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Éric Palazzo, Le souffle de Dieu, L’énergie de la liturgie et l’art du Moyen Âge

Paris, Cerf, 2020, 355 p.

Jean BOREL

Cet ouvrage est le bienvenu pour deux raisons : dans la situation de pandémie planétaire qui affecte toutes les activités humaines et qui oblige, à cause des contraintes sanitaires, à limiter l’accès et la participation aux liturgies et aux cultes, il est bon de pouvoir se replonger dans l’esprit, l’essence et la beauté de la liturgie chrétienne que rien ne pourra jamais changer. La seconde raison est que le thème de l’énergie, que ce soit de la Parole de Dieu, du Christ, de la grâce de l’Esprit-Saint ou de la liturgie comme action de l’homme, n’est que trop rarement, sinon jamais, envisagé pour lui-même, malgré le fait que les deux notions d’énergie (Energeia) et de puissance (Dynamis) apparaissent constamment dans les textes prophétiques, aussi bien que dans les évangiles et les épîtres apostoliques, et que, comme le dit très justement Éric Palazzo, « les penseurs chrétiens de l’Antiquité et du Moyen Âge aient perçu, à partir d’une puissante intuition, le caractère fondamental de l’énergie dans le christianisme et sa nature englobante » (p. 18). C’est donc aux différentes modalités de cette « puissante intuition », complémentaires les unes des autres au fil de leur apparition dans l’histoire de la théologie, de la spiritualité et des arts, que l’auteur consacre sa recherche et tente de déchiffrer, « avec un œil neuf, les auteurs chrétiens qui convoquent tour à tour la force spirituelle, le mouvement, la vertu, le souffle de l’Esprit, ou bien encore le mouvement ascensionnel de la spirale pour parler de l’énergie » (p. 19). Le parcours historique que l’auteur nous fait faire dans le premier chapitre est très riche en aperçus théologiques. Nous comprenons de quelle manière se mettent progressivement en place, aussi bien chez les pères grecs et byzantins que chez les pères latins, mais chez eux d’une autre manière à cause des traductions diverses qui ont été proposées des textes grecs de la Septante, tout un ensemble de notions tournant autour de l’énergie que Dieu insuffle dans ses créatures et de celle qui émane des créatures en réponse à celle du Créateur, et qui leur permet d’accomplir leur voyage spirituel à l’image de celui d’Abraham, et d’en faire de « vrais sujets » de la liturgie de l’Église (Cf. p. 88). Jérôme, Isidore de Séville, Grégoire de Nysse, Augustin, Maxime le Confesseur, Origène, Cassiodore, Jean Damascène, Hincmar, Odon de Cluny et plus tard les théologiens scholastiques sont ainsi convoqués pour enrichir la vision de l’homme renouvelé par l’énergie créatrice et salvatrice de Dieu, et qui devient à son tour « énergie agissante ». Dans un second chapitre, Éric Palazzo veut nous montrer comment, dans l’église médiévale, « le déploiement spatial de la liturgie génère à son tour de l’énergie destinée à rendre possible ce voyage spirituel du fidèle dans l’espace et dans le temps chrétiens », (p. 99), jusqu’à la vision eschatologique de la Majesté divine. L’approche des « drames liturgiques » et du vocabulaire des prières, des antiennes et des tropes, des objets et de tout ce qui concerne la mise en scène liturgique des célébrants et des acteurs divers offre un matériel hors du commun pour pénétrer dans l’énergie polyvalente et multiple qui anime les rituels et leurs composantes. Le « Christ énergétique », c’est-à-dire le Christ en tant que principal vecteur de l’énergie divine, tel est le thème du troisième chapitre, tout à fait capital dans le développement de l’ouvrage, car c’est bien lui la pierre angulaire de toute construction ecclésiale. C’est non seulement dans le cadre de la liturgie et de ses rituels que s’exprime l’activation de l’énergie du Christ, mais également à travers une multitude de manifestations relevant de la culture visuelle, de l’exégèse biblique ou encore des formes données à l’architecture de l’église et à certains de ses éléments. Sont alors passés en revue et expliqués les principaux récits évangéliques où se déploie la puissance du Christ, que ce soit lorsqu’il actualise par sa présence la prophétie d’Isaïe lorsqu’il lit dans la synagogue, lorsqu’il apaise la tempête ou lorsque la femme hémorroïsse est guérie par l’énergie qui émane de Lui alors qu’elle ne fait que toucher son vêtement. L’auteur aborde aussi dans ce chapitre le thème de la spirale, comme représentation idéale du voyage spirituel pour l’homme, et comme forme énergétique et ascensionnelle qui lui permet de s’élever et de s’unir à Dieu. Enfin, dans le quatrième et dernier chapitre, Éric Palazzo met en lumière le sens initiatique et énergétique tel qu’il se déploie dans certaines visions chrétiennes du Moyen Âge, comme celles de Hildegarde de Bingen dans le Scivias ou Livre des visions, et la vision eschatologique de l’Homo viator, telle qu’elle est dessinée dans un manuscrit du monastère d’Heilbronn, datant du XIIe siècle. Ce dessin, dit l’auteur, constitue en effet un cas exceptionnel du discours visuel centré sur l’importance accordée aux cinq sens dans la progression spirituelle de l’homme sur terre et dans l’au-delà. De superbes illustrations extraites de missels et sacramentaires médiévaux, des notes historiques, bibliographiques, liturgiques, spirituelles et doctrinales rassemblées en fin de volume et un index des noms de personnes font de cet ouvrage un guide précieux dans la compréhension profonde des aspects les plus importants de l’action liturgique et de la sanctification des croyants.