Images d’un milieu de vie médiéval : les censiers féodaux de Lourdes
Ce travail a été élaboré dans le cadre des activités de l’U.M.R. « France méridionale et Espagne. Histoire des sociétés du Moyen Âge à l’époque contemporaine » (C.N.R.S. et Université de Toulouse II). L’auteur tient à marquer sa reconnaisssance pour l’accueil amical et compétent qu’il a trouvé auprès des organisateurs du colloque, en particulier Jean-Claude Faucon, Alain Labbé et Daniel Lacroix ; il se félicite aussi de la collaboration qui, au-delà de sa personne, s’est établie entre la formation précitée et ceux grâce auxquels la manifestation « Languedoc et langue d’oc » s’est déroulée dans d’excellentes conditions.
La moindre tentative d’exégèse repose sur le fait que les documents auxquels elle s’applique en disent plus long qu’il n’y paraît, ce qui implique entre autres choses une utilisation maximale de toutes les données possibles : en cette affaire, comme chacun sait, un seul mot ou la variante d’un seul mot peut prendre une importance considérable et offrir la clé de processus d’une extrême complexité. Parmi ceux qui expérimentent la situation que je viens d’évoquer, il y a les médiévistes : académiquement parlant, je n’aurai pas l’outrecuidance de me compter parmi les membres de leur compagnie, mais il se trouve que mes recherches de linguiste m’ont très souvent mis en contact avec eux, contact qui d’ailleurs se poursuit pour un chantier qui n’est autre que la préparation de l’édition du cartulaire de la maison comtale de Bigorre, document cité le plus souvent, notamment dans les inventaires archivistiques, sous l’intitulé Cartulaire de Bigorre. Ce cartulaire nous est connu par trois copies : celle de Bordeaux, que nous désignerons par B, et les deux de Pau, soit P1 et P21. B et P1 paraissent avoir été établies au XIVe siècle, alors que P2 remonte à la fin du XVe ou au tout début du XVIe. Du point de vue de la datation des titres, on peut avancer un terminus a quo qui pourrait être les premières années du XIIe siècle, le terminus ad quem étant constitué par le dernier quart du XIIIe (règne du comte Esquivat de Chabannes)2
Parmi les pièces que contient ce cartulaire, les censiers de Lourdes, dont des extraits avaient été publié en 1881 par Achille Luchaire3, ont tout récemment encore attiré l’attention d’un historien de grande qualité, notre collègue Benoît Cursente : celui-ci, dans sa thèse d’habilitation soutenue en 19954, non content de les mettre fréquemment à contribution pour fonder ses points de vue sur la vie sociale et l’habitat de la Gascogne médiévale, leur consacre un important développement dont évidemment nous aurons à cœur de tenir compte.
Mais expliquons d’abord comment ces censiers se présentent à l’intérieur même du cartulaire. Une distinction explicite est faite entre les redevances dues par les domaines ruraux (les casales ou casaus – le mot désignant, par équivalence approximative il est vrai, ce qui est ailleurs le « manse ») de celles auxquelles sont astreintes les « maisons » de Lourdes, c’est-à-dire les habitations des gens du bourg de Lourdes, celle-ci considérées dans leur matérialité d’édifices et surtout du point de vue de leur régime juridico-fiscal. Toujours est-il que cette dichotomie induit un double libellé des rubriques, soit d’une part Hec est carta de censibus casalium de Lorda (même texte dans les trois manuscrits), d’autre part Hec est carta de cens de las masos de Lorda (B), Hec est cens de las maysos de Lurda (P1), Hec est carta de lo cens de las masos de Lorda (P2). De plus, le manuscrit P2 comporte une table rédigée entièrement en occitan (gascon) dans laquelle on lit La carta dels cesses dels casals de Lorda al premer fuelh et La carta des cesses de las maysos et bordas de Lorda al II fuelh : les titres ainsi désignés viennent en tête du document5 où ils forment un premier groupe de deux pièces, lesquelles se trouvent donc à « une place privilégiée » pour reprendre l’expression de B. Cursente. Notre collègue explique que ce fait est à mettre en relation avec l’importance qu’a encore vers la fin du XIIIe siècle l’ensemble castral de Lourdes, cet imposant château-forteresse qui fait l’objet de fixations, parfois fantasmatiques, de la part de ceux qui appartiennent aux divers partis qui ne vont pas tarder à se discuter la possession du comté de Bigorre à partir de 1251. Toujours est-il que dans le censier des « casaux » le comte en tant que tel est nommé dès les deux premiers items : Lo casal del Puiol deu lo bren aiustar ad canes comitis (B) et Lo casal de Cortina debet servire quale servitium comes voluerit (B)6.
En outre, une seconde liste de « casaux »7 est donnée plus loin dans le cartulaire, très différente de la première, aussi bien du point de vue linguistique que de celui du contenu : ses caractéristiques vont être indiquées dans un instant.
