Revue de Théologie et de Philosophie

Bibliographie

BIB

Dörthe Führer, Mikkel Mangold, Katalog der mittelalterlichen Handschriften des Franziskanerklosters Freiburg

Basel, Schwabe Verlag, 2023, 499 p.

Ruedi IMBACH

Philosophie et religions antiques et médiévales

Ce vaste catalogue dont la réalisation fut rendue possible par de nombreuses institutions suisses dont l’Académie suisse des sciences humaines et le Fonds national de la recherche scientifique contient la description scientifique des 144 manuscrits médiévaux conservés dans la bibliothèque du Couvent des Franciscains de Fribourg. Le catalogue proprement dit, qui décrit les manuscrits selon les rubriques habituelles d’une telle publication (p. 55-399), est précédé d’une introduction (p. 7-50) et suivie de plusieurs index (outre le registre des noms de personnes, lieux et choses, p. 402-424, on trouvera un répertoire étendu des initia des textes décrits, p. 402-414). Le volume, rédigé en allemand, est complété par la traduction française de l’introduction (par Magdalena Herzog). Le contenu historique, codicologique et paléographique de l’ouvrage sera sans doute évalué et apprécié par les spécialistes de ces domaines, mais il importe de rendre attentif à la contribution d’une telle publication à l’histoire intellectuelle de la Suisse médiévale. La collection des livres du couvent fribourgeois (fondée dans la deuxième moitié du XIIIe siècle) est incontestablement d’abord une source significative pour l’histoire de l’ordre franciscain, mais il convient de ne pas méconnaître l’apport de cette publication à la connaissance de la vie intellectuelle au XIVe et XVe s. en Suisse (en effet la majorité des manuscrits datent de ces deux siècles). Une partie très significative des manuscrits conservés provient des collections de trois religieux : Frédéric Amberg († 1432), Conrad Grütsch († 1475) et Jean Joly († 1510). Ces collections sont d’abord des témoins des études et des intérêts de leurs propriétaires, mais livrent également des informations sur la circulation des idées à la fin du Moyen Âge. Amberg, par exemple, s’intéressait manifestement au conflit entre le pape Jean XXII et Louis de Bavière (Ms. 60, p. 199-204), comme un traité polémique sur le sujet le confirme. Un autre de ses manuscrits contient des extraits importants du Tractatus de principiis theologiae attribué parfois à Guillaume d’Ockham (Ms. 51, p. 170-173). Dans le même manuscrit on trouve également des traces des discussions que le même pape d’Avignon avait provoquées par ses thèses sur la vision béatifique. On n’est pas trop surpris de trouver dans la collection d’Amberg un manuscrit du célèbre Defensor pacis de Marsile de Padoue, sans doute le plus célèbre traité médiéval qui entend promouvoir une politique laïque et qui critique sévèrement les prétentions politiques de la papauté (Ms. 28). La collection de Gütsch témoigne de ses études à Paris, Vienne et Strasbourg. Il était manifestement intéressé par la philosophie comme l’atteste notamment le manuscrit 43 (p. 144-148) qui contient une série de traités de François de Meyronnes († 1328), le célèbre disciple de Jean Duns Scot, dont on peut mentionner l’important Tractatus de transcendentibus. Parmi les manuscrits laissés par Jean Joly, plusieurs proviennent sans doute de ses études et concernent la logique – par ex. l’important traité De la pureté de l’art logique de Gauthier Burley (Ms. 72, p. 259 ; on trouve encore des œuvres de cet auteur important dans les manuscrits 26, p. 119-120, et 39, p. 134-137) –, ou encore la métaphysique : le manuscrit 72 contient en effet plusieurs œuvres concernant la philosophie première de François de Mayronnes, par ex. Questio de ente ou De transcendentibus (p. 263-264). Il n’est certes pas surprenant que l’on trouve dans cette bibliothèque beaucoup d’auteurs franciscains (en plus de ceux qui ont déjà été mentionnés, on peut évoquer Pierre de Candie (1340-1410), le pape Alexandre V dont le Ms. 20 transmet le Commentaire des Sentences), mais on y découvre aussi un nombre considérable de commentaires d’Aristote auxquels a rendu attentif il y a un certain temps déjà Charles Lohr dans son important catalogue des œuvres aristotéliciennes en Suisse (Aristotelica Helvetica, Fribourg, Éditions universitaires, 1994, p. 203-240). Ce rapide survol de certains aspects de cette publication atteste cependant l’intérêt d’une telle édition d’un catalogue qui est le fruit d’un travail patient, minutieux et laborieux qui a bénéficié d’un certain nombre de travaux antérieurs, comme la thèse de doctorat de Christoph Jörg sur F. Amberg (1971). L’érudition dont ce volume est le témoignage est au service d’une étude et d’un effort de compréhension approfondi de la vie intellectuelle du passé. Cette science méritoire permet, dans le cas présent, de se rendre compte de la vivacité des échanges intellectuels à la fin du Moyen Âge. On découvre en effet dans cette bibliothèque de province, somme toute assez modeste, les traces des débats intellectuels qui se sont déroulés à Avignon, Munich, Oxford et Paris.