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Dire la « relation personnelle à Dieu »

Expérimentation dogmatique autour d’un thème délicat

Elio JAILLET

Faculté de théologie, Université de Genève

Introduction

Je saisis cette opportunité de publication interdisciplinaire comme une occasion de repréciser la méthodologie du travail en théologie systématique1. Si l’on tend habituellement à considérer que cette partie de la théologie a pour tâche d’exercer une réflexion critique et constructive sur les contenus de la foi chrétienne, il me semble qu’en contexte de pluralisme théologique, il est nécessaire de préciser la dimension pratique de cet exercice et de mettre en exergue des aspects trop souvent négligés, voire ignorés, de sa pratique.

Dit de manière caricaturale, la visée de l’exercice publique de la théologie systématique ne peut pas consister en l’identification ou l’élaboration de la meilleure manière de parler « théologiquement » de tel ou tel thème2. C’est la pratique de cet exercice qui doit être reformulée d’une manière qui soit adéquate par rapport aux coordonnées des sociétés occidentales contemporaines. La normativité de la discursivité doctrinale, dogmatique, systématique voire même critique, est profondément affectée par la reconnaissance sociétale, mais aussi ecclésiale (en tout cas pour les Églises protestantes dites « historiques ») d’un pluralisme constitutif et normatif. Ceci n’enlève rien à la nécessité de développer des discours à caractère normatif, mais mène à assumer de manière consciente les règles de son exercice3. La parole normative ne peut plus être assurée par une posture de surplomb, mais doit s’éprouver au-travers de sa reconnaissance individuelle et collective. Cette reconnaissance ne peut être assurée en amont. De plus, elle peut mettre à jour une encore plus grande pluralité, ce qui mène à constamment remettre sur le tapis l’énonciation des normes et des règles communes4.

Ceci implique pour les individus et les collectifs de s’engager de manière responsable dans la co-construction d’un sens dont ils sont appelés à se porter garants. Cette exigence vaut d’autant plus lorsque le discours qu’ils développent et réfléchissent dit de manière indirecte, ou iconique, la « relation personnelle à Dieu » – ce qui est le cas au plus haut degré pour ce qui relève de la théologie systématique. L’attention ne portera donc plus uniquement sur la force et la rigueur systématique des idées proposées, mais sur la manière de les construire, dans l’interaction entre des positions présupposées comme étant fondamentalement irréductibles les unes aux autres. Le moment de « vérité » du discours théologique n’est pas abandonné, mais il ne peut être formulé comme « présupposé de travail » que de manière très ouverte : partir en quête de la « vérité » du discours théologique affirme une hypothèse qui vaut presque un acte de foi ou d’espérance – qu’il y ait quoi que ce soit de vrai à dire au sujet de « Dieu » et à partir de lui. La clarté de la vérité du discours théologique, décisive pour la foi elle-même, n’apparaît que dans l’épreuve d’un processus dont la clôture est toujours à venir. Cependant, c’est bien ce désir de la vérité du travail théologique qui, dans le cours du travail, permet de relativiser l’absoluité des règles que l’on aura adopté pour guider ce travail commun – ce qui implique également que les règles sont à définir et à reconnaître au cas par cas et toujours à neuf.

Ma thèse est donc la suivante : la théologie systématique ne peut se faire abstraction faite d’une réflexion sur les modalités de sa pratique concrète. Cette réflexion doit elle-même être considérée comme une tâche directement théologique et non pas comme une étape préalable ou préparatoire. En assumant telle ou de telle modalité circonscrite, partielle et contingente et en assumant que c’est au travers d’elles que doit s’effectuer son travail, la théologie systématique dit bien quelque chose de « Dieu » dans le monde et de son intention à l’égard du monde.

Cependant, il est clair que théologiquement cette thèse ne va pas de soi. En effet, ne serait-elle pas juste l’expression d’un relativisme ambiant et délétère ? Le renoncement à toute petitio principii à la faveur d’une éthique de la discussion pragmatique et procédurale n’est-elle pas d’office empêchée pour une entreprise théologique qui s’inscrit à la suite de l’Évangile de Jésus-Christ ? Ne faudrait-il pas plutôt au contraire réinvestir résolument une réflexion d’ordre métaphysique, qui permette d’assurer de manière convaincante la légitimité des assertions théoriques et pratiques de la foi chrétienne dans le monde contemporain ?5 En quoi la théologie systématique resterait-elle encore théologique si elle ne fait que s’inscrire dans un processus réflexif et constructif qui vaut de manière générale pour toute norme, que celle-ci concerne une dimension religieuse ou non ? La suite de ce travail visera à donner réponse à ces questions et à clarifier le statut de la démarche indiquée. L’argument principal en sera le suivant : c’est du fait que, pour la foi chrétienne, la « relation personnelle à Dieu » doit être considérée comme un aspect fondamental et déterminant de toute existence humaine que la théologie est appelée à expliciter les modalités de son propre exercice.

Dans une première étape je rappellerai brièvement la réflexion actuelle sur le statut du travail en théologie systématique. Dans une seconde étape, je développerai le statut de la « relation personnelle à Dieu » dans l’anthropologie théologique et ses implications pour les « prolégomènes ». Finalement, je proposerai une exploration de quelques « symboles » de la pratique concrète de la théologie systématique : la prière, l’amour et le témoignage.

Ce texte est un essai. Il s’inscrit dans le cadre d’une recherche constructive visant à présenter une compréhension protestante de la « spiritualité ». L’une des découverte annexe de cette recherche est que la « spiritualité » – tant en un sens général qu’en un sens plus spécifique – est un donné initial de tout exercice théologique et que ce donné doit être pris en charge de manière adéquate et responsable dans l’exercice théologique lui-même, tout en respectant scrupuleusement ses contextes spécifiques et différenciés6. Ce que je développe ici n’est rien d’autre qu’une première tentative de prendre en charge cette découverte pour l’exercice de la théologie systématique dans le contexte académique et universitaire des sociétés occidentales pluralistes.

1. La théologie systématique comme herméneutique du discours religieux

Récemment, certains théologiens protestants sont arrivés à la conclusion qu’il fallait considérer que l’objet du travail en théologie systématique était le « discours religieux »7. Pour le dire de manière ramassée : la dogmatique est une réflexion du langage religieux sur lui-même, confronté à l’exigence de vérité. Pour la théologie protestante, cet acte réflexif implique un pas de côté par rapport au langage de la foi pris dans l’immédiateté de son usage. Dans la dogmatique, le théologien et la théologienne tentent de réfléchir de manière intelligible ce que la foi dit de ce qu’elle croit. Par ce geste, ils visent à discerner ce qui fait l’essence de la foi chrétienne et à mettre sa vérité à l’épreuve8. Sur le fond on rejoint ici une intention qui avait déjà été posée par le théologien réformé Friedrich D. E. Schleiermacher (1768-1834) dans la deuxième édition de sa Glaubenslehre : la présentation de ce que l’Église croit et enseigne à un moment donné s’édifie sur la base du langage de la foi chrétienne, telle qu’il se développe dans le discours public de l’Église, sa liturgie et son enseignement9. En conséquence, la théologie, comme dogmatique, ne s’identifie pas directement avec le discours ou la pratique religieuse. À la différence d’autres parties du christianisme qui peuvent identifier par exemple liturgie et théologie (theologia prima)10, la théologie protestante insiste fortement sur l’écart persistant entre la parole, les actes et la réflexion humaine d’un côté et la glorification qui n’appartient qu’à Dieu seul de l’autre. La seule chose que le théologien peut faire, c’est pointer en direction du Crucifié-Ressuscité, comme l’a illustré Thomas Cranach dans la partie inférieure du retable de Wittenberg (1547).

