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Le savoir de la philosophie

L’historisation de la philosophie au XIXe siècle et la naissance des sciences humaines

Gerald HARTUNG

Philosophisches Seminar, Bergische Universität Wuppertal

Traduit de l’allemand par Anik Sienkiewicz-Pépin.

« La “connaissance” est une substance très volatile »1. Au XIXe siècle, quand les formations sociales et les formations du savoir, sans oublier la philosophie, entrent dans l’époque contemporaine, l’idée de la fluidité et de la fugacité du savoir s’impose peu à peu, et même la construction de concepts généraux tels qu’« esprit » ou « culture » ne parviendra pas à freiner cette évolution2. Cette dernière débouchera sur l’historisation radicale des savoirs, revendiquée au XIXe siècle par les philologies et la philosophie. Lors du IIe Congrès international de philosophie tenu à Genève en 1904, l’historien de la philosophie Wilhelm Windelband a attiré l’attention sur le fait que dans l’ensemble, la recherche en sciences naturelles de son temps ne parvenait pas à se dépêtrer du cadre de vie du XVIIe siècle et tenait pour établi le caractère métahistorique de ses lois et méthodes, alors que la véritable nouveauté était à rechercher dans la conception scientifique de la pensée historique3. Selon Windelband, la pensée historique aura même des répercussions sur la recherche en sciences naturelles en tant qu’elle confère à cette dernière son principe de développement. Cependant, le problème est difficilement délimitable, car c’est la société dans son ensemble qui prend à son compte l’idée de l’historicité et de la relativité des formes de vie et de pensée4. Les philosophes Windelband et Dilthey font de la perception de la fluidité historique des formes de connaissance la conséquence de la critique kantienne de la raison, qui dans un premier temps a fait dépendre notre connaissance des processus qui la sous-tendent, la rendant ainsi redevable, dans un deuxième temps, d’une analyse ultérieure des conditions de la connaissance. Le projet d’une « critique de la raison historique » était né5.

Dans ce contexte, l’architecture du savoir change et donne lieu à une différenciation entre les disciplines du savoir qui se dérobent à la pensée historique et celles qui s’y prêtent. Cette hypothèse de travail ne pourra pas être développée plus avant dans le cadre de la présente étude, mais je vais essayer de donner un premier aperçu de la manière dont la discipline du savoir qu’est la philosophie entretient cette ambivalence entre ouverture et refus vis-à-vis de la pensée historique. Il s’agit d’un parcours compris entre un « système » et une « histoire » de la philosophie, avec pour toile de fond la question sur les rapports entre vérité et histoire6.

Avant d’entamer cette étude, il est nécessaire de faire une remarque préliminaire : les pages qui suivent dévoilent un projet de recherche ayant pour seule assise, dans le champ de l’histoire de la philosophie et de l’histoire des sciences, quelques premiers travaux préparatoires7. Malgré l’indéniable exigence, dans le cadre de toute présentation historiographique de la philosophie, d’une approche comparatiste à l’échelle européenne, je me bornerai ici à une analyse de l’historiographie de la philosophie de langue allemande. Ainsi, en tant qu’ils sont à considérer comme urgents et nécessaires, on réservera un accueil particulièrement favorable à tout complément et toute correction éventuels8.

1. L’unité du savoir dans le système des sciences philosophiques

Le regard critique de Kant à l’égard de l’histoire de la philosophie a mis un terme à une historiographie philosophique éclectique et pragmatique9. La nouvelle façon de penser inaugurée par Kant ne tire pas la prétention de validité de ses arguments, principes, maximes, postulats et idéaux de la tradition littéraire de la philosophie. D’après Kant, il ne faut pas chercher le point de vue structurant à partir duquel il est possible de distinguer entre l’argument philosophique à proprement parler et l’histoire qui gravite simplement autour de celui-ci dans l’expérience de lecture des écrits d’autres philosophes10. S’organiser dans la pensée incombe à une faculté de juger réflexive qui prend certes connaissance de l’histoire de la philosophie dans son empiricité, mais qui préfère à celle-ci une histoire de la philosophie idéelle dont les principes ne résultent pas de l’expérience :

Une histoire philosophique de la philosophie n’est pas elle-même historique ou empirique, mais rationnelle, c’est-à-dire possible a priori. Car même si elle établit des faits de la raison, elle ne les emprunte pas au récit historique, mais les tire de la nature de la raison humaine en tant qu’archéologie philosophique11.

