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Les « Leys d’Amors » et la dialectologie occitane

Jacques ALLIÈRES

Université de Toulouse II

On sait que la création poétique des troubadours occitans a connu, postérieurement à la croisade contre les Albigeois et en raison, au premier chef, de la défaite des Occitans face aux croisés de Simon de Montfort, une forte régression, et que c’est avec l’idée de sauver cette tradition littéraire, sinon socio-culturelle, que plusieurs personnages de nos contrées, écrivains ou non, prirent l’initiative de rédiger des sortes de traités de composition littéraire, dont le plus connu est peut-être constitué par ces Leys d’Amors ou « Lois d’Amour » où le Toulousain Guilhem Molinier expose, sinon un « Ars Amandi » à la façon d’Ovide, comme le titre le laisserait penser, du moins les règles que doivent suivre les futurs poètes d’oc. Mais on sait aussi que s’il est vrai que la langue des troubadours, en dépit de la nécessité d’être comprise partout et donc de revêtir peu ou prou la forme d’une koiné, n’était nullement uniforme, on se doute qu’aux périodes troubles qui ont suivi la défaite la différenciation dialectale ne pouvait que s’accentuer, et c’est là que réside l’intérêt majeur de l’œuvre d’un Guilhem Molinier, qui va s’efforcer de séparer linguistiquement le bon grain de l’ivraie, et de préconiser les « bons choix » au détriment des formes indignes, résultant soit de développements internes peu recommandables à ses yeux, soit d’intrusions dialectales regrettables. Ce sont ces dernières qui sans doute nous intéresseront le plus, puisque nous espérons pouvoir tirer d’elles quelque indication sur la géolinguistique de l’époque dans le périmètre toulousain et dans son voisinage plus ou moins proche – il n’en reste pas moins que la variation interne est tout aussi digne d’intérêt, comme témoignage de la « dynamique » de la langue et du polymorphisme qui la manifeste, annonçant peut-être – maintenant que nous connaissons les résultats ! – les futures orientations de l’occitan.

Nous fondant donc sur les recommandations des Leys et en les confrontant avec les données dialectales actuelles telles qu’elles sont fournies sinon par les divers atlas – un peu lourds à manier tant que personne, en dehors du gascon où Jean Séguy l’a fait, n’en aura tiré de synthèses –  du moins dans des ouvrages tels que la Gramatica occitana de L. Alibert, riche en données dialectales malgré son propos normatif, nous allons tenter d’examiner la situation linguistique dans laquelle se trouvait Toulouse à l’époque. Nous examinerons successivement la phonétique, puis la morphologie, enfin la syntaxe (ou en combinant ces dernières en « morpho-syntaxe »), car du point de vue du lexique nous aurions plus de mal à confronter les deux tranches historiques. Il n’est du reste nullement exclu que les choix de G. Molinier reflètent éventuellement ceux de la koinétroubadouresque, dans laquelle les formes septentrionales nous éloigneraient gravement de notre métropole. Dans ce qui suit, les paragraphes sont numérotés conformément à l’édition de J. Anglade.

