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Les deux sonnets occitans de Dante Da Maiano (xiiie siècle)

Pierre BEC

Université de Poitiers

On sait que le sonnet, inconnu des troubadours en tant que genre codifié, est né en Italie, plus précisément en Sicile, entre 1230 et 1250, à la cour prestigieuse de Frédéric II de Hohenstaufen, dans cette magna curia de Palerme, véritable creuset culturel, cosmopolite et sans frontières où, tout particulièrement, la poésie des troubadours, au dire d’un critique italien (Torraca), avait pénétré partout comme l’eau dans l’éponge. Le genre a été vraisemblablement codifié et fixé par un notaire de la cour, Giacomo da Lenti ni (Jacobis de Lentino, domini imperatoris notarius), dont nous reparlerons, à qui l’on peut attribuer une grande partie des sonnets de la Scuola dite siciliana. C’est lui qui assura ainsi le lien entre les poètes occitans et les poètes de Sicile, et écrivit, sans doute entre 1215 et 1230, le premier sonnet connu :

Io m’agio posto in core a Dio servire…

De la cour de Sicile, après la mort de Frédéric, le centre névralgique du sonnet se déplace vers l’Italie centrale, surtout en Toscane, dans d’autres conditions sociologiques : et c’est Guittone d’Arezzo (1230-1294), nommé padre et maestro par Guido Guinizelli, qui assurera, lui, le lien entre la Scuola siciliana et celle du dolce stil nuovo, dont l’un des principaux représentants sera précisément Guido Guinizelli.

Désormais, l’école du « doux style nouveau », avant la Vita nuova de Dante (1292), qui contient presque la moitié des 55 sonnets conservés du grand poète, comptera un nombre important de sonnettistes, dont Dante da Maiano, poète mineur certes, mais auteur, à côté de son œuvre italienne, des deux sonnets occitans dont nous nous occupons ici1.

Mais disons quelques mots sur le poète, à vrai dire assez mal connu.

Ce contemporain de Dante Alighieri vécut vraisemblablement dans la seconde moitié du XIIIe siècle, mais on n’a guère d’informations sur sa vie. On a même mis en doute, au cours du siècle dernier (A. Borgognoni) son existence historique, en soutenant entre autres, que les pièces de l’édition de 1527, dont nous reparlerons plus loin, ne seraient dues qu’à la falsification d’un contemporain. Mais cette hypothèse ne résiste pas à un examen minutieux de la langue des pièces (style, vocabulaire et syntaxe). De plus, des documents de 1301 contiennent des allusions à un personnage qu’on peut très vraisemblablement identifier à un certain Dante da Maiano.

Quoi qu’il en soit, l’œuvre poétique italienne qu’on lui attribue, n’est conservée que dans une édition tardive, datée de 15272 et, partiellement, dans des manuscrits dispersés dans les diverses bibliothèques italiennes (Lucques, Milan, Parme, Pise, Rome et Venise). Cette œuvre est assez importante. Elle comprend une quarantaine de sonnets, 5 ballades (ballate), 2 chansons (canzoni), et quelques sonnets épistolaires échangés avec les poètes du temps, principalement Chiaro Davanzati et Dante, à qui il adresse 6 sonnets auxquels le grand Toscan répond à son tour par 4 sonnets.

Au demeurant, Dante da Maiano n’est pas un créateur de génie mais plutôt un versificateur éclairé, voire un pasticheur de talent, dont la poésie n’est souvent qu’une mosaïque de lieux communs habilement enchâssés, de citations, de schèmes formels réutilisés, de calques d’une langue à l’autre : tout cela emprunté, soit aux poètes siculo-toscans contemporains (Guittone d’Arezzo, Chiaro Davanzati, Pier della Vigna, le « notaire » Giacomo da Lentini et d’autres), soit aux troubadours, dont il s’inspire fréquemment comme du reste toute la poésie italienne de l’époque (Bernard de Ventadour, Peirol, Perdigon, Peire Bremon de Tolosa, Rigaut de Barbezieux, Peire Vidal, Aimeric de Pegulhan, Arnaut Daniel, Arnaut de Mareuil, etc.). R. Bettarini l’a bien montré dans ses commentaires très précis de chaque sonnet.