Le point de vue de Kant se verra radicalisé chez Johann Gottlieb Fichte. Dans son traité Le concept de la doctrine de la science12 de 1794, ce dernier élabore un système des sciences fondé sur un principe unique et valable absolument, de manière certaine et sans faille. Un tel système n’a pas besoin d’être déduit de l’histoire et ne requiert pas d’explication historique. Toutefois, la délicate question de savoir si une représentation donnée décrit le système de manière appropriée ouvre un nouveau champ d’étude, dans lequel, en dépit de preuves au sens strict, on doit se contenter de probabilités. Dans la distinction entre la connaissance du principe de la science d’un côté et sa description appropriée de l’autre émerge la possibilité d’une différenciation historique : « Nous ne sommes pas les législateurs de l’esprit humain, mais ses historiographes ; et bien sûr, non des historiographes journalistiques, mais des historiographes pragmatiques »13.

La revendication d’une historiographie de l’esprit humain qui peut prendre la forme d’une historiographie pragmatique laisse entrevoir la chance, pour la phase post-kantienne de la philosophie de langue allemande, de relier systématiquement la philosophie en tant qu’activité, le système de la philosophie comme résultat de cette activité et la description de ce système en faisant de ces trois éléments les facteurs décisifs de l’historicité du système d’une manière qui n’était pas envisageable et qu’il n’était pas nécessaire d’envisager auparavant.

Dans deux brèves études pour le Journal philosophique14, Friedrich Wilhelm Josef Schelling se prononce sur la possibilité de l’historiographie de la philosophie. Dans un premier article sur La question de l’Académie de Berlin de 179515, il décrit dans quelle mesure la discipline de la métaphysique a progressé en Allemagne depuis Leibniz et Wolff et étend la problématique à la manière dont il s’agit d’écrire l’histoire de la philosophie. La manière qui consiste à juger les systèmes philosophiques d’après leurs principes pris à la lettre conduit selon lui à une impartialité erronée et à la description de pitoyables querelles : « Mais si l’on revient à l’esprit des différents systèmes, on remarque aisément que les philosophes les plus acerbement opposés sont en réalité unanimes depuis toujours sur bien des sujets, et néanmoins si originaux que les mathématiciens ne pourront jamais les égaler sous ce rapport »16. Seul un système englobant engage son auteur, car en philosophie, on peut apporter à toute question isolée une réponse générale – d’ailleurs, la raison n’est capable de concevoir que les questions qui trouvent au préalable une réponse en elle. Selon Schelling, tout est déjà présent en germe et un esprit commun est à l’œuvre dans tous les systèmes : « Seul celui qui a jamais décelé ce noyau fondamental dans l’histoire de la philosophie est capable de la décrire selon la vérité et la dignité de l’esprit humain »17. Dans une telle histoire de la philosophie, on ne rencontre que des esprits originaux et des philosophies qui se sont développées organiquement à partir d’un principe interne : « Le système censé servir de noyau à l’histoire de la philosophie doit être lui-même capable d’évolution »18.

Dans le deuxième traité, Schelling explique qu’une philosophie de l’histoire entendue comme science de l’histoire a priori est impossible, car l’homme ne peut avoir une histoire que si celle-ci n’est pas déterminée a priori. L’histoire résulte donc d’un manque de théorie et est l’expression de notre limitation, car si nous avions accompli notre mission et réalisé l’« Absolu », il n’y aurait d’histoire ni du particulier ni de l’espèce dans son entier. Dans ses Leçons sur la méthode des études académiques19 de 1803, Schelling analyse les rapports entre le philosophique et l’historique de manière plus approfondie, mais n’y attribue ni à l’un ni à l’autre la capacité de représenter la véritable histoire, soit celle qui opère la synthèse du réel et de l’idéal. En fait, seul l’art est à même de mener à bien cette mission, laquelle consiste à préserver le réel tout entier, à y intégrer les faits réels et les récits et à représenter tous ces éléments comme une unité et l’expression des idées les plus élevées20. Si l’on appliquait le concept de Schelling à l’historiographie de la philosophie, il occuperait une place privilégiée dans l’histoire de l’histoire de la philosophie, car un tel concept permet de concevoir un système de la philosophie capable de se développer soi-même et ainsi de déplacer continuellement les critères de sa représentation historique21.

