième fonction.

Enfin, elle est ville de pouvoir (quasi) royal (« la cité real », Narb., v. 3954) et ville religieuse. Le palais « votis » est donc pourvu de ces sortes d’arcades sous lesquelles siège « le roi en majesté »19. Les bêtes domestiques et sauvages qui y sont rassemblées :

Es sales trovent mil destriers coreors,

.Μ. ors privez et.Μ. murs anbleors,

Quatre vint sinjes et aitretant fuirons,

Ostoirs de mue, esperviers et faucons.

M.A., vv. 1582-85

douent symboliquement leur possesseur d’un pouvoir cosmologique dont on retrouve la figuration dans les peintures ornant le palais : animaux et saisons y sont représentés, ainsi que la terre et le ciel :

De totes bettes et d’oisiax enpannez,

Et ciel et terre et la mer par delez

Et les poissons tot ausi devissez

Con se toz vis les eüst on formez,

S’i est escrit et yver et estez,

Li.xii. mois si bien fet et ovrez.

Narb., vv. 3415-420

Cf. aussi Narb., v. 4402

Et la ville est riche également en « clochiers dorez » (Narb., v. 6632) quand elle devient espace chrétien :

Dedenz Nerbone sont tel.xv. mostier ;

De plus an sont tuit covert li clochier,

Que crestian ont fet adefïer.

Lor crucefi ont fet en haut drecier.

Narb., vv. 3591-94

comme elle l’était en « mahomeries » et en « sinagogues » du temps des Sarrasins :

S’i vi Mahom qu’i estoit painturez.

Narb., v. 3425

Au delà de ces catégories, Narbonne est Ymago mundi, de la terre au ciel dans l’espace, dans le temps, des origines au présent de l’histoire.

Son premier étage est souterrain c’est celui de la « croute » (AdN., VII et XXXII)20, qui permet de s’en échapper en cas de besoin. La ville s’étend au-dessus, au niveau de la terre : avec ses forêts, ses vignes, ses prés. et la mer, puis elle s’élève vers le ciel : à partir du « pui » sur lequel elle est bâtie, avec les murs et la tour extraordinairement haute, avec le palais sommé, pour l’exhausser encore, par le « pomel d’or » qui en couronne le faîte. Les peintures du palais ne comprennent pas seulement la faune, les saisons et la terre, elles présentent un compendium des activités humaines guerrières :

S’i sont portret li fort estor chanpel,

Olz et batailles et chevaliers asez.

Narb., vv. 3422-23

Cf. aussi Narb., v. 4403

mais aussi artistiques :

Paintes i sont par grant nobileté

Rotes, viëles et harpes a planté

Narb., vv. 4404-05

Elles racontent même toute l’histoire du monde depuis la création :

Et les estoires de grant autorité,

Puis que Dex ot primes home formé,

I sont escrites par mout grant richeté.

Narb., vv. 4406-08

Comme si le « pomel d’or » ne suffisait pas encore :

Un escharbocle21 i orent fet fermer

Qui flanbeoit et reluisoit molt der,

Com li solaus qui au main doit lever ;

Par nuit oscure, sanz mensonge conter,

De.iiij. liues le puet on esgarder.

A. de N., vv. 177-181

Narbonne est ville-lumière, soleil de minuit, étoile et phare, image d’une Jérusalem céleste sur la terre, coin (rond ou carré ?) de Paradis, – et qu’elle ait été bâtie par les Sarrasins n’y change rien. Mais comme il ne peut (plus) y avoir de paradis sur terre, ni de cité harmonieuse, cette ville n’est pas (vraiment) Narbonne et d’autre part, dans le cours de la narration, elle ne correspond pas aux descriptions qui en sont faites.

La ville et l’épreuve

Contrairement aux paroles prometteuses de l’empereur, qui faisait miroiter aux yeux d’Aymeri « la bele tor… (la) riche cité », « le biau palès » et une vie « a joie et a baudor » longuement menée dans l’abondance (AdN., vv. 1253-57), s’inscrivent, dès le début de la chanson, les vers plus sombres du poète :

Puis que l’ot Charles de Nerbone sessi,

Mien escient, tandis com il vesqui,

Ne fu sanz guerre.j. seul an aconpli.

A. de N., vv. 37-39

échos de ceux de la Prise d’Orange :

Puis estut il tiox.xxx. enz en Orenge

Conques un jor n’estu sanz chalenge.