Poète mineur donc, qu’on peut s’étonner de trouver placé, dans l’édition de la Giuntina de 1527, sur le même plan que Cino da Pistoia, Guido Cavalcanti, Guittone d’Arezzo et Dante. R. Bettarini pense que son œuvre pourrait être assimilée à une sorte de pastiche didactique formulé vers la fin du XIIIe siècle, comme l’ultime consécration d’une poésie en voie de disparition (« per congelare una cultura che andava sparendo »).

Mais il nous laisse aussi et surtout, pour notre propos, ces deux sonnets occitans, dont l’existence parallèle, à côté de celui de Paolo Lanfranchi da Pistoia (… 1282-1295)3, tendrait à prouver qu’à la fin du XIIIe siècle, les poètes cis-alpins pratiquaient encore l’occitan comme langue poétique, et ce précisément dans un genre à la mode mais inconnu des troubadours. Autrement dit, un genre « moderne » dans une langue de survivance mais encore prestigieuse.

Mais disons tout d’abord un mot sur la transmission de ces deux textes, qui ne se trouvent pas dans l’ensemble de l’œuvre italienne, à savoir dans l’édition dite de la Giuntina, dont nous avons parlé. Ils figurent en effet dans un ms. de la Laurenziana, à Florence (Plut. XC infr. 26), manuscrit du XVe s., dit chansonnier provençal c, dont Mario Pelaez a donné, dès 1899, une édition diplomatique4. Ce ms. contient, d’après des sources perdues, 140 poésies (chansons, sirventés, ensahaments) classées par auteur, dont Dante da Maiano. Il nous donne la première attestation écrite de notre poète, ainsi placé, en quelque sorte, sur le même pied que les troubadours occitans, et les plus grands. Il faut préciser toutefois que les deux pièces sont à part, après cinquante pages blanches du manuscrit, mais la main du copiste est la même. Que signifie alors ce grand nombre de feuillets inutilisés ? A quels poètes, de langue italienne ou provençale, ce grand espace était-il réservé ? Dante da Maiano, comme bien d’autres trovatori d’Italia, aurait-il écrit d’autres pièces en occitan ? Questions sans réponse, sans doute…

Revenons donc, d’une manière plus concrète, à nos deux sonnets, dont nous allons examiner maintenant de plus près, d’abord la langue et la versification, ensuite la thématique et le contenu.

La langue. – La langue de ces deux pièces, comme on pouvait s’y attendre, est assez fortement italianisée. Mais ces italianismes sont-ils dus au poète lui-même, qui n’aurait eu de l’occitan qu’une connaissance insuffisante (ce qui est en contradiction avec la perfection linguistique des troubadours italiens de la grande époque), ou à une italianisation progressive qui a pu s’accomplir, parallèlement à la détérioration de la métrique, pendant plus de deux siècles, entre la mort du poète et la date tardive (XVe s.) du manuscrit, au demeurant de main italienne ? Nous ne savons rien en effet de la manière dont le texte a circulé dans l’entretemps. Il est certain que Dante da Maiano connaissait bien les troubadours, nous l’avons vu, car son italien, en contre-partie, comme celui de tous les poètes siculo-toscans de l’époque, est truffé d’occitanismes5. Mais voyons plutôt quelques-uns des italianismes de nos deux sonnets :

Graphie : la géminée gg dans le suffixe -atge (coragge, poderagge, segnoragge, dapnagge), évidemment calquée sur l’italien -agio ; benvolliença, pour benvolença (a. ital. benvoglienza), sperda, pour esperda (qui rendrait le vers faux), ou plutôt perda.

Formes verbales : les prétérits dimostrau (forme de l’Italie méridionale) pour demostrèt, formavi, pour formet, est probablement un latinisme. Au v. 1, ten peut être vu soit comme un présent, soit plutôt comme un prétérit (pour tenc), en relation avec le prétérit du v. 3 : dimostrau ; au v. 8, le prét, de (pour dèt) est vraisemblablement aussi un italianisme (a. ital. die’).

v. 7 : mendera : futur menderà ou conditionnel mendèra ? Plutôt le conditionnel à mon sens, non pas parce que la « scansione del verso risulta avantaggiata » (on verra que le vers coupé 4 + 6 est le vers dominant), mais parce que le vers précédent, qui introduit la subordonnée, est dubitatif semblant m’es. Cette forme au demeurant n’est pas un italianisme comme semblerait le croire R. Bettarini, mais une forme normale de « condizionale provenzale ».

