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Le double mouvement de l’âme vers l’image

Une théorie aristotélico-thomiste au cœur des débats du milieu du XVIe siècle sur le juste rapport à l’image religieuse

Ralph DEKONINCK

Faculté de philosophie, arts et lettres, Université catholique de Louvain

Il est une controverse philosophico-théologique interne à l’Église catholique qui, au milieu du XVIe siècle, précède et annonce les débats qui présideront à la préparation du décret sur les saintes images promulgué le 3 décembre 1563 lors de la dernière (25e) session du concile de Trente (Décret sur l’invocation, la vénération et les reliques des saints, et sur les saintes images)1. Laissant de côté les enjeux contextuels, et en particulier politico-religieux, le point de vue adopté ici est celui de l’étude de la nature scolastique des arguments avancés par les différents acteurs engagés dans cette dispute2. Mon attention s’est portée tout particulièrement sur un des principaux points d’achoppement qui touche à l’interprétation d’une thèse de Thomas d’Aquin, laquelle est une reprise, mais adaptée à un autre contexte, d’un texte d’Aristote. Cette thèse porte sur le type de vénération qui doit être rendu à l’image, et en particulier à celle du Christ. Comme je voudrais le montrer, ce débat entremêle étroitement des enjeux philosophiques et théologiques qui touchent aussi bien à des questions de perception de l’image que de connaissance par l’image, tout en engageant un délicat questionnement sur les pratiques religieuses. On pourrait dire que la démonstration théologique s’ancre dans une théorie psychologique, ou plus précisément se situe au croisement d’une théorie de l’âme, d’une théorie de l’image et d’une théorie du signe.

1. Ceci est et n’est pas le Christ : le double mouvement de l’âme vers l’image chez Thomas d’Aquin

Commençons par rappeler la place qu’occupe et le sens que prend la question du double mouvement de l’âme vers l’image dans la Somme théologique de Thomas d’Aquin. Elle intervient dans la troisième et dernière partie (tertia pars), à la question 25 consacrée à l’« adoration du Christ », position dans la Somme qui témoigne du fait que la question de l’image matérielle est, dans la tradition scolastique, traitée quasi systématiquement à l’occasion des questions relatives à la christologie3. Après avoir envisagé le type d’adoration qui doit être rendu à la divinité et à l’humanité du Christ (article 1) et en particulier si l’adoration de latrie est due à la chair du Christ (article 2), Thomas d’Aquin aborde la délicate question du type de culte qui doit être rendu à l’image du Christ (article 3), et en particulier à sa croix (article 4), comme à l’image de sa Mère (article 5). C’est à l’article 3 qu’apparaît la référence au traité d’Aristote sur La mémoire et la réminiscence4 :

Ainsi que dit le Philosophe, dans son livre La mémoire et la réminiscence, il y a un double mouvement de l’âme vers l’image : l’un se portant vers l’image en tant qu’elle est une réalité, l’autre se portant vers l’image en tant qu’elle est l’image d’autre chose. Il y a cette différence entre ces deux mouvements, que le premier est différent de celui qui se porte vers la réalité représentée, tandis que le second, qui se porte vers l’image en tant qu’image, est identique à celui qui se porte vers la réalité représentée. Ainsi donc, il faut dire qu’on ne doit aucune vénération à l’image du Christ en tant qu’elle est une chose, comme du bois sculpté ou peint, parce qu’on ne doit de vénération qu’à la créature raisonnable. Il reste donc qu’on lui manifeste de la vénération seulement en tant qu’elle est une image. Et il en résulte qu’on doit la même vénération à l’image du Christ et au Christ lui-même. Donc, puisque le Christ est adoré d’une adoration de latrie, il est logique d’adorer de même son image5.

Il y a donc deux mouvements de l’âme qui peuvent être dirigés vers l’image : vers l’image en tant qu’objet (in esse entis, disent les scolastiques), et vers l’image en tant qu’image de quelque chose (in esse imaginis). Dans ce deuxième mouvement, l’image, dont on fait abstraction de la matérialité, est présentée comme totalement transparente à ce qu’elle représente. On peut négliger son épaisseur propre pour ne plus voir en elle que le modèle qui y transparaît, pour ne pas dire qui y apparaît. La ressemblance entre l’image et le modèle permet en effet une forme de substitution mentale, le mouvement de l’âme vers l’image comme image étant identique au mouvement de l’âme vers le modèle. De cette théorie psychologique découle l’idée logique selon laquelle le même culte doit être rendu à l’image du Christ et au Christ lui-même qui, sans se confondre ontologiquement, sont liés par la ressemblance. Comme l’a noté très justement Jean Wirth, « l’identification de l’image à Dieu n’a jamais été poussée aussi loin dans le christianisme »6, même plus loin que n’ont pu le faire les Byzantins, lesquels n’acceptaient qu’un culte de dulie et non latrie, c’est-à-dire de simple vénération et non d’adoration. On comprend dès lors pourquoi une telle théorie va poser problème au XVIe siècle.

2. Ut pictura species : le double mouvement de l’âme vers l’image chez Aristote

Avant d’envisager ce débat au seuil de la modernité, il convient de bien comprendre l’inspiration puisée par Thomas d’Aquin chez Aristote et les déplacements qu’il fait subir à sa source. Le traité De la mémoire et de la réminiscence (449b3-453b11) fait partie des Parva naturalia, le nom conventionnel donné à plusieurs petits traités sur la nature humaine, et en particulier sur les relations entre l’âme et le corps7. Aristote y opère une distinction entre la simple image mentale et le souvenir. Le fait de voir mentalement une image nous fait nous souvenir d’une chose ou d’un événement passé, qui n’est donc plus placé sous nos yeux. C’est sur ce point qu’il trace une analogie avec la perception d’une peinture représentant un animal, ainsi à la fois présent et absent. Pour paraphraser le célèbre tableau de Magritte, on pourrait dire que ceci n’est pas un animal, mais l’image d’un animal. Aristote avance plutôt l’idée que ceci est les deux à la fois : « Il en va en effet comme pour l’animal dessiné sur une tablette. Il est à la fois un animal et une copie, et tout en étant une seule et même chose, il est les deux choses à la fois, bien que celles-ci ne soient pas identiques, et l’on peut le regarder aussi bien comme animal que comme copie. » Aristote déduit de cette analogie que l’acte de mémoire procède de la même manière : « De même aussi faut-il concevoir l’image qui est en nous à la fois comme quelque chose par soi et comme l’image de quelque chose d’autre. En tant donc qu’elle est par soi, elle est un objet que l’on regarde ou une image, mais en tant qu’elle est l’image de quelque chose d’autre, elle est une sorte de copie et un souvenir »8. Ce n’est donc pas de l’image mentale dont nous nous souvenons, mais de ce à quoi elle renvoie ; autrement dit, pour reprendre l’exemple cité, on se souvient de l’animal à travers l’image mentale. Le double mouvement de l’âme vers l’image mentale se réduit donc à un simple mouvement vers la réalité passée.

Le cas de l’image peinte, qui n’était chez Aristote qu’une analogie permettant de mieux comprendre le rapport de l’image mentale à la réalité, est envisagé pour lui-même par Thomas d’Aquin, qui opère ainsi, sous couvert d’un fidèle emprunt au Stagirite, un glissement lourd de sens : il assimile image mentale et image matérielle, partant du principe que ces deux types d’images sont intimement reliées dans l’acte de perception et de connaissance9. Cette théorie de la connaissance se complète par ailleurs d’une théorie du signe qui définit l’image comme ressemblance et qui permet d’affirmer que si l’image mentale, considérée en elle-même, est une représentation de l’esprit, et si l’image matérielle, considérée en elle-même, est une peinture, toutes deux, une fois considérées comme signes, l’un immatériel, l’autre matériel, renvoient à une autre réalité absente10.