Afin que les choses soient claires, nous appellerons CASAUX 1 la première liste des « casaux », CASAUX 2 la seconde liste des « casaux » de Lourdes et MAISONS la liste des « maisons ». Du point de vue des datations, problème dont nous confessons qu’il nous a longtemps embarrassé, nous faisons nôtre l’opinion de Cursente qui propose la chronologie que voici :
CASAUX 1 : vers 1163.
CASAUX 2 : vers le milieu du XIIIe (d’une autre main que CASAUX 1 dans B).
MAISONS : deuxième moitié du XIIIe, avant 12728.
S’agissant précisément du couple « casaux » / « maisons », les secondes forment dans le groupe constitué par les deux titres CASAUX 1 / CASAUX 2 une liste beaucoup plus importante, les redevances consistant uniquement en numéraire, alors que les premiers doivent pour l’essentiel des services en nature. La disproportion statistique en faveur des « maisons » s’est sensiblement accrue au cours du XIIIe siècle comme l’atteste CASAUX 2, si bien que l’on rencontre assez fréquemment à cette époque des noms de personnages à la fois tenanciers d’un « casal » et habitants d’une « maison ». De plus, cette seconde liste des « casaux » est sensiblement moins fournie que celle du XIIe, en même temps qu’y disparaissent les mentions relatives à la position privilégiée qui était antérieurement celle de certains d’entre eux et qui les mettait au-dessus des autres, tenures paysannes pour l’essentiel : cela se réalisait sous la forme de services liés à une condition noble (équipement et entraînement d’un chevalier) ou par une position hiérarchique les plaçant à la tête d’un groupe d’exploitations – et sous ce rapport, Benoît Cursente va jusqu’à parler de l’exercice d’une « véritable seigneurie » ; à l’inverse, il est fait état dans le document de services peu valorisants sinon dégradants, par exemple la confection des fourches patibulaires (Boneu de Clauaria eyssamens e pan fer e forcas als penutz « Boneu de Claverie semblablement (i.e. comme les tributaires précédents) et [doit] faire du pain et des fourches pour les pendus »). Cursente tient pour « la plus vrai – semblable » l’explication que voici :
… selon nous… il y a eu, en même temps, création de nouvelles « maisons » et libération des maisons qui se trouvaient incluses dans les anciens casaux, cellules qui médiatisaient le prélèvement…
La réduction brutale du nombre des casaux qui, entre le XIIe et le XIIIe siècle, va de pair avec l’émergence d’un nombre important de maisons nous semble donc en définitive pouvoir être interprétée ainsi. Le casal étant désormais attaché au service ignoble, les entités de ce nom dotées d’un statut privilégié ont été dissoutes en tant que telles. Cette dissolution a pu permettre à un certain nombre de maisons d’accéder à une existence autonome. Mais il est probable que plusieurs casaux (comme celui d’Abadie), se sont mués en seigneuries, qui cependant, en vertu des franchises, ne font pas écran au pouvoir qu’exerce le comte sur chacune des cellules habitées (et qui se traduit par une taxe universelle). Enfin, la dissolution de l’ancien système a créé des conditions plus favorables à l’installation d’une nouvelle population, notamment marchande et artisanale9.
Une telle interprétation a le mérite de mettre en évidence et les modalités et les causes de ce qui fut une mutation sans aucun doute importante dans les modes de vie des Lourdais.
N’oublions pas de signaler qu’en ce qui concerne CASAUX 2, seul le manuscrit P1 comporte une rubrique : De denariis aliquorum casalium de Lurda, formulation restrictive qui corrobore les analyses de Cursente, de la même façon que par le texte de la table de P2 est étayée l’opinion de notre collègue quant à la nature de ce que tendaient à devenir les obligations « casalières » au XIIIe siècle : Divers ceces et servitutz de deniers, de carnalatges, de blatz, de palhas, de pa cueit e de bren et de diversas autras causas que ha lo senhor de Begorra…, « Divers cens, redevances en numéraire, en animaux, blé, paille, pain cuit, son et diverses autres choses qui sont dus au seigneur de Bigorre… ».
Un extrait de CASAUX 1 que nous citions il y a quelques instants – Lo casal del Puiol deu lo bren aiustar ad canes comitis (B) et Lo casal de Cortina debet servire quale servitium comes voluerit (B) – montre que du point de vue linguistique, la rédaction marie le latin et le gascon : nous allons revenir sans tarder sur la signification qu’il convient selon nous d’accorder à cette donnée et nous sommes d’autant plus obligé de la faire que la liste CASAUX 2, moins étendue, comme nous l’avons dit, que la première quant au nombre des items, est rédigée, elle, entièrement en gascon.
