Revue de Théologie et de Philosophie

Dossier

DOSSIER_155.4

Introduction

Dimitri ANDRONICOS

Cèdres Formation, Lausanne

Simon BUTTICAZ

Université de Lausanne

Jean-Christophe EMERY

Cèdres Formation, Lausanne

Soixante ans : c’est l’âge – vénérable – du Séminaire de culture théologique (SCT) de l’Église Évangélique Réformée du Canton de Vaud (EERV). Lancé en 1962 au sein de l’Église libre1, il a poursuivi durant plus de cinq décennies, à la suite de la fusion des deux Églises réformées que comptait jusqu’en 1965 le paysage ecclésiastique vaudois2, sa carrière andragogique dans l’EERV. Et aujourd’hui encore, l’heure de la retraite n’a pas sonné. Loin de là ! Car le Séminaire de culture théologique peut se targuer d’une fréquentation à faire mentir les statistiques sur la déchristianisation3 des cantons suisses4. Comment expliquer cette exceptionnelle longévité ? Qu’est-ce qui en fait le succès, aujourd’hui comme hier ? Un retour sur ces six décennies au service de la formation théologique en Pays de Vaud est susceptible d’ouvrir une lucarne sur les enjeux – les chances comme les risques – de l’enseignement de la théologie en Occident, en tradition protestante réformée en l’occurrence.

C’est la motivation qui a présidé à la mise sur pied le 3 mars 2023 à l’Université de Lausanne d’une journée commémorative à l’occasion des soixante ans du Séminaire et dont certaines communications, révisées, sont publiées dans le présent numéro de la Revue de Théologie et de Philosophie5. Organisée conjointement par Dimitri Andronicos et Jean-Christophe Emery, co-directeurs de Cèdres formation qui héberge de nos jours le SCT, et par Simon Butticaz, professeur de Nouveau Testament et de traditions chrétiennes anciennes à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne, lui-même ancien enseignant au SCT, ce colloque a permis de revenir sur cette page d’histoire, en exposant le contexte, certains acteurs et les grandes intentions au principe du Séminaire de culture théologique, tout en prolongeant la réflexion sur les enjeux (pédagogiques et théologiques, notamment) que soulève aujourd’hui l’enseignement de la théologie dans un contexte ecclésial.

Dans le détail, la première contribution de Sarah Scholl, professeure associée en Histoire du christianisme à la Faculté autonome de théologie protestante de l’Université de Genève et enseignante au SCT, revient sur le contexte large et proche qui a vu l’émergence du Séminaire de culture théologique. Loin d’être un phénomène culturel idiosyncrasique, sa création traduit au sein du protestantisme vaudois le renouveau qui balaye alors l’Occident chrétien et qui reprend en bonne part et à l’intérieur de l’Église ce que l’autrice appelle « la révolution politico-culturelle » représentée par Mai 68. Avec – comme mot d’ordre – l’accès de la théologie pour tous, en affranchissement de l’autorité dogmatique et morale des clercs.

Grand connaisseur de l’histoire religieuse du Canton de Vaud à l’époque moderne, Jean-Pierre Bastian, professeur émérite de Sociologie des religions à l’Université de Strasbourg, examine dans la deuxième étude les fondements du Séminaire de culture théologique. On y découvre l’empreinte laissée par la tradition huguenote et le piétisme vaudois sur Pierre César Bonnard, père fondateur du Séminaire de culture théologique, l’ADN libriste – informé par la pensée d’Alexandre Vinet – de ses directeurs successifs jusqu’en 1975, l’horizon laïc de la formation (là encore, en conformité avec le projet social de l’Église libre), la place de choix réservée à la Bible dans l’enseignement ainsi que les présupposés épistémologiques et méthodologiques – à la fois (historico-)critiques et confessants – qui en guidaient la lecture. Ce faisant, Bastian montre l’indéniable cohérence axiologique et l’homogénéité théologique du modèle d’enseignement qui s’est développé au cœur du protestantisme réformé vaudois et la manière dont il participait plus largement d’une ecclésiologie d’inspiration libriste.

La troisième contribution est celle de Simon Butticaz. C’est à partir des propres travaux de Pierre Bonnard sur la question qu’elle procède. En effet comme le rappelle Daniel Marguerat, cette œuvre s’inscrit au croisement de deux gestes majeurs : l’un exégétique, l’autre éducatif6. Que sa première monographie, parue en 1948, les conjugue étroitement n’est de ce point de vue guère fortuit. Son titre : Jésus-Christ édifiant son Église. Le concept d’édification dans le Nouveau Testament7. Historique et linguistique, cette enquête de synthèse ne s’abîme toutefois ni dans l’érudition de cabinet ni dans l’archéologie du sens. Elle vise à faire entendre par-delà les siècles la finalité et les écueils de ce que le Nouveau Testament, l’apôtre Paul notamment, appelle l’« édification ». À l’heure du bilan, deux convictions se dégagent de ce bref opuscule. Primo : le refus de réduire l’horizon de l’« édification » à la sphère individuelle, à la seule intimité religieuse – ce que l’on nommerait aujourd’hui le « développement personnel ». Lecteur attentif du Nouveau Testament, Bonnard ne conçoit pas l’édification « [...] en dehors du peuple que le Seigneur se rassemble dans chaque communauté locale »8. Secundo : le rejet de toute confusion de l’Église, de son « édification », avec une entreprise humaine de croissance numérique et démographique. En aucun cas, la formation – catéchétique ou théologique – de l’Église n’a pour ambition l’avènement d’« un grand édifice ecclésiastique »9, mais bien plutôt « l’habitation de Dieu en [elle] »10. L’une comme l’autre, ces deux convictions, bien loin d’être surannées, tracent les contours de la vocation fondamentale de l’enseignement de la théologie en Église, hier comme aujourd’hui.