Si l’on indique la communication religieuse comme source première de la dogmatique, c’est également en fonction de cet horizon qu’on peut redéfinir sa tâche. En un sens plus général, les développements de second degré que sont les réflexions et les affirmations de la théologie systématique, visent notamment à éclairer le sens de cette communication et de ce qui s’y passe. Elle le fait dans une perspective critique, à la lumière du travail de la raison et, selon les auteurs, de l’Évangile lui-même11. Sous cet angle, la systématique se présente essentiellement comme une herméneutique. Elle ne se contente pas de décrire et interpréter ce qui est cru, mais par ses productions elle relance l’expression de la foi. En assumant précisément cette tâche critique et constructive, elle a une incidence sur le développement concret de la communication religieuse qu’elle réfléchit. Se faisant, la systématique continue d’assumer son lien avec la communication religieuse et avec le champ religieux comme tel12. Autrement dit, sous ces conditions la théologie systématique maintient un lien avec la foi chrétienne : elle se fait théologie pratique13 – comme l’on parle parfois de philosophie pratique14. Elle ne renonce pas à l’horizon de la foi pour sa propre intelligibilité et participe de manière (in)directe au mouvement de son auto-compréhension15. Cette tâche herméneutique peut également s’adresser aux diverses expressions culturelles d’une société donnée, en tant qu’elles intègrent et s’approprient des fonctions qui appartiennent à la religion et rentrent ainsi en interaction avec la religion16.

Sous ces conditions, la théologie systématique prétend aussi prendre part à la discussion scientifique17. Seulement, la théologie n’accède à cette préoccupation qu’en insistant sur la part irréductible de la communication religieuse. Pour la théologie protestante, cela implique qu’elle assume la particularité de la foi, son vécu personnel, individuel et collectif et son expression dans le monde, telle qu’elle est fondée dans l’Évangile de Jésus-Christ, le Crucifié Ressuscité. Or la « relation personnelle à Dieu » est une dimension centrale la proclamation évangélique : « Ainsi donc, justifiés par la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ » (Rm 5,1)18.

2. Les lieux de la relation personnelle à Dieu

La « relation personnelle à Dieu » ne se présente pas telle quelle comme un thème de la systématique19. En revanche, la plupart des lieux de la doctrine chrétienne sont concernés par ce motif. Les différentes parties de ce qu’on appelle l’histoire du salut peuvent être considérés comme tant de « moments » qui expriment et expliquent l’histoire de la relation entre Dieu et l’humanité, telle que la foi la reçoit20. C’est en revanche dans l’anthropologie théologique que cet aspect apparaît le plus clairement : pour la foi, l’être humain est constitutivement en relation avec Dieu. Cette affirmation a des conséquences pour l’exercice même de la théologie.

2.1. Imago Dei

Traiter en dogmatique de la « relation personnelle à Dieu », c’est développer notamment le thème de l’imago dei. Pour faire bref, l’être humain « créé à l’image et à la ressemblance de Dieu » (cf. Gn 1,26-27) est l’être dont la vocation est de manifester Dieu dans sa création, en le reflétant – dit de manière encore plus traditionnelle : en le glorifiant.

Une fois que l’on a dit cela, il faut préciser que cette affirmation répond d’un problème, ou plutôt d’un drame. Le récit de la « chute » fait signe vers la déchirure qui traverse concrètement l’existence humaine – mort, injustice, abandon, souffrance, esclavage, etc. Face à ces expériences, le mythe biblique présente la relation entre l’image et ce dont l’image est image comme étant rompue (Gn 3)21. Quelle qu’en soit la forme ou l’expression narrative de cette déchirure, elle doit être comprise comme l’indice d’une rupture dans la relation constitutive à Dieu22. Le récit biblique présente cette situation comme une réalité que l’humanité reçoit en héritage, cette figure généalogique visant à rendre compte d’un trouble existentiel fondamental (cf. Rm 7,7-25) – bien que celui-ci ne soit identifié ni comme la réalité finale, ni même comme la réalité première. Ainsi, pour le christianisme, la foi vient en réponse à l’épreuve que fait traverser cette rupture et particulièrement la foi donnée par Jésus de Nazareth lui-même, lorsqu’il se donne à connaître et est reconnu comme le Messie du Dieu d’Israël. Même plus, c’est de la personne de Jésus-Christ que jaillit la compréhension adéquate de cette rupture et de la relation que lui-même restaure par sa vie et sa mort, mettant ainsi en lumière la relation telle qu’elle a toujours été voulue par Dieu23.

Dans l’histoire et l’existence de Jésus-Christ, telle qu’en témoigne la communauté chrétienne, se donne à voir la dynamique relationnelle qu’est l’existence humaine authentique, toujours participante d’une histoire qui l’excède et dans laquelle elle éclot à elle-même, par-delà toute détermination24. Pour l’anthropologie chrétienne, l’être humain est un être-tourné-vers : il n’existe que dans le face-à-face et l’interaction avec Dieu et son prochain dans le monde et c’est cette interaction qui est constitutive de ce qui fait de lui une personne. La notion de « personne humaine » vise l’existence d’une individualité responsable et irréductible qui ne se constate pourtant nulle part ailleurs qu’au travers du réseau d’interactions, tant physiques, biologiques, psychologiques, sociales que culturelles25, qui la constitue. La « personne humaine » ne se présente non pas dans l’observation empirique d’une vie humaine individuelle, mais dans la reconnaissance manifeste d’une interpellation incessante posée au cœur du monde : celle de « Dieu » lui-même26. La personne humaine est la réponse donnée à l’appel de Dieu. En Jésus-Christ, cette interpellation prend des contours humains tout à fait précis : celui de l’amour qui va jusqu’à la mort – suivant les évangiles, cet amour traverse le ministère du Nazaréen et se maintient dans son procès, jusqu’au moment de l’exécution. Ce qui ne peut qu’être cru ici, c’est que cet amour – un don-de-soi sans retenue27 – non seulement ait existé, mais se soit réaffirmé personnellement par-delà la crucifixion, « car il n’était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir. » (Ac 2,24c)28. Dans la foi chrétienne, Jésus-Christ, en tant qu’il est entièrement déterminé par l’amour qu’est Dieu lui-même et le communique plus loin, est reconnu comme le lieu de l’existence humaine tout court (cf. 1 Jn 4,10-12)29.

En bref, être humain c’est être en relation à Dieu, comme Dieu lui-même se donne en relation à nous, c’est-à-dire comme personne et ainsi comme amour. Sous le titre de l’imago dei, la relation personnelle à Dieu est constitutive pour l’existence humaine, à la fois comme son origine, son milieu et sa fin30. Cette compréhension dogmatique de l’existence humaine rejaillit sur la compréhension des conditions de possibilité du travail théologique lui-même, ce qui nous oriente sur la thématique des prolégomènes, ou de la théologie fondamentale.

2.2. Prolégomènes

Dans le contexte des prolégomènes on traite habituellement du rôle des Écritures saintes, de l’Église et de sa tradition pour l’élaboration doctrinale, éventuellement du rôle de la raison, de la nature, de l’histoire – ou de la communication humaine plus généralement31. On pourrait considérer qu’il s’agit d’un cadre « séparé » de la matière dogmatique elle-même, mais de fait les legomena sont toujours-déjà présents dans les pro-legomena : le cadre est pétri du contenu qu’il délimite.