Avec son traité De la conception de l’histoire de la philosophie22 de 1815, Christian August Brandis propose le premier programme de l’historiographie de la philosophie. Il fait précéder ses leçons sur l’histoire de la philosophie antique tenues à Copenhague, Berlin et Bonn de ses réflexions sur le rapport précaire qu’entretient la philosophie avec son histoire : pour faire de l’histoire de la philosophie, nous devons avoir une compréhension ouverte de l’histoire et un concept provisoire de la philosophie. À l’encontre d’un avis qu’il impute au dénommé Reinhold et selon lequel on ne peut devenir historiographe de la philosophie qu’après l’institution d’une philosophie dernière, Brandis argumente en faveur d’une conception radicalement ouverte, car « il sied à une histoire progressive d’avoir aussi une philosophie progressive »23. L’histoire de la philosophie offre une représentation du progrès des concepts. L’histoire des sciences, l’histoire de la culture et l’histoire de la philosophie se rapportent à un domaine au sein duquel l’on réserve à la philosophie l’étude du développement des concepts abstraits et les plus élevés24. Ce n’est que dans sa progression que la philosophie dévoile sa véritable unité et les liens qui opèrent entre les tentatives de pensée isolées. Dans le champ de l’historiographie de la philosophie, la pensée herméneutique apparaît derechef dans l’accès synthétique à l’unité de la philosophie, laquelle est reconstruite par la description historique et dans un détour par le procédé analytique. Brandis admet qu’il ne dispose pas de règles sûres pour entrer dans ce procédé et qu’il s’en remet « au juste sens de l’historien [...], opérateur du partage entre l’important et l’accessoire »25.

Heinrich Ritter s’est fait connaître par son Histoire de la philosophie ancienne et chrétienne en douze parties. Dans ses œuvres de jeunesse sur l’Histoire de la philosophie ionienne de 1821 et sur l’Histoire de la philosophie pythagoricienne de 1826, il déclare adopter une méthode qui lui permettra de « saisir l’essence » de la philosophie grecque, méthode par laquelle il se distancie des historiographes du domaine tels que Tennemann et Tiedemann, qui ont malmené les données historiques sous-jacentes à leurs travaux « comme s’il s’agissait de hiéroglyphes incompris ou de sentences isolées et n’ayant pas de lien entre elles »26. L’intervention méthodique implique une forme de représentation particulière, « selon laquelle il ne faudrait, en accord avec l’évolution historique, décrire ce qui est antérieur qu’après avoir présenté les données que l’on aura trouvées, en proposant de l’antérieur l’interprétation qui s’impose à nous sur la base de l’histoire des temps ultérieurs »27. Il ne s’agit donc ni d’une simple collection de faits, ni d’une intervention systématique stricte, mais d’une voie médiane consistant en l’application d’un principe herméneutique qui vise l’absence de préjugés. Dans le prologue à son Histoire de la philosophie pythagoricienne, Ritter précise son projet d’une histoire générale de la philosophie : celle-ci a pour mission d’offrir, en se conformant à un critère décisif de brièveté, une vue d’ensemble non moins grande – et même meilleure – que celles de ses prédécesseurs, ceci au moyen d’un style exact, qui n’intègre que « ce qui est digne d’être connu en philosophie »28 et laisse de côté tant les simples curiosités littéraires que les examens critiques tirés en longueur.

