Yann Schmitt, Introduction à la philosophie des religions
Paris, Ellipses, 2021, 408 p.
Voilà un manuel de grande valeur, à destination des étudiant·es en philosophie, en sciences religieuses et en théologie, pour comprendre le champ et les questionnements de la philosophie des religions. Le pluriel est ici nécessaire pour l’auteur parce qu’il n’est pas possible de déterminer une essence commune à toutes les religions qui qualifierait ce que serait une religion, même si l’on peut identifier un « air de famille » entre elles, qui permet d’en circonscrire le champ d’étude (ch. 1). Informé par les analyses descriptives des sciences sociales, l’ouvrage définit le propre de la philosophie des religions : produire une critique, non pas destructrice mais évaluative, des religions quant à leur prétention à la vérité, et conséquemment à leur pertinence morale ou politique. L’ouvrage s’articule en trois parties. La première présente les concepts fondamentaux pour penser les religions (croyances, langage, rites, et expériences) et les différentes approches philosophiques et débats qu’ils suscitent (épistémologie des croyances religieuses, herméneutique des symboles et des mythes, phénoménologie des expériences religieuses, etc.). La seconde partie interroge la prétention à la vérité des croyances religieuses, d’abord en analysant « l’erreur génétique » qui consiste à conclure à la fausseté des croyances en expliquant leur origine sociale ou psychologique (ch. 6). Puis, après avoir présenté ce qu’on entend généralement par le concept de Dieu dans un contexte théiste (ch. 7), l’auteur expose les principaux arguments en faveur de l’existence de Dieu (ontologiques, téléologiques, cosmologiques, et inductif) et contre celle-ci (les arguments dérivés de l’existence du mal, de la pluralité des religions et l’argument du Dieu caché). Cette partie s’achève par une présentation des débats sur les rapports entre sciences (sciences de la nature et sciences humaines et sociales) et religions. Enfin, la troisième partie interroge la place des religions dans la vie morale et politique en cinq chapitres : sur la mort et l’hypothèse d’une vie post mortem ; sur le rapport entre croyances religieuses, conduites et théories morales ; sur la question du sens de la vie et la pertinence des religions pour y répondre ; sur la sécularisation et la persistance du religieux ; et sur la question de la violence religieuse et de la laïcité comme institutionnalisation de la tolérance pour y mettre fin. Écrit de façon claire, et accessible sans connaissance préalable afin que le lecteur ou la lectrice puisse se faire un premier avis informé sur chaque débat, l’ouvrage comprend à la fin de chaque chapitre une bibliographie indicative permettant d’approfondir la réflexion. Au fil de la lecture se dessine ainsi une réponse à la question sans cesse renouvelée de la légitimité de la philosophie des religions située entre la théologie comme intelligence par une religion de sa révélation, et les sciences religieuses qui analysent les religions en suspendant la question de leur vérité et de leur pertinence morale et politique. À équidistance de deux extrêmes – la philosophie religieuse qui admet l’hétéronomie à l’égard du divin ou d’une tradition pour penser la religion, et la philosophie antireligieuse qui entend uniquement démontrer que les religions sont des formes de vie fausses et aliénantes –, la philosophie des religions fait vivre un espace public de discussion sur les phénomènes religieux, auquel croyants comme non croyants peuvent prendre part. L’ouvrage complète judicieusement les deux autres introductions à la philosophie de la religion parues en langue française ces dernières années : la somme historique de Jean Greisch, Le Buisson ardent et les Lumières de la raison. L’invention de la philosophie de la religion (3 tomes, Paris, Cerf, 2002-2004), et l’œuvre de Vincent Delecroix, Ce n’est point ici le pays de la vérité. Introduction à la philosophie de la religion (Paris, éd. du Félin, 2015) qui pense la tâche de la discipline à partir de la norme en crise au cœur du rapport entre philosophie et religions, raison et foi : la vérité.