Ce sont les mentions relatives aux « casaux » qui vont pour l’essentiel alimenter notre réflexion, sans que pour autant les « maisons » soient passées sous silence. Nous avons certes conscience de ce qu’un censier, au premier abord, s’offre à nous comme un document plutôt aride : mais cette impression doit être dépassée et nous espérons montrer que l’on peut tirer pas mal de choses de l’analyse d’un tel document, y compris dans des domaines pour l’étude desquels il ne paraît pas a priori exploitable.
Statut linguistique
Mais revenons, comme nous Lavons promis, à la cohabitation du latin et de l’occitan gascon dans CASAUX 1 : une telle situation n’a en soi rien d’original. Ce grand maître ès documents médiévaux des pays occitans qu’était Clovis Brunel écrivait en 1926 que les documents mêlant le latin et des formes idiomatiques romanes « se remarquent parfois jusqu’au milieu du XIIe siècle », pratique dont il nous précise qu’elle s’affirme dès le XIe siècle10. Une telle remarque vaut invitation à ramener à ses justes proportions la coprésence des deux langues et, en particulier, à ne pas la mettre unilatéralement en rapport avec l’ancienneté des textes.
S’agissant de notre censier, il est facile d’observer que les formes latines sont le plus fréquemment celles de mots fortement récurrents d’une part, d’emploi stéréotypé d’autre part : ainsi en va-t-il de debet, tenet, facere dont on a l’impression qu’ils sont utilisés pour l’essentiel comme des sortes de « mots-outils ». Certes, à côté d’eux on a canes, servitium, panem, servire, voluerit, etc. : mais cela ne nous paraît de nature à modifier substantiellement le sentiment que nous venons d’exprimer. On remarque aussi que plusieurs « mots-outils » sont donnés non seulement dans leur forme latine mais aussi dans leur forme romane correspondante : ainsi tenet est doublé par tee, facere par far, comite (m) par comte. De plus pour « donner » qui aurait pu très bien être dare, on ne rencontre que dar (et une fois donar).
Par conséquent, nous n’hésitons pas à dire que la dominante linguistique du document est le gascon, bien plus un gascon parfaitement affirmé : cf. la forme de prétérit, encore représentée dans le béarnais actuel, compra « acheta » et non pas « achète » (Lo casal de Pruereda que la dauna de Borc compra…), le vocable estrem, les parties de mentions far fogaces « faire des tourtes », las granollas far carar « faire taire les grenouilles », etc. Ce qui n’empêche pas que nous ayons à prendre acte de quelques situations paradoxales : par ex. le dernier membre de phrase de P2 est carrales donare, face à cairals donar de B ou carals donar de P1. Cette latinisation est le fait du manuscrit le plus récent !
Le paysage et l’espace lourdais
Cette question doit à l’évidence être traitée à partir, entre autres choses, des éléments toponymiques, relativement abondants dans le document, leur présence s’accroissant de manière sensible au XIIe siècle et au XIIIe.
Quelque vocables ou formulations se signalent immédiatement à l’attention comme Lagua(s), Meia Biela, Borc (et ses variantes Bor, Borg), Arenas, super Sanctum Romanum, Ludz en Crampas, etc.
Lagua(s) apparaît dans les noms de deux tenanciers de « casaux », Garsia Fort de za Lagua et Assi Trapel de Laguas, l’élément en question ne pouvant être qu’un continuateur de LACUNA. Il est donc hors de doute que quelque part sur le territoire de la Lourdes médiévale il existait un quartier d’étang, une étendue marécageuse qui n’avait pas rebuté l’occupation humaine, devenu de surcroît la composante d’un cadre familier et par rapport auquel se faisaient tout naturellement certains repérages topographiques : le « casal » du Garsia Fort que nomme le censier devait se trouver « en deçà » (de za) des « lagunes », alors que le « casal » du nommé Assi Trapel était situé dans les « lagunes », position qui ne devait avoir rien de confortable. Nous pensons que la zone marécageuse en question est à rechercher dans la portion septentrionale du territoire lourdais, de part et d’autre du tronçon de la R.N. 135 reliant la cité mariale à Tarbes : on observe en effet dans ce secteur des vestiges d’un site d’étangs.
Occupons-nous maintenant de Meia Biela et Borc. Le premier, « moitié de ville » ou « mi-ville » est un élément localisateur très banal, abondamment attesté au demeurant, par le moyen duquel les communautés en quelque sorte marquent les parties de leur territoire, le secteur « mi-ville » pouvant ici ou là s’opposer à un secteur « haut de la ville » ou « bas de la ville » ; quant à Borc/Borg/Bor « bourg », déjà utilisé comme toponyme à l’époque de la rédaction du censier, il faut lui donner le sens d’unité de base d’une agglomération : son emploi montre donc que les Lourdais du Moyen Âge avaient tenu à nommer de manière spécifique la composante proprement urbaine de leur habitat, l’opposant sans doute ainsi à l’ensemble castral qui dominait leurs maisons et dont l’occupant principal se signalait à leur quotidien, l’opposant aussi à la zone de ruralité, secteur privilégié d’implantation des « casaux ». Notons cependant que cette ruralité pouvait être très voisine du bourg lui-même sinon y montrer des affleurements : l’un des items concerne un « casal » dit del Borg, réputé de statut comdal « comtal ».