Par rapport à cette théorie de l’image fondée sur une théorie de l’âme, Thomas d’Aquin franchit un pas de plus en déduisant d’une théorie psychologique une conclusion théologique, avec des applications très concrètes dans la pratique du chrétien : une même adoration doit être rendue à l’image du Christ et au Christ lui-même. Cette conclusion est d’ordre théologique, car elle s’ancre dans la christologie qu’on peut dire être au fondement de l’iconologie chrétienne. Depuis au moins Athanase et Basile le Grand, on n’a cessé de penser les relations entre les trois personnes de la Trinité en termes d’image, la comparaison privilégiée étant celle de l’image de l’empereur ou de la monnaie qui le figure sur l’une de ses faces. Selon ce que les scolastiques nommeront une analogie de proportionnalité (distinguant malgré tout la ressemblance de nature et la ressemblance par imitation), le Fils est au Père ce que l’image de l’empereur est à l’empereur lui-même. Il en découle que l’image du Christ recevra le même type d’adoration que l’image de l’empereur, au titre que « l’honneur rendu à l’image passe au prototype »11.

3. Présence de l’image ou dans l’image : la crise du XVIe siècle

Si la position de Thomas d’Aquin fait déjà débat au Moyen Âge12, ce débat est réactivé au XVIe siècle au sein même de l’Église catholique romaine dans le contexte de la lutte contre les critiques protestantes visant l’adoration et la vénération des saintes images. Un des principaux moments de cette crise interne à l’Église est le débat qui réunit plusieurs théologiens à Rome en 1552 autour de la préparation du décret sur les saintes images, décret qui ne sera promulgué que lors de la dernière session du concile de Trente. On a affaire à une véritable dispute théologique qui témoigne de la coexistence conflictuelle de différentes positions. Pour faire bref, on peut parler d’un parti iconolâtre et d’un parti iconophile modéré, qui partagent tous deux une même opposition aux thèses protestantes rejetant toute forme de vénération des images. Deux des principaux acteurs de cette controverse sont l’espagnol Martín Pérez de Ayala, archevêque de Valence et membre de la deuxième commission préparatoire du décret sur les saintes images, et le dominicain français Matthieu Ory, longtemps grand inquisiteur à Paris13. Ils sont tous deux auteurs de traités dans lesquels ils débattent de l’épineuse question de la juste vénération et adoration à adresser aux images14. Sur ce point précis, ils prennent bien position à l’égard du double mouvement de l’âme vers l’image, le traité d’Ory répliquant aux thèses de Pérez de Ayala qu’il réfute. L’enjeu est de savoir si le deuxième mouvement de l’âme vers l’image comme image a son terme directement dans le signifié (je vois l’image du Christ, je pense au Christ), ou s’il s’arrête d’abord sur l’image pour ensuite se prolonger vers le signifié (je vois l’image du Christ, je pense d’abord à l’image du Christ et ensuite je pense au Christ). Ce sont surtout les conclusions qu’on doit en tirer en termes de vénération qui vont être au centre du débat.

3.1. Coram imaginibus : Pérez de Ayala

Dans son traité, Pérez de Ayala rappelle d’abord l’importance de l’image dans tout processus noétique, suivant ainsi fidèlement l’enseignement d’Aristote : toute connaissance passe par l’image intérieure qui se forme à partir de l’observation du monde extérieur15. C’est seulement à travers ce phantasma qu’on peut appréhender la réalité. De ce fondement philosophique, il déduit, comme Thomas d’Aquin avant lui, que nous connaissons le Christ par son image, sans savoir s’il est ici question d’image mentale ou d’image matérielle, ces deux types d’images étant à nouveau confondus. Mais l’identité s’arrête lorsqu’il s’agit d’aborder le juste rapport qu’on doit entretenir avec l’image matérielle du Christ, qui n’est pas n’importe quelle image. Il reproche ainsi aux scolastiques, au premier rang desquels Thomas d’Aquin, l’idée selon laquelle le même type d’honneur doit être rendu au Christ et à son image, ce qui va totalement à l’encontre de ce que les Écritures, la tradition de l’Église (c’est sur ce plan que se place l’essentiel de ce traité, comme l’atteste son titre) et les conciles ont défendu, et surtout ils n’apportent même pas d’argument rationnel qui puisse emporter efficacement la conviction16. Quand bien même ils auraient raison sur le terrain de la théorie de la connaissance, ils ne peuvent en tirer des conclusions qui s’appliquent à la vénération des images17.

Pérez de Ayala commence par mettre en question le caractère identique et continu du mouvement de connaissance du signe et du signifié. En admettant que ce soit par un seul et même mouvement que nous connaissons une image et ce qu’elle représente, elle ne peut être vénérée de la même façon, car la vénération doit être réservée aux créatures rationnelles18. C’est ainsi qu’il décèle et dénonce un vice logique dans une analogie fréquemment avancée dans la tradition scolastique pour défendre une certaine identité entre l’image et son modèle : celle qui rapproche la vénération civile rendue au manteau pourpre du roi et la vénération religieuse rendue à l’image du Christ, rapprochement qui ne manque pas d’entrer en résonance avec l’analogie, évoquée plus haut, entre l’image de l’empereur et la relation du Père au Fils. Le manteau pourpre du roi ou de l’empereur reçoit la même vénération que celle qui doit être rendue à son propriétaire. Depuis Augustin, cet exemple a été utilisé pour appuyer l’idée selon laquelle le même type d’adoration devait être rendue à l’humanité et à la divinité du Christ – la première étant comme le vêtement de la seconde –, de la même manière donc qu’on adore la pourpre qui couvre le roi. Une première tentative de théologie de l’image va ensuite appliquer l’analogie à l’image peinte ou sculptée19. On obtient finalement l’enchaînement d’analogies suivant : l’humanité du Christ est à Dieu ce que le manteau est au roi et l’image est au prototype.

Le vice logique que Pérez de Ayala décèle dans l’image de la pourpre est qu’on ne peut adorer que ce qui fait un avec son porteur, de façon substantielle ou accidentelle. Or l’image ne fait jamais, substantiellement ou accidentellement, un avec son prototype20. De la métonymie à la ressemblance, il y a un pas à ne pas franchir, et de toute manière cela reste, dans les deux cas, des signes qui ne peuvent entretenir un rapport d’identité avec leur signifié. Il en découle qu’on ne peut adorer l’image de la même manière qu’on adore l’humanité du Christ.

Pérez de Ayala préconise dès lors, en respectant ce qu’il conçoit être la tradition de l’Église, une vénération « en présence de l’image » ou « devant l’image » (coram imaginibus)21. Il tourne ainsi le dos à une tradition scolastique dont l’argutie risque, à ses yeux, de perdre les simples fidèles, en perpétuel danger de confondre l’image et son modèle, les précipitant ainsi dans le péché d’idolâtrie. Il faut constamment leur rappeler que l’image n’est qu’un simple signe qui ne fait que nous désigner l’objet de la vénération. Elle est en cela tout juste digne d’un certain honneur, mais certainement pas d’une adoration.

3.2. Imago non est lignum sed est in ligno : la réplique de Mathieu Ory

Cette position modérée se rapproche dangereusement des positions protestantes, mais aussi de celle qu’avait adoptée Érasme au début du siècle. C’est la raison pour laquelle Matthieu Ory va répliquer à Pérez de Ayala et tenter d’asseoir, en bon dominicain qu’il est, la doctrine de Thomas d’Aquin et, plus largement, la position dite scolastique. Son De cultu imaginum s’attache d’abord à bien définir la nature de l’image d’un point de vue philosophique. Il contribue de ce point de vue à un tournant dans l’histoire de la controverse sur l’image. Si les prises de position précédentes prenaient une forme assez défensive, cherchant à contrer les critiques protestantes par l’accumulation et le poids des citations bibliques et patristiques, il s’agit à présent de poser les bases d’une théorie capable de (re)fonder en raison une pensée et une pratique de l’image religieuse, et cela en usant de tout l’arsenal argumentatif scolastique, et en particulier de la dialectique et de la logique. L’introduction au deuxième livre prend même la forme d’un véritable réquisitoire pour la méthode scolastique contre les condamnations de ceux qui n’y voient que du sophisme, là où il ne s’agit que des règles irréfutables de la dialectique, principale arme à même de battre l’adversaire protestant qui, lui, se montre véritablement sophiste, selon Ory22. L’enjeu est bien d’asseoir l’orthodoxie catholique face aux attaques des réformés, mais aussi face à un clan interne à l’Église qui semble céder trop de terrain aux positions adverses23. Il faut en effet prendre le contre-pied en réaffirmant un véritable credo iconophile, mais fondé en raison ; bref, il s’agit d’étayer l’iconophilie chrétienne par une iconologie, c’est-à-dire par une théorie de l’image.