Les développements de l’anthropologie théologiques mènent cependant à devoir penser la « relation personnelle à Dieu » comme partie de ce qui conditionne l’exercice de la théologie, et ainsi comme partie des prolégomènes32. Dans le cadre de la dogmatique protestante, cette relation ne peut pas être ignorée, à cause de l’importance centrale que prend pour elle la foi. Dans la foi, la relation personnelle à Dieu est ce qui fait du théologien une personne et la personne particulière qu’elle est. Lorsque Schleiermacher traite dans les prolégomènes de sa Doctrine de la foi du « sentiment de dépendance absolu » (schlechthinniges Abhängigkeitsgefühl), il cherche à indiquer avec précision la dimension constitutive de cette relation pour la conscience religieuse et donc pour le discours qui tente de la réfléchir33. Cela ne veut pas dire que l’étendue de ce que le théologien pense et développe se réduit à la sphère de sa subjectivité, mais seulement que le travail en théologie systématique prend également en charge cette dimension et ne peut pas l’ignorer. Ceci mène notamment à devoir penser le statut de l’expérience personnelle pour le travail en théologie. Est-elle uniquement à canaliser, afin qu’elle n’interfère pas avec le travail scientifique, ou au contraire faut-il dire qu’elle joue un rôle positif, voire essentiel, dans le travail théologique en tant que tel, particulièrement au sein de la théologie systématique ?34

À cet endroit se présente cependant le spectre de la theologia regenitorum, figure de pensée attachée au piétisme des XVIIe-XVIIIe siècles, en démarcation de l’approche scolastique de l’orthodoxie protestante. Pour le piétisme, l’expérience – et notamment l’expérience de la conversion (Bekehrung) – joue un rôle fondamental dans la constitution du « théologien ». La théologie chrétienne est comprise par le piétisme comme une théologie de l’humanité régénérée par l’action de Dieu en Jésus-Christ. « Le piétisme défend de manière conséquente [...] une conception de la théologie qui veut que seul celui qui pratique la matière (Sachverhalte) de la théologie peut réellement la comprendre. »35 Nul besoin de rentrer dans les détails des multiples problèmes qui sont apparus avec cette conception de la théologie36. L’un des aspects les plus problématiques est qu’elle invite à traiter la foi comme une forme de possession qui résulterait de l’expérience de la « relation personnelle à Dieu ». L’« expérience » est alors identifiée comme l’assise ontologique de la certitude propre à la foi (assensus). Il est alors possible de la faire opérer comme facteur discriminant au sein de la théologie et de l’Église, entre ceux qui seraient ou non aptes à être théologien ou chrétien.

Je souhaite marquer ici une démarcation nette par rapport à cette orientation. Si l’on considère que l’expérience de la « relation personnelle à Dieu » intervient bel et bien dans l’exercice de la théologie, celle-ci ne peut jamais justifier un repli de l’identité croyante sur elle-même. Au contraire, cette relation constitue une identité excentrée, qui correspond au mouvement de la foi : la reconnaissance active d’une grâce donnée à l’être humain, alors même que celui-ci persiste dans une ambivalence qu’il ne peut surmonter lui-même (simul justus et peccator). Ce mouvement d’excentricité de l’expérience propre à la foi a été très bien cadré par le théologien réformé Karl Barth (1886-1968), dans le contexte de sa théologie de la Parole de Dieu :

Lorsque la Parole de Dieu nous est présente, cela signifie que nous sommes détournés de nous-mêmes, tournés vers Dieu, orientés vers la Parole de Dieu. Être dans la foi, c’est être appelé à une foi nouvelle. Présence de la Parole et être dans la foi, ces mots signifient donc : s’attendre à la Parole et à la foi, attendre un nouveau rappel à la libre réalisation de la grâce que l’on vient de vivre, une nouvelle introduction dans la promesse, une nouvelle vision de l’événement dans lequel la possibilité de connaître la Parole de Dieu nous devient visible. [...] L’homme l’Église, la prédication de l’Église, la dogmatique, qui penseraient pouvoir se servir de la Parole et de la foi comme d’un capital à leur disposition ne feraient que démontrer qu’ils n’ont ni la Parole ni la foi37.

Si la « relation personnelle à Dieu » forme l’expérience du théologien et informe son travail, il s’agit d’une expérience qui est constamment à recevoir à neuf et qui doit être approchée comme telle aussi : jamais comme un acquis, mais toujours comme une nouveauté à attendre. Pour la foi chrétienne, la réalité et la réalisation présente de la filiation divine est bien quelque chose qui est donné à croire : par Jésus-Christ, l’humanité hérite déjà maintenant de la filiation divine – mais ce n’est pas un savoir, ou tout du moins, ce n’est pas un savoir sans croire. Car tout en affirmant la réalité de cette filiation, la foi atteste de la brisure qui traverse l’existence concrète de celui ou celle qui croit. Ainsi, la forme d’une théologie qui assume que la « relation personnelle à Dieu » fait partie des conditions concrètes de son exercice, ne peut qu’être une theologia viatorum, un cheminement où l’identité constituée par la « relation personnelle à Dieu » est elle aussi constamment à recevoir à neuf.

La « relation personnelle à Dieu » ne peut donc être quelque chose que l’on « pose », qui puisse faire office de cadre assuré38. Pour le dire autrement : le théologien, la théologienne et l’Église ne peuvent affirmer la « régénération » de l’imago dei comme un donné évident et simple. La théologie chrétienne est une théologie de la croix : le Ressuscité, celui dont l’ensemble de l’humanité est appelé à participer, était, est et sera le Crucifié39. Même une conception évolutive ou processuelle de la régénération de l’humanité à partir de Jésus-Christ, aussi optimiste soit-elle, ne peut faire l’impasse sur le scandale qu’est l’affirmation chrétienne d’un Christ Crucifié et Ressuscité40. Ce scandale empêche toute « possession » de cette relation et de ce que cette relation conditionne. Ce qui se donne à réfléchir dans la « relation personnelle à Dieu » est un mouvement de renvoi et non une propriété : même s’il reste impliqué de fait dans son propos, le « propre » du théologien s’efface dans le mouvement de renvoi. Au moment où il tente de s’affirmer « pour lui-même », il est placé sous le jugement de la croix.

Cependant, cela ne veut pas dire qu’il n’y aurait pour autant rien à dire sur les conséquences de la « relation personnelle à Dieu » pour l’exercice de la théologie. Au contraire, cela invite à porter une attention plus accrue sur la manière d’exercer ce cheminement dans le travail théologique et à prendre ce chemin avec soin, parce qu’il est précisément le lieu où les personnes adviennent à leur propre identité. C’est dans cette direction que nous allons nous orienter maintenant, avant de conclure.