En matière de phonétique, peu de chose en définitive – en fait, la morphologie se taille ici la part du lion, mais on peut se demander si la première ne conditionne pas parfois la seconde. On notera en 79 l’équivalence de clerc et clergue « clerc » (< clericu), mais le CSSg sera toujours clercz ! ; en 83, liberté entre mestre, maestre ou mayestre« maître » (< magistru), En 95, l’auteur donne licence d’employer les var. « gasconno-catalanes » en -sh- aussi bien que les languedociennes en -iss- (< [jss] ou [ssj]) : faysh, carcaysh, peysh, boyshcomme fays, carcays, peys, hoys etc.(resp. « fagot », « carquois », « poisson », « buis », de fasce, persan tarkaš1, pisce, buxu), recommandant toutefois les premières si la « suppression d’h »entraîne quelque ambiguïté – en fait, le phonétisme sh est aussi toulousain (cf. L. Alibert, Gram, occit. § 42), et représente l’un des quelques gasconismes de la métropole (l’auteur ajoute du reste dans sa Remarca « L’airal de la prononciacion palatalizada èra mai espandit a l’Edat Mejana ») ; il est aussi fuxéen au SE – le même thème est repris en 157. De même, liberté (100) entre Peyre, Peyr ou Pey (« Pierre », de petru), mais en recommandant l’emploi de Peyrdevant voyelle (Peyr Arnault) pour éviter l’hiatus. En revanche, les paragraphes 103 et 104 mettent les Gascons en accusation et conseillent de ne pas pratiquer comme eux l’« antithesis », remplaçant f par h : « d’aquest mudamen uzo fort li Gasco, quar pauzo haspiratio, so es h en loc de f coma hranca per franca, rahe per rafe, hilha per filha2, et r per l, coma : bera per bela ; cara te per cala te3 et bper v consonan coma ba per va, bertat per vertat, bengutz per vengutz »4 ; quant à la « metathesis », « que transporta sillaba o letra d’un loc ad autre en diverses lox de la dictio », elle est rejetée, mais ici s’ajoutent aux données gasconnes (« craba per cabra, cramba per cambra »5) d’autres types (palaura6 per paraula…, atersi per atresi »7 ; un autre gasconisme mal accepté est la « prothesis », par laquelle « li Gasco… leumen pauzo a denan dictio que comensa per r, coma : Mossenher Aramon, Mossenher Araols trop es ariqos8. Enfin, évoquant les mots « epenthezit(s) », c’est-à-dire ceux qui « prendo creyshemen en lo mieg de la dictio de sillaba o de letra », l’auteur commence par sembler admettre « femena per femna, guidolier per guinier, vertudosper vertuos (ces deux derniers ressortissant au lexique), gendre per genre », ainsi que les mots « termenat en eza, quar podon creysher d’aquesta letra s, coma beleza belessa… » ; mais après avoir cité d’autres exemples il se reprend : « Pero, segon nostra oppinio, miels es dig beleza que belessa, quar belessa, malessa am dos ss son mot quaysh gasconil. Empero » – ajoute-t-il – « tant dictador antic los an pauzatz per esta maniera que nos noy volem contradir » – argument d’autorité, certes, « Magister Dixit », qu’il n’accepte néanmoins qu’avec réticence, car cela sonne trop « gasconil »9. Un peu plus loin (111) se trouve signalé l’emploi de mots « romputz » où « de letra o de sillaba pren mermamen en lo mieg de dictio, coma : tenes per tenetz, digas per digatz, des per detz » ; ici, c’est vers l’est et le nord de Toulouse qu’il faut aujourd’hui se tourner, à en croire Alibert qui nous dit (§ 38, Remarcas) « Tz final se reduίs a s en Alb(igés), Bes(ierenc), Montp(elherenc), Cev(enὸl), R(oer)-g(a) t : donatz, crotz(dunàs, crus). En Ag(enés) e en Carc(inὸl), la reduccion atenh solament los vèrbs : donatz, vesètz (dunàs, besès) » ; mais G. Molinier reprend