Or la pierre angulaire de l’argumentaire scolastique apparaît bien être la théorie du double mouvement de l’âme vers l’image, théorie dont la paternité à Aristote est clairement affirmée comme l’est cette « vérité » scolastique qui veut que le deuxième de ces mouvements, c’est-à-dire le mouvement vers l’image en tant que signe soit identique au mouvement vers le signifié24. Le premier moment de cette argumentation consiste à établir une définition générale de l’image, indépendamment de toutes ses déclinaisons matérielles : l’image est une similitude représentante de la chose signifiée, dont elle tire son origine dans son être réel ou dans son être intelligible. Ory en tire la double conclusion que l’image n’est pas un absolu, mais un relatif, et qu’elle est un signe. Elle n’est donc pas le bois, mais elle est dans le bois, car elle n’est pas une substance, mais un accident25.

Cette définition qui relève de la logique (identification du type de prédicat : l’image prédique une relation et non pas une substance)26, de la philosophie (distinction entre substance et accidents)27 et de la théologie (rapport du Fils au Père)28, se complète d’une théorie de la connaissance par la vision et par l’image, théorie parfaitement conforme à l’héritage aristotélico-thomiste. La vision corporelle voit tout à la fois la figure et la chose figurée ou la couleur et la chose colorée, de la même manière que la vision intellective voit en même temps le phantasma et ce dont il est la représentation. La couleur et la figure sont l’objectum quod, c’est-à-dire l’objet de la vision ; la chose colorée et porteuse de la figure en est l’objectum quo, c’est-à-dire le moyen qui permet à la vision d’atteindre son objet29. On voit donc que vision de l’image et intellection sont appréhendées dans un rapport d’analogie. Vision corporelle et vision mentale, qui se confondent avec le processus noétique, mettent toutes deux en rapport un observateur et un objet, par l’intermédiaire d’un moyen terme30. Si un objet est appréhendé comme objectum quo, l’acte de vision ou de connaissance ne trouve son terme que dans l’objectum quod. Reprenant le vieux principe de la translatio ad prototypum, Ory le fonde ainsi philosophiquement puisque sa définition même de l’image présuppose cette translation du regard, la matérialité de la représentation s’étant d’une certaine manière effacée pour ne faire de cette dernière qu’une pure semblance. Comme l’écrit François Lecercle, « la translation basilienne au prototype devient ainsi le fondement de l’image : il n’est d’image, en vérité, que pour autant qu’il y ait translation »31. Cette translation nécessaire s’explique également par le fait que « tout mouvement de l’esprit a son terme dans l’être (ens) qu’il soit bon ou vrai »32. Or l’image en tant que signe n’est pas cet être que visent l’intellect et le désir (appetitus)33.

Il reste à déterminer à partir de cette définition générique de l’image le cas d’espèce des images saintes. Suivant la même logique, Ory avance que si elles peuvent être dites saintes, c’est en tant qu’elles sont signes d’une chose sainte34. Autrement dit, il s’agit de signes saints et de non de choses saintes. La sainteté du signe dépend non du signe, mais de la chose sainte signifiée. Enfin, le point le plus litigieux, celui de la vénération, doit encore être réglé. Il ne touche plus seulement à la relation entre le prototype et l’image, mais aussi et surtout à la relation entre le fidèle et l’image. Le syllogisme se veut à nouveau imparable : tout ce qui est saint est digne de vénération ; l’image peut être dite sainte en tant que signe d’une chose sainte. Il faut en conclure que l’image sainte est digne de vénération, le degré de cette dernière dépendant du degré de sainteté du signifié35. Là aussi, c’est la théorie aristotélico-thomiste du double mouvement de l’âme vers l’image qui constitue la clé de voûte de l’argumentaire : étant donné que le mouvement de l’âme vers l’image comme ressemblance est identique à celui qui vise le prototype, la même vénération doit être rendue au signum et au signatum36. Ce principe de transitivité vaut donc à la fois pour le processus de signification et pour la relation de vénération. Ce que Pérez de Ayala dissociait, Ory l’unit dans un même processus mental, au prix toujours d’une occultation de la part matérielle de l’image pour ainsi dire transparente à elle-même.

C’est au nom d’une vérité psychologique que les plans sémiotique et théologique s’unissent. Et ils s’unissent d’autant plus naturellement qu’il ne s’agit pas seulement d’une affaire d’intellect, mais aussi, on vient de le voir, de volonté et de désir. Par où l’on retrouve ce nœud inextricable des trois fonctions de l’image : mémorative, intellective et volitive. La force de la démonstration d’Ory est non seulement d’articuler intelligence et volonté, mais surtout de concevoir la seconde comme le prolongement naturel de la première : la visée de l’intelligence est la même que celle de la volonté, et on peut même dire que celle de la volonté prime sur celle de l’intelligence quand il s’agit des images saintes pour lesquelles on désire voir le modèle.

L’opération qui consiste à désamorcer le risque d’idolâtrie passe donc par un recouvrement entre l’opération mentale de perception de l’image intérieure et la vision de l’image extérieure, ce qui a pour conséquence de spiritualiser et donc de dématérialiser l’image concrète qui n’a plus aucune épaisseur objectale et n’est plus que relation. C’est la raison pour laquelle Ory prend bien soin de dissocier l’image de la relique, ou l’icône de l’indice pour reprendre la terminologie peircienne37, la première glissant d’ailleurs plutôt vers le symbole. Car il est intéressant de noter que la comparaison finalement privilégiée par Ory est dirigée vers le signe arbitraire du langage, et, qui plus est, vers son expression la plus immatérielle, à savoir la voix, sorte de quintessence du signe. L’exemple retenu est celui du mot homo qui, lorsqu’il est prononcé, porte immédiatement l’esprit vers la chose38. Le mouvement de l’esprit vers le mot en tant que signe trouve son terme dans la chose signifiée. Il en va de même pour l’image.

Mais tous les fidèles ne sont-ils pas incapables de saisir ces subtilités scolastiques, comme le craignait Pérez de Ayala et comme ne cessent de le marteler les protestants qui se moquent de ce « fatras scolastique » ? La conclusion d’Ory à cet égard peut paraître assez étonnante, car elle semble mettre entre parenthèse toute la démonstration :

Il n’y a pas de danger si les simples et illettrés ne savent définir l’image ou distinguer de façon spéculative l’image de sa substance, comme les logiciens et philosophes distinguent la figure de la chose figurée, mais il suffit qu’ils sachent que l’image est la représentation de choses saintes et qu’on leur enseigne à rendre, par ces images, un culte à ce qui est représenté par elles, en transférant la compréhension et l’affect aux choses signifiées, et en ne s’arrêtant pas aux images mêmes. Telle est la vraie doctrine de l’Église que nous devons transmettre aux simples sans débat sur la question de savoir si l’image est une qualité ou une relation, si elle appartient à la catégorie des signes, et quelles choses appartiennent à cette catégorie. Sur cette dernière conclusion, il y a un consensus suffisant entre les scolastiques et l’auteur de ce livre39.

S’il annonce les préceptes pragmatiques qui seront adoptés par le concile de Trente, dix ans plus tard, et par les auteurs catholiques qui appuyèrent et explicitèrent ces décisions conciliaires, dans le sens notamment d’une pédagogie cadrant l’usage licite des images, il ne donne pas pour autant raison à ses adversaires, tant catholiques que protestants. On devine que la force d’une évidence, pourtant démontrée à coups d’arguments scolastiques, s’impose d’elle-même et se dispense même de toute forme de démonstration, de toute manière inaccessible aux non théologiens. La « véritable doctrine de l’Église » doit s’imposer aux « simples » sans « disputes intellectuelles ».

