Pierre Bühler, Bewegende Begegnung. Rencontre interpellante. Aufsätze, Einmischungen, Predigten. Articles, interventions, prédications, édité par Lucie Kaennel, Andreas Mauz et Franzisca Pilgram-Frühauf
Zurich/Genève, TVZ/Labor et Fides, 2020.
Voici un ouvrage qui reflète à merveille les préoccupations du théologien systématique et herméneute Pierre Bühler, qui a pris sa retraite il y a quelques années après une belle et longue carrière professorale, aux Facultés de théologie de Neuchâtel et de Zurich (mais aussi après un long et fidèle service au sein du Comité de rédaction de la Revue de théologie et de philosophie, comme nombre de lecteurs le savent).
Le titre indique que cet ouvrage hors-norme contient deux langues : l’allemand et le français. Depuis sa jeunesse, Pierre Bühler a en effet vécu, enseigné et réfléchi dans ces deux langues, en passant régulièrement outre la frontière linguistique (cf. le tout premier texte de l’ouvrage : « Bienne – à la croisée des chemins », ainsi que le deuxième : « Grenzübergang und Begrenztheit »).
Le sous-titre de l’ouvrage, quant à lui, donne la structure de livre : une première partie réunit des articles de tailles diverses et portant sur une large palette de thèmes (théologie de la croix, Dürrenmatt, l’altérité, l’herméneutique théologique, l’humour et la théologie, par exemple). La deuxième partie contient des interventions (Einmischungen), des textes plus courts qui relèvent de ce qu’on appelle parfois la « théologie publique » : le théologien se révèle être un citoyen engagé, attentif aux questions sociales et politiques (cf. notamment les texte intitulés « Quelques réflexions sur le ministère prophétique du veilleur », ou « Quo vadis, Helvetia ? », ou encore l’interpellation adressée au politicien ultra-conservateur Christoph Blocher). La troisième et dernière partie est constituée de prédications, dont une dernière particulièrement poignante – et fictive – sur la question des catastrophes naturelles et de la présence de Dieu, à partir du cas du terrible tsunami du 26 décembre 2004.
Pierre Bühler donne un bel exemple de ce que peut être une théologie attentive aux situations contemporaines, aux questions qui traversent notre société et notre monde. Son intérêt marqué pour la littérature et la culture artistique transparaît à divers endroits (Sylvie Germain ; la célèbre chanson « Let It Be » des Beatles, par ex.). De la même manière, son engagement en faveur des réfugiés et sa critique de la frilosité helvétique (pour ne pas dire plus) sur ce sujet sont évidents dans plusieurs textes. Théologiquement parlant, je relève tout particulièrement l’étude brève et dense, d’abord parue en anglais dans une Festschrift, intitulée « L’étranger comme point de cristallisation de l’autre » (2015). Dans ce texte se rencontrent le souci herméneutique de Pierre Bühler – que signifie comprendre une réalité ou une personne qui m’est étrangère ? Les importants travaux de Theo Sundermeier, auteur presque inconnu dans le monde francophone, sont ici mis à profit – et le souci politique : que signifie accueillir celui qui est étranger ? Comment envisager et pratiquer cet accueil en reconnaissant la richesse qui vient précisément de la différence, et donc sans chercher à domestiquer l’autre, à supprimer l’altérité qui le caractérise (et qui me caractérise par rapport à lui) ?
On ne peut que recommander cet ouvrage, dont la lecture (mais aussi les nombreuses illustrations, dont d’assez nombreux cartoons), de fait, interpelle. La rencontre des travaux et réflexions de Pierre Bühler ne nous laisse pas indifférent et nous met en mouvement (bewegend...). Elle rappelle que la théologie n’est pas qu’affaire d’académiciens plongés dans leurs livres compliqués (même si elle est aussi cela), qu’elle se nourrit du contact avec la réalité qui, dans toutes ses facettes, est la nôtre, et qu’elle vise en outre cette même réalité.