Prise d’O., vv. 1887-88

On peut en ajouter quelques autres :

Car qui avra Nerbone a jostissier,

Maint fort assaut et maint estor plenier

Li covendra maintes foiz essaier.

A. de N., vv. 569-571

Cf. aussi A. de N., vv. 1309-1311

Comme la cité terrestre est imparfaite, il n’y a pas de citadelle imprenable.

Comme, à l’instar de l’épopée homérique, l’épopée médiévale a une conception agonistique du monde, comme, dans le Roland, Charlemagne ne rentrera de Sarragosse à Aix-la-Chapelle que pour repartir à Imphe, de même, Narbonne étant constamment reprise (ou sur le point ou en danger de l’être), Aymeri y usera sa « jovente » (comme il est dit de Guillaume dans Le Couronnement de Louis) et même « le restant de son âge ».

Une première tentative chrétienne, avant l’expédition de Charlemagne en Espagne, a été couronnée de succès mais n’a pas eu de suite, – AdN y fait allusion (vv. 280-84). Tout est donc à recommencer au retour.

Une fois Aymeri en possession de la ville, la tranquillité ne lui sera pas acquise. Dès qu’il est appelé à la quitter (la première fois, c’est pour permettre à Hermenjart, sa fiancée, de l’y rejoindre) les Sarrasins mettent à profit son éloignement pour venir l’assièger (XCIX sq.). Il lui faudra l’aide, lourdement armée, de Girart de Vienne pour pouvoir y rentrer en maître… et s’y marier.

Le Siège de Barbastre, en dépit de son titre conquérant, s’ouvre sur le récit d’une nouvelle attaque contre Narbonne. La présentation en est particulièrement dramatique puisqu’elle introduit au cœur de la fête la menace qui plane, sans qu’ils le sachent, sur ceux de Narbonne :

Li cuens fu a Nerbone, sa grant cité louee.

S.d. B., v. 7

Il « sist ou dois » (v. 16) avec, à ses côtés, « Hermanjart la senee » (v. 10) et il tient sa cour « en la sale pavee » (v. 11) :

La sale fu molt bien encortinee,

De jonc et de mentastre, de rose enluminee,

Les napes firent mestre qant messe fu chantee

vv. 13-15

Un banquet notable par son abondance, son luxe et le nombre de convives, suivi d’une quintaine « soz Nerbone en la pree » (v. 24), rassemble joyeusement tous les participants :

Et la feste fu haute, si l’orent ennoree.

Mes ainz que il soit vespre, ne la nuit oscuree,

Li plus hardi des lor avra mestier d’espee.

vv. 27-29

A trois reprises, le poète revient sur l’évocation de la fête : adoubernent de 100 bacheliers, largesses faites par Aymeri, spectacles divers (combats d’animaux, acrobates), danses et chants :

Mes en la riviere d’Aude font* lor encre giter.

A trois liues petites de Nerbone sor mer…

vv. 62-63

* = des Sarrasins

Mes ja ne verront vespre…

Si con l’amirant jure Mahom et Terragant

Nerbone cuide avoir einz le tiers jor pasant.

vv. 124 et 148-49

Une fois encore, il va s’agir de « Nerbone desfendre » (v. 347).

Dans ce schéma, il n’est même plus besoin qu’Aymeri quitte la ville pour qu’elle soit en danger, – on vient l’y attaquer. Il est réduit à une attitude défensive. C’est ce qu’on retrouve dans les Narbonnais et la Mort Aymeri. Dans le premier de ces poèmes, le « departement » des fils du héros, qui laisse la ville entre les mains d’un homme vieillissant et d’un tout jeune homme, est l’occasion d’une nouvelle tentative sarrasine. Dans la Mort Aymeri, le grand âge du héros qui agonise est, à soi seul, un motif suffisant.

Presque la moitié des Narbonnais est consacrée au récit de combats acharnés (vv. 3840-5210) impuissants à éloigner l’ennemi. Aymeri doit appeler au secours. Il faudra que ses fils et le roi Louis rassemblent tous leurs hommes autour de la ville pour la libérer (vv. 5950-7660). Dans la Mort Aymeri, l’ennemi sarrasin assiège aussi la ville et vient y défier le « viellart de Nerbone » (Μ. A., v. 855). Sa capture (LI-LII), l’occupation de la cité (sauf la « tor », LXV) feront qu’une fois encore, le comte devra reconquérir la ville :

Granz fu la joie a Nerbone la riche

Por Aymeri qui ot sa cité prise.