4. Un déni de l’art

Qu’en est-il de la postérité post-tridentine de cette réflexion sur le double mouvement de l’âme vers l’image ? S’ils ne constituent plus la voie principale d’une défense de l’image qui va mettre désormais l’accent sur la Tradition et la puissance miraculeuses des images concrètes – on pourrait dire que la preuve est désormais apportée par l’histoire et par le miracle –, les développements scolastiques ultérieurs vont tendre à raffiner encore un peu plus les raisonnements posés au milieu du XVIe siècle, eux-mêmes prolongeant et adaptant les débats scolastiques du Moyen Âge40. Dans tous ces développements comme dans les textes qu’on vient d’analyser, il est assez symptomatique de constater qu’il n’est que très rarement question des qualités formelles et matérielles des images. Quand elles sont évoquées, ce n’est que pour affirmer que cette dimension importe peu. C’est ce que dit, par exemple, Robert Bellarmin en rappelant, contre ceux qui prétendent que le mouvement de l’intellect ne peut être confondu avec le mouvement de la volonté, qu’une image même mal peinte sera aimée en tant qu’image du Christ41. On voit donc que ce qui prime, lorsqu’il s’agit de l’image du Christ, de la Vierge ou des saints, est la ressemblance, même minimale, et non les qualités formelles et matérielles de cette ressemblance, lesquelles ne sont pas passées sous silence, mais jugées secondaires face à la sacro-sainte transitivité.

Dans ce contexte de déni de la dimension artistique de l’image tel qu’il s’impose dans la littérature scolastique pré- et post-tridentine, et qui tranche avec le contexte artistique de l’époque, il faut toutefois tenir compte de rares tentatives d’ajustement, pour ne pas dire de conciliation avec l’évolution des arts contemporains42. De ce point de vue le Discorso intorno alle imagini sacre e profane du cardinal et archevêque de Bologne Gabriele Paleotti est assez représentatif de cette volonté de sortir du cercle fermé des débats théologiques pour s’ouvrir à une pensée de l’image, tant sacrée que profane, qui ne s’en appuie pas moins sur un solide héritage scolastique43. Ainsi consacre-t-il au livre 1 de son traité tout un chapitre (no 32) au problème du double mouvement de l’âme vers l’image, avec pour objectif d’« écarter une difficulté qui a été beaucoup débattue et examinée par les docteurs, à savoir : comment peut-on pieusement rendre aux images sacrées l’honneur qui leur est dû, et si c’est un acte unique qui est dirigé vers l’image et la chose imagée [alla imagine et imaginato], et si oui, comment »44. L’originalité de Paleotti est qu’il dédouble le premier terme (l’image comme res) dans l’équation scolastique de départ : à la matière de l’image et à sa ressemblance au modèle s’ajoute sa forme, et donc l’intervention artistique qui ne se résume plus à une quête de la ressemblance. C’est ce qu’explicite la citation suivante, qui commence par une référence à la nature scolastique de ce débat :

Sur ce point, laissant les questions scolastiques de côté, nous disons que trois choses peuvent être considérées dans les images. La première est le matériau dont elles sont faites, que ce soit de l’or, de l’argent, de l’ivoire ou tout autre chose similaire. La deuxième est la forme conférée par l’auteur au matériau grâce au dessin, aux lignes et aux ombres, etc. La troisième est ce qui résulte à la fois du matériau et de la figure, et qui est cette chose que nous appelons image, représentant quelque chose d’autre dont elle est la ressemblance. De cela découle que, dans l’acte de voir, plusieurs pensées peuvent se produire en nous : la première se concentre sur le matériau, qui peut être coûteux, riche et coloré de manière attrayante ; la seconde porte sur le grand artifice et diligence avec lesquels la chose a été représentée ; la troisième sur l’image dans la mesure où elle représente autre chose, dans lequel cas nous ne sommes plus face à l’œuvre comme matériau ou figure, mais face à la chose représentée, qui est présente en elle sous le mode de la représentation, et c’est sur cela que nous fixons notre pensée45.

De ce point de vue, conclut Paleotti, on peut affirmer qu’« il ne s’agit pas de deux actes différents visant deux termes distincts, mais un seul et même acte portant sur le même objet, bien que sur un mode pour l’image et un autre mode pour ce qui est imagé »46. Si la matière et la forme étaient appréhendées dans les textes scolastiques, elles l’étaient principalement à travers la conception aristotélicienne de l’hylémorphisme et parfois la conception platonicienne assimilant forme et idée, sans qu’il ne soit donc question d’une quelconque qualité artistique. Chez Paleotti, cette dernière dimension apparaît, certes encore discrètement, à travers un vocabulaire qui qualifie la matière et la forme, la première étant « ornée de couleurs » (selon la traduction latine : coloribus exornata) tandis que la seconde est réalisée avec « artifice » et « diligence ». Cela correspond assez bien à l’ouverture qu’il concède, dans son Discorso, vers le diletto, même si ce dernier se trouve vite converti en plaisir spirituel47.

Il conviendrait de prolonger cette étude en envisageant les résonances de ces enjeux de transparence ou transitivité et d’opacité ou réflexivité de la représentation dans les arts de cette époque. Si le débat dont on vient de rendre compte semble totalement déconnecté des réalités artistiques contemporaines, il trouve malgré tout un écho certain dans la réforme des arts qui s’opère à la fin du XVIe siècle, sous l’influence d’abord de peintres comme les membres de la famille Carracci. Comme cela a été suffisamment démontré, dans l’œuvre de ces peintres, la maniera s’efface au maximum pour faire advenir la réalité, voire le vrai ou plutôt le vraisemblable, ce qui rejoint l’idéal synthétisé de façon très claire, en 1564, par le théoricien de l’art Giovanni Andrea Gilio : « J’estime beaucoup plus ingénieux le peintre qui accommode l’art à la vérité du sujet, que celui qui déforme la pureté du sujet pour l’adapter à la beauté de l’art. »48 Conformément à cet idéal, on peut dire que l’Église post-tridentine va encourager deux voies opposées, mais qui se rejoignent dans une même translatio du regard à travers l’image : soit le « trompe-l’œil sacré », selon l’expression de Victor Stoichita, stratégie picturale qui trouvera son terrain le plus fertile dans la peinture espagnole du Siècle d’or et qui consiste à pousser la ressemblance jusqu’à l’illusion parfaite de la présence49 ; soit la voie opposée, qui consiste au contraire à forcer la dissemblance et la disgrâce à travers la promotion d’images miraculeuses souvent d’origine médiévale, images présentées comme délibérément laides et difformes, de façon à rappeler qu’elles ne sont que des médiations sur lesquelles le regard ne doit pas s’arrêter50. Le paradoxe veut que ces images ont été au centre des principaux cultes des XVIe et XVIIe siècles. Dans ce contexte des pratiques cultuelles, il apparaît bien que le mouvement de l’âme vers l’image comme image se confond avec le mouvement de l’âme vers l’image comme objet singulier, caractérisé par des matériaux spécifiques, jugés pour certains miraculeux, et des formes propres, ce qui va totalement à l’encontre de cette tendance théorique qui préconise une certaine forme de dématérialisation ou de spiritualisation des images religieuses, mouvement concomitant, notons-le, du processus d’intellectualisation à l’œuvre dans la théorie de l’art au même moment. Beau démenti donc de la théorie par la pratique.

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1La genèse et la postérité de ce décret ont fait l’objet ces dernières années d’études renouvelant nos connaissances sur les circonstances et personnalités impliquées dans sa préparation, mais aussi sur les arguments avancés par les différents protagonistes. Voir en particulier Wietse de Boer, Art in Dispute. Catholic Debates at the Time of Trent. With an Edition and Translation of Key Documents, Leiden/Boston, Brill, 2021 (nous n’avons pas pu consulter cette étude avant la finalisation du présent article). Id., « The Early Jesuits and the Catholic Debate about Sacred Images, 1530s-1560s », in : Wietse de Boer, Karl A. E. Enenkel, Walter S. Melion (éds), Jesuit Image Theory, Leiden, Brill, 2016, p. 53-73 ; Id., « Trent, Saints, and Images: A Prehistory », in : Michela Catto, Adriano Prosperi (éds), Trent and Beyond. The Council, Other Powers, Other Cultures, Turnhout, Brepols, 2018, p. 121-141 ; Pierre-Antoine Fabre, Décréter l’image ? La XXVe Session du concile de Trente, Paris, Les Belles Lettres, 2013 ; Id., « Qu’est-ce que la postérité du concile de Trente ? Le cas du “culte des images” », in : M. Catto et A. Prosperi (éds), Trent and Beyond, op. cit., p. 83-99 ; John W. O’Malley, « Trent, Sacred Images, and Catholics’ Senses of the Sensuous », in : Marcia B. Hall, Tracy Elizabeth Cooper (éds), The Sensuous in the Counter-Reformation Church, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 28-48. Parmi les études plus anciennes, cf. Hubert Jedin, « Entstehung und Tragweite des Trienter Dekrets über die Bilderverehrung », Theologische Quartalschrift 116 (1935), p. 143-188, 404-429 (republié dans Id., Kirche des Glaubens, Kirche der Geschichte. Ausgewählte Aufsätze und Vorträge, t. 2, Fribourg-en-Br., Herder, 1966, p. 460-498) ; Christian Hecht, Katholische Bildertheologie im Zeitalter von Gegenreformation und Barock. Studien zu Traktaten von Johannes Molanus, Gabriele Paleotti und anderen Autoren, Berlin, Gebr. Mann Verlag, 1997 ; François Lecercle, Le signe et la relique. Les théologies de l’image à la Renaissance, thèse de doctorat d’État inédite, Université de Montpellier, 1987, p. 149-183 ; Giuseppe Scavizzi, The Controversy on Images. From Calvin to Baronius, New York, Peter Lang, 1992, p. 63-70.

