Book Title

Jean-Marie Gueullette, La spiritualité est américaine

Paris, Cerf, 2021, 221 p.

Elio JAILLET

L’auteur est théologien dominicain, enseignant à l’Université catholique de Lyon. Ses publications portent notamment sur l’histoire de figures de la spiritualité chrétienne en catholicisme et le développement de jalons pour la vie spirituelle pour aujourd’hui. La monographie proposée ici vise notamment à offrir une porte d’entrée à la recherche anglophone autour de la spirituality. L’auteur donne ainsi accès aux recherches d’auteurs classiques de l’étude de la « spiritualité » dans l’aire anglosaxonne, tels Robert Wuthnow (After Heaven, Berkeley, University of California Press, 1998), Robert C. Fuller (Spiritual but not Religious, Oxford, Oxford University Press, 2001) ou encore Grace Davie (Religion in Britain since 1945. Believing without Belonging, Oxford, Blackwell, 1994) mais aussi à des recherches plus récentes, comme celles de Nancy T. Ammerman (« Spiritual But Not Religious? », Journal for the Scientific Study of Religion 52/2 [2010], p. 258-278). L’un des enjeux de l’ouvrage est également de présenter les accents spécifiques de la spiritualité portée par le monde anglophone. L’auteur les concentre autour de trois idées : la liberté (notamment à l’égard de la manière dont la relation entre communautés religieuses et sphères civiles se sont articulées en Europe), l’expérience (le rôle central des affects et des émotions dans le rapport à soi et à la transcendance, ainsi qu’une rationalisation expérimentale de cette dimension affective) et la connaissance (l’individu est capable d’avancer de lui-même dans la connaissance de Dieu, en vue d’un épanouissement personnel dans l’ici-bas). Le développement de ces idées centrales est à chaque fois rapporté par l’auteur à des contextes d’émergences spécifiques (indépendance coloniale, camp meeting, Réveils, expérimentations autour de la mort imminente, etc.) ainsi qu’à des figures et des courants emblématiques de cette « spiritualité à l’américaine » : l’idéologie puritaine, les textes d’Emanuel Swedenborg, les transcendantalistes ou le mormonisme, le spiritisme, etc. Il en ressort le portrait d’une spiritualité de marque protestante-calviniste, qui a évolué dans une autre direction que ce que le protestantisme européen a généré dans un contexte structuré par le confessionnalisme. Le livre se conclut avec une évaluation « catholique » de la spirituality anglo-saxonne. Cette section, qui se signe par son ouverture et sa réceptivité, peut également se comprendre comme une amorce de dialogue entre une conception catholique-européenne de la spiritualité qui serait plus marquée par le tragique de la croix et une conception protestante-anglo-saxonne, plus marquée par un enthousiasme lié aux motifs de la résurrection et de l’effusion de l’Esprit. Je souhaite indiquer une réserve : ce que l’auteur ne saisit à mon sens pas suffisamment, c’est à quel point ce courant anglo-saxon de la spiritualité influence déjà le développement contemporain des usages du lexique du « spirituel » dans l’aire européenne. En ce sens, l’ouvrage entretient l’illusion que cette spiritualité à l’américaine serait un phénomène extérieur à la culture européenne, alors-même qu’il la travaille déjà de l’intérieur – ne serait que par sa présence importante dans la pop culture ou son rôle dans le développement du spiritual care.