Divers : v. 4 : illoc a été vu comme un italianisme (in loco di…) et non comme un éventuel adv. de lieu occitan illoc « ici, là » (cf. a. fr. illuec) que je ne trouve au demeurant attesté nulle part. Mais la mauvaise transmission de ce vers, hypométrique comme nous le verrons, rend fragile toute hypothèse. Je rendrai compte plus loin de celle que je propose.

Comme autres italianismes, signalons : les formes di, pour de (v. 4, 5, 8, 11) à côté de de (v. 2, 16), le vocalisme en /i/), typique de l’ital., de la prétonique dans dimostrau (occ. demostrèt) ; poi (v. 11), pour pos ; pur, au v. 6, vu comme italianissimo par R. Bettarini ne l’est pas forcément : pur est parfaitement attesté en a. occ. avec la valeur de « seulement » (cf. Levy, Suppl., VI, p. 604-605) ; l’aphèrèse namorament, pour enamorament (v. 8), etc. Enfin, pour le ga du v. 27, on peut hésiter entre un italianisme méridional ou simplement un subordonnant parfaitement occitan de type ca (r) (= que).

En résumé, les italianismes (du copiste italien tardif ou du poète lui-même ?) sont relativement peu nombreux. La « corruption » de la langue qui trahit le mieux le locuteur étranger, réside à mon sens, dans la pratique très approximative (la « praticaccia » dit Rosanna Bettarini) de la déclinaison bicasuelle : il est vrai qu’elle n’existe pas en italien et qu’en cette fin du XIIIe s., elle commençait en occitan même à battre de l’aile. De même que le Villon de la Ballade en vieux langage françois, Dante da Maiano distribue au petit bonheur le -s flexionnel, dans lequel il voit peut-être, comme notre Villon, une sorte d’exotisme archaïsant et un effet de couleur locale6.

La versification. – Nos deux sonnets sont de structure italienne (évidemment non marotique) : tercets aba bab. Dans les deux cas, les rimes des quatrains sont croisées : ab ab.

Le premier présente une alternance de rimes masculines et féminines, le second uniquement des rimes masculines : ce sont donc de véritables décasyllabes et non des hendécasyllabes à l’italienne. La coupe majoritaire est 4 + 6, avec un temps fort sur la quatrième syllabe du premier hémistiche.

Vers faux : sur les 28 vers des deux sonnets, on relève 6 vers faux, 3 dans chaque pièce : soit hypométriques (v. 1, 2, 4, 21), soit hypermétriques (v. 17, 27). Mais d’éventuelles émendations en sont relativement faciles :

v. 1 : le premier hémistiche est juste, il manque une syllabe dans le second. Je proposerais anc : Se.l fis Amors/ anc/ ten el meu coragge (cf. v. 8).

v. 2 : il manque une syllabe dans chaque hémistiche. Le second est aisé à rétablir : en /tan/ greu marrimen. Le premier est plus délicat.

v. 1 : a priori, on peut penser que la coupe est ici différente de celle des autres vers : soit 6 + 4 (on retrouve la même coupe aux v. 17, 20, 23). J’ajouterais donc un déterminant : en /un/ loc. Ce « lieu » métaphorique renvoie soit à la dame, soit à la situation amoureuse, toutes les deux sources de douleur.

v. 17 : hypermétrique. Il suffit ici de supprimer le pronom personnel sujet eu, parfaitement inutile.

v. 21 : la carence est dans le second hémistiche. Il suffit d’ajouter un adjectif possessif articulé : ab lo /sieu/ ien parlars : on en a d’autres occurrences (v. 1, 28). Sémantiquement, ce possessif est au surplus préférable, puisqu’il s’agit bien du « doux langage » de la dame.

v. 27 : 2e hémistiche hypermétrique : je propose coillir au lieu d’acoillir : deia mon precs coillir.

Pourquoi ces irrégularités ?