2Le présent article s’intègre dans le cadre du projet « Schol’Art : Les théories modernes des lettres et des arts à la lumière de la seconde scolastique (France-Italie, 1500-1700) » financé par l’UC Louvain (Action de recherche concertée) dirigé par Aline Smeesters, Agnès Guiderdoni et Ralph Dekoninck. Je remercie vivement Aline Smeesters pour son aide précieuse dans la lecture et compréhension des textes latins.

3Sur la théorie scolastique de l’image, voir essentiellement les travaux de Jean Wirth, « La critique scolastique de la théorie thomiste de l’image », in : Olivier Christin, Dario Gamboni (éds), Crises de l’image religieuse. De Nicée II à Vatican II, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1999, p. 93-109 ; Id., « Les scolastiques et l’image », in : Gisèle Matthieu-Castellani (éd.), La pensée de l’image. Signification et figuration dans le texte et dans la peinture, Vincennes, Presses universitaires de Vincennes, 1994, p. 19-30 ; Id., L’image à l’époque gothique (1140-1280), Paris, Cerf, 2008 ; Id., « Structure et fonctions de l’image chez saint Thomas d’Aquin », in : Jérôme Baschet, Jean-Claude Schmitt (éds), L’image. Fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval, Paris, Le Léopard d’or, 1996, p. 39-57 ; Id., « Peinture et perception visuelle au XIIIe siècle », Micrologus 6 (1998), p. 113-128. Voir également Olivier Boulnois, Au-delà de l’image. Une archéologie du visuel au Moyen Âge, Paris, Seuil, 2008, p. 267-283 ; Günther Pöltner, « Der Begriff des Bildes bei Thomas von Aquin », in : Helmuth Vetter (éd.), Bilder der Philosophie. Reflexionen über das Bildliche und die Phantasie, Munich, R. Oldenbourg, 1991, p. 176-199.

4C’est à Albert le Grand que l’on doit l’introduction du texte d’Aristote dans la théorie scolastique de l’image (In I Sentent., dist. 3, a. 19, ad I ; In III Sentent., d. 9, a).

5Thomas d’Aquin, Somme théologique, pars III, q. 25, a. 3, Paris, Cerf, 1986, p. 198 : « Respondeo dicendum quod, sicut philosophus dicit, in libro de Mem. et Remin., duplex est motus animae in imaginem, unus quidem in imaginem ipsam secundum quod est res quaedam ; alio modo, in imaginem inquantum est imago alterius. Et inter hos motus est haec differentia, quia primus motus, quo quis movetur in imaginem prout est res quaedam, est alius a motu qui est in rem, secundus autem motus, qui est in imaginem inquantum est imago, est unus et idem cum illo qui est in rem. Sic igitur dicendum est quod imagini Christi inquantum est res quaedam, puta lignum sculptum vel pictum, nulla reverentia exhibetur, quia reverentia debetur non nisi rationali naturae. Relinquitur ergo quod exhibeatur ei reverentia solum inquantum est imago. Et sic sequitur quod eadem reverentia exhibeatur imagini Christi et ipsi Christo. Cum igitur Christus adoretur adoratione latriae, consequens est quod eius imago sit adoratione latriae adoranda. »

6J. Wirth, L’image à l’époque gothique, op. cit., p. 53.

7Sur la réception antique et médiévale des Parva naturalia, voir Christophe Grellard, Pierre-Marie Morel (éds), Les Parva naturalia d’Aristote. Fortune antique et médiévale, Paris, Publications de la Sorbonne, 2010. Sur la réception médiévale du traité sur la mémoire et la réminiscence, cf. David Bloch, Aristotle on Memory and Recollection. Text, Translation, Interpretation and Reception in Western Scholasticism, Leiden, Brill, 2007.

8Aristote, Petits traités d’histoire naturelle, Paris, GF Flammarion, 2000, p. 109-110 (450b) : « οἷον γὰρ τὸ ἐν πίνακι γεγραμμένον ζῷον καὶ ζῷόν ἐστι καὶ εἰκών͵ καὶ τὸ αὐτὸ καὶ ἓν τοῦτ΄ ἐστὶν ἄμφω͵ τὸ μέντοι εἶναι οὐ ταὐτὸν ἀμφοῖν͵ καὶ ἔστι θεωρεῖν καὶ ὡς ζῷον καὶ ὡς εἰκόνα͵ οὕτω καὶ τὸ ἐν ἡμῖν φάντασμα δεῖ ὑπολαβεῖν καὶ αὐτό τι καθ΄ αὑτὸ εἶναι καὶ ἄλλου [φάντασμα]. ᾟ μὲν οὖν καθ΄ αὑτό͵ θεώρημα ἢ φάντασμά ἐστιν͵ ᾗ δ΄ ἄλλου͵ οἷον εἰκὼν καὶ μνημόνευμα. » Voici une traduction latine du milieu du XVIe siècle, contemporaine du débat analysé ici : « Ut enim depictum in tabula animal, & animal est & simulacrum & unum est utrumque, sed non est eadem ustriusque ratio & natura, licetque illud ipsum & ut animal & ut simulacrum considerare, sic & speciem illam quæ in nobis est existimare debemus, & per se aliquam esse notitiam, & alterius rei speciem. Quatenus igitur per se consideratur, notio est vel visio, quatenus autem alterius est, illius simulacrum & monumentum. » Aristote, Parva naturalia, Ioachimo Perionio interprete, per Nicolaum Grouchium correcti & emendati, Paris, Thomas Richard, 1554, p. 24.

9Par ailleurs, comme l’a relevé Jean Wirth, Aristote dissocie clairement l’image de ce qu’elle représente : considérer l’image en tant qu’image n’équivaut pas à voir le modèle, mais bien toujours l’image du modèle. Ce glissement de sens provient vraisemblablement d’un contresens dans la traduction latine (Opera cum Averrois, vol. 7, fol. 18vo) : « On y lit que l’image de Coriscos, prise en tant qu’image, est considérée comme Coriscos par quelqu’un qui ne voit pas Coriscos, alors qu’Aristote dit qu’elle est considérée comme image de Coriscos : le génitif d’Aristote est devenu un accusatif chez le traducteur, Coriscum au lieu de Corisci. » J. Wirth, L’image à l’époque gothique, op. cit., p. 53.

10Notons qu’une telle transposition de la conception aristotélicienne du souvenir dans le domaine de la perception de l’image matérielle (opérant ainsi un renversement de la comparaison initiale) est d’une certaine manière facilitée par le lien étroit que la théorie chrétienne de l’image, depuis Grégoire le Grand, a noué entre cette dernière et la mémoire, la fonction mnémotechnique étant une des trois fonctions de l’image, à côté de la fonction pédagogique et affective. Ainsi pour Thomas d’Aquin « l’institution des images dans l’Église repose sur une triple raison. Premièrement, pour l’instruction des simples qui sont éduqués par elles comme par des livres. Deuxièmement, pour que le mystère de l’incarnation et les exemples des saints soient davantage dans la mémoire, en se présentant quotidiennement aux regards. Troisièmement, pour exciter le sentiment de dévotion, que ce qu’on voit provoque plus efficacement que ce qu’on entend ». Commentarium Super Libros Sententiarum, l. III, d. 9, a. 2, q. 2. Ce lien avec la mémoire a par ailleurs pour effet d’éloigner adroitement le problème de la présence réelle dans l’image et de l’image qui fera précisément débat au XVIe siècle, comme il l’avait déjà fait au VIIIe lors de la crise byzantine.