et développe un peu plus loin (156) son propos, qui devient franchement critique : « La oppinio d’aquels que dizo que las dictios termenans en atz etz plenissonan o semisonan… podon termenar en s ses t…reproam del tot10 ». Le paragraphe suivant (112) remplit d’aise le dialectologue constamment confronté à la variation, puisqu’il traite « D’alqus motz que·s podon dire en doas manieras », et ici sont citées des paires phonétiques telles que a ma guia / a ma guiza, (guia fait référence à des types orientaux), servezi / servici, conques / conquis…, saviza savieza, yshemple / yshample…, maleza malessa (cf. supra), Erautz / Ernaus (id°), amia / amiga, solas / solatz et Davis / Davids (id°), enginh / engenh, sinh / senh, trassinh / trassenh, fenh / fin », et plus loin « ditz / detz, greu / grieu, luenh / lonh, suenh / sonh, ponh / punh, bolh / bulh (les deux types en u sont des gasconismes) », variations où il est malaisé de localiser les formes, et pour lesquelles l’auteur paraît du reste fort accueillant ; au terme de ce paragraphe où le libéralisme semble gagnant, il éprouve le besoin de préciser sa pensée : « e cant es doptes si·s podon dire en una maniera solamen o en doas, deu hom haver recors als dictatz dels anticz, si aytal motz han pauzatz… ; e si per aquela maniera hom no s’en pot enformar, deu recorre a la maniera de parlar acostumat cominalmen per una dyocezi ; et asso es la cauza mays greus cant a dictar en romans que deguna autra que puscam trobar, quar. I. mot que yeu entendray tu no entendras ; et aysso es per la diversitat d’u meteys lengatge quar tu que seras d’una vila, laquals es en Tolza, hauras acostumat. I. mot et yeu que seray d’autra vila laquals sera yshamens en Tolza n’aray acostumat. I. autre et enayssi serem divers »11. C’est tout le problème de l’unité d’une koiné, scripta ou autre, face à la diversité naturelle des parlers traditionnels, que pose notre auteur sans savoir le résoudre clairement en dépit du but qu’il se propose en rédigeant son texte. Il manifeste encore un peu plus loin (122) sa largeur d’esprit en déclarant « Meteysh o mezeysh o mieysh pot hom dire… – Alqu dizo lu per luy ; e quar es acostumat, no·y volem contradir ». Plus loin (157), il exclut un trait qui est aujourd’hui un gasconisme, à savoir l’ouverture de [ɔ] en [ɑ] dans la diphtongue [ɔŭ] : « Alqu verb son que termeno aquesta singular persona del prezen de 1’indicatiu en ou, coma : plou, mou, promou, escomou, et alqu dizo : plau ab a, mau, promau, escoman, laqual pronunciatio reproam ». Et pour terminer cette revue des variations proprement phonétiques évoquées par G. Molinier, nous ajouterons un dernier trait (165) : « Le futurs del dig indicatiu es pronunciatz en diversas manieras. Alqu dizo : yeu amaray et alqu : yeu amarey ; et alqu : yeti amariey ;et alqu : yeu amare ; yeu amaray es miels dig ». Cependant que la dernière forme citée est aujourd’hui ignorée et semble historiquement un mirage – phonétiquement injustifiable, elle ne pourrait être que le produit de quelque croisement avec l’ancienne désinence des PT en « dedī », vendièi (?!)12 –  ceci nous amène à orienter les préférences de l’auteur vers un ensemble comprenant aujourd’hui, selon Alibert (Gram. occ. p. 119), le biterrois, le montpelliérain, le cévenol, le rouergat et le gévaudanais, car le toulousain emploi le type amarèi, peut-être venu depuis du gascon proche ou des zones périphériques de l’agenais, du quercynois et de l’albigeois ; la var. amarè est pyrénéenne (Foix, Donnezan, Couserans, Comminges etc.).