On relève par ailleurs vers la fin du censier la mention que voici : Et tota villa debet la geita far al castel « Et toute la ville doit faire le guet au château ». À l’évidence, le sémantisme du mot villa est ici de nature englobante, extensive, le vocable désignant l’ensemble formé par le réseau des « casaux » et le bourg, en somme un contenu globalisant portant peut-être la trace, vague il est vrai, de l’indominicatum carolingien.
Le censier des « maisons » de Lourdes, du moins si l’on se réfère aux manuscrits P1 et P2, révèle, à côté du « casal » et de la « maiso », l’existence d’une entité tierce à laquelle st donné le nom de borda : le document, vers la fin, comporte en effet une sous-rubrique, De las bordas, laquelle est suivie de 14 items, en l’occurrence les noms des personnes astreintes comme les occupants des « maisons » à des versements en numéraire. Il est clair dans tous les cas que l’on a voulu explicitement distinguer les bordas des maisos : le mot de borda, conformément aux valeurs que lui attribuent les lexicographes, désigne, soit une exploitation en tant que telle, soit un bâtiment agricole annexe, différent de la maison d’habitation proprement dite et situé selon les régions à plus ou moins grande distance d’elle. Le sort spécial fait aux « bordes » dans le censier serait-il l’indice précoce de l’évolution de celles-ci vers une certaine autonomie ? On sait que sous des formes et selon des modalités diverses ce processus a été assez général en Gascogne, aboutissant dans certaines zones à l’apparition hors des bourgs stricto sensu d’exploitations d’un type nouveau, ce qui était au départ de simples dépendances sises dans la zone des champs étant devenues des unités permanentes ou pour le moins secondaires de séjour et de faire-valoir.
L’une des « bordes » de Lourdes est dite d’Orgulh (B) ou d’Orguelh (P1). Au vu de cette leçon on pourrait comprendre « la borde d’Orgueil », dénomination pouvant rappeler un trait moral dont ses habitants auraient été crédités à moment donné ou bien une particularité physique : habitat élevé et dominant ou belle apparence des bâtiments. Il se trouve que le nom de cette « borde » reparaît dans le titre CASAUX 2 du manuscrit B sous une vêture graphique qui donne à penser, le scribe ayant en effet noté Lo casal d’Elrgelh, P1 et P2 portant Lo casal d’Argel. Même en faisant la part des corrections et hypercorrections toujours possibles, il n’est pas interdit d’analyser la leçon Elrgelh en tant que telle11. Au premier abord elle pourraît être tenue pour corrompue, alors qu’en réalité elle paraît tout simplement résulter d’une banale inversion de lettres au niveau du substantif, plus précisément à la jonction de celui-ci et de son déterminant : nous proposons donc de rétablir une séquence del, article contracte, Grelh, substantif restitué par le retour de r après g. Dans ces conditions, il faudrait comprendre « le casal du grillon », la forme grelh à côté de grilh étant normale en occitan médiéval. Nous reconnaissons bien volontiers que notre proposition n’a pour le momen que valeur d’hypothèse : il n’en reste pas moins vrai que si le copiste, tout en commettant sa peccadille graphique, a pensé « le casal du grillon », il l’a fait dans une grande cohérence linguistique. Notre copiste, notons-le au passage, aurait pu tout aussi bien songer au sémantisme dont est porteur la forme homophone de grelh, celle qui signifie « pousse, bourgeon », auquel cas il s’agirait du « casal de la pousse », allusion possible à de bonnes conditions de végétation.
En ce qui concerne la leçon d’Argel de P1 et P2, nous ne sommes pas en mesure, au moins pour le moment, de proposer une élucidation.
Puisque nous en sommes à un lieu du Lourdes médiéval qui aurait pu être nommé en mettant à contribution le nom du grillon, citons une autre formation faisant appel à une bestiole familière : il s’agit du casal de Ludz en Campras (B),… de Ludz en Crampas (P1) c’est-à-dire « le casal du ver luisant ». Bien sûr, il n’est jamais exclu que de telles dénominations ne soient pas dues à cet incessant processus de réintreprétation en quoi consiste l’étymologie populaire et dont l’un des plus puissants ressorts est la paronymie : quoi qu’il en soit, formation originelle ou création seconde, notre nom de « casal » montre que ce que l’on a appelé l’imagination populaire s’exerçait pleinement dans la Bigorre des XIIe-XIIIe siècles12.