11« Le Fils est dans le Père et le Père dans le Fils [...]. Il s’ensuit que, si l’on considère le caractère distinctif des personnes, ils sont un et un, tandis que, selon leur nature commune, les deux ne font qu’un. Mais alors, s’ils sont un et un, comment se fait-il qu’il n’y ait pas deux Dieux ? Parce que l’image du roi, on l’appelle roi aussi, et qu’on ne dit pas “deux rois” : le pouvoir royal ne se dédouble pas, la gloire ne se divise pas. De même que règne sur nous une seule autorité et que le pouvoir en est unique et non multiple, car l’honneur rendu à l’image passe au prototype. Eh bien ! ce que l’image est là par imitation, le Fils l’est ici par nature. Et tout comme en art la ressemblance est donnée d’après la forme, pour la nature divine qui est simple, c’est dans la communauté de l’essence divine que réside le principe d’unité. » Basile le Grand, Traité du Saint-Esprit, 18, 45 [PG 32, 149], Paris, Desclée de Brouwer, 1979, p. 102-103.

12Voir J. Wirth, « La critique scolastique de la théorie thomiste de l’image », op. cit.

13Pour compléter cette étude, il aurait fallu tenir compte du traité d’un autre théologien dominicain impliqué dans ce même débat : Ambrogio Catarino, Disputatio de cultu et veneratione sanctorum (in : Id., Enarrationes in quinque priora capita Geneseos, Rome, Antonio Blado, 1552, col. 121-144). J’ai privilégié le traité d’Ory qui réplique explicitement à celui de Pérez de Ayala.

14Martín Pérez de Ayala, De divinis, apostolicis atque ecclesiasticis traditionibus, Cologne, J. Gennepaeus, 1549, fols. 113vo-121vo. Le traité d’Ory n’a jamais été publié, mais, en circulant à l’état de manuscrit, il a manifestement exercé une certaine influence dans les débats de cette époque, à tout le moins ceux relatifs à la préparation du décret tridentin sur les saintes images. Il est composé de deux livres, le premier étant conservé à la Biblioteca Casanatense (Ms 2116, fol. 169-176v°) et le second à l’Archivio Segreto Vaticano (Concilium tridentinum, 7, fol. 279ro-301vo). Nous avons utilisé la transcription qu’en propose François Lecercle (Id., Le signe et la relique, op. cit., p. 615-658). Voir aussi F. Lecercle, Le signe et la relique, op. cit., p. 159-170 ; G. Scavizzi, The Controversy on Images, op. cit., p. 63-68 ; C. Hecht, Katholische Bildertheologie, op. cit., p. 216-239. Voir également l’article à paraître de Wietse de Boer, dont je n’ai pu malheureusement prendre connaissance, « Matthieu Ory’s De cultu imaginum (1552). An Edition With Translation », in : Arthur J. DiFuria, Ian Verstegen (éds), Space, Image, Reform in Early Modern Art. The Influence of Marcia Hall, Berlin, W. de Gruyter, 2021.

15« Nam cum usus imaginum introductus sit ad retinendam et refricandam memoriam eorum cuius sunt, et omnis cognitio nostra fiat in imagine et similitudine, ut Aristoteles autor est, necesse enim est intelligentem phantasmata speculari [...]. » M. Pérez de Ayala, De divinis, op. cit., fol. 113vo.

16« Omnes fere scholastici in hoc sunt, quod imago Christi & sanctorum adorari debent eadem adoratione qua & res quae repraesentantur [...] ; cuius doctrinae, nullum (quod ego viderim) afferunt validum fundamentum, quod possit fideles ad id quod docent, obligare ; nam neque scripturam, neque Traditionem Ecclesiae, neque communem sensum sanctorum, neque concilii generalis determinationem aliquam, nec etiam rationem qua hoc efficaciter suaderi possit, adducunt. » Ibid., fol. 118vo-119ro.

17« [...] et quamvis res ita se haberet, quod eadem cognitione feramur in imaginem, et rem imaginatam, non inde concluditur idem fieri posse in adoratione et veneratione ; est enim maxima dissimilitudo inter hoc et illud, nam imagini in eo quod imago est, non repugnat, quod eadem cognitione cognoscatur, qua cognoscitur res repraesentata ; pugnare autem videtur cum imagine etiam in quantum imago est, ut eadem reverentia revereatur, qua res cuius est imago, cum imago illa in eo quod imago non excedat limites insensibilis creaturae, cui ut doctores isti recte concedunt, reverentia minime debetur. Imago igitur in quantum repraesentat, cum naturam non mutet, nec accedere possit ad latitudinem rationalis creaturae, consequitur ex his quæ ipsimet docent, reverentiam quæ rei imaginatae debetur, imagini non posse convenire. » Ibid., fol. 119ro-119vo.

18« [...] impossibile est quod eadem existimatio conveniat imagini, ut signum est, & rei cuius est imago ; cum illa mortua quaedam res sit, haec vero viva & rationalis. Quomodo ergo potest esse una adoratio ? » Ibid., fol. 119vo.

19« Car comme le dit Basile, le porte-Dieu et savant ès choses divines, “l’honneur rendu à l’image passe à l’original”. » Jean Damascène, La foi orthodoxe, trad. P. Ledrux, Paris, Cerf (Sources Chrétiennes 540), 2011, 89 (IV, 16), p. 237.

20« Dicent fortasse, nunquid purpura regis, paludamentum imperatorium, quibus induitur Imperator, non venerantur eadem veneratione cum ipso. Fateor, ob id est, quod unico actu reverentiae totus ipse Imperator indutus veneratur, a quo vestes minime separantur, sicut necque alia quae per modum habitus et dispositionis ipsum circumstant, et cum eo quodammodo unum faciunt. Caeterum si purpura ab eo separetur, quamvis ab aliquo cognoscatur ut regis purpura, non opus est ut eadem veneratione tunc veneretur, qua ipse Imperator ; imago autem Imperatoris non facit unum cum ipso Imperator substantialiter nec accidentaliter, ideo non est similitudo inter imaginem et purpuram qua indutus est Imperator, nec aliquis unquam vidit, nisi tyranni alicuius forte coactione interveniente, quod eadem veneratione veneretur imago ipsius, qua ipse rex aut Imperator ; licet minime negandum sit aliquem honorem illius imagini deberi. » M. Pérez de Ayala, De divinis, op. cit., fol. 119vo.

21« Si genu flexi homines coram aliqua imagine aut triumphali signo sanctae crucis precantur, non lignum hoc sive lapidem adorant figuratum. [...] Nam Deus est quod imago docet, sed non Deus ipsa. Hanc videas, sed mente colas, quod cernis in ipsa. [...] at nemo dixit unquam, nec dici possit, sine blasphemia, cum Deo sacrifico coram imagine Dei, me etiam eodem sacrificio imagini sacrificare. » Ibid., fol. 121r°. Ce sera également la position défendue par le jésuite Diego Laínez, toujours dans le cadre de la préparation du décret tridentin sur les images : « È licito, come di sopra è mostrato, in presenza della imagine et guardando verso quella, ricordarsi della cosa rappresentata et conoscerla et imitarla. » Trattato sulle imagini sacre, Rome, ARSI, ms. Opp. NN. 209, fol. 354ro. Cf. Pierre-Antoine Fabre, « Une théorie en mouvement. Lainez et les “images” entre Paris et Trente (1562-1563) », in : Wim François, Violet Soen (éds), The Council of Trent. Reform and Controversy in Europe and Beyond (1545-1700), vol. 3 : Between Artists and Adventurers, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2018, p. 9-30 ; Lydia Salviucci Insolera, « La Formulazione del Decreto sulle immagini nei manoscritti di P. Diego Laínez », in : Lydia Salviucci Insolera (éd.), Immagini e Arte Sacra nel Concilio di Trento. « Per istruire, ricodare, meditare et trarne frutti », Rome, Artemide, 2016, p. 101-118.

