Book Title

Johannes Bartuschat, Elisa Brilli et Delphine Carron (eds), The Dominicans and the Making of Florentine Cultural Identity (13th-14th centuries) / I domenicani e la costruzione dell’identità culturale fiorentina (XIII-XIV secolo) (Coll. « Reti medievali » 36)

Firenze, Firenze University Press, 2020, 306 p.

Stève BOBILLIER

Aujourd’hui encore, le couvent de Santa Maria Novella est un lieu incontournable de Florence. Au début du XIVe siècle, il devient un studium generale dominicain et un centre de prédication fameux qui se développe en symbiose avec la cité. Ce centre intellectuel fait alors partie intégrante de la politique et de l’identité culturelle florentine, au point de devenir le symbole de la ville guelfe. Le présent ouvrage, fruit d’un colloque tenu en décembre 2016 à Zurich, traite des influences réciproques entre la Commune de Florence et l’œuvre intellectuelle des frères dominicains, à travers douze articles rédigés en italien, en français et en anglais. L’originalité première de cet ouvrage consiste à faire dialoguer les deux histoires, très étudiées chacune de leur côté, de l’ordre dominicain à Florence et de la vie politique et civique de la Commune.

Dans une recherche collective, Delphine Carron, Iñigo Atucha et Anna Pegoretti offrent tout d’abord un aperçu chronologique fort utile pour déterminer quels frères, notamment le lecteur des Sentences, se trouvaient à Santa Maria Novella entre 1291 et 1319.

Delphine Carron produit ensuite une analyse des sermons de Remigio dei Girolami, disciple de Thomas d’Aquin et maître de Dante Alighieri. Ces textes dévoilent l’influence directe du dominicain dans la crise qui oppose guelfes blancs et noirs. Partant de versets bibliques, le prédicateur mêle le discours aristotélico-thomasien sur le bien commun au langage cicéro-augustinien de la concorde, pour appeler ses auditeurs à une paix nécessaire.

Ruedi Imbach examine ensuite le De modis rerum de Remigio. Ce traité de métaphysique jusqu’alors inédit souligne les rapports complexes qu’entretiennent le langage, la pensée et le réel, notamment dans les transcendantaux. Bien que l’approche du dominicain reste strictement ontologique, Imbach émet l’hypothèse que ce traité consiste en une borne décisive dans le linguistic turn qu’accomplit Ockham.

Blaise Dufal développe les positions du théologien anglais Nicholas Trevet, montrant comment ce dominicain transmet aux Italiens un profond et nouvel intérêt pour l’Antiquité, expliquant les points essentiels de la littérature classique, de la mythologie, de l’histoire et de la philosophie antiques, notamment au travers de commentaires de Boèce et de Sénèque.

S’appuyant sur le catalogue de la bibliothèque de Santa Maria Novella, Anna Pegoretti décrit le passage de l’état de studium à celui de studium generale. Elle discute également du cas controversé de la dédicace du commentaire de la Consolatio de Nicholas Trevet.

L’ouvrage se poursuit par l’article de Cecilia Iannella qui souligne la forte relation entre le populum et le prêcheur, au travers de l’analyse des sermons de Giordano da Pisa, premier auteur dont on a conservé les prêches en langue vernaculaire. Ces sermons reflètent la tension qu’il existe entre un monde idéal et la réalité, notamment dans la gestion politique et économique.

Maria Conte propose ensuite des observations préliminaires à l’édition des « Ammaestramenti degli antichi » de Bartolomeo da San Concordio. Cette œuvre en vernaculaire est un recueil d’auteurs antiques formant un manuel de vertu, qui fournit également les premières traductions de certains auteurs latins classiques.

Roberto Lambertini confronte les visions de Santa Croce et de Santa Maria Novella au sujet de l’usage pauvre. Traitant du franciscain Pierre de Trabibus, élève de Pierre de Jean Olivi, et de son opposition à Remigio dei Girolami, Lambertini aborde la question quodlibétale du rôle social des marchands et de la question des restitutions des gains usuraires. Il montre ainsi la différence d’approches entre franciscains et dominicains sur ces questions d’éthique économique fondamentales.

L’article d’Andrea Tabarroni traite des questions quodlibétales de Pierre de Trabibus, portant sur la vie économique de Florence, fournissant une première édition des questions 17 à 22 du Quodlibet 2.

Comparant les collections des bibliothèques de Santa Maria Novella et de Santa Croce, Sonia Gentili souligne le lien entre poésie et philosophie dans la production littéraire de Dante, notamment sur l’usage de l’Illiade par Aristote.

Thomas Ricklin décrit ensuite le rôle de la justice dans la Divine Comédie de Dante. Au Paradis, ce dernier invite les mortels à ne pas juger son prochain, car nul ne connaît le nom de tous les élus. D’ailleurs, dans la dernière sphère céleste, près des couronnes présidées par Bonaventure et par Thomas d’Aquin (au sein de laquelle apparaît le nom de Siger de Brabant !), se trouve une troisième couronne des bienheureux qui nous est inconnue. Il s’agit ainsi de retenir son jugement face à une justice divine qui dépasse l’entendement humain.

L’article de Francesco Bruni conclut l’ouvrage en établissant à nouveau le lien entre théologie et politique florentine au travers des visions de Dante et de Remigio dei Girolami.

On ne peut que conseiller à tout amoureux de Florence ou simple curieux des relations entre la Commune et le couvent dominicain, de lire cet ouvrage qui lui fournira de riches informations sur la construction de l’identité culturelle florentine aux XIIIe et XIVe siècles.