L’intention de Ritter est de critiquer deux points de vue extrêmes de la recherche en histoire de la philosophie, à savoir celui selon lequel les philosophies ancienne et nouvelle visent le même but et celui selon lequel ce but est tout à fait propre respectivement à chacune d’elles : « ces attitudes extrêmes anéantissent toutes deux la juste attention qui est due au particulier dans tout effort [herméneutique] »29. Ritter s’en prend aux néologismes de Kant, de Fichte et de leurs successeurs, taxant volontiers ceux-ci de « novateurs obsessionnels », et reconnaît au contraire la chance qui se présente d’« écrire une histoire impartiale »30. Il présente ses convictions didactiques dans un traité très instructif intitulé Sur l’instruction des philosophes par l’histoire de la philosophie31 (1817), où il s’attaque à la séparation de la philosophie et de l’histoire, invoquant une triple justification : il ne peut y avoir de philosophie en dehors de l’expérience, ni de philosophie sans forme de représentation, et la philosophie fait partie intégrante de la vie humaine. La question qui guide et qui sous-tend le traité est celle de la possibilité d’apprendre la philosophie. Ritter y répond par l’affirmative, proposant un détour par la connaissance historique de la philosophie, qui mène à la constitution d’un savoir philosophique ; la connaissance extérieure acquise par transmission pousse à former une connaissance intérieure : « La perception d’une vie en dehors de la nôtre, s’offrît-elle à nous dans son apparition encore indéterminée, agit toujours sur nous de manière stimulante [...]. C’est ainsi que l’histoire nous engage à exercer nos forces sur des terrains multiples et variés. »32 La tâche qui incombe à l’histoire de la philosophie consiste à s’élever du singulier jusqu’au tout, de l’esprit d’un philosophe isolé à celui de son école, de son temps, de son peuple, jusqu’à parvenir à l’esprit de l’humanité. L’historiographe de la philosophie n’a pas le droit d’adhérer à des avis ou préjugés partiaux, mais doit « être polyvalent, et même, si cela était possible, universellement compétent, car ce n’est qu’en parvenant à adopter tour à tour chaque point de vue qu’il sera en mesure de saisir l’esprit de tous les écrits philosophiques »33.

Dans ses leçons sur l’histoire de la philosophie de 1807 tenues à plusieurs reprises et en divers lieux34, l’historien de la philosophie Georg Wilhelm Friedrich Hegel propose une historiographie de la philosophie qui pouvait, à première vue, paraître tout à fait conventionnelle. Après une introduction méthodologique, on y trouve une brève esquisse des philosophies extra-européennes (Chine et Inde), puis une division tripartite de l’histoire de la philosophie : la philosophie grecque des présocratiques aux néoplatoniciens ; la philosophie du Moyen Âge, qui s’étend de la philosophie juive et arabe, puis de la scolastique, jusqu’à la Renaissance et à la Réforme ; la philosophie nouvelle depuis ses débuts chez Bacon et Descartes, puis dans sa phase de transition du XVIIIe siècle et des Lumières, jusqu’à la philosophie allemande la plus récente de Jacobi, Kant, Fichte et Schelling. La rigueur systématique que l’auteur applique à son histoire de la philosophie est, quant à elle, tout sauf conventionnelle. Le point de vue actuel de la philosophie, selon lequel l’Idée s’est développée au sein d’une opposition complète entre la nature et l’esprit, y est mis en relation avec la nécessité d’une telle opposition en vue de la représentation de la totalité de l’Idée en tant que celle-ci est identique à soi et se produit elle-même comme identité ; l’affirmation d’un tel objectif méthodologique renvoie clairement au mouvement historique de la philosophie : « Le but ultime et l’intérêt dernier de la philosophie consistent à réconcilier la pensée et la notion ou l’idée avec la réalité. Et la philosophie est précisément [...] cette réconciliation de l’esprit, de cet esprit qui se perçoit dans sa liberté et dans toute la richesse de sa réalité. »35 Afin de s’en rendre compte, la philosophie a besoin de l’histoire de la philosophie, c’est-à-dire qu’elle doit acquérir la conscience de sa propre histoire comme d’une évolution qui passe par les contraires pour atteindre l’unité : « La philosophie dernière est le résultat de toutes les philosophies précédentes ; rien n’est perdu, tous les principes sont conservés [...]. Il est évident que l’esprit l’a voulu ainsi dans son histoire, et cette évidence [est contenue] dans l’histoire de la philosophie. »36 C’est dans un sens éminent que l’histoire de la philosophie se préserve de n’être qu’une collection aveugle d’idées, de ne documenter qu’un parcours aléatoire de pensées37. De la même manière, l’entreprise de l’historiographie de la philosophie se prémunit contre le reproche de l’éclectisme. Le résultat est toutefois équivoque, puisque Hegel a favorisé l’historisation des doctrines philosophiques par leur intégration dans son système ; les philosophes et leurs enseignements ne l’intéressaient plus que par leur capacité à faire partie d’une histoire (à (re)construire) de l’évolution du système philosophique dernier : « Ainsi, la philosophie fait figure de système au sein d’un développement. Il en va de même de l’histoire de la philosophie, et ceci est le point principal »38. En procédant de cette façon, Hegel manque la frontière entre histoire de la philosophie externe et interne, réelle et idéelle, car dans son système, « l’étude de l’histoire de la philosophie équivaut à l’étude de la philosophie elle-même »39.