22« Et quod est omnium nequissimum, cum isti sint meri sophistae, quippe qui sua omnia argumenta vanis et apparentibus rationibus apud indoctum vulgus concludere soliti sint, et ita suis praestigiis audientes ludificari ; eos tamen qui rectam doctrinam insolubilibus confirmant argumentis, et invictis rationibus etiam ipsorum vanitatem redarguunt et ostentui ponunt, eos inquam fronte plusquam meretricia sophistas appellant. » M. Ory, op. cit., II, fol. 283vo-284 ro.

23Dans la mesure où les protestants attaquent les scolastiques, il faut que les catholiques restent soudés : « Nam etsi haereticos nullus possit pro dignitate satis persequi, cum tot ac tantas animas secum trahant in errorem ac perditionem : dolendum est tamen ab iis qui vere sunt et habentur catholici, quique suas lucubrationes litteris mandare et in lucem venire procurant, non defendi scholasticorum partes, sed potius impugnari. Quod certe minus a nostris fieri deberet, quo jam plus nimio animadvertimus ab apertis Ecclesiae hostibus scholasticis acerrimum esse indictum bellum. » Ibid., II, fol. 285vo.

24« Ex his manifeste patet veritas sententiae Scholasticorum, nimirum eundem esse motum in imaginem et in rem significatam. » Ibid., fol. 289vo. Sous le titre Primum Scholasticorum fundamentum quo probatur duplicem motum animi in imaginem, Ory place d’emblée son propos sous l’autorité du Philosophe, autrement dit d’Aristote, qui fonde « les prémisses de la doctrine des scolastiques » : « Et hujus doctrinae veritas manifeste sequitur ex praedictis Philosophi verbis. [...] Et hoc est primum scholasticorum fundamentum ex Philosopho acceptum. Et qui hoc non accurate perpendunt, non cognoscunt conclusionem in praemissis, nec res in imaginibus et signis. » Ibid., II, fol. 286vo-287ro.

25« Duo enim sunt de ratione imaginis, scilicet, quod ipsa sit similitudo rei significatae ; secundo quod originem sumat ex illa, vel in esse reali, ut filius a patre, vel in esse intelligibili, ut Imago Caesaris a Caesare intellecto, qui est in mente artificis. Ex hac diffinitione primo sequitur, quod imago est de genere relativorum, et non absolutorum [...]. Secundo sequitur quod imago est signum ; nam omne quod suapte natura ordinatur ad significandum, est signum [...]. Errant igitur qui putant imaginem esse lignum, lapidem, aut aliquid hujusmodi. Nulla enim similitudo est substantia ; Imago autem est similitudo rei, quam repraesentat lignum, lapis, et alia id genus sunt substantia. Ideo imago non est lignum, aurum, aut argentum, sed est in ligno, auro et argento. Confirmatur, quod uni est accidens, nulli est substantia ; similitudo autem in rebus similibus est accidens ; ideo esse non potest substantia. » Ibid., fol. 170ro-170vo. Dans le second livre, il précise : « Res enim quae est imago differt a substantia in qua est. » Ibid., II, fol. 288vo.

26« Causa vero erroris eorum qui dicunt imagines esse ligna et lapides vel aliquid hujusmodi, ex tribus ignorantiis procedit, scilicet Logicae, quae docet imaginem esse in praedicamento ad aliquid suae relationis, quia totum ejus esse est ad aliud se habere. [...] Hoc autem praedicamentum realiter differt a praedicamento substantiae, ut patet ex libro praedicamentorum. » Ibid., I, fol. 170vo.

27« Secundo hic error procedit ex ignorantia philosophiae. In philosophia siquidem docetur omne id quod accidit substantiae post ejus esse completum esse accidens. Accidit autem ligno, vel lapidi, quod taliter vel taliter figuretur, et per consequens quod in talem vel talem Imaginis formam fiat. Igitur figura, quae in ligno, vel lapide, non est substantia ligni, vel lapidis, sed illis accidit. » Ibid.

28« Tertio errant contra theologiam. Docet enim scriptura sacra filium Dei esse Imaginem patris, atqui proprietas personalis in divinis non potest dici substantia, sive essentia dei, alioquin esse Imaginem aequaliter conveniret tribus personis, sicut et ipsa essentia. Ex quo liquet Imaginem non esse substantiam, sed relationem personalem, quae convenit filio, et non patri, aut spiritui sancto. » Ibid.

29« Idem est motus animi in objectum quo et objectum quod. Ideo sicut eodem actu visionis corporalis color et res colorata, figura et res figurata, sic eodem actu visionis intellectualis videmus phantasmata et rem significatam, verbum cordis sive conceptum ultimatum rei intellectae, et ipsam rem intellectam. Nam sicut in visione corporali color et figura sunt objectum quod videtur, sic in visione intellectuali phantasma et conceptus ultimatus sunt rerum imagines sive similitudines, quae dicuntur objectum quo; et res ipsae repraesentatae sunt quae visione intellectuali videntur seu intelliguntur, et dicuntur objectum quod. » Ibid., II, fol. 287v°-288r°.

30« Nam imago, sive in rebus visibilibus sive intellectualibus, est id mediante quo res videtur aut intelligitur. Et sic non terminant actum videndi aut intelligendi, sed res per eam significata. [...] Et hoc idem fieri uno et eodem actu qui ignorat ? Non est enim alia visio qua video rem ipsam, et ejus similitudinem. Neque alius actus quo intelligitur phantasma et res per ipsum significata. Et ita de caeteris rerum similitudinibus, sive imaginibus per quas fit visio seu intellectio, sentiendum est. » Ibid., II, fol. 288r°.

31F. Lecercle, Le signe et la relique, op. cit., p. 166.

32« Omnis enim motus animi terminatur ad ens, sive bonum, sive verum. » Ibid., II, fol. 287r°.

33« Non enim sistit motus animi nisi in suo objecto, quod est ejus terminus ad quem. Imago autem quatenus est repraesentativa, non est objectum terminans actum intelligendi vel appetendi, sed est id mediante quo intellectus et appetitus feruntur in suum objectum, in rem scilicet intellectam et appetitam. » Ibid., II, fol. 287v°. Le livre I introduisait déjà la justesse de l’adoration – si le mouvement de l’intelligence est juste, celui de la volonté le sera aussi : « Errant igitur qui putant Imagines fieri posse ad significandum, sed non ad adorandus. Nam motus voluntatis est rectus et bonus, quando sequitur, et est conformis intellectui recto ; recta autem est intellectio rei significatae per veram Imaginem ; ergo rectus est actus voluntatis illi conformis, quemadmodum sunt amor veneratioque sive cultus. » Ibid., I, fol. 172vo.

34« De primo unum quodque dicitur sanctum, secundum quod habet sanctitatem. Igitur quomodo aliquid habet sanctitatem, eo modo est sanctum. Imagines autem non habent sanctitatem formaliter, scilicet in esse reali, sed tantum significative, videlicet in esse repraesentativo. Ideo Imagines non sunt res sanctae, sed signa sancta. » Ibid., I, fol. 171ro.

35« Unum quodque est veneratione dignum, quatenus est sanctum ; Imagines autem sunt sanctae, quatenus significant res sanctas. Igitur quae res [sic] magis sanctam [sic] significant, majori veneratione debent venerari [...]. Et hoc verum est de imagine tam interiori quam exteriori. » Ibid., I, fol. 171vo.

36« Secundo eadem veneratione Imago veneratur, qua res per eam significata. Nam idem est motus animi in signum et signatum. [...] et proinde Imago et crux Christi coluntur eodem cultu quo colitur Christus, quum in ipsis, et per ipsas Christus ipse colatur. » Ibid., I, fol. 171vo-172ro.

37Charles S. Peirce, Écrits sur le signe, éd. et trad. G. Deledalle, Paris, Seuil, 1978, p. 138-165.