Dame Hermanjart a en la tor choisie ;

A haute voiz li jentils quens li crie :

« Franche contesse, ne vos esmaiez mie :

Encor serez dame de ceste vile ».

vv. 2880-85

Cf. aussi vv. 2870-74

Aymeri va finalement trouver la mort dans un combat – hors de la ville – sous Esclabarie, la ville des Sagittaires. Et c’est son cadavre qui, à la fin du poème, retrouvera Narbonne et l’église Saint-Paul.

Tout se passe donc comme si le seigneur de Narbonne était attaché à sa ville : elle est attaquée dès qu’il s’en éloigne, il sera tué pour s’en être éloigné. L’enfermement dans Narbonne que le Siège de Barbastre présente comme lié à l’épuisement et aux blessures du héros (vv. 7380-82) apparaît en fait comme une constante qui marque les limites de la seigneurie d’Aymeri et du bonheur de vivre dans la ville. Un des vassaux de l’empereur, pour en refuser le don, la comparait à une « cage » (AdN., v. 538). N’a-t-elle pas été, en effet, pour Aymeri, une prison ? N’y a-t-il pas fait, aussi, figure de cet « oisiaus en cage » qu’Anseïs de Carthage ne voulait pas devenir ?

Cette Narbonne n’est donc pas vraiment Narbonne. On y cherche en vain le pont sur l’Aude, avec la masse des édifices religieux couronnant ses remparts romains, – mais certes sans escarboucle fût-ce sur la « Moresque »22.

L’écart est saisissant si on la compare à la Toulouse de la Chanson de la Croisade albigeoise. L’auteur anonyme, mais certainement toulousain, nomme tous les quartiers, toutes les rues, toutes les églises et toutes les portes de la ville. Son poème est en même temps chronique, parfois au jour le jour, des Toulousains contre les croisés. On a là une chanson pour une cité charnelle.

L’intérêt de nos textes est ailleurs. Ce sont autant de chansons pour une ville de rêve, pour « un lieu plus proche du désir du cœur ». Cette Narbonne emprunte, en le disant23, une partie de ses prestiges aux arts sarrasins d’Espagne et d’Orient, – ces merveilles qui permettent à la flotte de Baligant (dans le Roland) d’illuminer Sarragosse et l’Ebre en pleine nuit24, et font, ici, rayonner la ville à la semblance d’un soleil de minuit. Elle n’est pas tant baptisée que transfigurée : c’est son corps de gloire, celui des visions de l’Apocalypse, et en même temps son corps de blé et de vin, celui des jours de « Charnage » qui nous est donné à contempler. Par ses peintures, images du monde et de l’Histoire, le microcosme de la cité se fait miroir du macrocosme.

La décevante Histoire contraste avec cette vision céleste : le cours de la narration nous montre une ville que se disputent avec acharnement chrétiens et Sarrasins, d’où Aymeri, jusqu’à sa mort charnelle, ne peut guère s’éloigner, sous peine de s’en voir déposséder. Loin de s’ouvrir aux dimensions du cosmos, l’enceinte se rétrécit aux dimensions d’un palais, d’une rivière et d’une église, puis à celles du tombeau où le héros sera enseveli, mort d’être allé, une fois encore, « secourir le roi Vivien dans la cité d’Imphe »25.

____________

1 Comme l’a montré le récent colloque de Reims-Charleville consacré aux différentes versions de Renaut de Montauban.

2 On y trouvera d’ailleurs des combats autour de Toulouse pour en chasser le Sarrasin Bégon.

3 Le Moniage Guillaume I et II, éd. p. W. Cloetta, Paris, 1906.

4 Ce relevé a été établi grâce au Répertoire des noms propres de personnes et de lieux cités dans les chansons de geste d’A. Moisan, t. I, vol. 2, Genève, 1986. Il ne comprend ni les agglomérations de faible importance ni celles dont la localisation et l’identification sont par trop incertaines.