D’un point de vue systématique, cette pensée marque l’apogée d’une historiographie de la philosophie qui considère la philosophie dans son évolution historique. L’« histoire de la philosophie philosophante » connaît avec Hegel son aboutissement40, et l’architecture du savoir porte l’empreinte de cet esprit de système. La philosophie, comprise comme science fondamentale, a pour mission de dégager les concepts fondamentaux en tant que structures élémentaires du savoir et d’en faire tenir la mutabilité historique dans une structure d’ensemble. Le savoir est pensé sous sa forme scientifique. Toute connaissance s’intègre dans le contexte général d’une exploitation scientifique du monde. La philosophie offre la perspective générale pour ce faire et – dans le cas de Hegel – la méthode universelle de pensée.

2. L’histoire des formes du savoir : catégories et concepts fondamentaux

Après Hegel et déjà dès les années 1840, la pensée d’un système des sciences sous lequel sont subsumées toutes les formes du savoir commence à s’effriter. L’on connaît Friedrich Adolf Trendelenburg comme critique de la méthode hégélienne, mais moins comme successeur de Hegel sur le plan du fondement théorique de l’historiographie de la philosophie41. Penseur de la continuité, Trendelenburg livre, dans son Histoire de la doctrine des Catégories42 de 1846, un vaste panorama qui couvre l’Antiquité jusqu’à l’époque moderne. Sa tâche consiste à appréhender la genèse et la validité des concepts philosophiques fondamentaux dans leur contexte. Il est vrai que les catégories établies par Kant fonctionnent comme les notions de base de la raison, mais on déplore l’absence d’une description relative à leur origine. C’est précisément à cause de l’exigence d’une telle description que l’histoire de la doctrine des catégories résulte dans une présentation partiale des conceptions dominantes. Selon Trendelenburg, Hegel conserve au moins le mérite d’avoir reconnu, au-delà de la partialité logique de Kant ou de la réduction psychologique de Herbart, le développement historique auquel les catégories étaient soumises. Toutefois, il a préféré construire un système de catégories au lieu de reconnaître les catégories déjà présentes au moyen desquelles les sciences opéraient. Dans sa nouvelle justification de la doctrine des catégories, Trendelenburg présente ces dernières comme les concepts fondamentaux de notre pensée et les garants de tous les concepts ultérieurs ; elles sont les composantes de la pensée qui juge, et non ses produits : c’est parce que la pensée saisit « la possibilité d’une communion avec les choses en soi »43 que les catégories peuvent prétendre à être davantage que les produits d’une simple « activité de transmission », « des grandeurs imaginaires ou des lignes directrices issues de l’invention » et qu’elles fonctionnent au contraire comme « des concepts fondamentaux qui se veulent à la fois objectifs et subjectifs »44. Quant à la question sur l’origine des catégories, qui constitue le cadre d’une nouvelle forme de l’historiographie de la philosophie, Trendelenburg remarque qu’à l’instar de tous les concepts, les catégories sont formées par le biais de l’observation ; cependant, elles ne sont pas que les simples reproductions de relations extérieures, mais le résultat de la productivité de l’esprit. Par analogie avec la formation du langage, Trendelenburg montre comment « la pensée logique [émerge] peu à peu de la masse chaotique des représentations » et comment, tout aussi progressivement, on peut reconnaître « des formes fixes dans les flots de sons entremêlés »45. Dans la genèse réelle des notions récurrentes au sein des différentes conceptions et de façon analogue à l’histoire de la langue, on voit comment ces notions se solidifient et sont retenues. Selon Trendelenburg, Aristote présenterait des arguments en faveur du lien existant entre la genèse réelle des catégories et l’évolution de la langue. Cette affirmation, selon laquelle Aristote aurait suivi « un fil rouge grammatical »46 dans ses Catégories, vaudra à Trendelenburg les critiques d’Eduard Zeller, de Hermann Bonitz et de Franz Brentano47.