3. La « relation personnelle à Dieu » comme condition de l’exercice dogmatique

Le chrétien et la chrétienne vit d’une vie qui lui est pleinement donnée, mais dont la plénitude doit encore se réaliser (Rm 8,2 ; 2 Co 1,22 ; 5,17). Sur la base du témoignage biblique, le peuple des croyants et de croyantes affirme déjà vivre maintenant de cette restauration de l’imago dei dans la foi – c’est cela que la théologie systématique tente de réfléchir et c’est sous ces conditions qu’elle se sait pouvoir le faire41. Par son travail de réflexion, elle vise à approfondir la compréhension de cette situation, afin notamment d’en orienter l’expression dans le discours et la pratique, dans la vie personnelle de manière générale. En ce sens, la « relation personnelle à Dieu » est une donnée constitutive pour son travail. Dans celui-ci, le théologien ne pourra en revanche jamais prétendre pouvoir parler ou saisir immédiatement ou définitivement ce dont il opère la réflexion. Il ne pourra toujours qu’en parler indirectement et de manière provisoire (1 Co 12,12). En même temps, le théologien est, dans sa personne, constamment provoqué et travaillé par un appel à faire correspondre son propre discours et son propre agir au mouvement de Dieu, dont la foi chrétienne trouve la trace dans la personne de Jésus-Christ42 – que cet appel doive être reconnu ou non par les théologiens dans la réponse que lui donne la tradition chrétienne ne peut être déterminé de manière générale et définitive. Dans tous les cas, le théologien est confronté à une tension fondamentale, résultant de deux impératifs : devoir donner forme à l’appel qui lui est adressé et ne pouvoir le faire que par un geste réflexif, et donc jamais de manière immédiate. Cette double réalité pose une tension dont la teneur ne peut être réfléchie et articulée qu’au travers de la dimension symbolique et poétique de la communication humaine et par la pragmatique propre à ces dimensions43.

L’un des enjeux pour la théologie systématique face à cette tension sera de porter une attention particulière à la praxis qui essaie de la prendre en charge44. Dans ce qui suit je souhaite donner les contours de trois figures théologiques qui peuvent servir au discernement des axes de cette praxis. Il s’agira de la « prière », de l’« amour » et du « témoignage ». Ces figures ne décrivent pas empiriquement la praxis théologique, mais on peut espérer qu’elles contribuent à son orientation par les ouvertures sémantiques et imaginatives qu’elles suscitent45. En ce sens, elles pourraient, voire devraient être complétées par des développements d’ordre à la fois méthodologiques et didactiques – ce qui ne sera pas possible ici.

Pour chaque figure, je proposerai une brève définition de son contenu théologique ainsi qu’un bref développement des enjeux qu’elle révèle au niveau de la praxis de la théologie systématique. Je ne pourrai pas être exhaustif. Ce qui suit doit être considéré au mieux comme une première esquisse d’un travail à approfondir.

3.1. La « Prière »

Prier, c’est rencontrer Dieu et se tenir dans cette rencontre. Dans la prière l’être humain existe réellement comme personne, parce que Dieu existe avec lui comme personne. Autrement dit, c’est dans la prière que s’éprouve et se mesure l’humanité de celui qui prie. « Abba, Père, à toi tout est possible, écarte de moi cette coupe ! Pourtant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Mc 14,36). La prière engage la responsabilité humaine (Dn 9,4-19), mais également celle de Dieu. Le « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mc 15,34) posé dans la bouche du psalmiste et de Jésus est un cri adressé à Dieu, qui le convoque. On peut ici reprendre une belle formule du théologien Hans-Christoph Askani :

La prière est donc la mise à l’épreuve de l’espace entre Dieu et l’homme, la « dé-couverte » de la distance infinie entre les deux, une distance « faite » pour l’homme, pour son langage, pour que ses paroles qui ne l’auront jamais complètement parcourue puissent en elle commencer à parler46.

La prière n’est pas simplement le lieu d’un silence abyssal, mais expression de l’être humain, assumant sa finitude dans et pour une ouverture toujours « trop grande »47, constitutive de ce qu’il est et de la liberté que manifeste cet être. Ce que cette figure met en lumière de l’être humain, est fondamental pour l’exercice de la théologie : l’être humain est constitué par une interpellation. Elle le précède et fait de lui ce qu’il est, le fonde dans sa vie comme personne : « Où es-tu ? » (Gn 3,9). La prière est la réponse à cette interpellation qui précède toute prise de parole : « Le travail théologique vit de et par la prière appelant la venue du Saint-Esprit – de sorte que toutes les questions, recherches, considérations et affirmations auxquelles il donne lieu ne sont que des formes de cette prière [Veni, Creator Spiritus !] »48.

Quelles sont les incidences de cette figure pour la praxis de la théologie systématique ? Il me semble que l’on ne comprendrait pas du tout ce que cette figure théologique vise si par là on en déduirait, par exemple, qu’il faille réciter une prière commune au début d’un cours, d’un colloque ou d’une quelconque session de travail (bien que cela se pratique effectivement par endroits). L’enjeu me semble plutôt être le suivant : la théologie se pratique dans une posture où le centre de gravité est ailleurs que dans la personne du théologien, mais aussi ailleurs que dans la société ou l’université – il est en « Dieu ». Suivant cette posture, « ce qui est en propre » n’est jamais acquis, mais doit être reçu et reconnu toujours à neuf. Le travail théologique doit refléter la structure interpellative de la prière.

3.2. L’« amour »

Karl Barth n’hésite pas à parler de l’amour comme d’une variation de « la condition même de la science théologique »49. Le travail théologique « ne peut être entrepris, accompli et mené à bien comme une œuvre bonne, que dans la réception et l’exercice du libre don de l’amour »50.

Selon Wilfried Härle, l’amour peut être compris comme la « praxis vivante de la foi »51 (Lebenspraxis de Glaubens). Dans la foi, celui ou celle qui croit reçoit un commandement tout à fait spécifique de la part du Fils : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. » (Jn 13,34)52. L’« amour » est la condition de la vie humaine, en tant que l’« amour » est d’abord la condition de Dieu lui-même, lorsqu’il se manifeste auprès de sa créature (1 Jn 4,7). L’« amour » s’affirme tant dans la brisure qui traverse l’existence humaine que dans le face-à-face rétablit avec Dieu. Dans la brisure, Dieu s’est donné sans conditions à l’être humain en face-à-face, révélant ainsi doublement qui il est et ce qu’il attend que l’être humain soit, tout en lui donnant de l’être : don désintéressé de soi, dans la confirmation d’une relation donnée de toute origine53. Ce mouvement devient constitutif de ce qu’est la « personne », ou tout du moins de « Dieu » en tant que « personne » et de la « personne humaine » comme lieu d’expression indirect de l’amour que seul « Dieu » est pleinement.

L’activité scientifique est traversée d’un désir de connaissance. Cela concerne aussi la théologie54. Mais en théologie ce désir – et ce que ce désir produit – est appelé à être orienté encore plus fondamentalement par l’engagement désintéressé envers Dieu (action de grâce) et le prochain (diaconie) – et ainsi seulement envers soi-même. Ceci implique que la praxis de la théologie systématique comprend une réflexion critique et constructive sur sa capacité à réaliser ce double, voire triple, engagement et à le tenir, à l’appui d’une analyse fine de son exercice concret – et ce dans les divers domaines où elle a lieu (enseignement, recherche, publication, débats et interventions publiques, direction d’Église, etc.).

