Revue de Théologie et de Philosophie

Bibliographie

BIB

Paul D. Molnar, Myk Habets (éds), T&T Clark Handbook of Thomas F. Torrance

Londres/New York, T&T Clark, 2022, 298 p.

Jean BOREL

Philosophie contemporaine

Cet ouvrage collectif est le premier « manuel » consacré à la présentation globale de l’œuvre et de la pensée du théologien écossais Thomas Forsyth Torrance (1913-2007), dont l’influence, en Écosse, au Royaume-Uni et outre Atlantique ne cesse de grandir. Disons tout de suite que c’est à lui que nous devons, comme ancien élève et admirateur de Karl Barth, et en collaboration avec le théologien catholique G. W. Bromiley, la traduction anglaise intégrale, tout à fait remarquable par sa fiabilité et sa précision, de la Dogmatique ecclésiastique, conçue comme une « édition de travail » pour tout lecteur ou étudiant ne connaissant ni l’allemand, ni le grec et le latin.

Reconnu comme « le plus grand théologien réformé depuis Karl Barth » (George Hunsinger), « le plus productif, créatif et important théologien chrétien d’expression anglaise du XXe s. (Alister McGrath, Ivor J. Davidson), le rayonnement de la pensée de Torrance n’a étonnamment pas réussi, jusqu’à aujourd’hui, à traverser la Manche ! Mis à part les traductions déjà anciennes de La science théologique par Jean-Yves Lacoste (PUF, 1990), Le sacerdoce royal par Gérard Huni (Verbum Caro 47 [1958]), Les Réformateurs et la fin des temps par Roger Brandt (Cahiers Théologiques 35 [1955]) et quelques rares articles parus autrefois dans Verbum Caro, Résurrection, Istina et la Revue d’Histoire et de Philosophie religieuse, Torrance reste largement méconnu dans l’espace réformé de langue française.

Dans les premiers exposés, les spécialistes tentent de remettre en contexte les principaux domaines dans lesquels T. F. Torrance a spécialement travaillé et acquis la renommée qu’on lui reconnaît : l’héritage historique de la théologie réformée écossaise (D. Ferguson) et l’héritage barthien (P. D. Molnar), la théologie patristique (J. R. Radcliff), le christocentrisme théologique et ecclésiologique en relation avec l’œcuménisme (J. Scandrett), la théologie du ministère et la pratique sacramentelle (T. Speidell), le lien intrinsèque entre l’épistémologie scientifique et la méthode théologique (T. Stevick). Et chacun de mettre tour à tour en lumière la spécificité propre de sa démarche théologique qui a toujours été d’envisager ces différents domaines en relation intime les uns avec les autres sans jamais les isoler, et ceci dans une conscience et une responsabilité œcuménique de la plus haute exigence. C’est ainsi que Torrance a su et voulu, à la suite de Barth, poursuivre de manière à la fois audacieuse et pédagogique « la reconstruction de la tradition théologique réformée à la lumière des Pères de l’Église et, inversement la reconstruction de la théologie patristique à la lumière de la théologie réformée » (cf. p. 110). L’originalité de Torrance fut d’éviter à tout prix l’originalité, et de se présenter lui-même, en tant que pasteur presbytérien, comme rigoureusement fidèle au principe de la sola scriptura, c’est-à-dire à l’Évangile de Jésus-Christ et à son exigence missionnaire, comme le dit Paul Molnar dans l’excellent rappel biographique qu’il brosse en introduction.

Les exposés de la seconde partie se concentrent sur tel ou tel aspect plus particulier de la doctrine chrétienne et sur la quête d’une « théologie scientifique » telle que Torrance a cherché à la mettre œuvre au cours des vingt-sept années passées au New College de l’Université d’Édimbourg comme professeur de dogmatique. Laissons-le préciser lui-même l’orientation de ses travaux et sa méthodologie : « Une théologie scientifique, comme en toute recherche rigoureuse, le contenu matériel du savoir doit être autorisé à déterminer la forme et la méthode du savoir. C’est un principe fondamental pour moi et je le dois à mes intérêts pour la théologie patristique : en quelque domaine que ce soit, c’est l’objet qui régit la connaissance en se dévoilant progressivement à nous. Cette conviction été régulièrement renforcée en moi par l’insistance que la théologie réformée, de Calvin à Barth, met à dire que nous ne connaissons pas Dieu en agissant sur lui, mais en le laissant agir sur nous : Dieu seul fait connaître Dieu. Cela veut dire que dans le travail théologique nous devons permettre à l’intelligibilité intrinsèque de Dieu, tel qu’il se révèle à nous dans sa Parole, de transformer les modes de pensée et de discours que nous mettons en œuvre pour le connaître. Il en découle qu’en toute théologie soucieuse de rigueur, la connaissance doit être constamment vérifiée, pour distinguer ce qui est objectivement réel de nos états mentaux. Un travail théologique de cette sorte de peut être mené à l’écart des sciences de la nature et de tout ce qu’elles mettent en lumière dans leur enquête sur l’ordre et l’harmonie inhérents à l’univers, à tous les niveaux. Cela ne veut pas dire qu’il soit jamais possible de bâtir une théologie à partir de ce que les sciences de la nature et la philosophie des sciences nous apprennent. Mais je crois qu’elles peuvent nous apprendre beaucoup, partout où elles laissent les réalités objectives dont elles s’occupent gouverner le cours de leur recherche. Cela m’a encouragé à venir aux prises avec elles et à élaborer ce que j’ai nommé une “philosophie de la science théologique”, où je n’ai pas hésité à emprunter au chantier des sciences naturelles et de la philosophie des sciences pour rendre le contenu de mon travail communicable en un monde de plus en plus dominé par la recherche scientifique » (cfPréface à l’édition française de La science théologique, Paris, PUF, 1990).

C’est dans cet esprit que Torrance a renouvelé dans ses nombreux ouvrages la manière d’envisager la doctrine de la révélation (J. C. McDowell), le lien entre les trois dimensions ontologique, relationnelle et personnelle dans la théologie chrétienne (G. W. Deddo), la doctrine trinitaire nicéenne (C. R. J. Holmes), l’incarnation et l’expiation (Th. A. Noble), les deux concepts d’enhypostasis et d’anhypostasis (R. T. Walker) et, enfin, la question du rapport entre l’action divine et l’action humaine, monoénergisme et synergisme ? (C. D. Kettler).

Les dernières contributions de ce manuel révèlent en une synthèse de traits significatifs les orientations fondamentales que Torrance a proposées pour toute ecclésiologie évangélique (K. Tyler), comme pour la vie chrétienne individuelle et collective (E. J. van Kuiken), pour l’homilétique (M. Habets) et l’eschatologie (A. Purves). Un index des noms cités et des thèmes traités sont dressés en fin de volume. Nous regrettons vivement l’absence d’une bibliographie de tous les travaux de T. F. Torrance qui rendrait bien des services. La seule à laquelle le lecteur intéressé pourra se reporter est celle qui demeure incomplète et que Jean-Yves Lacoste a faite pour les années 1940 à 1989 à la fin de la traduction de La science théologique (op. cit., p. 383-405).