Peter Gasser, Musse als Lebensphilosophie. Von der Lust, sich selbst zu erfinden
Baden-Baden, Deutscher Wissenschaftsverlag, 2021, 145 p.
Le loisir (Musse) constitue le pilier fondamental de la philosophie de la vie, et qui nous ouvre à la dimension gratuite de l’existence temporelle. Donner du temps au temps, en se préservant d’une vision calculatrice et utilitariste du monde vécu, c’est se servir du « plaisir de s’inventer soi-même », comme l’énonce l’appétissant sous-titre de l’ouvrage. L’auteur passe en revue quasiment toute l’histoire de la philosophie, avec des chapitres spécifiques sur Aristote, Sénèque, Pic de la Mirandole, Montaigne, Rousseau, les Lumières et les anti-Lumières, Schopenhauer et Nietzsche. Le livre se termine par une analyse des propos de Hermann Hesse et de Bertrand Russel, suivie d’une présentation du penseur coréen Byung-Chul Han et du sociologue italien Domenico de Masi, deux auteurs contemporains d’envergure. Un épilogue résume avec brio l’intention profonde de l’auteur : réécrire une nouvelle éthique du travail qui surpasse les défauts de l’éthique protestante, celle des Réformateurs mais aussi celle de Kant et du sociologue Max Weber. Le concept central de cette reconstruction impressionnante est précisément celui de loisir, scholè en grec, otium en latin. De fait, selon Gasser, la modernité et le capitalisme ignorent purement et simplement la distinction que faisait Sénèque entre le loisir et l’oisiveté (otium et otiositas, Müssiggang en allemand). Bref : ce livre passionnant, très bien construit et rédigé, est une contribution remarquable au débat actuel sur le sens du travail, la valeur du loisir, le droit à la paresse (selon l’expression de Paul Lafargue en 1883 déjà) et la relation entre la vie contemplative et la vie active. Comme éthicien protestant, je reçois pleinement le questionnement critique de Peter Gasser envers « l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme » (Weber) ; je pense qu’une meilleure compréhension du loisir et du temps libre est de nature à renouveler l’éthique du travail et le sens de la vie. Car, comme l’écrit si justement l’auteur, la philosophie elle-même est un art de vivre, qui rejoint, selon moi, l’intention théologique et éthique dans sa prise en compte de la supériorité de la grâce et de la gratuité sur l’hybris utilitariste et capitaliste.