Si elles sont dues au poète lui-même (ce qui a priori, étant donné la solidité prosodique de ses sonnets italiens, m’étonnerait), on pourrait les expliquer, avec B. Bettarini, comme étant dues au fait que le poète aurait été gêné par une confusion inconsciente entre le décasyllabe occitan et l’hendécasyllabe italien, où les mots tronchi sont pratiquement inexistants. Possible…

Hiatus (avec ou non une césure enjambante) : v. 7 : mi mendera la perda/e.l dapnagge.

Synérèses : v. 10 (2 e hémistiche) : poi Dieu formavi Adam ; v. 13 : e cortesia s’agença ; v. 17 : e la pena e.l trebail ; v. 26 : a mia domna valen ; v. 25 : gar en lei es ma vida e mon morir ; v. 28 : e perdón faça al mieu grans ardmien.

Césures : césure lyrique : v. 9 : qe tal domnas/ ; césure avec enjambement : v. 11 : non fos alcu/ na ge tan di plagiença.

Rimes : dans le premier sonnet, ce sont des rimes « faciles », formées sur des suffixes fréquents dans la langue : -atge (ital. -aggio), -ment (ital. -mente) et ença, ce suffixe d’origine occitane, qui envahira d’ailleurs la poésie italienne de l’époque.

Dans le second sonnet, les rimes en -ars des quatrains sont obtenues grâce à une entorse contre la déclinaison, comme nous l’avons dit (v. 17, 21) : ses pars et ab lo /sieu/ ien parlars (pour ses par et parlar).

Pour ce qui est du contenu et de la thématique des deux sonnets, comme du reste de la plus grande partie des pièces italiennes, ils sont largement troubadourisants, et l’on y retrouve, à peine italianisés, le vocabulaire et les topiques habituels des poètes occitants. En gros, les deux sonnets gravitent autour de quatre thèmes fondamentaux qui sont : 1) la toute-puissance de l’amour et de la dame ; 2) l’expression de la douleur et du « mal » que seul l’amour est à même de « guérir » ; 3) la louange de la dame ; 4) le traditionnel appel à la merci : le thème central étant évidemment l’amour pur et sincère, la fin’amors, ici au masculin (fis Amors) et deux fois cités (v. 1 et 19). Notons aussi, au début du second sonnet, l’adjectif fins, en relation avec car « cher » : ce qui situe d’emblée la pièce dans un climat troubadouresque. Voyons maintenant comment ces quatre thèmes s’actualisent dans la langue :

1) Toute-puissance de l’amour qui a le poderagge (v. 3), le segnoragge (v. 5), qui est assimilé, selon une métaphore plus que rebattue, à un archer qui décoche ses flèches et ses dards (v. 19).

2) Expression de la douleur : marrimen (v. 2), dolors, tormen (v. 4), sperda, dapnagge (v. 7), l’interjection las ! (v. 15), 1’« éloignement » de la dame (cause de douleur) : parten e lungian (v. 16), pena, trebail (v. 17), langir ploran (v. 18), mal tan gran (v. 22), dolor (v. 24).

3) Louange de la dame (laudatio puellae) : tan de plagiença (v. 11), la dame n’est que plaier e cortesia (v. 13), elle a un ien parlar, elle est valen, c’est-à-dire qu’elle possède la valor et le pretz qui seuls la rendent digne d’être aimée.

4) Appel à la merci de la dame, à sa benvolliença (v. 9), à sa mersei (v. 22 et 27). Tout dépend donc de la domna (midons) qui doit accueillir favorablement les prières de l’amant-poète (mon precs acoillir) et lui pardonner sa hardiesse (v. 28) ; c’est elle enfin qui peut le « guérir » du si grand « mal » dont il souffre.