3.3. Le « témoignage »

Dans l’évangile selon Jean, toute la mission de Jésus tourne autour de cette structure du témoignage : « Je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37). Jésus, comme l’envoyé du Père, est celui qui rend gloire à Dieu dans le monde, par les signes qu’il produit. C’est de cette manière qu’il est imago dei : en celui qui se dit être « l’envoyé du Père », Dieu rend témoignage à l’être humain et l’être humain rend témoignage à Dieu. Mais il faut être plus précis : c’est dans et par ce témoignage qu’est révélé ce qu’est l’imago dei. Plus loin, ce que le Jésus lucanien promet aux disciples au moment de son départ, c’est qu’eux aussi participeront de ce même mouvement : « vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). De même chez le Jésus johannique : « En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père et que vous êtes en moi et moi en vous » (Jn 14,20). Celles et ceux qui ont reçu l’Esprit-Saint, qui sont pour lui une demeure, rendent témoignages au Christ : « [C’est] l’Esprit qui fait des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père » (Rm 8,15). Dans la relation à l’Esprit-Saint, c’est la filiation divine et donc l’imago dei qui est restaurée : « Cet Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu » (Rm 8,16). Par leur témoignage, les témoins indiquent la présence du Christ de Dieu ici et maintenant. Pour le dire de manière plus condensée : ces personnes indiquent la présence de Dieu, tel qu’il se rend présent auprès d’autres que lui-même. Les témoins font signe vers Dieu tel qu’il est en relation avec l’être humain pour que l’être humain soit en relation avec lui et, ainsi, le glorifie. Ils le font dans l’espérance que l’être humain soit réellement imago dei – et c’est ce que signifie l’espérance dans le don de l’Esprit-Saint.

La figure du « témoignage » met en lien différents lieux théologiques majeures (anthropologie, pneumatologie, éthique et vie chrétienne, christologie, etc.). En modernité tardive, elle se révèle une figure centrale pour penser la vérité propre au travail théologique, qui lie indissociablement expérience et retour réflexif sur cette expérience par le truchement du langage et de la praxis55. Le témoin n’effectue pas de « clôture », mais au contraire maintient l’espace ouvert pour que Dieu « se dise » au travers du récit que lui, le témoin, offre au monde. Son témoignage relance encore une fois l’interprétation de l’expérience constitutive pour son propre Soi, un Soi particulier. En même temps, cette expérience est entièrement en excès sur ce Soi, indiquant l’espérance de la réalisation de tout Soi dans le face-à-face espéré avec Dieu et réalisé en Jésus-Christ.

Pour la praxis de la théologie systématique, cette figure à une incidence pour le moins paradoxale. La théologie elle-même, comme science, ne témoigne pas (ou tout du moins, elle n’a pas à le prétendre), mais mesure la vérité des différents témoignages au sujet de Dieu à l’aune du témoignage de Dieu lui-même. Là à nouveau, dans l’idiome de Karl Barth :

vis-à-vis de la prédication, de l’enseignement et de la cure d’âme, toutes choses qui ne sont pas directement de son ressort, la théologie a pour tâche de poser la question de la vérité, afin d’aider l’Église elle-même à parvenir à opérer les clarifications précises dont elle a besoin et qui sont possibles à partir de là56.

Dans la théologie de Barth, le « témoignage » est l’une des figures de la « révélation », en tant qu’elle prend forme dans la « vie chrétienne » dans son ensemble57. L’enjeu de la suspension de la théologie à l’égard du « témoignage » est précisément de favoriser l’advenue imprévisible du « témoignage » unique de Dieu, au-travers de la pluralité irréductible des existences humaines dans lequel il est appelé à advenir concrètement58. Qu’un « témoignage » ait lieu en théologie ne peut être conçu que comme un effet imprévisible, gratuit – un « miracle » – par rapport à la réalité concrète de son propre exercice. Ceci a notamment pour conséquence que la théologie ne peut jamais prétendre clore ou posséder un critère de clôture définitif eu égard au « témoignage » – le seul critère qu’elle peut recevoir est celui qui est donné par la foi. La seule chose qu’elle peut faire, c’est porter attention au « témoignage » dans son expression historique concrète et plurielle, et donc aux « témoignages ».

Sur le plan de sa praxis, la figure théologique du « témoignage » implique précisément que la théologie systématique prenne en compte la « personne » et son développement comme un paramètre central de son exercice. Si la théologie systématique vise notamment à avoir un rôle critique et une fonction d’orientation dans la production des multiples « témoignages » rendu au « témoignage de Dieu lui-même », elle doit également prendre en compte la dimension « personnelle » comme dimension concernée par cette orientation – et indirectement, aussi par sa critique. Dans la mesure où pour la foi chrétienne, la « personne » n’est précisément pas une catégorie close mais ouverte (parce que constituée par la relation à Dieu), la conséquence de cette prise en compte pour une théologie systématique qui répond du christianisme, ne peut en tout cas pas être l’édification d’un ethos définitivement déterminé auquel correspondrait un set d’affirmations doctrinales59. Bien au contraire, la conséquence qui en découle est qu’elle se trouve avec la responsabilité d’assurer un cadre de travail sécure qui permette aux personnes individuelles de développer de manière différenciée leur propre auto-implication dans l’élaboration de leurs discours et de leurs pratiques et dans la réflexion critique sur celles-ci ou sur d’autres, lorsqu’elles sont soumises à analyse60.

Ce que ces trois figures (« prière », « amour » et « témoignage ») interrogent dans la praxis de la théologie systématique, c’est sa capacité à tenir compte de la posture que ces figures informent et à affirmer les éléments qui dans sa pratique font signes vers cette posture. Sur le fond, ces trois « figures » sont liées entre elles et forment un réseau de signification où est mis en scène l’activité humaine dans la relation à Dieu61. La théologie systématique elle-même, dans sa tâche spécifique, ne peut faire abstraction des effets de cette mise en scène sur son propre travail et sur la manière dont cette mise en scène la configure de l’intérieur – parce qu’il s’agit de son objet d’étude et que les personnes qui la pratiquent ne peuvent pas ne pas être affectées, d’une manière ou d’une autre, par cette mise en scène.

Conclusion

Arrivé au terme de cet essai, je résume brièvement les résultats de cette réflexion constructive en théologie systématique.

Parler de la « relation personnelle à Dieu » en théologie systématique, c’est mettre en évidence l’une de ses conditions de possibilité. L’anthropologie théologique en donne l’articulation objective par le thème de l’imago dei. Cette dernière présente l’être humain comme être constitutivement en relation avec Dieu. L’histoire de cette relation est l’un des sujets fondamentaux de la théologie chrétienne. D’un côté, la foi chrétienne dit que cette histoire est arrivée à son terme en la personne de Jésus-Christ. De l’autre, elle sait que la fin qui se présente en Jésus-Christ doit encore se réaliser pour l’ensemble du monde, pour « que tout ce qui respire loue le Seigneur » (Ps 150,6).

Pour la théologie, ceci implique de porter une attention particulière à la manière dont son exercice pratique intègre la « relation personnelle à Dieu », à la fois comme une réalité déterminante et comme une réalité infiniment ouverte, encore appelée à se réaliser. Les figures de la « prière », de l’« amour » et du « témoignage » pourraient servir au discernement de la fine crête qu’il s’agit d’arpenter.

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1Sous ce titre, je comprends indifféremment ce qui se fait aussi en éthique théologique, en dogmatique et en théologie fondamentale.

2Il n’est d’ailleurs pas certain que qui que ce soit défende explicitement une telle compréhension du travail en théologie systématique. En revanche, que cette position soit un impensé de la pratique de la théologie systématique courante, cela mériterait d’être vérifié plus avant.