Les Aristotelische Studien (1862-1867) de Hermann Bonitz peuvent être considérées comme l’exemple-type de la critique textuelle philologique qui s’appuie sur l’édition des œuvres d’Aristote d’Immanuel Bekker et sur le nouvel aristotélisme exposé par Trendelenburg48. On y professe l’abandon de la forme de représentation générale au profit de l’analyse du particulier. À ce titre, on peut dire que cette attitude a fait école. À première vue, Gustav Teichmüller, un autre élève de Trendelenburg, a suivi cette ligne. Cependant, dans ses Études sur l’histoire des concepts49, il annonce se charger d’un champ d’étude plus étendu : « L’histoire de la philosophie ne se limite pas à renseigner sur l’évolution de nos concepts, mais peut, vu que la philosophie consiste précisément dans ces concepts, être elle-même considérée comme un champ d’investigation, un terrain d’expérimentation et un instrument de contrôle important pour la recherche »50. Teichmüller, qui se nomme soi-même aristotélicien, défend comme son maître Trendelenburg la thèse de la continuité, qu’il étaye au moyen d’analyses conceptuelles. C’est ainsi que par l’analyse de la pensée causale chez Platon et Aristote, il parvient à contester en partie à la recherche moderne en sciences naturelles sa prétention à fournir des connaissances nouvelles. Dans son combat contre la vanité, l’historiographie de la philosophie a pour fonction de corriger le présent dans sa délimitation forcée vis-à-vis de la tradition.

Dans son Histoire et critique des concepts fondamentaux contemporains51 de 1878, Rudolf Eucken a entrepris d’« interpréter les concepts selon leur formation et leur contexte historiques »52. Il y mesure l’efficacité des concepts philosophiques envisagés dans toutes les dimensions de la vie présente, analysant par exemple les couples « subjectif »-« objectif », « mécanique »-« organique », « a priori »-« inné ». Sa thèse consiste à affirmer que l’usage actuel des concepts scientifiques dépend de leur provenance historique. L’histoire et la critique des concepts actuels affichent l’objectif de dégager « une tendance au sein de l’histoire générale » en suivant le fil directeur de l’évolution conceptuelle. Les résultats de cette analyse – comme par exemple la science exacte, l’évolution culturelle ou la reconnaissance de l’individualité – doivent pouvoir figurer en tant que valeurs stables au-delà de toute querelle de parti éphémère.

En 1879, Eucken poursuit son projet en publiant l’Histoire de la terminologie philosophique53, ouvrage à cheval entre le positivisme historique et l’analyse philosophique des concepts, qui s’inspire des travaux minutieux de Trendelenburg, Prantl, Bonitz et Zeller. Leurs travaux préparatoires sont à intégrer dans une histoire générale de la terminologie philosophique qui mettra en évidence et présentera dans leur contexte historique les liens entre la base terminologique et les problèmes d’ordre philosophique. Eucken figure parmi les premiers à attirer l’attention avec une visée systématique sur les interactions à l’œuvre entre évolution conceptuelle et histoire de la langue. Son analyse de la « terminologie allemande » offre une première esquisse des efforts et performances de traduction aux alentours de 1700 (avec entre autres Thomasius et Wolff) ainsi que, concernant Kant, de son apport immense en faveur d’une « représentation du monde indépendante en langue allemande »54 : « La terminologie montre premièrement que les sciences particulières assimilent d’innombrables éléments issus de la philosophie, et dans une bien plus large mesure que ce qu’elles ne lui donnent, et deuxièmement l’influence de la philosophie sur la vie en général »55.