Sur une forme du travail fourni par la communauté
L’un des points forts de la thèse de B. Cursente est la mise en évidence du fait que dès le XIe siècle le « casal » des pays pyrénéens, à Lourdes notamment, se présente avec une physionomie particulière et ne saurait être décrit par un recours univoque aux concepts habituels, ceux qui valent pour le manse classique : servage, rôle et place des liberi, chasement, tenure, etc. S’agissant donc des « casaux », B. Cursente synthétise les informations venues des documents dans les termes que voici :
Il n’est jamais question de serfs, mais en permanence du servicium ; Il n’est plus question du transfert de seules propriétés, mais de biens rendant un cens…
Plus que le fevum si important dans le contexte languedocien, c’est le casal qui a alors assuré le chaînage des divers maillons de la société autour du concept unificateur de servicium. En risquant un néologisme, la société gasconne des XIe-XIIe siècles ne fut pas, littéralement parlant, féodale mais « casalière »13.
Parmi les services, il en est un que le titre que nous appelons CASAUX 1 mentionne de manière presque insistante, celui qui est désigné par le continuateur du latin CARRALE (M), soit du point de vue des leçons des manuscrits cairal ou carral dans B, par caral ou carral dans P1, carral dans P214.
Le choix par un même scripteur de r ou de rr double ne fait guère difficulté : les matériaux publiés par ce grand maître ès chartes occitanes médiévales qu’était Clovis Brunel en offrent des exemples pour un terme proche de carral, à savoir carreig, qui lui aussi présente une identique dualité graphique15.
En revanche, il faut s’interroger sur la leçon cairal, dominante dans B. Nous nous étions demandé dans un premier temps s’il ne s’agissait pas d’un mode de ligature des deux lettres du digraphe rr, lequel est ici pleinement justifié par la forme de départ : Pierre Gérard, ancien conservateur en chef des Archives départementales de la Haute-Garonne nous signale qu’il a consaté le recours à ce procédé dans des chartes du Comminges où notre groupe graphique ne peut être lu que rr.
Mais revenons à la combinaison i + r de CASAUX 1 et de MAISONS, celle que nous avons en lieu et place du rr normalement attendu : il se trouve qu’elle est utilisé par le scripteur de ces deux titres pour des mots où l’étymologie la rend absolument légitime, pratique qui de surcroît s’accorde avec celle de la scripta de la région bordelaise et bas-garonnaise, celle que notre copiste avait toutes chances de connaître : ainsi transcrit-il eir le continuateur du suffixe -ARIU, dans un mot tel que Cedaceir (dans l’item Bidal Cedaceir de MAISONS16) < SETACIARIU, terme qui en tant que nom commun signifie « le fabricant de tamis »17. Rappelons au passage que la graphie eir correspond à l’une des phases de l’évolution qu’a connue le suffixe -ARIU, celle où le [a] initial du morphème a subi l’umlaut qui le fait passer à [ε], le [i] ayant été anticipé devant le R : un peu plus tard le [r] final disparaîtra et le [i] s’effacera, d’où le phonétisme gascon le plus répandu [ε] (par exemple dans [pu’mε] < POMARIU). Le Médoc est la seule région de la Gascogne qui ait perpétué un phonétisme relativement proche de celui que suggère la graphie eir : dans cette zone [pu’mε] est [pu’mεj]. Dans tous les cas, il est clair que le copiste se servait normalement du graphème i pour représenter le deuxième élément d’une diphtongue décroissante.
Concernant le continuateur de CARRALE (M), pour rendre compte de la leçon cairal, a-t-on le droit de se cantonner à l’explication par une habitude graphique particulière ? La question nous semble devoir être posée. Il n’est pas après tout exclu que le scripteur ait eu l’intention de représenter par i + r un groupe diphtongal [aj] – que la diachronie stricte, certes, n’autorise pas – et qu’il l’ait fait pour une raison spécifiquement linguistique, le processus bien connu et universel du croisement de mots ayant en l’occurrence déterminé son choix : cairal pourrait donc résulter du télescopage, au moins dans la tête du scribe, avec un autre vocable et celui qui nous vient à l’esprit est tout naturellement le produit de QUADRU, c’est-à-dire caire [‘kajre] « pierre de taille », terme des plus courants dans le lexique médiéval occitan. Un telle rencontre ouvre en outre une piste intéressante du point de vue du sens. Expliquons-nous. Dans le Provenzalisches Supplement-Wörterbuch18, Emil Levy indique que Raynouard donne deux exemples de carral dans le sens de « carrière », ce sémantisme allant par ailleurs de compagnie avec ceux de « voie, chemin »19. À la lumière de ce renseignement et compte tenu du posssible croisement de lexèmes que nous venons d’envisager, on est fondé à se demander si la corvée dite de cairal / ca(r)ral ne consisterait pas, au moins pour certains des items de notre censier, dans un travail de carrière, d’extraction de pierres façonnées en caires, ce matériau dont le seigneur-comte devait être un gros demandeur ne serait-ce que pour entretenir ou modifier son imposante forteresse. Dans ces conditions, le membre de phrase… den ou debet a car(r)ral anar aurait ici ou là comme traduction appropriée « … doit aller à la carrière ». Bien sûr, si dans plusieurs des cairal de notre document le noyau sémantique est effectivement celui de « carrière », il ne faut pas exclure un composant supplémentaire du sens, quelque chose qui réfère au transport des matériaux, de telle façon que la configuration sémique du mot qui nous occupe combinerait en certaines de ses attestations un élément principal « carrière » et un élément secondaire mais indispensable « charroi ». Sans rejeter le fait que d’autres cairal du censier qui nous occupe peuvent tout simplement désigner le seul transport. Dans tous les cas, il est fort probable que le terme ici étudié était porteur d’une polysémie assez caractérisée.