3C’est bien le sens d’ailleurs des projets d’une éthique de la discussion, tels qu’ils ont été développés par Jürgen Habermas, Karl-Otto Apel et Jean-Marc Ferry. Guidée initialement par une réflexion de type transcendantale, l’éthique de la discussion intègre également des approches plus proches de la pragmatique, voire de la systémique.

4À la suite de Jean-François Lyotard, il faut sans doute souligner que le différend est l’horizon fondamental sur lequel doit être pensé la communication et le statut de la norme et non le consensus.

5À ce titre, on peut mentionner des courants aussi divers que la théologie du process, la radical orthodoxy ou encore la reformed epistemology.

6Le travail théologique n’est pas soumis aux mêmes conditions s’il se fait à l’Université, en Église, s’il se fait à l’adresse de la société ou encore s’il vise simplement à répondre à un besoin de développement personnel.

7Cf. Folkart Wittekind, Theologie religiöser Rede. Ein systematischer Grundriss, Tübingen, Mohr Siebeck, 2018. Cette option reprend dans une certaine mesure les développements des théologies herméneutiques (Gerhard Ebeling, Eberhard Jüngel) en l’alignant sur une théorie de la religion comme communication religieuse (Niklas Luhmann, Volkhard Krech). Christian Danz reprend cette base pour sa pneumatologie : Christian Danz, Gottes Geist. Eine Pneumatologie, Tübingen, Mohr Siebeck, 2019. L’attention portée à la pragmatique du discours et à l’usage de la catégorie de « religion » est ici fondamentale. On trouve des approches comparables chez Dietrich Korsch, Religionsbegriff und Gottesglaube. Dialektische Theologie als Hermeneutik der Religion, Tübingen, Mohr Siebeck, 2005 ; Robert Cummings Neville, Defining Religion. Essays in Philosophy of Religion, Albany, SUNY press, 2018.

8Je rejoins la définition de la tâche dogmatique proposée par Wilfried Härle, Dogmatik, Berlin/Boston, Walter de Gruyter, 20185, p. 35-38.

9Cf. Friedrich Daniel Ernst Schleiermacher, Der christliche Glaube nach den Grundsäzen der evangelischen Kirche im Zusammenhange dargestellt. Zweite Auflage (1830/31). Kritische Gesamtausgabe I/13.1, Rolf Schäfer (éd.), Berlin/New York, Walter de Gruyter, 2003, § 15, p. 127-130 (ci-après GL2). En français, on peut comparer avec la première édition (passablement différente) : la cohérence de la foi chrétienne, Bernard Reymond (trad.), Genève, Labor et Fides, 2018, § 2, p. 55-57 (ci-après GL1). Dans le développement historique de la communication chrétienne apparaissent progressivement des médiations qui visent à en assurer la poursuite : le canon des Écritures saintes, les sacrements, la pratique de la prédication, les dogmes ecclésiaux, les confessions de foi et d’autres choses encore.

10Cf. David W. Fagerberg, Theologia prima: what is liturgical theology?, Chicago, Liturgy Training Publications, 20042.

11Voir par exemple Ingolf U. Dalferth, Radikale Theologie, Leipzig, Evangelische Verlagsanstalt, 2010.

12C’est par exemple ce qui se passe avec la Dogmatique de Karl Barth, lorsqu’elle se comprend comme examen critique de la prédication chrétienne. Cf. Karl Barth, Dogmatique, Fernand Ryser (trad.), vol. 1 (I/1*), Genève, Labor et Fides, 1953, § 1, p. 1-22 ; § 7, p. 239-276 ; Karl Barth, Dogmatique, Fernand Ryser (trad.), vol. 5 (I/2***), Genève, Labor et Fides, 1955, § 23-24, p. 342-430.

13Je reprends ici l’expression de Georg Pfleiderer, au sujet de la théologie de Karl Barth : sous sa plume elle vise à décrire un exercice théologique qui vise à avoir des effets dans les comportements de ses lecteurs. C’est une manière de faire de la théologie que l’on peut dire « pragmatique » : « In konstitutiv durch die Reflexion auf seine intentionalen Rezipienten vermitteltes reflexives Tun. » Georg Pfleiderer, Karl Barths praktische Theologie. Zur Genese und Kontext eines paradigmatischen Entwurfs systematischer Theologie im 20. Jahrhundert, Tübingen, Mohr Siebeck, 2000, p. 15. Pour une analyse analogue, qui rend compte de la théologie de Barth à partir de sa pragmatique, cf. D. Korsch, Religionsbegriff und Gottesglaube, op. cit., p. 191-217.

14À titre d’exemple, voir le blog Comment vivre au quotidien, animé principalement par Maël Goarzin (doctorant en philosophie à l’université de Lausanne et à l’ephe) inspiré fortement par les travaux de Pierre Hadot sur la philosophie antique. Cfhttps://biospraktikos.hypotheses.org (consulté le 14.10.2020).

15Ce lien peut s’exprimer de manière diversifiée. Wittekind, par exemple, insistera sur l’autonomie de la théologie à l’égard de toute autorité ecclésiale et religieuse. F. Wittekind, Theologie religiöser Rede, op. cit., p. 3-9.

16Pour cette proposition, cf. D. Korsch, Religionsbegriff und Gottesglaube, op. cit., p. 273-382.

17Dans sa dogmatique, Wilfrid Härle définit plus directement le rapport de la théologie aux standards contemporains de l’exercice scientifique et de son épistémologie. Cf. W. Härle, Dogmatik, op. cit., p. 1-27.

18Cette restauration ne concerne pas seulement une relation « formelle » ou « abstraite » entre Dieu et l’humanité, mais porte jusque dans l’intimité d’une relation personnelle : « vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et qui vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père. » Rm 8,15. Voir aussi Gal 4,6. Les citations bibliques sont tirées de la Traduction œcuménique de la Bible (2010).

19Bien qu’on puisse en trouver des annonces dans l’antiquité, la popularité de la notion de « relation personnelle » est somme toute très récente et tributaire d’une conception de la « personne » qui dépend essentiellement de développements philosophiques et juridiques. Voir sur ce point le beau livre d’Emmanuel Housset, La vocation de la personne. L’histoire du concept de personne de sa naissance augustinienne à sa redécouverte phénoménologique, Paris, Presses universitaires de France, 2007.

20L’utilisation concept initié par Johann Christian Konrad von Hofmann (1810-1877) a été rediscutée de manière constructive par l’historien et théologien Martin Hengel (1929-2009), dans un article particulièrement éclairant. Cf. Martin Hengel, « Heilsgeschichte », in : Claus-Jürgen Thornton (éd.), Theologische, historische und biographische Skizzen. Kleine Schriften VII, Tübingen, Mohr Siebeck, 2010, p. 1-33. On peut se référer également à la reconfiguration qu’opère Karl Barth dans sa doctrine de l’élection. Cf. Karl Barth, Dogmatique, Fernand Ryser (trad.), vol. 8 (II/2*), Genève, Labor et Fides, 1958, § 33.2, p. 184-204.

21Le drame historique ou existentiel précède ici la constitution du mythe. La compréhension des récits mythologiques de la Genèse dans leur configuration actuelle ne se comprend pas indépendamment de l’expérience de l’exil (597-539 av. J.-C.).

22Emblématiquement, cette crise se présente dans la dénonciation prophétique de la rupture de l’alliance, dans la médiation sacerdotale et légale, dans la poésie religieuse ou encore dans une sagesse confrontée à sa propre crise.

