Claude Panaccio, Récit et reconstruction. Les fondements de la méthode en histoire de la philosophie
(Coll. « Analyse et philosophie »), Paris, Vrin, 2019, 224 p.
Pouvons-nous dialoguer avec les textes du passé ? L’auteur répond à cette question en proposant une approche nominaliste et en défendant une conception continuiste en histoire de la philosophie. Considérant que les référents ultimes du discours philosophique sont des actes singuliers d’énonciation, sa réflexion part de l’opposition entre une position continuiste et une position discontinuiste. La première argumente en faveur de l’étude des œuvres du passé et de leur actualisation dans la recherche contemporaine. La seconde, insistant sur les différences de contextes, de vocabulaires, ou de questionnements, affirme l’existence de ruptures conceptuelles. Le débat entre le continuisme et le discontinuisme en histoire de la philosophie se résume au dilemme dit de McIntyre : ou bien nous lisons les philosophes d’antan à travers les discussions d’aujourd’hui, leurs doctrines étant sujettes alors à divers anachronismes ; ou bien nous conservons leurs théories dans tous leurs détails en les confinant dans leur contexte historique, les réduisant à des curiosités exotiques. Selon l’auteur, ce dilemme est régulièrement surmonté en histoire de la philosophie. Dans son argumentaire nominaliste, l’auteur décrit l’histoire de la philosophie comme un agglomérat d’événements discursifs singuliers. Ces discours traitent de problèmes philosophiques récurrents qui consistent, pour un tel, à affirmer que p, et pour un autre, à adopter une attitude interrogative à son égard. Les problèmes philosophiques ne sont pas des objets idéaux auxquels réfèrent les philosophes de tout temps. Il s’agit plutôt d’une relation entre des phénomènes extramentaux et des sujets pensants. Selon l’auteur, l’histoire de la philosophie présuppose un continuisme, de par son contenu et sa méthode. D’une part, elle présente une parenté des problèmes philosophiques ainsi qu’une continuité sémantique. Parce que nous avons une rationalité et une sensibilité constantes au monde, les mêmes interrogations au fil du temps resurgissent. En outre, la continuité référentielle est une condition nécessaire au travail en histoire de la philosophie, car sans elle nous ne pourrions référer à la même réalité extralinguistique. D’autre part, le travail de l’historien de la philosophie consiste, entre autres, en la reconstruction doctrinale. Il produit de nouveaux discours dans lesquels il présente les doctrines d’autrefois en ses propres mots. Parce que cette reconstruction est indispensable à l’intelligibilité des textes du passé pour les lecteurs d’aujourd’hui, elle est à la base de toute entreprise historico-philosophique. S’adressant autant aux étudiants qu’aux enseignants, l’ouvrage de Panaccio est une excellente introduction à l’histoire de la philosophie, telle qu’elle se pratique. Le langage en est simple et précis, les arguments clairs et les exemples pertinents. En faisant dialoguer les époques entre elles et en particulier des doctrines relevant de son champ d’études de prédilection (la philosophie médiévale) avec des thèses contemporaines, l’auteur illustre sa démarche méthodologique et instruit le lecteur par son érudition.