Il se trouve que dans un autre titre du cartulaire, nous sommes devant une donnée que nous ne croyons pas inutile de mettre en rapport avec nos explications précédentes, au moins certaines d’entre elles. Un censier, dont la date de rédaction initiale reste incertaine – XIIe siècle probablement-, concerne des tâches portant le même nom que celles qui étaient imposées aux habitants des « casaux » de Lourdes : la rubrique, De carralibus, le montre bien. Or, dans ce titre, on constate l’emploi dans un même item de deux vocables que distinguent leurs suffixes, carrals d’une part, carreis d’autre part, soit : A Bagneres. III. carreis per cada tres carrals. Cette dualité terminologique, à laquelle correspond plus que vraisemblablement une dualité sémantique, montre clairement que carral peut n’avoir pas le sens exclusif de « charroi » et faire référence à autre chose, par exemple ce qui est transporté, le contenu lui-même du chargement, de telle façon que nous proposons de traduire : « À Bagnères trois charrois pour chaque trois corvées [de transport] », ce que portent les véhicules pouvant être des matériaux mais aussi du grain, du bois, etc. Dans le reste du document, carral et carrel se retrouvent mais répartis par items et non pas réunis l’un à l’autre : il y a peut-être lieu de penser que parmi les communautés censitaires, les unes devaient mettre à la disposition du comte uniquement les instruments permetttant le charroi, en l’espèce les chariots et leurs attelages, les autres étant obligées de fournir leur force de travail et sans doute aussi les ou des véhicules, ce qu’indiquerait des rédactions comme d’une part Trebonz. II. carreis tribus vicibus in anno, d’autre part Tarba. I. carrai tribus vicibus in anno. Nous avons par conséquent le sentiment qu’il existe une limite sémantique, finalement assez nette, se déployant entre carrel et carral.
Évoquons au passage les latinisations que subissent les mots : alors que l’on a constamment à faire dans les titres du cartulaire à un ablatif pluriel carralibus, on relève une fois la leçon carrilibus, celle-ci appartenant au manuscrit P1. Ce carrilibus est certes une attesation isolée, mais elle constitue un indice d’autant plus précieux qu’elle peut faire supposer que le copiste diposait dans son lexique d’un vocable *carril à partir duquel aurait été reconstruit un CARRILIS, d’où carrilibus. Or l’étymon *CARRILIS est celui que l’on prête au mot castillan carril « ornière, sillon, chemin muletier » et, à une époque plus récente, « rail, voie d’autoroute »20. Mais à côté de ce possible *carril, le terme carrei, dont nous avons parlé, était d’un emploi normal, avec toutefois à ce qu’il semble une valeur sémantique le différenciant de carral21.
Si une partie au moins du service exigé des Lourdais vers les XIIe-XIIIe siècles consistait, comme nous l’avons suggéré, en corvées de carrières, on ne saurait passer sous silence un fait que l’archéologie a mis en évidence. Des recherches menées il y a peu de temps ont permis d’aboutir aux conclusions que voici – nous citons la synthèse qui en est faite dans l’Histoire de Lourdes parue en 1993 aux Editions Privat et déjà citée à la note 4 :
Une activité économique étonnante, l’exploitation de la pierre pour la fabrication des sarcophages. Tout récemment, des sites d’extraction de blocs de pierre destinés à la fabrication de sarcophages ont été retrouvés à Lourdes et aux environs dans le massif du Béout : l’importance de cette activité tient d’abord au nombre des carrières (32) ainsi qu’à celui des produits fabriqués (1100 traces d’extraction environ pour un minimum de 550 sarcophages). En l’état actuel de nos connaissances, il s’agit du site le plus important du Sud-Ouest… Commencée dès la fin de l’époque romaine, cette extraction qui paraît préfigurer celle de l’époque contemporaine paraît s’être arêtée assez brutalement aux alentours des VIIIe-XIe siècles… 22.