23Sur cette centralité générale et normative de la figure de Jésus-Christ, cf. W. Härle, Dogmatik, op. cit, p. 77-91. Cette centralité de la figure de Jésus-Christ pour la compréhension de ce qu’est Dieu et de ce qu’est l’être humain implique de développer une doctrine trinitaire. Cf. Wolfhart Pannenberg, Théologie systématique, trad. sous la dir. d’Olivier Riaudel, vol. 1, Paris, Cerf, 2008, p. 337-364.

24C’est ce que font des dogmatiques plus récentes, comme celles de Wolfhart Pannenberg, Théologie systématique, trad. sous la dir. d’Olivier Riaudel, vol. 2, Paris, Cerf, 2011, p. 248-277 et de Robert Jenson, Théologie Systématique. Vol. 2 Les œuvres de Dieu, trad. Serge Wüthrich, Paris, L’Harmattan, 2019, p. 115-133.

25Voir le récit interpellant que donne Dietrich Korsch sur le développement de la vie, jusqu’à l’apparition de la « religion », D. Korsch, Religionsbegriff und Gottesglaube, op. cit., p. 228-235.

26Le philosophe et théologien John D. Caputo plutôt que de parler de l’existence de Dieu, parle de l’insistance de Dieu. Cf. John D. Caputo, The insistence of God. A theology of perhaps, Bloomington, Indiana University Press, 2013.

27Dans sa doctrine de la réconciliation, Barth insiste particulièrement sur l’amour comme condition de l’action humaine authentique. « Je puis et dois répondre de Dieu, qui se donne à moi, en me donnant moi-même à autrui : tel est le contenu de l’action qui marque d’un bout à l’autre ma vie chrétienne au niveau inter-humain, parce qu’il est le contenu de ce qui se passe d’abord au niveau de la relation entre Dieu et l’homme. Karl Barth, Dogmatique, Fernand Ryser (trad.), vol. 22 (VI/2***), 1971, § 68.3, p. 228-229.

28Les citations bibliques sont tirées de la Traduction œcuménique de la Bible (2010).

29Corinna Dahlgrün identifie à mon sens, avec raison, les commandements d’amour comme l’expression de la structure fondamentale de la « spiritualité » chrétienne. Corinna Dahlgrün, Christliche Spiritualität. Formen und Traditionen der Suche nach Gott, avec une postface de Ludwig Mödl, Berlin/Boston, Walter de Gruyter, 20182, p. 55-58. Plus loin, la dogmatique invite à comprendre ce commandement comme l’indice de la structure fondamentale de la vie humaine tout court. Cf. W. Härle, Dogmatik, op. cit., p. 436-438.

30Je n’ai pas le temps de le développer ici, mais il est évident que le corollaire d’une telle compréhension de l’existence humaine est son inscription dans une narrativité fondamentale, entre autres par le récit (mythes et généalogies), mais aussi par le rite.

31Là aussi, c’est emblématiquement chez Schleiermacher que l’on commence à trouver la forme « classique » des prolégomènes pour la dogmatique protestante. Cf. GL2 § 1-19.

32Cela a d’ailleurs été le cas dans les dogmatiques protestante, depuis le moment de l’orthodoxie (XVIIe), avec des influences importantes du piétisme sur ce développement. Cf. W. Pannenberg, Théologie systématique, vol. 1, p. 54-67.

33Cf. GL2 § 4 et GL1 § 9. Sur l’importance de cette catégorie pour la pensée de Schleiermacher en général, cf. Ulrich Barth, « Der Letztbegründungsgang der “Dialektik”. Schleiermachers Fassung des transzendentalen Gedankens », in : Aufgeklärter Protestantismus, Tübingen, Mohr Siebeck, 2004, p. 353-385.

34La catégorie de l’expérience reste fondamentale pour la théologie contemporaine, comme le montre par exemple la dogmatique de l’exégète et historien Gerd Theissen. Cf. Gerd Theissen, Glaubenssätze. Ein kritischer Katechismus, Gütersloh, Gütersloher Verl.-Haus, 20133, p. 15-48, voir surtout les § 14-18. Elle est notamment une catégorie fondamentale dans les travaux théologiques récents sur la « spiritualité ». Cf. à titre d’exemple Kees Waaijman, Spirituality. Forms, Foundations, Methods, John Vriend (trad.), Leuven, Peeters, 2002 et C. Dahlgrün, Christliche Spiritualität, op. cit. – elle se base notamment sur une relecture de William James, cf. p. 98-103. L’intégration de l’expérience personnelle reste en revanche plus problématique, tant la définition de son statut et de sa légitimité au sein de la théologie est sujette à controverse. Pour un essai constructif d’une telle intégration, cf. Brigitte Enzner-Probst, « Spiritualität lehren und lernen. Aspekte einer systemisch konzipierten theologischen Didaktik von Spiritualität im Theologiestudium », in : Ralph Kunz et Claudia Kohli Reichenbach (éds), Spiritualität im Diskurs. Spiritualitätsforschung in theologischer Perspektive, Zürich, TVZ, 2012, p. 113-142.

35« Der Pietismus vertritt folgerichtig eine theologia regenitorum, also die Auffassung, das nur derjenige theologische Sachverhalte wirklich versteht, der sie praktiziert. », Markus Matthias, « Bekehrung und Wiedergeburt », in : Hartmut Lehmann (éd.), Geschichte des Pietismus. Band 4. Glaubenswelt und Lebenswelten, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 2004, p. 65-66. Traduit par mes soins.

36Le plus interpellant est sans doute l’exigence adressée aux étudiants en théologie, et surtout à ceux qui se destinaient au ministère pastoral, de pouvoir témoigner de la date précise de leur conversion personnelle. CfIbid., p. 62-65.

37Karl Barth, Dogmatique, Fernand Ryser (trad.), vol. 1, Paris Genève, Labor et Fides, 1953, § 6.3, p. 218. La référence à Barth est ici particulièrement importante, dans la mesure où lui-même entretient un rapport critique-constructif au piétisme. Cf. Eberhard Busch, « Barth und der Pietismus » in : Michael Beintker (éd.), Barth Handbuch, Tübingen, Mohr Siebeck, 2016, p. 80-85. Du même auteur, voir Karl Barth und die Pietisten. Die Pietismuskritik des jungen Karl Barths und ihre Erwiderung, München, Kaiser, 1978.

38Dans l’introduction de sa théologie systématique, Pannenberg insiste bien sur le fait que la foi chrétienne est encore dans l’attente de la confirmation pleine et universellement visible de ce sur quoi elle repose : la révélation de Dieu dans l’histoire. « De même que toute révélation de Dieu dans son action historique anticipe sur l’avenir encore inaccompli de la fin de l’histoire, inversement sa revendication de manifester la divinité du Dieu unique, qui est le créateur, le réconciliateur et le sauveur du monde, reste, dans l’histoire encore inachevée, ouverte à une vérification encore à venir, ouverte aussi à la question de sa vérité. Cette question trouve sa réponse provisoire dans la vie du croyant grâce à la force éclairante de la révélation de Dieu pour les expériences de sa vie. » W. Pannenberg, Théologie systématique, vol. 1, op. cit., p. 335-336. On peut comparer ici avec ce que Wilfried Härle dit de l’auto-relativisation de la théologie comme science. Cf. W. Härle, Dogmatik, op. cit., p. 25-27.

39Sur le rapport de ces deux figures pour la christologie, cf. Ingolf U. Dalferth, Der auferweckte Gekreuzigte. Zur Grammatik der Christologie, Tübingen, Mohr Siebeck, 1994.