Avant de laisser la lectrice, le lecteur découvrir par lui-même ces contributions, nous profitons de ces lignes pour remercier les institutions et les personnes qui, d’une manière ou d’une autre, ont collaboré à l’organisation de cette journée commémorative et à la publication des textes ici réunis : Cèdres formation et l’Église Évangélique Réformée du Canton de Vaud (EERV) ainsi que l’Institut Romand des Sciences Bibliques de l’Université de Lausanne (UNIL) qui ont matériellement soutenu l’organisation de la journée du 3 mars 2023 ; Mmes Anne Alberti et Charlotte Eidenbenz, assistantes administratives à Cèdres formation, ainsi que Mme Marie Duruz, assistante diplômée et doctorante à l’UNIL, qui ont activement collaboré à sa tenue et, pour cette dernière personne, à l’harmonisation et à la révision formelles des textes composant ce petit ensemble thématique. Sur un plan formel toujours, nous disons notre gratitude à Mme Apolline Thromas, secrétaire de rédaction à la Revue de Théologie et de Philosophie, et à Mme Melinda Tacchi, responsable de fabrication chez Droz, qui ont également contribué au travail de préparation éditoriale de cet ensemble thématique. Enfin, nous remercions le comité de rédaction de la Revue de Théologie et de Philosophie d’avoir accepté ces textes pour publication, accompagnant leur édition d’utiles suggestions et remarques. Chacune, chacun a ainsi permis de faire de cet anniversaire un fructueux temps de rétrospective et de prospective, augurant – nous l’espérons – le meilleur pour les soixante années à venir.

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1Jean-Pierre Bastian, La fracture religieuse vaudoise. 1847-1966, Genève, Labor et Fides, 2016, p. 130.288. Voir aussi, à ce sujet et pour ce qui suit, les contributions de Jean-Pierre Bastian et de Sarah Scholl dans le présent ensemble thématique ainsi que Daniel Marguerat, « Pierre Bonnard (1911-2003) », Revue de Théologie et de Philosophie 135 (2003), p. 289-297.

2À ce propos, on lira J.-P. Bastian, La fracture religieuse vaudoise. 1847-1966, op. cit. ; Bernard Reymond, La multitude pour horizon. L’Église nationale vaudoise 1798-1966, Le Mont-sur-Lausanne, Ouverture, 2017.

3Cf. Roland J. Campiche, Alfred Dubach, Claude Bovay, Michael Krüggeler et Peter Voll, Croire en Suisse(s). Analyse des résultats de l’enquête menée en 1988/1989 sur la religion des Suisses, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1992 ; Martin Baumann, Jörg Stolz (dir.), La nouvelle Suisse religieuse. Risques et chances de sa diversité, trad. Antoine Panchaud, Genève, Labor et Fides, 2009.

4Plus de 50 personnes fréquentent actuellement l’une des deux volées en cours.

5Parmi les interventions au programme, celle de la Dr Lauriane Savoy, intitulée « Les femmes en deuxième classe dans le train de la formation théologique ? Les années 1930 », n’a pas été intégrée à la publication, dans la mesure où elle reprenait des éléments publiés dans Ead., Pionnières. Comment les femmes sont devenues pasteures, Genève, Labor et Fides, 2023, en particulier en son chapitre 1, dans la section intitulée : « Les ministères féminins : un progrès ou un piège ? », aux p. 59-78. Figuraient par ailleurs au programme de cette journée d’autres communications encore ; elles devraient connaître une seconde vie dans le numéro 53 de la Revue des Cèdres. Soit : une communication de Dimitri Andronicos intitulée « Les défis de la formation théologique à l’âge séculier ou la pertinence de l’approche de Paul Tillich » (la version retravaillée s’intitule : « Pour que la personne advienne. Entrer en théologie à l’aune d’un concept charnière »), une intervention de Jean-Christophe Emery, sous le titre : « De l’usage pédagogique de la théorie socio-cognitive d’Albert Bandura pour la formation théologique » (la version retravaillée pour publication porte le titre : « De l’apprentissage en théologie »), ainsi que celle de Daniel Marguerat sur « Pierre Bonnard et le Séminaire de culture théologique : le retour aux sources en temps de crise ».

6D. Marguerat, « Pierre Bonnard (1911-2003) », art. cit., p. 289-297. Voir aussi Id., « Pierre Bonnard et le Séminaire de culture théologique », art. cit.

7Pierre Bonnard, Jésus-Christ édifiant son Église. Le concept d’édification dans le Nouveau Testament, Paris/Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1948.

8Ibid., p. 38.

9Ibid., p. 39.

10Ibid.