Revue de Théologie et de Philosophie

Bibliographie

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Hubert Faes, Pour une éthique écologique

Paris, L’Harmattan, 2023, 184 p.

Denis MÜLLER

Philosophie contemporaine

Philosophe et éthicien, membre de l’Institut catholique de Paris, Hubert Faes développe ici une proposition originale d’éthique écologique. Le volume comprend deux parties : un plaidoyer et des propositions pour cette éthique écologique, d’une part (p. 1-99), des études annexes, d’autre part (p. 101-176) consacrées à la pensée de Gérald Hess et d’Hannah Arendt. Une brève conclusion clôt provisoirement le débat (p. 177-182).

L’originalité de cette approche réside dans le fait de ne pas se précipiter d’emblée sur les débats écologiques et climatiques actuels, mais de prendre de la hauteur et de la distance par rapport aux passions qui animent et parfois contaminent pareils débats.

L’auteur se réclame d’abord d’une ontologie. Puis il pose les conditions à partir desquelles l’écologie tant naturelle que politique et sociale peut se penser. Autant dire que sont dénoncées ici toutes les fausses alternatives si répandues dans le débat public comme dans les approches théoriques de l’écologie.

La prétention philosophie de l’auteur est grande, mais elle n’est ni prétentieuse ni exagérée. L’écologie oblige la philosophie et l’éthique à se transformer, à adopter un nouveau paradigme. La critique de l’anthropocentrisme et du rapport hommes/nature suppose une ontologie d’un nouveau genre. Or cette nouveauté n’est justement pas d’abord éthique, elle ne porte pas d’abord sur les valeurs, elle est d’abord et de part en part ontologique. Les êtres vivants et les humains (l’auteur écrit les hommes, au sens non genré de « Menschen ») ne sont pas référés à un grand Tout, comme le prétend à tort le holisme, mais sont des individus, en relation les uns avec les autres : ils sont conditions réciproques les uns des autres. L’individualisme méthodologique, pourrait-on dire, s’appuie sur un individualisme proprement ontologique, mais qui n’a rien à voir avec un individualisme éthique.

La catégorie de condition joue un rôle central dans la pensée de Faes, comme le lecteur peut le vérifier également dans les annexes. Par-delà toute hiérarchisation et toute lutte pour l’existence (« struggle for life ! »), les individus sont conditions les uns les autres, sur le mode de la dépendance mutuelle (on pense, en passant, à Friedrich Daniel Schleiermacher et à son sentiment de dépendance infinie). Les animaux et les plantes ne sont rien sans les hommes, et, réciproquement, les hommes ne sont rien sans les êtres vivants. Nous dépassons ici en conséquent, ajouterais-je, les perspectives radicalement ou partiellement holistes d’un Albert Schweitzer, d’un Hans Jonas (p. 52ss) ou d’un Gérald Hess.

La perspective défendue dans cet ouvrage présuppose une distinction subtile de l’éthique et de l’ontologie. Se démarquant de Levinas mais aussi de Kant, adeptes d’un primat de l’éthique ou de la raison pratique, Faes affirme sobrement, sans se prononcer sur la question du fondement de l’éthique, qu’il n’y a pas d’éthique sans l’être existant qui la précède pour ainsi dire. Cela reprend le débat classique, depuis Hume, entre l’être et le devoir-être, entre les faits (l’existence des individus) et les valeurs (contenu de l’éthique). L’important, c’est de savoir de quoi les valeurs sont les valeurs.

La première partie de l’ouvrage se conclut par une série de 7 recommandations pour une éthique écologique, modestement comprises comme « un essai de formulation ». Là non plus, le lecteur n’ira pas chercher des considérations techniques ou matérielles sur les problèmes concrets de l’écologie : les générations futures ou la justice climatique, notamment. Cela ne veut nullement dire que ces recommandations pratiques soient abstraites. Elles s’efforcent plutôt, dans la suite des raisonnements avancés plus haut, de penser l’impensé de l’éthique écologique et donc de l’écologie elle-même. Il ne suffit donc pas d’énoncer l’existence de X philosophies de l’écologie ou de la nature, à la manière de Luc Ferry ou de Gérald Hess, mais d’en réfléchir leur arrière-fond ontologique, la dépendance conditionnante et conditionnée des individus sur la terre et dans le monde.

Après un ouvrage d’une telle clarté et d’une telle force, il sera difficile aux militants ou aux protagonistes de l’éthique écologique de court-circuiter les présupposés ontologiques qu’elle contient. Dans les termes de Jean Grondin, nous pourrions dire que la perspective esquissée ici oblige l’éthique écologique à réfléchir sur ses conditions de possibilité pré-métaphysiques, avant de parvenir à déployer une « métaphysique terrestre » (DM) ou une ontologie incarnée.