Revue de Théologie et de Philosophie

Bibliographie

BIB

Aurélie Netz, Femmes en quête de guérison. Spiritualité et résilience dans la maladie chronique

illustrations de Tania Netz, préface de Magali Jenny, Martigny, éditions saint-Augustin (collection « Prisme »), 2023, 242 p.

Denis MÜLLER

Théologie et spiritualités

Anthropologue, l’auteure s’est entretenue de deux à sept fois avec neuf femmes souffrant de maladie chronique, entre 2016 et 2022. Il en résulte un livre en deux parties, neuf témoignages d’abord, puis une analyse en cinq chapitres du « processus » ainsi opéré. Les témoignages sont structurés autour de trois données : la description de la maladie chronique de la personne interviewée, l’analyse de ses démarches spirituelles et enfin l’interprétation de la transformation réalisée par elle. D’une manière générale, les neuf femmes sont insatisfaites des soins médicaux reçus et s’efforcent de trouver une réponse à leur souffrance en recourant à des spiritualités plurielles et diverses. Ce qui frappe à la lecture de ces témoignages, c’est en effet la recomposition très libre des croyances en jeu dans ce cheminement spirituel. Chaque femme complète da spiritualité de départ (catholique, protestante, évangélique, etc.) par des « spiritualités alternatives » ou des thérapies non conventionnelles : chamanisme, kinésiologie, hypnose, pleine conscience, reiki, magnétisme, médecine chinoise, etc. Il en découle une spiritualité variable, chrétienne, ésotérique ou même néopaïenne. Pour l’essentiel, l’anthropologie ainsi pratiquée ne suppose pas de jugement de valeur externe à la démarche spirituelle décrite ; en particulier, elle ne propose pas de discernement proprement théologique entre les différentes formes de spiritualité à l’œuvre. Aux yeux de l’auteure, l’important réside dans l’analyse des trajectoires religieuses et thérapeutiques, dans la transformation et la guérison de la personne, rendues possibles par le cheminement spirituel comme remède à la souffrance et au mal que représente la maladie physique ou psychique. La perspective d’ensemble du livre est ensuite dégagée par les chapitres de la deuxième partie : le rapport au corps, avec la spécificité de genre attachée aux femmes, la violence genrée et le manque de reconnaissance psychique et sociale des femmes ; la pluralité des spiritualités ; les interprétations de la maladie comme douleur, souffrance et mal, avec la distinction entre maladie endogène et maladie exogène (souvent en lien avec une forme de religion) ; le pouvoir de se transformer qui traverse toutes les spiritualités et toutes les thérapies ; enfin, l’importance du récit, du « se-raconter » comme médiation de la quête de soi et d’une nouvelle perspective de bonheur et de vie. L’essai tout entier se caractérise dès lors par un double optimisme : validation positive de la pluralité non-conflictuelle des spiritualités et confiance inconditionnelle dans la possibilité holiste et moniste (au sens d’anti-dualiste) de la guérison. Un lien profond et consensuel s’établit ainsi entre spiritualité et thérapie, sans tomber dans les excès des thérapies de guérison de type idéologique (consistant notamment à chercher à modifier l’identité de genre ou l’orientation affective et sexuelle des personnes non-hétérosexuelles, orientation considérée comme une maladie). Le livre ainsi réalisé représente donc une contribution solide et encourageante au devenir soi des « héroïnes » du monde présent, illustrées et incarnées par les neuf femmes interviewées tant au sujet de leurs pratiques qu’à celui de leur discours religieux et psychologique.

À la lecture, quelques questions se posent : 1) la méthode de l’anthropologue n’est-elle pas trop conforme aux expériences et aux discours analysés, par une sorte de manque de distance critique de l’analyste plus portée à l’empathie qu’à la problématisation ? Sans doute s’agit-il ici d’une anthropologie compréhensive, mais la problématisation effectuée dans la deuxième partie peut paraître trop affine par rapport au point de vue des personnes concernées. 2) La radicalité indépassable de la souffrance et du mal n’est-elle pas sous-estimée ? (L’essai de Ricœur sur le mal est mentionné dans la bibliographie mais peu utilisé dans l’argumentation). 3) Une attention plus nette aux divergences théologiques et donc aussi spirituelles n’aurait-elle pas conduit l’auteure à mieux valider les tensions fréquentes au cœur de chaque cheminement ? 4) L’insistance ambivalente sur le monisme spirituel ne revient-il pas à privilégier l’unité de l’expérience religieuse par rapport à ses contradictions existentielles et théologiques ? L’auteure est heureusement fort nuancée dans sa démarche et maintient tout au long de son travail une attitude de respect et d’objectivité dont on doit la féliciter.