5 Citations et références renvoient aux éditions suivantes :

Aymeri de Narbonne, éd. p. L. Demaison, 2 vol., Paris, 1887

Les Narbonnais, éd. p. H. Suchier, 2 vol., Paris, 1898

Le Siège de Barbastre, éd. p. J.L. Perrier, Paris, 1926

La Mort Aymeri de Narbonne, éd. p. J. Couraye du Parc, Paris, 1884

J’utiliserai le plus souvent pour les désigner les abréviations suivantes : AdN., Narb., SdB., MA.

Narbonne est mentionnée dans plusieurs autres chansons de geste (voir l’article à ce nom dans le Répertoire des noms propres d’A. Moisan), en particulier dans les Enfances Guillaume et dans le Bueve de Commarcbis d’Adenet le Roi : je me suis limitée aux textes les plus importants.

6 Voir Histoire de Narbonne (sous la direction de J. Michaud et A. Cabanis, Toulouse, 1988). J’y renvoie sous l’abréviation H.N.

7 Voir la communication de J. Cl. Faucon à ce colloque.

8 Dans cette longue énumération, j’ai privilégié les éléments les plus caractéristiques de la ville. Tous ces monuments ou installations y sont effectivement attestés à l’époque du poète. Voir H.N., pp. 1-92, passim.

9 Pour d’évidentes raisons métriques, ces épithètes ou associations d’épithètes, en combinaison ou pas avec le nom de la ville, constituent des unités de quatre ou six syllabes.

10 A titre d’exemple, on relèvera, dans le Siège de Barbastre, les termes qui qualifient

NarbonneBarbastre
la large : v. 3406bele cité : v. 4632
la grant : v. 4519bone cité : vv. 4539, 4672

la grant cité louee : v. 7

fort cité antie : vv. 1541, 1553

fort cité vaillant : v. 4516

qui tant fet a louer : v. 3231

la mirable cité : v. 3402

(et, accessoirement, Paris y est « grant cité louee » : v. 35.

qui tant a grant fierté : v. 4641

11 En principe… mais il faut noter que cet élément ne sera pas exploité ensuite. Pour une autre raison à cette situation, voir la fin de cette étude.

12 Les Sarrasins, confondus souvent, on le sait, avec les Romains étaient considérés comme passés maître en cet art comme en bien d’autres. Ce qui est surprenant ici est que, vu le passé romain de Narbonne, la confusion paraît patente… mais est discutable puisque la ville, malgré des expressions comme « cité antie » (voir, ci-dessus, Les noms de la ville) est présentée comme ayant été fondée par un Sarrasin il y a seulement deux générations (Narb., vv. 3701-02).

13 Narbonne comportait en effet deux parties : la « cité » et le « borc » (H.N., p. 181). Mais trop de villes étaient construites ainsi pour qu’on y voie une allusion précise.

14 On reviendra sur cet élément.

15 J’hésite sur cet exemple : dans le SdB., la Sarrasine Malatrie a elle aussi un « tref » somptueux, voire merveilleux (LXIX).

16 On reviendra sur leur contenu et leur signification.

17 Dans une communication au Colloque de Reims (oct. 95) sur les Quatre Fils Aymon, j’ai abordé ce thème (Forêts et châteaux : lieux de vie dans Renaut de Montauban, à paraître.

18 Voir l’article d’A. Labbé. Un locus amoenus de la féodalité menacée : la description de Géronville dans Gerbert de Mez dans La description au Moyen Age, (Bien dire et bien aprandre, n° 11), Lille, 1993, pp. 239-259.

19 Selon le sous-titre donné par A. Labbé à sa thèse. L’architecture des palais et des jardins dans les chansons de geste. Essai sur le thème du roi en majesté, Paris-Genève, 1987.

20 On la retrouve à Barbastre (SdB., vv. 1040-41).

21 Sur l’escarboucle, voir B. Guidot, Recherches sur la chanson de geste au 13e siècle d’après certaines œuvres du cycle de Guillaume d’Orange, Aix-en-Provence, 1986, pp. 615-616.

22 C’était le nom donné à une des tours de l’enceinte. Voir H.N., p. 79.

23 L’origine (supposée) sarrasine de la ville est, on l’a vu, affirmée avec insistance.

24 J. Subrenat, Ambiguïté de la vision de la « clerc Espaigne » dans les chansons de geste françaises dans Actas del i Congreso de la Asociacion hispanica de Literatura medieval, (Santiago de Compostela, 2 al 6 de diciembre de 1985), Barcelone, 1988, pp. 117-136.

25 Chanson de Roland, v. 3996.