Catherine Saliou, Le Proche-Orient, De Pompée à Muhammad, Ier s. av. J.-C.-VIIe s. apr. J.-C.
(Collection « Mondes anciens »), Paris, Belin/Humensis, 2020, 595 p.
C’est en des pages denses et bien documentées que Catherine Saliou brosse l’épopée romaine au Proche-Orient. Tout ce qui s’est passé dans cette aire géographique de Pompée à Muhammad relève en effet bien de l’épopée, et d’une épopée dont les échos et les conséquences politiques et religieuses, souvent dramatiques, se sont douloureusement faites sentir au cours des siècles jusqu’à aujourd’hui. Berceau des trois monothéismes juif, chrétien et islamique, le Proche-Orient, entre le Ier siècle avant J.-C. et le VIIe siècle après J.-C., a été intégré au monde romain au même titre que les Gaules. Mais, parce qu’il était en contact avec la Perse et la Péninsule Arabique et qu’il constituait l’espace privilégié de transit pour les précieuses marchandises venues de l’Inde et de la Chine, le Proche-Orient a peu à peu composé un monde tout à la fois romain et exotique, caractérisé par d’irréductibles spécificités. C’est à cette dialectique de l’intégration et de la singularité que l’autrice s’intéresse en une première partie. Les civilisations très éloignées les unes des autres sur tous les plans que le Proche-Orient a ainsi mis ainsi en relation en ont fait non seulement un bouillon de cultures passionnant et passionné, mais également le théâtre de conflits constants. Après avoir envisagé l’histoire politique, militaire, administrative et économique de la région, Catherine Saliou met alors en évidence les rythmes propres des évolutions démographique, technique et commerciale, et de l’incorporation toujours mieux organisée du Proche-Orient à de puissants réseaux d’échanges. Elle montre ensuite comment la diversité des langues écrites et parlées, des cultes et des communautés, des individus et des modes de vie citadin, campagnard et bédouin a rendu aussi difficiles que complexes les équilibres sociétaux. La séparation du judaïsme et des communautés chrétiennes qui en sont issues, le succès rapide du christianisme et l’institution d’une église impériale, la résistance du polythéisme et du paganisme, les premières divisions de l’Église au fil des siècles et des problèmes conciliaires ont progressivement donné lieu à des conceptions et des élaborations sociales si différentes et opposées entre elles qu’elles furent de plus en plus irréconciliables. « Durant l’Antiquité tardive, dit Catherine Saliou, s’engagent à des titres variables des processus qui touchent non seulement l’administration provinciale, le système de défense ou l’organisation des cités mais plus généralement les régimes de pouvoir, avec l’émergence et l’affirmation de nouveaux porteurs d’autorité à la marge des institutions comme le saint homme ou le rabbin. Cette affirmation s’opère en partie au moyen de constructions discursives et mémorielles qui fondent des identités de groupes, et s’inscrivent dans un vaste mouvement de démultiplication des imaginaires et des mémoires collectives : aux traditions, héritées de l’époque hellénistique et amplifiées sous le Haut-Empire, qui permettaient aux habitants du Proche-Orient d’affirmer leur hellénisme, c’est-à-dire de se penser comme des Grecs, se superposent des images romaines et des récits issus de la geste biblique ou d’un passé proprement chrétien, qu’il soit réel ou imaginaire » p. 511s). Au VIIe siècle, la conquête du Proche-Orient par la nouvelle puissance qui vient d’émerger dans la Péninsule Arabique, sous l’impulsion de Muhammad et de la religion qu’il a prêchée, marquera alors la fin de l’hégémonie romano-chrétienne. D’autre part, en cherchant à replacer, dans un dernier chapitre, l’activité des historiens de l’Antiquité dans le contexte plus général de l’histoire des relations entre Orient et Occident et de l’histoire politique et religieuse du Proche-Orient, depuis le XVIIe siècle jusqu’à nos jours, Catherine Saliou fait de cet ouvrage une référence de premier intérêt pour faire comprendre avec le recul nécessaire les événements actuels qui s’y déroulent et leurs enjeux. Ce huitième volume de la collection « Mondes anciens », inaugurée en 2017, est réalisé avec le même soin que les précédents : les illustrations et documents qui accompagnent le texte sont bien choisis et renouvellent l’approche visuelle souvent assez conventionnelle des ouvrages d’histoire habituels. Des repères chronologiques, un glossaire et des cartes, un index des lieux et des noms de personnes, une bibliographie générale des sources utilisées et une bibliographie sélective pour chaque chapitre offrent un éventail d’orientations utiles pour faire de plus amples recherches.