Si en matière de phonétique seules certaines déviations dialectales périphériques et mineures – mais excluant les gasconismes autres que ish pour iss – semblent permises par rapport à l’usage toulousain que l’auteur pare ici d’un évident prestige en matière de phonétique, voyons à présent ce qu’il en est du point de vue de la morphologie et de la morphosyntaxe.

Guilhem Molinier accepte (57) l’usage des formes les ou los au CR masc. plur. de l’article défini, mais emploie couramment pour sa part los, tandis qu’au sing. il ne paraît utiliser que lo tout en donnant à ce même § 57 comme exemple : « mal es dig le Peyres lieg, quar deu dir : Peyres lieg, ses le » ! Est-il tiraillé entre l’usage toulousain de le (déjà attesté selon Alibert à la fin du XIIsiècle) et la forme « canonique » lo des troubadours – usitée en Albigeois ?13 Cela dit, comme notre information pour ce qui touche la morphologie nominale et pronominale dans les palers actuels reste lacunaire, nous nous tournerons dès maintenant vers la morphologie verbale, ou conjugaison.

Dans ce domaine, un impressionnant polymorphisme règne dans les données des Leys, car de respectables archaïsmes, peut-être dus, du moins partiellement, à la fidélité que voue leur auteur à la langue des troubadours, y coexistent avec de hardies néologies qui annoncent directement les schémas modernes. Ainsi, à l’Indicatif Présent, il est dit (157) « En la tersa plural persona [de la cl. I] deu hom dire amo, crido, manjo. Et alqu dizo : aman, cridan, manjan ; pero miels es dig amo que aman, et enayssi dels autres e de lors semblans, jassyayssoque alqu verb son liqual solamen termeno en o aquesta tersa persona plural, coma : so, crezo, bevo, podo, volo, suefro, trazo, respondo, fondo, evelho, et enayssi d’autres granre. Et alqu autre son que fan en an solamen, coma han, van, estan, fan, desfan, refan… ». Ici, notre Toulousain semble trahir un peu sa petite patrie, en recommandant des types étumologiques qu’il connaît bien – « Et alqu dizo… » –  et qui sont bien en usage aujourd’hui en Toulousain, Agenais et pays de Foix (Alibert Gram. occ. § 99), comme en Gascogne du reste, mais auxquels il préfère des modèles plus « orientaux », mais consacrée par les ancêtres. C’est l’inverse à l’l’Indicatif Imparfait : « En la tersa plural persona del preterit imperfag de l’indicatiu se pecco alqu quar dizo : parlavo, estavo, riziau, beviau, manjavo, et enayssi de trops autres, quar hom deu dir : parlavan, estavan, rizian, bevian, et enayssi de lors semblans ». Ici, tandis que seules les trois régions susmentionnées sont fidèles au modèle latin (-ābant, -ēbant), toutes les autres ont refait leurs 3e pers. du pluriel en -on14 hérité de la désinence -unt de vendunt, capiunt, dormiunt ou encore sunt, si important. Les Leyspréconisent donc ici des types conformes à l’étymologie, au contraire de l’Indicatif Présent de la cl. I, ce qui permet de penser que ce dernier tiroir est plus sensible que les autres aux réfections analogiques en raison de sa plus grande fréquence dans les énoncés. Mais c’est encore l’Indicatif Prétérit, si complexe surtout à la future cl. II dès les origines latines, qui manifeste les plus profonds bouleversements : pour commencer, si notre auteur préconise avec insistance, à la cl. III, la fidélité au type non suffixé (pers. 1, oxytone) parti, stiffri, trahi, noyri, vi, auzi, amarvi, requiri, feri, legi (« et enayssi de lor semblans »), il préfère à une pers. 3 homophone un type en -ic, à la consonne finale évidemment analogique des Parfaits en -, aujourd’hui cantonné dans le Donezan, le Fuxéen et le Toulousain (il se développe ensuite largement en Gascogne) ; mais déjà apparaît un autre « élargissement », pourrait-on dire : (160 « Alqu dizo que granre d’aquels verbs que termeno la primiera singular persona del preterit perfag de l’indicatif en i agut (« oxytons »), com : vi, ubri, suffri, et enayssi de lors semblans, podon terminar en guicoma vi, vigui ; ubri, ubrigui ; suffri, suffrigui ; laqual causa no aproam » ; ainsi se trouve rejetée une néologie qui, à partir de la pers. 3 en -ic, devait trouver un premier développement – c’est le type florigui -igues -ic -iguem -iguetz -iguen, aujourd’hui cantonné comme nous l’avons dit –  qui en déclenchera plus tard un autre aujourd’hui géographiquement complémentaire du précédent – toujours à l’exclusion de la Gascogne, où se sont conservées ou inventées d’autres formules –  à savoir floriguèri -ères -èt -èrem -èretz -èron.: il n’en est pas question dans les Leys. Même phénomène, bien entendu, à la cl. II : ici, « … si se termena en i greu (« paroxytons »), adonx no termena en -ic, coma rizi ris : conogui conoc ; vengui venc ; begui bec ; mezi mes ; dishi dis ; et enayssi de lors semblans » ; et derechef l’auteur rejette les nouveaux développements : « Aquo meteys dizem dels autres verbs, quar alqu dizo : yeu mangegui, compregui [cl. I ! ], beguegui, avegui, figui, dishigui : aquo meteysh en las autras personas, coma : tu feguist, dishiguist ; cel dishec, beguec ; nos disheguem, begueguem ; vos disheguetz, aveguetz, cil feguego e dishego. Et aytals pronunciatios reproam del tot, coma singulars et estranhas, quar hom deu dir : yeu mangiey, compriey, begui, amey o amiey ; fi o fizi, dishi ; tu fist, dishist ; cel dish, bec, mangec ; nos dishem, fem, amem ; vos dishetz, anetz, mangetz, beguetz ; aytal fero, dishero, begro, mangera, et enayssi de lors semblans ». De fait, l’« élargissement » si massivement représenté aujourd’hui à la cl. III est moins diffusé pour la cl. II, puisqu’il est signalé par Alibert comme seulement « frequent dins los parlars septentrionals et orientals », tandis que le simple batèri -ères -èt est qualifié de « forma comuna », et que le premier développement en -ègui -ègues -èc reste circonscrit dans le Donezan, le Fuxéen et le Toulousain. Puis G. Molinier évoque les divers radicaux de Prétérit, pour lesquels il admet la coexistence de plusieurs types – nous ne pouvons ici présenter l’état moderne, car il s’agit de faits ponctuels, concernant chaque lexème verbal en particulier : « Alqun verb son que en la dicha primiera persona del dig preterit perfag del dit indicatiu han doas termenatios, coma trayshi, tragui, et enayssi en las autras personas, coma trayshist, traguist ; cel traysho o trac, et alqu dizo traguec, so que nos o aproam15, nos trayshem o traguem ; vos trayssetz16 o traguetz ; cil trayshero o traguero, et enayssi meteysh de sos composts ». Suit donc une série de formes doubles ou triples de Prétérits, desquels G. Molinier n’exclut aucun, indiquant de la sorte que le choix du radical verbal sert moins à opposer les parlers que ne le fait le jeu des morphèmes et des désinences. Cette attitude est corroborée par son approche des radicaux de Subjonctif Présent – qu’il nomme « optatiu » –  parmi lesquels on retrouve du reste nombre de radicaux de Prétérit17, encore qu’il y exerce une critique nouvelle, rejetant en fait plutôt ces derniers nommés : « E deu hom dire vuelha e non volga ; dia e non diga ; franha e non franga ; deja e non dega ; sega e non seya ni seza ; et enayssi de lors semblans »18.

