Revue de Théologie et de Philosophie

Bibliographie

BIB

Hubert Aupetit, Simon Icard, Élisabeth Vuillemin (éds), Port-Royal et l’interprétation des Écritures. Actes du colloque international organisé par la Société des Amis de Port-Royal, Musée national de Port-Royal des Champs, Collège des Bernardins, 15-16 octobre 2020

Paris, Société des Amis de Port-Royal (collection « Chroniques de Port-Royal 71 »), 2021, 330 p.

Jean BOREL

Théologie moderne

S’il est un thème d’importance pour comprendre la pensée de Port-Royal et l’influence majeure que les Messieurs de Port-Royal ont eue sur la culture biblique française, c’est bien celui du rôle décisif qu’ils ont voulu donner aux Écritures et de la méthode herméneutique qu’ils y ont appliquée dans leurs commentaires. Les treize communications qui ont été données lors du colloque annuel des Amis de Port-Royal et rassemblées dans ce volume en proposent une approche diversifiée et riche d’enseignements. La réflexion s’est organisée autour de deux axes principaux : celui de rendre compte des différents contextes où l’on trouve, à Port-Royal, une interprétation des Écritures, et celui de situer Port-Royal dans l’histoire de l’exégèse.

C’est à Gilbert Dahan que revient l’honneur d’ouvrir le colloque et d’exposer les orientations dominantes qui guidèrent la nouvelle traduction de la Bible par Le Maistre de Sacy, laquelle eût un impact déterminant en France durant plus de deux siècles, chez les catholiques comme chez les protestants. Réalisée à partir de la Vulgate, cette traduction est intéressante, dit l’auteur, par les nombreux recours à l’hébreu et au grec que Sacy et les amis qui travaillèrent avec à lui à ce projet – le Grand Arnaud, Pierre Nicole, Antoine Lemaître, Pascal et d’autres encore –, ont pris le soin de faire, ainsi que par les notes qu’ils ont ajoutées à la traduction.

Après l’exposé de Jean-Robert Armogathe sur les remous et conflits suscités par la publication de la traduction du Nouveau Testament à Mons en 1667, et la « violence peu commune » avec laquelle le Grand Arnaud prit sa défense, Annie Noblesse-Rocher donne un aperçu fort pertinent de la manière dont Jansénius s’est reporté aux exégètes protestants hébraïsants et les a utilisés dans ses propres écrits, soit pour les contester soit pour mieux définir le sens littéral des textes bibliques. Suivent deux contributions, la première sur l’utilisation particulière que les commentaires de la Bible de Port-Royal font des livres sapientiaux (Proverbes, Ecclésiastique, Ecclésiaste, Sagesse) et la conception de la morale que cette utilisation met en œuvre (Élisabeth Vuillemin), la seconde sur le sens du choix des versets bibliques que Racine mobilise dans Esther, Athalie et les Cantiques spirituels écrits pour Saint-Cyr. Victoire Malenfer montre comment le dramaturge « fait de l’interprétation un geste poétique et utilise la puissance de synthèse de ses vers pour affirmer la pertinence d’une lecture figurative de la Bible ».

Avec la conférence de Denis Donetzkoff, nous découvrons avec intérêt l’influence que la lecture spirituelle et allégorique de la Bible faite par Origène a exercée sur Saint-Cyran, et dont témoignent massivement sa Correspondance et les Pensées sur le sacerdoce. Quant à Hubert Aupetit, il met remarquablement en lumière l’art avec lequel Pascal tente de comprendre et de résoudre, par le recours aux deux natures du Christ, et par la pensée figurative qui les articule l’une à l’autre en permettant ainsi de passer de la vie charnelle à la vie spirituelle, le ‘ferment des contradictions’ qu’il découvre dans l’Écriture.

Ce qui fait l’originalité évidente de la démarche théologique et spirituelle des Messieurs de Port-Royal est sans conteste le désir qu’ils ont manifesté de toujours mieux connaître les écrits des Pères de l’Église afin de leur être fidèles. Cette préoccupation a pris corps dans le commentaire de la Bible de Port-Royal et Pierre Descotes nous en démontre brillamment la mise en œuvre originale dans l’exégèse qu’ils font du Prologue de Jean et de la rencontre avec Nicodème (ch. 3). De son côté, Simon Icard met en relief en quelques aspects du « figurisme de type apocalyptique » qu’ont pratiqué les commentateurs port-royalistes dans leur tentative de déchiffrer les tumultes de l’histoire à la lumière des Écritures, éclairant de cette façon aussi bien les élus sur l’accomplissement des prophéties relatives à la fin des temps que la persécution de Port-Royal. Charles-Antoine Fogielman poursuit en montrant comment cette méthode du figurisme janséniste se situe entre les deux grandes écoles de l’allégorisme alexandrin et du littéralisme antiochien, et comment Augustin « incarne l’équilibre entre une acceptation raisonnée de l’interprétation allégorique et une juste prise en compte du sens littéral » (p. 211).

Enfin, Leonhard Hell défend l’attribution des Règles pour l’intelligence des Saintes Écritures, publiées en 1716 à Paris sans nom d’auteur, à Jacques-Joseph Duguet. Simon Icard met en lumière la méthode de travail différenciée de Jansénius suivant qu’il rédigeait son Augustinus ou qu’il composait ses commentaires scripturaires, et Hubert Aupetit termine par un magnifique exposé sur la dynamique figurative des Pensées en montrant que c’est elle qui « explique le mouvement de la partie anthropologique à la partie religieuse du classement en liasses titrées tel que nous l’ont transmis les copies. La charité, ici, dit-il, n’est plus vertu théologale ni moyen d’accéder au salut, mais point d’aboutissement surnaturel d’un parcours terrestre guidé par une pensée figurative rigoureuse menant du divertissement à la conversion » (p. 290). Un index des noms, concepts et thèmes traités est dressé en fin de volume.