Dans ce domaine, il nous est donné d’observer un glissement significatif au sein de l’architecture du savoir : s’adjoint d’abord à la « scientificité », avec Trendelenburg, la dépendance vis-à-vis de l’évolution linguistique, puis l’intégration de la science dans la vie linguistique et culturelle des peuples particuliers. Pour Eucken, ainsi que pour Dilthey, Paulsen et Cohen (qui figurent eux aussi parmi les élèves de Trendelenburg), le caractère national de la « représentation du monde » s’accentue toujours davantage.

3. La connaissance relative à l’unité de la philosophie dans son histoire

Tandis que l’intérêt pour les questions authentiquement historiographiques en philosophie passe au second plan, la philosophie s’érige en science spécialisée et consacre son savoir dans des manuels d’histoire de la philosophie. Les années 1840 assistent à l’émergence d’une historiographie de la philosophie qui n’est directement redevable à aucun avis d’école ni à aucun esprit de système, mais qui se voue à une représentation de l’histoire de la philosophie obéissant à des critères historiques et scientifiques. Chez Johann Eduard Erdmann et Kuno Fischer, cette impartialité de la perspective historique et historiographique aura valeur de programme.

Johann Eduard Erdmann fait précéder son Essai sur une représentation scientifique de l’histoire de la philosophie nouvelle56, son œuvre maîtresse en trois volumes et six parties, d’un prologue sous la forme d’un mince volume de réflexions sur le domaine d’application, les formes de représentation et la méthodologie de l’historiographie de la philosophie. Les considérations qu’on y trouve sont fort instructives : la vie de l’esprit dans le temps, voilà ce qu’est l’histoire, tandis que l’esprit général se comprenant soi-même forme la philosophie ; quant à l’histoire de la philosophie, elle est « le passage de la philosophie à travers les philosophies des différentes époques »57. La forme de représentation correspondante est à la fois celle de la chronique concrète qui se concentre sur les faits, celle de la psychologie qui étudie l’individu, celle, pragmatique, qui s’attache à déterminer la pensée subjective, et celle de l’authentique philosophie qui cherche à saisir l’esprit général58. Dans la forme de représentation philosophique, l’idée suivant laquelle les faits historiques ne sont que des instants au milieu de l’évolution nécessaire de l’esprit occupe le devant de la scène : « La question que l’historien de la philosophie pose à l’histoire est la suivante : Pourquoi cela est-il arrivé, c’est-à-dire : selon quelle nécessité interne ? Et son but consiste à représenter l’histoire comme étant contenue dans la conception de l’esprit et comme l’explication de cet esprit »59. Au contraire de Ritter, avec lequel il débat de questions méthodologiques, Erdmann considère plusieurs formes de représentation ainsi que leurs combinaisons comme possibles : l’historiographe choisit sa forme en fonction de son plan de construction ; en revanche, lorsqu’il s’agit de la représentation de l’histoire de la philosophie, Erdmann affirme que seule la forme de représentation proprement philosophique est appropriée60.

Selon lui, l’historiographie de la philosophie n’est possible que conjointement à un système et à un contexte socioculturel. L’histoire de la philosophie nouvelle exige d’adopter un point de vue : « La philosophie nouvelle, c’est le protestantisme dans la sphère de l’esprit pensant. »61 Dans les systèmes de Hegel et de Krause, on perçoit les tendances de la philosophie post-kantienne. Ils ont l’insigne mérite d’avoir annulé et éliminé l’« injustice historique » (ce qui a été oublié et détruit) en intégrant le passé historique dans un système. Pourtant, le développement de la philosophie s’étendra au-delà de ces systèmes. Tout comme chez Ritter, la tâche proclamée par Erdmann dans les deux volumes du Grundriss der Geschichte der Philosophie de 1866 consiste à rendre compréhensible la philosophie et à la populariser.