Au terme de cette rapide investigation, qui n’est qu’un début car bien des éléments nous manquent encore quant à la morphologie dialectale moderne, nous ne pouvons résister au plaisir de citer encore notre vaillant critique, lorsqu’il définit une fois encore (163) sa position de principe, profitant de l’occasion, du reste, pour rejeter de nouveau les Gascons au purgatoire : « Mant home son que dizo qu’om pot dire dissigui, figui et ayssi meteys en las autras personas del singular e del plural e per conseguen en granre d’autres temps. Et aysso meteysh entendatz de las autras dictios lors semblans, quar per aquesta maniera es acostumat de dire en Tholoza e fora Tholoza, en divers locz de Gascuenha, majorment que Nat de Mons ditz que « us acostumatz escuza fais parlar ». Ad aysso respondem que aytal mot no son pronunciat en Tholoza generalmen per aquels que son natural de Tholoza, mas particularmen per alcus estranhs habitans en Tholoza o per alqus que son natural de Tholoza, liqual han longamen demorat e demoran e son majormen quar, pauzat que generalmen hom pronuncies en Tholoza aytals motz e fora Tholoza en alcus locz, encara non bastaria, quar cove que cominalmen per tota una diocezi sian acostumat de dire aytal mot. E pauzat qu’om diga aytals motz per tota una diocezi de Gascuenha o per motas, encaras no val, quar en nostres dictatz no prendem lengatge estranh sino en la maniera desus pauzada. Et appelam lengatge estranh : frances, engles,.espanhol, gasco, lombart, navares, aragones e granre d’autres ».

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1 Ce qui suppose, outre l’assimilation t-k > k-k, une mise en équivalence de la finale persane -aš et de la variante -aish du suffixe ; cf. lang, maissant adapté du gasc. maishant, lequel n’est autre que le fr. méchant !

2 Leler, « franche » et le second (« radis », de raphanu, cf. « rave ») sont des mirages (selon Palay et le FEW) ; les autres : « fille » (fîllia).

3 « Belle » (bella), « tais-toi » (calla + te).

4 « Va » (vadit), « vérité » (vēritȧte), « venu » (P en -ut – fr. id° – fait sur le radical de PT veng-, au CSSg mase.).

5 « Chèvre » (capra), « chambre » (camera).

6 Cf. cast, palabra, port.palavra.

7 « Parole » (parabola), « ainsi » (alteru + sīc) – l’afr. connaissait également le type autresi.

