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Jean Delisle, Notions d’histoire de la traduction

avec la participation de Charles Le Blanc et d’Alain Otis, Québec/Paris, Presses de l’Université Laval/Hermann, 2021, 510 p.

Jean BOREL

Tout homme de lettres connaissant ou parlant une ou plusieurs langues saura vite faire de ce dictionnaire un ouvrage à portée de ses mains. En effet, il n’est pas remarquable seulement parce qu’il est le premier du genre consacré au champ d’étude encore jeune de la traductologie, mais surtout par l’intérêt des huit cent cinquante termes analysés, et parce qu’il comble un grand vide sur le métalangage de l’histoire de la traduction. La prodigieuse effervescence terminologique que connaît la traductologie, depuis le milieu du XXe siècle, sous l’effet de l’intensification progressive des recherches et des multiples « écoles » et « tournants » qui caractérisent son évolution, rendait absolument nécessaire la confection d’un répertoire des concepts en usage. C’est ce que réussit magistralement Jean Delisle, qui a derrière lui d’innombrables travaux de référence dans ce domaine. Comme tout champ d’étude qui, par vocation, doit toujours chercher à cerner son objet de plus près, la traductologie s’hybride inévitablement et se complexifie au contact d’autres disciplines. « Instrument d’analyse, le métalangage de l’histoire de la traduction révèle l’organisation conceptuelle d’un champ d’études, dit l’auteur en introduction, ses orientations thématiques, les courants de pensée qui l’animent, les débats terminologiques qui ont marqué son évolution et les polémiques qui l’agitent encore. L’histoire des termes d’un domaine dit aussi quelque chose sur l’histoire tout court. Les mots sont les témoins d’une époque ». Ce dictionnaire regroupe donc les principales notions dont les traducteurs, historiens, professeurs, écrivains et critiques ont fait usage au cours des siècles pour parler de la traduction et de son histoire. Mais l’auteur de préciser que le lecteur ne devra chercher dans les pages de ce dictionnaire ni la définition des notions composant tout l’arsenal conceptuel des théories de la traduction – que celles-ci soient comparative, descriptive, fonctionnaliste, herméneutique, interprétative ou sociologique –, ni non plus les vocabulaires de l’enseignement pratique de la traduction, de l’interprétation professionnelle, de la critique littéraire, de la rhétorique, de la linguistique générale ou de la stylistique comparée. Quels sont alors les critères de sélection ? « Les termes analysés dans ce dictionnaire, dit l’auteur, désignent un processus, une stratégie de traduction (ex. : littéralisme), un agent (ex. : cotraducteur), un courant de pensée (ex. : féminisme) un nouveau paradigme (ex. : tournant culturel), des types d’équivalences (ex. : dynamique), les défauts d’une traduction (ex. : traductionnite), des genres de traduction (ex. : ethnocentrisme), des sujets ayant fait débat (ex. : imitation, invisibilité du traducteur) ainsi que quelques éléments du paratexte où les traducteurs prennent la parole (ex. : préface, note du traducteur). L’auteur n’a pas hésité à incorporer des concepts anciens comme tour de Babel, voire désuets comme métaphrase, paraphraste, ou encore d’un usage plus rare : queue de comète ou egodocument. On y trouve évidemment les mots de la langue courante qui ont migré vers le vocabulaire de l’histoire de la traduction et y ont acquis le statut de concept : détournement, effacement, empreinte, métissage, remaniement et bien d’autres encore. Le lecteur découvrira également l’intérêt des notions binaires comme bonne traduction/mauvaise traduction, texte d’accueil/texte donateur, retraduction active/retraduction passive, traduction éloignante/traduction rapprochante. Chaque définition de terme est suivie d’un nombre variable de remarques de nature encyclopédique, étymologique, historique ou linguistique. « Le terminologue-lexicographe, dit-il pour résumer la méthode et l’intention de son travail, n’est pas le créateur du métalangage d’un domaine spécialisé ; sa tâche se borne à recueillir les termes et à les enregistrer. » En donnant comme il réussit à le faire la parole à ceux qui ont tenu un discours sur la traduction et ont façonné le métalangage de l’histoire de cette pratique multiséculaire, Jean Delisle fait de cet ouvrage de référence un espace dialogique et didactique exceptionnel.