Book Title

Friedrich Daniel Ernst Schleiermacher, Herméneutique. Pour une logique du discours individuel

Présentation, traduction et notes par Christian Berner, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion (collection « Opuscules φ » 38), 2021, 286 p.

Jean-Pierre SCHNEIDER

Ce recueil thématique, qui donnait au lecteur francophone un accès direct à la doctrine herméneutique de Schleiermacher (1768-1834), paru pour la première fois en 1989, était depuis longtemps épuisé. L’auteur en propose aujourd’hui une nouvelle édition entièrement revue, corrigée sur le texte de la Kritische Gesamtausgabe (2012) et augmentée de deux nouveaux textes traitant de la critique philologique, science apparentée à l’herméneutique : texte no VI : « Manuscrit sur la critique (probablement 1826) » et texte no VIII : « Conférence sur le concept et la division de la critique philologique » (conférence du 30 mars 1830, dans la traduction de Denis Thouard). Si, dans les études philosophiques et philologiques, Schleiermacher est surtout connu comme le père de l’herméneutique moderne, il faut souligner avec l’auteur que le théologien et philosophe allemand « ne plaçait pas l’herméneutique au cœur de son système » (p. 11), mais la considérait comme une « discipline auxiliaire » (p. 21), conçue comme un art, exigeant habileté et talent, et excluant toute application mécanique de règles (p. 166). De fait, le dossier des textes publiés ici relève du Nachlass (notes de cours, cahiers du maître et d’étudiant, notes marginales, conférences achevées, mais non publiées du vivant de l’auteur). Mais, s’il n’a pas publié de traité sur l’herméneutique, Schleiermacher a pu appliquer sa théorie dans les introductions à ses éditions de Platon (1804-1828) et dans ses divers travaux sur le Nouveau Testament. En dehors du cercle restreint des spécialistes, on n’a souvent retenu de l’herméneutique de Schleiermacher que la notion de cercle herméneutique – rapport réciproque de la partie (ou du « détail ») au tout (p. 174 ; 234 et p. 254 où la notion est rapportée au philologue et historien de la philosophie Friedrich Ast) et l’affirmation selon laquelle l’interprète accompli vise à comprendre l’auteur mieux que celui-ci ne s’est compris (p. 80 ; 121 ; 160 ; 173 ; 178). Pourtant, l’intention du penseur allemand a toujours été de proposer une théorie de l’interprétation – et non pas un agrégat d’observations –, véritable méthode, exposée sous une forme scientifique, qui n’existait pas avant lui (p. 234 ; Schleiermacher discute toutefois certaines thèses de savants comme Wolf et Ast, auxquels les philologues d’aujourd’hui se réfèrent encore, au premier pour ses travaux sur Homère, au second pour ses éditions et son lexique de Platon). Or, comme nous ne possédons pas, de la plume de Schleiermacher, de traité systématique de l’art de comprendre et d’interpréter, mais seulement de notes de cours ainsi que de conférences « programmatiques » destinées à un public savant, les matériaux publiés dans ce volume permettent de reconstituer dans les grandes lignes la théorie dans sa structure et ses divisions fondamentales, comme la distinction, à valeur de complémentarité, entre une partie dite psychologique (ou « technique ») centrée sur l’auteur, sa pensée et ses intentions, c’est-à-dire sur l’individuel – aspect subjectif –, et une partie dite grammaticale traitant de la langue dans laquelle s’exprime l’auteur – aspect objectif –, commune à ce dernier et à ses lecteurs, dépassant donc les individus. D’autres distinctions mériteraient d’être discutées, comme celle établie entre une herméneutique générale, relevant plus directement de la philosophie, et des herméneutiques spéciales (pour le théologien, ces dernières comprennent essentiellement les exégèses du Nouveau Testament, pour le juriste, les textes de lois, etc.). Quoiqu’il en soit, comme le relève Schleiermacher encore en 1829, l’herméneutique comme discipline est dans un « état encore cahotique » (p. 272), en tout cas inachevé. On notera que le texte lui-même de Schleiermacher, contemporain de Hegel et de Fichte, nécessite, aujourd’hui, la mise en œuvre des principes herméneutiques théorisés par le philosophe allemand : en effet, le style presque toujours abstrait de la rhétorique universitaire allemande de l’époque produit un texte qui, dans son caractère étranger (pour reprendre une expression du philosophe), exige pour sa pleine compréhension que nous empruntions les outils-mêmes de l’herméneutique (voir par exemple des phrases interminables, p. 249 [« À savoir que... »], p. 263 [« la compréhension parfaite... »]). Précisons encore que le texte le plus clair et le plus précis est le cahier intitulé ici « Herméneutique 1819 » (texte no IV, p. 163 sqq.). Le sous-titre de l’ouvrage, qui paraîtra à première vue étrange au non-spécialiste, renvoie sans doute à l’idée selon laquelle l’acte d’interprétation vise fondamentalement à remonter au sens qu’un individu – l’auteur – imprime dans la langue, oralement ou par écrit.

Corrigenda pour une 3e édition. P. 7 : Sommaire ; p. 28 : Académie ; p. 30 : répartir ; p. 32 : application au Nouveau Testament ; ont été prononcées ; p. 43 : § 1 à dégager ? ; p. 151 : il y ; p. 171 : après qu’on s’est mis ; p. 190 : du Nouveau Testament ; p. 192 : coram deo ; p. 208, ligne 2 : est ; p. 218 : de côté ; p. 222 : de se soucier ; p. 234, n. 5 : titre incomplet ; p. 237, n. 15 : et ; p. 239 : supprimer le second « il y a » ; p. 242 : je crains que... fasse perdre ; p. 249 : bien que nous soyions ; p. 250 : l’autre aspect : ; p. 256 : bien que cela soit ; p. 257 : donner tort ; p. 259 : ambiguë ; p. 263 : quelqu’intelligente que soit ; venues à l’esprit. On regrette que la typographie du grec (passim) soit si négligée (accents, esprits) ou fautive (par exemple σμῆνος, « essaim », p. 145).