Book Title

Paul-Hubert Poirier, Éric Crégheur (introduction, notes et traduction), Le Livre des lois des pays. Un traité syriaque sur le destin de l’« école » de Bardesane (coll. « Bibliothèque de l’Orient chrétien » 6)

Paris, Les Belles Lettres, 2020, 224 p.

Philippe THERRIEN

Monument de la littérature syriaque, le Livre des lois des pays (également connu sous le titre Sur le destin dans les traditions grecques et latines) est un traité d’astronomie et d’astrologie, datant de la fin du IIe ou du premier quart du IIIe siècle, attribué au philosophe et théologien chrétien Bardesane (154-222). Transmis par un seul manuscrit, le British Library Add. 14 658, ce traité met en scène Bardesane dans une discussion avec ses disciples sur le destin, le libre arbitre, l’origine du mal et l’influence des astres sur l’existence humaine. Le Livre des lois des pays n’ayant pas fait l’objet de traduction française depuis celle de François Nau en 1899, les auteurs offrent ici une nouvelle traduction se voulant à la fois précise et accessible, accompagnée de généreuses notes qui permettent une compréhension aisée du traité et des enjeux le concernant.

L’introduction (p. 13-78), riche et détaillée, présente d’abord Bardesane et le traité, les problèmes liés à la datation du texte et aux citations par les auteurs anciens, puis les éditions et traductions antérieures. Les références aux travaux modernes, rassemblées dans une abondante bibliographie (p. 179-219), permettront aux lecteurs de restituer les principaux axes de l’histoire des recherches sur Bardesane. Puis dans une seconde partie, les auteurs exposent le contenu du traité. Après avoir offert quelques considérations sur l’astrologie et les polémiques antifatalistes dans l’Antiquité (p. 48-50), ils explicitent la doctrine du traité sur le libre arbitre et le fatalisme astral (p. 50-62), en analysant les différentes thèses réfutées par Bardesane. Sa propre position est de définir les champs d’action respectifs du destin, de la nature et de la liberté, en les limitant à des sphères spécifiques de l’existence humaine. Il s’agit d’une position originale, audacieuse et cohérente selon les auteurs (p. 61), puisqu’elle admet le pouvoir des astres sur le cours des choses sans rendre cette influence omnipotente, laissant aux humains leur libre arbitre. Dans ce contexte, le traité alimente sa polémique antifatalise (p. 62-66) en décrivant la diversité des mœurs et des lois des différents peuples, d’où son titre. Après des remarques sur certains traits doctrinaux du traité, concernant principalement la liberté et l’anthropologie (p. 66-72), les auteurs terminent leur introduction en abordant brièvement la question bardesanienne (p. 72-75) : alors que certains chercheurs modernes font confiance au Livre des lois des pays pour restituer la pensée de Bardesane, d’autres accordent priorité aux sources hérésiologiques pour affirmer que le traité serait une production tardive et ne transmettrait pas fidèlement sa pensée, et témoignerait ainsi de la réception de ses idées.

La traduction elle-même (p. 81-108), sur laquelle les auteurs travaillent incessamment depuis 2001, est d’une grande qualité et agréable à lire. En plus d’une numérotation qui lui est propre, la traduction inclut des renvois à l’édition de Han J. W. Drijvers (1965) et à celle de Nau (1907). C’est sur la base de cette dernière que la traduction a été effectuée, sans toutefois que les auteurs aient négligé de la comparer minutieusement avec le texte du BL Add. 14 658. Les notes de traduction (p. 77-78), les notes explicatives (p. 109-124), en plus des indications fournies dans l’introduction, éclairent les lecteurs sur les choix de traduction, les sigles employés et de manière générale l’esprit qui a guidé la production de l’ouvrage, un esprit caractérisé par un souci de rigueur et d’accessibilité.

La traduction et les notes sont suivies de trois appendices (p. 125-177) qui permettent d’approfondir la compréhension du traité. On retrouve d’abord un répertoire des ethnonymes et toponymes (p. 125-138) qui situe les différents peuples et régions mentionnés, avec leurs noms syriaques. Puis, le répertoire des termes astrologiques (p. 139-158) explique et définit le vocabulaire technique, en incluant aussi les mots en syriaque. Finalement, un élégant répertoire des configurations astrales (p. 159-177) contient dix-huit figures représentant différentes cartes du ciel et zodiacales, avec symboles astrologiques. Il s’agit sans nul doute d’une des principales qualités de l’ouvrage, puisque ces illustrations permettent aux lecteurs de concevoir sans effort les discours astrologiques anciens, parfois alambiqués, ou du moins, difficiles à visualiser pour les modernes.

Le choix de rendre accessible ce traité ne s’est pas fait au prix de la profondeur de la réflexion. De fait, même si cet ouvrage ne prétend pas offrir des solutions aux problèmes de la recherche sur Bardesane, des problèmes par ailleurs forts complexes dus au nombre limité de sources, les auteurs ont cherché à munir les lecteurs des meilleures informations et des références les plus pertinentes, en plus de fournir des explications fouillées sur les principaux aspects du traité. Plus encore, les auteurs présentent un travail qui est le résultat d’une révision complète des données textuelles à disposition, comme le témoigne la consultation du BL Add. 14 658 pour contrôler l’édition Nau et la prise en compte des remarques des érudits qui ont édité, traduit et étudié le traité, de manière à éclairer certains points plus difficiles du texte. Malgré l’absence du texte syriaque et l’usage préféré de l’alphabet latin, les syriacisants apprécieront les attentions qui ont été prodiguées, comme les notes à ce sujet (p. 11), les doubles renvois aux éditions de Nau et de Drijvers, qui facilitent toute référence au texte original, et de manière générale l’inclusion systématique des termes syriaques translitérés, en particulier dans les deux premiers appendices.

Cet ouvrage soigné et dense intéressera autant les spécialistes que les amateurs, par sa clarté et la richesse des informations collectées. Il ne faudrait pas en effet être trompé par le petit format du livre : la profondeur de la recherche, le souci de rendre accessible ce traité, d’en éclairer les détails et nuances, et de présenter les problématiques l’entourant, sauront vivifier ce champ d’études et en stimuler le dynamisme. Il s’agit sans nul doute d’un ajout de marque, non seulement à la collection de la « Bibliothèque de l’Orient chrétien », mais aussi à la bibliothèque de toute personne intéressée par la philosophie, l’astronomie et l’astrologie anciennes.