Il serait évidemment téméraire de chercher à établir à tout prix une relation entre ces faits et le présumé travail d’extraction de la pierre qu’aurait pu connaître le monde lourdais des XIIe-XIIIe siècles. Il n’en demeure pas moins que les carrières restaient présentes dans le paysage de l’époque qui nous occupe. Par conséquent, pourquoi le Lourdes de la féodalité classique n’aurait-il perpétué, certes dans de nouvelles conditions et à de nouvelles fins, une activité antérieure, celle des carriers qui pour obtenir leurs matériaux avaient déjà profité d’un mileu à cet égard particulièrement favorable ? Il est évident que l’édification et l’entretien de la forteresse comtale avaient créé de gros besoins en pierres de taille : il était donc logique et rationnellement économique qu’on se les procure sur place, en utilisant au besoin les filons et les installations déjà existants.
Notre ambition, au demeurant très modeste, était de montrer que des documents aussi austères que des censiers sont aptes à nous donner bien des renseignements sur les modes de vie de l’homme médiéval, pas seulement en ce qui concerne les aspects purement matériels mais aussi pour ce qui touche les relations avec le milieu et les représentations auxquelles celui-ci donne lieu. Pour obtenir le second type d’informations que nous venons de dire, on s’adresse de préférence aux œuvres littéraires. À cet égard, je tiens à rendre hommage aux travaux d’Alain Labbé qui a prouvé que l’exploitation des textes de la littérature permet de restituer de manière précise le paysage ou l’architecture tels que l’homme médiéval les avait intériorisés. Que cet excellent collègue et ami me permette de citer quelques lignes de ce qu’il écrivait en 1994 dans un travail au titre révélateur, Des mots pour dire l’espace : quelques remarques sur la représentation de l’Architecture dans Aliscans. Après avoir indiqué qu’il va s’attacher à « la représentation du cadre aulique » telle que l’œuvre permet de la discerner en dépit de toutes les distorsions introduites par l’écriture épique, A. Labbé se livre à la captivante mise au point que voici :
Elle [i.e. « la représentation du cadre aulique »] n’en est que plus significative, dans l’accord et dans l’écart tour à tour marqué entre décor symbolique et décor diégétique, d’une manière d’user subtilement de la structuration spatiale et de la faire signifier. Ainsi, pour s’en tenir d’abord à ces données en apparence si élémentaires, du haut et du bas, du dessus et du dessous qui, pour anodines – voire imperceptibles – qu’elles demeurent aux yeux du lecteur hâtif, n’en sont pas moins pertinentes, à la fois dans la claire énonciation du premier plan narratif et dans strates plus obscures de ce texte sous-jacent qu’à son insu le poème véhicule, moraines de mémoire muette charriées loin de leur primitive sédimentation mythique23.
La narrativité mise à part, des problèmes de même nature peuvent être soulevés à propos des censiers : ceux-ci renvoient en première instance l’image d’un espace physique et social, bien sûr très hiérarchisé, marqué par l’exercice du pouvoir comtal même si celui-ci prend des formes spécifiques avec la prééminence du servicium tel que B. Cursente le décrit, mais ces mêmes documents nous mettent aussi en mesure de saisir ce jeu du réel et du symbolique à l’étude duquel A. Labbé est tellement attaché, dialectique qui dans le Lourdes médiéval permettait aux femmes et aux hommes, en dépit d’une existence très dure, de regarder leur cadre de vie et de le faire habiter par ce ver luisant que nous avons par émouvante et heureuse aventure rencontré dans nos documents.
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1 B est conservé à la Bibliothèque municipale de Bordeaux, sous la cote « ms 748 ». P1 et P2 se trouvent sous une même couverture, le document ainsi constitué étant déposé aux Archives départementales des Pyrénées atlantiques : cote « E 368 ».
2 L’opération d’édition du Cartulaire de Bigorre doit et devra beaucoup aux transcriptions ou analyses jusqu’ici effectuées par des spécialistes de très grande qualité, parmi lesquels on tient spécialement à citer : Gaston Balencie, Archiviste (pendant de nombreuses années) du département des Hautes-Pyrénées, qui avait travaillé sur le manuscrit P1, le professeur Paul Ourliac et Madame Ourliac, qui se sont occupés essentiellement des manuscrits B et P1. Il va de soi que parmi les tâches actuellement menées figure une relecture de tous les originaux, laquelle tient le compte le plus scrupuleux des contributions que l’on vient d’évoquer. De toutes les façons, un historique des transcriptions antécédentes sera fait au moment de l’édition, ce qui permettra de préciser l’apport de chacun de ceux qui à un moment ou à un autre ont œuvré sur le document.
3 V. Achille Luchaire, Recueil de textes de l’ancien dialecte gascon d’après des documents antérieurs au XIVe siècle, Paris, 1881, pp. 10-13.