40Schleiermacher lui-même en était tout à fait conscient, alors même qu’il présente une conception de l’existence chrétienne influencée par le piétisme et une conception d’un progrès du monde et de l’humanité. Dans sa dogmatique, c’est le sens même des énoncés prophétiques sur l’accomplissement de l’Église que d’indiquer cette brisure de l’expérience humaine actuelle, l’indice qu’elle se trouve dans le devenir et non dans l’accomplissement. Cf. GL2 § 157-163 et GL1 § 173-179. À ce sujet, cf. Eilert Herms, « Schleiermachers Eschatologie nach der zweiten Auflage der “Glaubenslehre” », in : Menschsein im Werden. Studien zu Schleiermacher, Tübingen, Mohr Siebeck, 2003, p. 125-149.

41S’il ne s’agit pas du seul horizon de travail de la théologie systématique, s’en est en tout cas une tâche majeure.

42Jésus-Christ comme lieu de la « correspondance » (Entsprechung) entre Dieu et l’être humain est une figure qui pour la théologie récente est marquée du nom d’Eberhard Jüngel. À ce sujet, on peut consulter l’article suivant : Eberhard Jüngel, « Der Gott entsprechende Mensch. Bemerkungen zur Gottebenbildlichkeit des Menschen als Grundfigur theologischer Anthropologie (1975) », in : Entsprechungen. Gott Wahrheit Mensch. Theologische Erörterungen II, Tübingen, Mohr Siebeck, 20023, p. 290-317 ; Voir aussi Torsten Meireis, « Gott entsprechen. Zur Verfassung der Ethik in christlicher Perspektive », in : Magdalene Frettlöh et alii., Tastend von Gott reden. Drei systematisch-theologische Antrittsvorlesungen aus Bern, Zürich, TVZ, 2013, p. 17-44.

43Je n’ai pas l’occasion de développer ici plus avant ces aspects du travail en théologie systématique. J’indique simplement qu’il s’agit d’opérer ici selon une conception du symbole, qui pourrait s’inspirer notamment de la Philosophie des formes symboliques de Ernst Cassirer et en reprenant également les développements de Paul Ricœur sur la « poétique ».

44Par praxis j’entends un ensemble d’actions qui vise à opérer une transformation de la réalité, que celle-ci soit matérielle ou personnelle.

45Je m’inspire ici notamment de ce que Karl Barth a réalisé dans son Introduction à la théologie évangélique (traduit par Fernand Ryser, Genève, Labor et Fides, 1962).

46Hans-Christoph Askani, Le pari de la foi, Genève, Labor et Fides, 2019, p. 155. Dans ce chapitre, Askani développe la relation entre expérience religieuse et langage – relation des plus importantes pour l’exercice de la théologie elle-même ! Sa réflexion culmine sur une la figure de la « prière ».

47Ibid., p. 150.

48K. Barth, Introduction à la théologie évangélique, op. cit., p. 134. Sur l’importance de cette figure pour la pensée de Barth, cf. John Chan, Gebet als christliches Sein, Leben und Tun. Die Bedeutung und Funktion des Gebets für die Theologie der “analogia fidei” Karl Barths, Leipzig, Evangelische Verlagsanstalt, 2016, p. 175-181 ; Gabriele Obst, Veni Creator Spiritus ! Die Bitte um den Heiligen Geist als Einführung in die Theologie Karl Barths, Gütersloh, C. Kaiser Gütersloher Verlagshaus, 1998. De manière plus générale sur la figure théologique de la « prière » dans l’œuvre de Barth, cf. Christine Svinth-Værge Põder, Doxologische Entzogenheit. Die fundamentaltheologische Bedeutung des Gebets bei Karl Barth, Berlin/New York, Walter de Gruyter, 2009.

49K. Barth, Introduction à la théologie évangélique, op. cit., p. 156.

50Ibid., p. 157.

51Cf. W. Härle, Dogmatik, op. cit., p. 518-532.

52Cette perception de l’amour comme commandement ultime est déjà présente chez Paul (cf. Rm 13,8-10). Chez Paul ce commandement prend des tonalités universalisantes, ce qui n’est pas comme tel le cas dans les épîtres johanniques (1 Jn 4,7ss). Cf. Christophe Chalamet, Une voie infiniment supérieure. Essai sur la foi, l’espérance et l’amour, Genève, Labor et Fides, 2016, p. 183-185.

53Sur la gratuité, ou le « désintéressement » en lien avec l’amour, cf. Chalamet, Une voie infiniment supérieure, op. cit., p. 185-189. Sur la dimension originaire de l’amour, on lira toujours avec intérêt Hans Urs von Balthasar, L’amour seul est digne de foi, traduit par Robert Givord, Paris, Aubier, 1966, p. 93-103.

54Barth insiste particulièrement sur le rapport entre eros et agapè pour l’exercice de la théologie. Cf. K. Barth, Introduction à la théologie évangélique, op. cit., p. 157-160.

55À ce sujet on lira avec grand profit les pages de François Durand, qui fait habilement se conjoindre l’herméneutique du soi de Paul Ricœur et l’articulation de la christologie et de la pneumatologie présentée par la Dogmatique de Barth. Cf. François Durand, Le témoignage du Ressuscité. Contribution à une théologie fondamentale de l’expérience pascale, Namur, Lessius, 2016, p. 296-313.

56K. Barth, Introduction à la théologie évangélique, op. cit., p. 151.

57À ce propos, cf. surtout Dogmatique, Fernand Ryser (trad.), vol. 24, Genève, Labor et Fides, 1973, p. 205-270 (§ 71.4 « Le chrétien comme témoin »).

58Sous ces conditions, il me semble possible de soutenir une lecture de la théologie barthienne comme une tentative d’assumer foncièrement un pluralisme théologique qui ne nie pas la conscience historique du fait qu’il n’y a d’expression théologique qu’au travers d’expressions religieuses particulières, constamment interrogées quant à leur volonté d’universalisation. Ceci se réfléchit notamment dans son traitement de la doctrine de la Trinité au sein des prolégomènes et dans sa structuration de la doctrine de la réconciliation (Dogmatique I et IV) à la Dogmatique. À ce propos, cf. notamment William S. Johnson, The Mystery of God. Karl Barth and the Postmodern Foundations of Theology, Louisville, Westminster John Knox Press, 1997. Ceci serait à mettre en relation avec l’étude de Georg Pfleiderer sur la manière dont l’écriture théologique de Karl Barth a pour but de générer un certain type de sujet d’action. Cf. G. Pfleiderer, Karl Barths praktische Theologie, op. cit.

59C’est le piège dans lequel est tombé la theologia regenitorum, que j’ai mentionnée supra, p. 443.

60Cette conséquence pour la praxis de la théologie systématique va de pair avec une ré-intégration de la « spiritualité » au sein de l’exercice de la théologie. À ce sujet, voir notamment les articles recueillis dans R. Kunz et C. Kohli Reichenbach (éds), Spiritualität im Diskurs, op. cit. ; Sabine Hermisson et Martin Rothgangel (éds), Theologische Ausbildung und Spiritualität, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2016.

61W. Panneberg traite par exemple de l’« amour » en lien avec la « prière ». Cf. W. Pannenberg, Théologie systématique, trad. sous la dir. d’Olivier Riaudel, vol. 3, Paris, Cerf, 2013, p. 276-288.