Theodore G. Van Raalte, Antoine de Chandieu: The Silver Horn of Geneva’s Reformed Triumvirate
New York, Oxford University Press (collection « Oxford Studies in Historical Theology »), 2018, ix + 364 p.
Les débats sur le rapport entre la scolastique réformée et la Réforme se concentrent le plus souvent sur la transition entre Calvin et Théodore de Bèze, en omettant l’un des penseurs réformés les plus importants de l’époque à Genève, à savoir Antoine de Chandieu (1534-1591). Baron français fortuné et influent, on tenait pourtant Chandieu pour l’un des théologiens les plus érudits de son temps. Ses travaux sur la méthode font de lui une figure intéressante. L’étude de Van Raalte est mesurée : Chandieu y est présenté comme l’un des pères de la scolastique réformée, sans l’isoler pour autant. Chandieu est situé parmi ses contemporains, notamment Lambert Daneau. L’auteur analyse sa méthode scolastique (il préfère cette formulation à celle de « scholastique » au sens de scholasticism) tout en présentant la triple visée de Chandieu, à savoir répondre aux critiques jésuites de la foi réformée, instruire les étudiants en théologie et asseoir la légitimité des communautés réformés dans le contexte européen (p. 27). Cette monographie remplit ces tâches et s’impose comme une excellente introduction où « la continuité dans l’histoire intellectuelle qui va du Moyen Âge à la Réforme » (p. x) est mise en évidence avec compétence.
Après un premier chapitre qui passe en revue les rares travaux récents sur Chandieu ainsi que les études sur certains de ses contemporains, l’auteur propose une brève biographie, en s’intéressant tout particulièrement à sa formation intellectuelle, surtout ses études de droit à l’Université de Toulouse où l’on pratiquait un mélange d’humanisme et de disputes scolastiques médiévales. Dans le troisième chapitre, l’auteur résume et prolonge les travaux récents sur la compatibilité entre l’humanisme de la Renaissance et la scolastique, prenant Chandieu comme un exemple de l’intérêt que continuait de susciter l’aristotélisme médiéval, tout en reconnaissant les déplacements en cours vers la fin du XVIe siècle, principalement à la suite du ramisme. Les chapitres quatre et cinq portent sur deux traités théologiques du jeune Chandieu. L’analyse concerne avant tout la structure, le style argumentatif et les éléments formels de ces écrits. L’auteur souligne les nombreuses citations de toute une palette de penseurs scolastiques médiévaux, mais aussi son évidente prédilection pour Gratien, un point qui intéressera les personnes qui étudient l’arrière-plan médiéval des penseurs réformés. Dans le chapitre 6, même si l’auteur met en lumière l’affinité de l’approche méthodologique de la théologie de Chandieu avec Thomas d’Aquin (p. 193), il préfère à juste titre ne parler d’un « thomisme réformé », comme on le fait souvent pour Vermigli et Zanchi. Il repère en effet toute une série de sources médiévales et un usage éclectique de ses sources chez Chandieu. Le chapitre sept passe en revue la structure, proche de la disputatio, dans le traité de Chandieu sur l’Écriture, sa proximité avec Duns Scot ainsi que sa méthode de raisonnement et de démonstration. Dans la chapitre suivant, l’auteur poursuit son analyse et montre que même si Chandieu avait en commun avec Thomas d’Aquin une appréciation pour Aristote, cela concernait les écrits d’Aristote réunis dans les Analytiques plutôt que dans les Topiques, car selon Chandieu cette méthode permet de mieux fonder la certitude théologique que ne le faisait le catholicisme romain (p. 254). Dans un dernier chapitre, sur l’usage rhétorique du syllogisme hypothétique par Chandieu, l’auteur termine en résumant l’usage par Chandieu du genre médiéval de la quaestio disputata. Trois brèves annexes présentent la bibliographie de Chandieu, la structure de ses œuvres ainsi que la structure de son traité sur la discipline ecclésiastique.
L’ouvrage remplit tout à fait sa visée d’introduction à un penseur méconnu. Plusieurs thèmes qui méritent une analyse plus poussée sont évoqués, certaines dates erronées (p. 59) ainsi que quelques problèmes de traduction (p. 279) sont évoqués. Le lecteur averti remarquera l’affinité de l’auteur vis-à-vis de la thèse de la continuité, avancée par Richard Muller, entre les premières générations de penseurs réformés et la scolastique réformée (p. 153, n. 16). On relèvera la nuance apportée par l’auteur à la thèse selon laquelle la scolastique « concerne la méthode plutôt que le contenu » : l’auteur montre en effet l’option retenue par Chandieu d’une méthode argumentative spécifiquement aristotélicienne en vue d’asseoir sa conviction théologique qui veut que la foi repose sur des éléments certains (p. 237). L’ouvrage tient compte des divers travaux sur le sujet. Concernant la légitimité de la comparaison fréquente entre Chandieu et Thomas d’Aquin, même si l’auteur signale à juste titre, au chapitre six, que Chandieu, dans ses écrits, mentionne parfois explicitement Thomas, au chapitre huit son analyse des similitudes entre la manière dont Thomas et Chandieu pratiquent la disputatio trahit une tendance à voir en Thomas d’Aquin le penseur le plus important du Moyen Âge, alors que, comme l’auteur l’admet par ailleurs, Chandieu considérait Duns Scot, Ockham et d’autres comme très importants eux aussi. Cela dit, l’auteur propose ici une étude fine et nuancée du contexte de Chandieu, en tenant compte de nombreux travaux récents qui intéresseront les personnes qui étudient cette période et ces questions.