38« Ideo imaginis, quatenus est signum, exercitium et officium proprium est rem significatam demonstrare, et animum in ejus cognitione transferre nulla consideratione adhibita an tale signum sit in tali vel tali materia, vel an sit relativum aut absolutum. Nam talis consideratio signi est indirecta, sicut quum profert quis hanc vocem “Homo” aut quampiam significativam, si motus animi feratur in rem significatam sine consideratione vocis, est directa cognitio. Si autem consideretur vox quatenus est dissyllaba, aut taliter vel taliter prolata, est cognitio indirecta, nec tunc habet rationem signi, sed rei actum intelligendi terminantis. Directa quidem cognitio fit per ultimatum ipsius signi vel vocis conceptum, qui est repraesentativus rei significatae. Indirecta vero fit secundum conceptum non ultimatum qui est repraesentativus et similitudo vocis vel signi. » Ibid., II, fol. 290vo.

39« Nullum est tamen periculum si simplices et idiotae nesciant definire imaginem, aut speculative distinguere imaginem a substantia ipsius, perinde atque Logici et Philosophi distinguunt figuram a re figurata, sed sufficit quod sciant imaginem esse repraesentationem rerum sanctarum, et ut per eas imagines doceantur colere id quod repraesentatur per illas, transferendo intelligentiam et affectum ad res significatas, et in ipsis imaginibus non sistendo. Haec est vera Ecclesiae doctrina, quam tradere debemus simplicibus sine disceptationibus cogitationum an scilicet imago sit qualitas vel relatio, vel in genere signi, et quae hujus generis. In hac quidem conclusione satis inter Scholasticos et Autorem libri convenit. » Ibid., II, fol. 303vo-304ro. La traduction est de F. Lecercle, Le signe et la relique, op. cit., p. 168.

40Voir entre autres les traités de Robert Bellarmin (Primi tomi Septima controversia generalis de ecclesia triumphante, 1587, livre II, chap. 21-25), Francisco Suarez (De incarnatione, 1590, pars 1, disp. 54) et Gabriel Vásquez (De cultu adorationis libri tres, 1601). Voir également la synthèse de toutes les positions sur cette question précise du double mouvement de l’âme vers l’image dans : Collegium Salmaticense FF. Discalceatorum B. Mariae de Monte Carmeli primitivae observantiae, Cursus theologicus juxta miram D. D. Thomae praeceptoris angelici doctrinam, Cologne, Huguetan, 1691, t. 10, disp. 37.

41« Confirmant alii hanc solutionem, quia licet sit unus motus mentis, id est, intellectus in imaginem & exemplar, tamen possunt esse contrarii motus voluntatis. Nam qui videt imaginem Christi malè depictam, odit imaginem, ut imago est, & tamen diligit Christum [...]. Haec solutio non satisfacit ; nam D. Thomas non dicit, motum in imaginem, ut imago est, esse etiam in exemplar, sed dicit, motum in imaginem, ut imago alterius est, esse etiam exemplar ; & hoc est verum tam de motu intellectus, quam voluntatis. Nam qui amat imaginem Christi, non quia imago est, sed qui imago est Christi, impossibile est, quin simul diligat Christum, quandoquidem Christus est ratio, cur diligat imaginem. » R. Bellarmin, Primi tomi Septima, op. cit., p. 235.

42Voir Ralph Dekoninck, « Pour une étude comparée de la théorie de l’art et de la théorie de l’image au regard de la seconde scolastique », in : Michèle-Caroline Heck (éd.), Lexicographie artistique. Formes, usages et enjeux dans l’Europe moderne, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2018, p. 309-323.

43Voir Holger Steinemann, Eine Bildtheorie zwischen Repräsentation und Wirkung. Kardinal Gabriele Paleottis « Discorso intorno alle imagine sacre e profane » (1582), Hildesheim, Olms, 2006.

44« Abbiamo ora a levare una difficoltà che tra’ dottori è grandemente agitata et intricata ; la quale è, come piamente possiamo rendere alle sacre imagini il debito onore, e se è un atto solo che si defferisce alla imagine et imaginato, o come. » Gabriele Paleotti, Discorso intorno alle immagini sacre e profane, Bologne, Alessandro Benacci, 1582, p. 254. Voir également la traduction latine de 1594, De imaginibus sacris et profanis, Ingolstadt, Sartorius, 1594, p. 131-132.

45« Intorno a che, lasciando le questioni scolastiche da parte, diciamo che nelle imagini si possono considerare tre cose : l’una è la materia della quale elle son fatte, come sarebbe a dire l’oro l’argento, l’avorio e cose tali ; la seconda è la forma data dall’autore a tal materia con disegni, lineamenti et ombre etc. ; la terza è ciò che risulta dalla materia e figura insieme, ch’è quella cosa che chiamiamo imagine, rappresentante un’altra cosa, della quale essa è similitudine. E di qui nasce che nel mirarla possono cadere in noi varii pensieri : l’uno dirizzato alla materia, come pregiata, ricca e vaga di colori ; l’altro, come a cosa disegnata con grande arteficio, e con molta diligenza figurata ; il terzo, come ad imagine, cioè in quanto fa lo effetto di rappresentare un’altra cosa, nel qual modo non attendiamo più all’opera come materia o figura, ma alla cosa rappresentata, che è in lei per modo di rappresentazione, et in questa fissiamo il pensier nostro. » G. Paleotti, Discorso, op. cit., p. 254-255.

46« Né saranno questi due atti diversi, che mirino due termini distinti, ma è un istesso atto, portato in un medesimo oggetto, ancorché sotto modo diverso tra la imagine e l’imaginato. » Ibid., p. 255.

47Voir Ralph Dekoninck, « Beauté et émotion. Du statut incertain du plaisir dans la littérature spirituelle illustrée des seizième et dix-septième siècles », in : Marc van Vaeck, Hugo Brems, Geert H. M. Claassens (éds), The Stone of Alciato. Literature and Visual Culture in the Low Countries. Essays in Honour of Karel Porteman, Louvain, Peeters, 2003, p. 945-960.

48Giovanni Andrea Gilio, Degli errori e degli abusi de’ pittori circa l’istorie, Camerino, 1564, in : Paola Barocchi (éd.), Trattati d’arte del Cinquecento, t. 2, Rome, Laterza, 1960-1962, p. 39.

49Voir Victor Stoichita, L’œil mystique. Peindre l’extase dans l’Espagne du Siècle d’Or, Paris, Le Félin, 2011. Citons comme exemple Le Christ en Croix de Zurbarán (Art Institute de Chicago), originellement conçu pour une des chapelles de l’église dominicaine de San Pablo à Séville.

50Voir par exemple ce qu’en dit Augustin Wichmans dans son Brabantia Mariana de 1632 : « la Sainte Vierge a voulu choisir des représentations très souvent de moindre valeur, à travers lesquelles, comme à travers des instruments, elle pourrait transmettre ses bienfaits admirables aux hommes afin que par ce moyen les fidèles soient avertis qu’il ne faut pas estimer davantage son image pour ce qu’elle est confectionnée avec art, qu’elle est agréable aux yeux, qu’elle a été parée précieusement ; ce n’est pas à partir du prix, de la forme ou de la matière des images (ce qu’ont pensé jadis les païens aveugles), mais à partir de la puissance divine et de la vertu qui résident à l’intérieur – c’est-à-dire par la divinité représentée dans ces images et honorée en elles – que sont engendrés les miracles et que sont conférés les bienfaits ; il ne faut donc pas assigner ces miracles au bois ou à la pierre habillement sculptés, ni à l’or ou à l’argent, fort estimable pour leur valeur ; il ne faut pas les leur réclamer à eux mais à ceux dont elles sont les représentations et pour ainsi dire les images vivantes » (Id., Brabantia Mariana tripartita, Anvers, Jean Cnobbaert, 1632, p. 236). Voir Ralph Dekoninck, « Les Silènes de Gumppenberg. L’Atlas Marianus et la matière des images miraculeuses de la Vierge au regard du culte marial dans les anciens Pays-Bas », in : Olivier Christin, Fabrice Flückiger, Naïma Ghermani (éds), Marie mondialisée. L’Atlas Marianus de Wilhelm Gumppenberg et les topographies sacrées de l’époque moderne, Neuchâtel, Éditions Alphil-Presses universitaires suisses, 2014, p. 211-221 ; Id., « La force en puissance des images. Les Visual Studies au regard de la théorie chrétienne de l’image, XVIe-XVIIe siècles », in : Gil Bartholeyns (éd.), Politiques visuelles, Paris, Presses du Réel, 2016, p. 275-293.