*

En conclusion, disons que l’intérêt de ces deux sonnets pourrait s’articuler autour des points suivants :

1) Ils n’ont pas été retenus dans l’édition la plus complète, tardive, celle de 1527 : ce qui tendrait à prouver que la discrimination des deux langues poétiques était désormais consacrée et que les deux pièces ont dû être considérées comme archaïques et insolites ;

2) En revanche, au siècle précédent (XVe s.), elles figurent encore, à côté des plus grands noms, dans un manuscrit troubadouresque italien ;

3) Quant à la pureté de leur langue, elle est loin d’être désastreuse, et il s’agit vraisemblablement davantage d’italianisations tardives, dues aux copistes, que d’une mauvaise connaissance, dès le départ, de la koinê troubdouresque. Au demeurant, les italianismes des deux sonnets occitans sont sans doute moins nombreux, toutes proportions gardées, que les occitanismes des sonnets italiens. ;

4) Enfin et surtout, l’existence de ces deux pièces, sans doute résiduelles, nous prouve clairement, ou nous confirme, que deux siècles auparavant, le prestige de la lyrique troubadouresque et de sa langue, je dirais même leur obsession, perdure encore en cette fin du XIIIe siècle, puisqu’un des stilnovistes du temps, Dante da Maiano, auteur connu de sonnets italiens (au demeurant très troubadourisants) nous laisse aussi ces deux sonnets, les seuls, avec celui du contemporain Lanfranchi da Pistoia, que nous connaissions en langue d’oc, à une époque si reculée, quelque trois siècles – ce qui n’a pas souvent été remarqué – avant l’émergence, vers 1540, du premier sonnet en français.

I – Texte original

1

Se.l fis Amors ten el men coratgge (–1)

mais de res en greu marrimen (–2)

o demostrau vas mi son poderagge

4 illoc di dolor e di tormen (–1)

Ara mi da di lui tal segnoragge,

qe semblant m’es ge pur lo pensamen

mi mendera la sperda e.l dapnagge

8 gar anc mi de di seu namoramen.

Qe tal domnas mi da sa benvolliença,

qe m’es avis, poi Dieu formavi Adam,

non fos alcuna qe tan di plagiença

12 ages ab leis qon sella q’eu plus am.

En leis plaier e cortesia s’agença :

e.n sui d’amor radiç e fruit e ram.

2

Las, ço qe m’es al cor plus fins e gars

16 ades de mi va parten e lungian ;

e la pena e.l trebail ai eu tot ses pars, (+ 1)

on mantas veç n’ai greu langir ploran.

Qe.l fis Amors mi ten el qor un dars,

20 on eus cre que.l partir non es ses dan,

tro q’a midons ab lo ien parlars, (–1)

prenda merseis del mal q’eu trag tan gran.

Leu fora se.m volgues midonç garir

24 de la dolor q’ai al cor tan soven,

qar en lei es ma vida e mon morir.

Merse l’en cer a mia domna valen,

qa per merseis deia mon precs acollir (+ 1)

28 e perdon faça al mieu grans ardimen.

(Texte : Dante da Maiano, Rime, a cura di Rosanna Bettarini, Firenze, 1969, p. 189-193.

Texte « émendé », normalisé, accompagné d’une traduction poétique7

1

Se’l fins Amors [anc] ten el meu coratge,

Mais de [nula] res en grèu marriment,

O dimostrau vas mi son poderatge,

In [un] lòc de dolors e di torment,

Ara mi da di lui tal senhoratge,

Que semblant m’es que pur lo pensament

Mi menderà la(s) perda e’l damnatge,

Car anc mi dè[t] di seu ‘namorament.

Que tal dòmna(s) mi da sa benvolhença,

Que m’es a vis, pòi Dieu formavi Adam

Non fos alcuna que tan di plasença

Agés ab leis com cela qu’eu plus am.

En leis plaser e cortesia s’agença :

E’n sui d’amor radiç e fruit e ram.

Si Fine Amour maintint jamais mon cœur

Plus que quiconque, en si grande détresse,

Ou fit preuve envers moi de sa puissance,

Là où il n’est que douleur et tourments,

Désormais j’ai sur lui telle maîtrise,

Qu’il me semble que mes seules pensées

Soulageraient ma perte et mon dommage :

Car jamais je n’eus d’elle nul amour.

Que ma dame m’accorde bienveillance,

Et je crois que depuis qu’Adam est homme

Il n’en est point qui eût tant de beauté

Comme Celle que j’aime plus que toutes :

En elle sont Plaisir et Courtoisie

Et je suis en amour racine, fruit et branche.

