Jérôme Cottin, Les pasteurs, Origines, intimité, perspectives
(coll. « Pratiques » 35), Genève, Labor et Fides, 2020, 290 p.
À chaque génération de professeurs de théologie pratique sa contribution à la réflexion sur le ministère pastoral ! La théologie pratique étant en relation étroite avec son contexte d’élaboration, et ce contexte étant en mutation rapide, Jérôme Cottin se propose de « penser le ministère pastoral aujourd’hui », répondant à une « urgence » face à la pénurie de (bons) pasteurs et à leurs difficultés (p. 9). Selon lui, un des problèmes majeurs est la méconnaissance du métier de pasteur, ainsi que du contexte paroissial ; mais aussi la « survalorisation » du ministère pastoral, sur le modèle du prêtre catholique.
Pour penser le ministère pastoral, Cottin propose tout d’abord un retour aux textes bibliques, en récapitulant ce qu’ils (ne) disent (pas) des ministères ; ensuite, il présente la théologie des ministères des principaux réformateurs, en mettant tout particulièrement en valeur celle du strasbourgeois Martin Bucer, la moins connue mais pas la moins intéressante. Il relève que c’est Bucer qui « a le plus valorisé la participation des laïcs à la gestion de l’Église » et qui « a été le plus loin dans la diversité des ministères » (p. 61).
Jérôme Cottin pose un regard critique sur les contributions de quatre théologiens pratiques de la seconde moitié du XXe siècle : il juge sévèrement celles de von Allmen (qui survalorise le ministère pastoral dans ce qui semble être une aspiration à l’œcuménisme) et Dubied (pastocentriste), mais aussi dans une moindre mesure celle de Crespy (qui a une tendance à la fuite en avant), et ne trouve de vraie « pertinence » (p. 101) qu’à celle de Mottu, même si elle n’est selon lui pas exempte de défauts. Cottin pointe surtout les nouveaux défis auxquels l’Église est confrontée.
Après une compilation d’extraits de récits de pasteurs de différentes époques montrant la pluralité inhérente au ministère pastoral, et un examen des différentes approches de la question (notamment celles des théologiens pratiques Jean Rilliet, Jean-Marc Chappuis, Raphaël Picon), Cottin souhaite donner la parole aux pasteurs eux-mêmes, et c’est l’intérêt principal de son ouvrage. Il a procédé à une enquête en France, en Belgique et en Suisse francophones, par un questionnaire auquel 33 pasteurs ont répondu. Sans prétention sociologique, cela lui permet comme théologien pratique de dégager les joies et les difficultés des pasteurs aujourd’hui, les évolutions récentes, les perspectives d’avenir ; sans éluder les « tabous » (p. 201) que sont les questions financières et l’orientation sexuelle. Il consacre aussi un chapitre particulier aux femmes pasteures ; on regrette que le titre du livre (Les pasteurs au masculin) ne reflète pas la mixité qui a gagné le pastorat et que les pasteures ne soient cantonnées à un chapitre particulier (même si elles sont aussi présentes ailleurs dans le livre). Néanmoins, on apprécie l’introduction de ce chapitre : « La féminisation du ministère pastoral constitue incontestablement l’un des changements les plus spectaculaires et les plus positifs de ces dernières décennies au sein du protestantisme. » (p. 187) L’auteur met en lumière les difficultés et préoccupations des femmes pasteures et déplore la carence de littérature théologique sur le pastorat féminin. Il cite de larges extraits de leurs réponses à son enquête.
Enfin, Jérôme Cottin propose deux approches novatrices pour penser le ministère pastoral comme un travail d’équipe : la direction spirituelle, et l’ennéagramme. Elles invitent à connaître et à prendre en compte le caractère des différentes personnes amenées à travailler ensemble. L’auteur conclut avec une réflexion sur l’Église à « (re)construire » (p. 245) collectivement.
Un ouvrage important et accessible pour qui s’intéresse aux Églises protestantes aujourd’hui, à leur organisation et à leurs mutations.