8 « Messire Raymond », « Messire Raoul est trop arrogant » (*arrícόs, aocc. ricόs, c.-à-d. ric de germ. rīki + -os de -ōsu). La graphie r pour noter la vibrante multiple écrite d’habitude rr n’a rien d’étonnant, et se retrouve partout au Moyen-âge.

9 Ce jugement est du reste fort intéressant, car il nous suggère que le nexus [tj] a dû donner primitivement en gascon le même produit sourd que -Cei - , produit encore bien attesté (*cocere « cuire » > [’kɔse ] et non [’kɔze ]) dans les trois vallées archaïsantes d’Ossau, Aspe et Barétous.

10 « Nous réprouvons tout à fait… l’opinion de ceux qui disent… ».

11 « Et quant on peut se demander s’ils peuvent se dire d’une seule façon ou de deux, on doit avoir recours à la prononciation des anciens, pour savoir s’ils ont admis de tels mots… ; et si l’on ne peut se renseigner de cette façon, on doit recourir à la façon de parler habituelle dans la communauté diocésaine ; et c’est bien là une chose plus difficile, quant à prononcer la langue romane, que nulle autre que nous puissions trouver, car un mot que je comprendrai, toi tu ne le comprendras pas ; et cela du fait de la diversité d’une même langue, car toi qui sera d’une ville, située dans le Toulousain, tu auras coutume d’employer un terme, tandis que moi qui serai d’une autre ville également située dans le Toulousain j’aurai coutume d’en employer un autre, et ainsi nous différerons ».

12 L’auteur préconise effectivement ce type, ex. cantiey, cf. (159) yeų ame o an o amiey o hiey amat… ».

13 En fait d’article, on remarque qu’il condamne l’emploi du vieil héritier de IPSE IPSA : (58) « Alqu se pecco en estas habitutz, quar pauzo s per l dizen : severgiers, o so vergiers es tancatz o sa taula es meza, o vau a sa carriera. Et alqu en loc de le (!) dizon es, coma : Es cavals es esfrenats, es cotels es aguzats ». Cf. le catalan des Baléares et le sarde ; encore naguère usité sur la Costa Brava (parler « salat »), et fréquent comme archaïsme en onomastique ; v. notre article Vicissitudes et avatars des héritiers romans du déterminant IPSE, in Estudis de lingüística i filología oferts a Antoni Μ. Badia I Margarit, I, pp. 1-11, Publ. de l’Abadia de Montserrat

14 En réalité, les produits cités par Alibert sont les suivants : à la cl. I, issus de -avon, on a [’abun] au centre, en Narbonnais et en Carcassonnais, [´abu] ou [´avu] au Donezan, en Albigeois, Biterrois, Montpelliérain, dans les Cévennes, au Rouergue, au Gévaudan et en Aurillacois ; à la cl. II, issus de -ίan, on a [´jɔn] au centre, en Narbonnais, Toulousain, Fuxéen et Agenais, [´iŭ] au Donezan, en Carcassonnais et au Rouerguc, [´jɔŭ] en Albigeois, au Gévaudan et en Aurillacois, [’jεsn] en Albigeois (alternant avec le préc.), Biterrois (id°) et Montpelliérain, enfin [´jɔŭ] dans les Cévennes.

15 C’est précisément là le point de départ du paradigme moderne d’un type gascon oriental -guèri -guères -guèc, etc.

16 On notera la coexistence, en parfaite équivalence, des variantes en -ish- et en -iss !

17 V. notre article Semelhanças e diferéncias entre los sistemas verbals catalan e occitan, a la lutz dels atlas lingüistics e de La flexiό verbal en els dialectes catalans d’Alcover-Moll, Actes del VIIIe Colloqui Internacional de Llengua i Literatura Catalanes, Toulouse, 1988, I 87-98, Publications de l’Abadia de Montserrat.

18 Ceci non sans une certaine incohérence : diga et franga remontent bien à des Subjonctifs dīcam et frangam. Les radicaux à vélaire – « guturalitzats » pour les Catalans – avaient sans doute mauvaise réputation, mais sega préféré à seya étymologique (sedeam) ou seza refait sur sed- étonne : l’Usage…