2

Las, çò que m’es al còr plus fins e cars

Adès de mi vai partent e lunhant,

Et la pean e’l trebalh ai (eu) tot ses pars,

Ont mantas vetz n’ai grèu languir plorant.

Que’l fins Amors me ten al còr un dars,

Ont eu cre que’l partir non es ses dan,

Tro qu’a midòns ab lo [sieu] gent parlar

Prenda mercei(s) del mal qu’eu trag tan gran.

Lèu fora, se’m volgués midòns garir

De la dolor qu’ai al còr tan sovent,

Car en lei es ma vida e mon morir.

Mercé le’n quèr a mia domna valent,

Ca [r] per mercei(s) deja mon prèc(s) (a)colhir

E perdon faça al mieu gran(s) ardiment.

Las ! Ce qui m’est au cœur si doux et cher

Toujours s’en va et s’éloigne de moi,

Et j’ai peine et souffrance sans égales,

Dont maintes fois je languis et je pleure.

Car Fine Amour me mit au cœur un dard

Tel que ne puis la quitter sans dommage ;

Tant que ma dame et ses douces paroles

Ne prend merci du grand mal que j’endure.

Ah ! si ma Dame me voulait guérir

De la douleur qu’au cœur j’ai si souvent,

Car en elle est mon vivre et mon mourir.

Merci je crie à ma dame courtoise,

Que par grâce elle accueille mes prières,

Accordant son pardon à mon audace.

____________

1 Pour une étude d’ensemble et une anthologie du sonnet occitan, cf. mon livre Pour un autre soleil… Le sonnet occitan des origines à nos jours. Une anthologie, Orléans, éd. « Paradigme », 1994.

2 Sonetti e canzoni di diversi antichi autori toscani in died libri raccolte. Impresso in Firenze per le heredi di Philippo di Giunta nell’ anno dl Signore M.D.XXVII, a di VI. del mese di Luglio. Editions : G. Bertacchi, Le rime di Dante da Maiano, Bergamo, 1896 ; Rosanna Bettarini, Dante da Maiano, a cura di – , Firenze, 1969.

3 Pour ce sonnet, cf. Bettarini, op. cit., p. XXXII, et Μ. de Riquer, Los trovadores. Historia literaria y textos, Barcelona, 1975, vol. III, p. 1664.

4 Cf. Pelaez, Il canzoniere provenzale « c », in « Studj di Filologia Romanza », VII, fasc. 20 (1899), p. 244-401.

5 Voici quelques exemples de ces occitanismes, caractéristiques au demeurant de toute l’école dite siculo-toscane, parfois doublés de francismes. Enclise asyllabique du pronom, insolite en italien : no’m posso partire, le relatif don : non oso cio don piu son desioso, etc. Mais c’est évidemment le vocabulaire, et surtout le vocabulaire courtois, qui est le plus teinté d’occitanismes, véritables calques phonétiques ou sémantiques : ciausire (occ. chausir), gioi masc., pour fém. gioia (occ. joi), abbellire (occ. abelir) agenzare (occ. agensar), arditaggio (hyperoccitanisme, pour ardiment), bagliare (occ. bailar/balhar), clarore (occ. claror), corale, desire, donare, fazzone (occ. faiçon), flama, intendimento, plagente (occ. plasent), semblanza, sollazzo (occ. solatz), talento, travagliare (occ. trabalhar « tourmenter »), etc. Pour d’autres exemples, cf. Bettarini, op. cit., p. XXIV.

6 En voici quelques exemples : de dolors (v. 4) : pour de dolor ; lo pensamen (v. 6), p. lo pensamentz ; domnas (v. 8), p. domna ; Dieu (v. 10), p. Dieus ; ses pars (v. 17), p. ses par (cf. ses dan, v. 20) ; un dars (v. 19), p. un dar (t) ; eus (v.20), véritable « monstre », p. eu ; mon morir (v. 25), p. mes morirs ; per merseis (v. 26), p. mersei ; mon precs (v. 26), p. mon prec (ou mos precs) ; al mieu grans ardimen (v. 28), p. al mieu gran ardimen. Notons enfin, au vers 1, le genre masculin de fis Amors, normalement féminin en a. occ. (fin’amors).

7 Cf. P. Bec : Pour un autre soleil…, p. 4-5.