4 Benoît Cursente, Du casal à l’ostau. Habitat, société, pouvoirs, dans la Gascogne médiévale, deux tomes, 605 pp. au total. Le t. 1 concerne la période qui va du début du XIe au début du XIVe siècle, le second étant consacré à la suite de l’étude du début du XIVe, l’enquête allant jusqu’à la fin du XVe. Ce travail sera publié par les soins de U.M.R. « France méridionale et Espagne. Histoire des sociétés du Moyen Âge à l’époque contemporaine ». Pour les censiers de Lourdes v. également Jean-François Le Nail, « L’âge d’or du château fort (XIe-XVe siècle) » dans Histoire de Lourdes, Toulouse, Privat, 1993, pp. 25-75.
5 Ce censier des « casaux » occupe les fos 1 r° à 2 v° de B, 1 r° à 1 v° (copie P1) et 35 r° à 35 v° (copie P2). Celui des maisons va dans B de 2 v° à 4 r°, de 1 v° à 2 v° dans P1, de 35 v° à 36 v° dans P2.
6 Respectivement lignes 1 et 2 du manuscrit. Dans certains titres du cartulaire, le comte est explicitement désigné comme seigneur de Lourdes : N.Auger d’Aster a dat si madeis e so terre a.n Centod, coms de Bigorra. Leis n. Auger a le arcebude de lui e que la tienque e et e tot son lignage de segnor de Lorde… (texte de B, 26 v°).
7 De 27 v° à 28 v° dans B, de 19 r° à 19 v° (P1) et 51 v° à 52 r° (P2).
8 Marcel Berganton, Des Lourdais à l’abbaye de Berdoues, Revue internationale d’Onomastique, 1974, pp. 158-268 propose les environs de 1210 pour CASAUX 2 et vers 1230-1250 pour MAISONS.
9 B. Cursente, op. laud., p. 106.
10 Clovis Brunel, Les plus anciennes chartes en langue provençale. Recueil de pièces originales antérieures au XIIIe siècle, t. 1, Paris, 1926 (Genève, 1973), Introduction, p. VIII.
11 Bien que la jambe du r se confonde dans le manuscrit avec celle de la partie inférieure du l, la lecture Elrgelh ne paraît faire aucun doute : c’est aussi l’avis de Benoît Cursente.
12 La dénomination ludz en crampas (littéralement « lumière en chambres ») du ver luisant est vivante en gascon actuel : v. Jean Séguy, Atlas linguistique et ethnographique de la Gascogne, vol. I, carte n° 64 (intitulée Ver luisant), Paris, C.N.R.S., 1954 (2e édition, 1965), l’ouvrage montrant que l’expression en question est précisément et encore celle du vernaculaire de Lourdes.
13 Cursente, op. laud., p. 158.
14On doit en outre signaler une bizarrerie propre à B : à certains items, le i de la syllabe initiale du substantif cairal donne l’impression d’avoir été « anticipée » par le copiste, le résultat étant qu’elle se trouve agglutinée à la préposition a, d’où ai caral au lieu de a cairal. Ce fait, que nous ne sommes pas en mesure d’interpréter, est-il à mettre au compte d’une simple inversion de lettres (cf. l’exemple déjà donné de delrgrelh) ou bien s’agit-il d’autre choses ?
15 Cf. Brunel, op. laud. : carreig et careg en 1142 dans la même charte.
16 Ligne 32 du document, laquelle appartient au folio 3r°.
17 V. à ce propos Jacques Allières, Okzitaniscbe Skriptaformen V. Gaskogne, Béarn / Les scriptae occitanes : Gascogne, Béarn, Lexikon der Romanistischen Linguistik, vol. II, 2, pp. 450 et ss. et notamment le § 3.2.2., u (p. 458).
18 S. v. Carral.
19 On doit pourtant se demander si Raynouard, sur les données de qui s’appuie Levy, n’aurait pas employé le mot carrière dans le sens de « voie que l’on prend, où l’on s’engage », bref dans celui de « chemin ».
20 Juan Corominas, Diccionario crítico etimológico de la lengua castellana, Berne, Francke, 1954, s.v. CARRO.
21 Un « casal », celui d’Arenas, tient beaucoup de place dans CASAUX 1 : étymologiquement parlant, son nom est celui du sable et pourrait lui venir de ce qu’au moins à l’origine, il était voué aux corvées de sablière, activité qui va de pair avec celle de carrière. B. Cursente me suggère qu’il aurait donc pu y avoir un « couple fonctionnel » cairal (carrai) et a (A) renas.
22 La citation (pp. 23-24) vient de la contribution de Robert Vié.
23 Le travail d’Alain Labbé a été publié dans Champs du Signe 4, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1994 : pour la citation v. p. 12.