L’histoire de la philosophie sert de mode d’emploi à qui veut philosopher, car « une telle description de l’histoire de la philosophie nous apprend à philosopher »62. Là où l’intérêt pour la philosophie a cédé sa place à l’intérêt pour l’histoire et où se propage une certaine réticence à l’égard des questions métaphysiques, « une description philosophique de l’histoire de la philosophie représente peut-être le meilleur moyen pour inciter celui qui aimerait qu’on se borne à lui raconter les faits à participer à l’effort philosophique et pour montrer à celui qui se mettrait à douter de l’importance des déterminations métaphysiques combien souvent l’opposition entre certaines conceptions du monde et de la vie ne tenait qu’à une différence de catégorie »63. Selon Erdmann, toute histoire de la philosophie doit présenter un développement raisonnable, débouchant sur un système qui lui confère son achèvement. Quiconque revendique le contraire au nom de l’indépendance d’esprit ou de l’impartialité se rend semblable à l’homme – absurde – qui voudrait représenter une chose sans connaître le principe de sa représentation.

En retour, Erdmann plaide pour que la recherche en histoire de la philosophie fasse légitimement partie de l’activité philosophique elle-même. Son argument consiste à dire que l’histoire de la philosophie ne saurait recevoir de traitement sérieux autre que philosophique, raison pour laquelle les complaintes de ceux qui prétendent qu’« on ne philosophe plus, qu’on se contente de faire de l’histoire de la philosophie et que les philosophes sont devenus des historiens » tournent à vide, vu qu’actuellement, « les historiens de la philosophie eux-mêmes tendent à philosopher »64. Ainsi, Erdmann affiche sa conviction d’une historiographie de l’histoire de la philosophie pensée philosophiquement.

Il est intéressant d’observer comment Erdmann définit le point de vue idéologique de l’activité philosophique comme point de départ pour le ramener ensuite, au terme d’un procédé scientifico-objectivant, à des concepts fondamentaux (ou aux divergences relatives à ces concepts) qui s’insèrent certes dans un cadre historique culturel et sociétal, mais qui restent métahistoriques dans leur structure de base. L’idée selon laquelle les systèmes philosophiques et les disciplines scientifiques particuliers ne sont guère davantage que les objectivations historiquement conditionnées de structures mentales universelles marque l’architecture du savoir. On retrouve ici la trace d’une « archéologie philosophique » telle que l’avaient développée Kant et Fichte.

Avec Kuno Fischer, le récit de l’histoire philosophique prend des airs de drame dans lequel se jouent des conflits à jamais indissolubles. Dans son Introduction à l’histoire de la philosophie nouvelle65 de 1891, l’auteur indique quelles difficultés doit affronter la forme de représentation de la philosophie nouvelle (depuis Bacon et Descartes) ; il s’agit en effet de traiter simultanément l’autonomie de la manière de philosopher et la parenté de cette philosophie avec ses prédécesseurs historiques, tout en explicitant que c’est la nouvelle philosophie elle-même qui tantôt contredit ses racines, tantôt s’en rapproche : « dès son plus jeune âge, elle renouvelle cette opposition et cette parenté »66. Outre cela, une profonde difficulté systématique parcourt la recherche d’une conception de l’histoire de la philosophie : celle-ci prend pour objet, dans la compréhension qu’elle a de soi-même, une vérité qui n’est pas constituée par une série de faits et qui n’a, par conséquent, pas d’histoire. Selon Fischer, deux tendances prévalent dans la pratique de l’historiographie de la philosophie : tandis que certains, se préoccupant peu de véracité, écrivent une histoire des philosophes et de leurs systèmes à la manière de l’éclectique, d’autres au contraire s’intéressent exclusivement à la véracité du système et négligent les personnages historiques ; les premiers se bornent à relater et les seconds, à juger. À cet endroit, Fischer remarque que cette alternative entre histoire sans philosophie et philosophie sans histoire a pour conséquence l’impossibilité d’une histoire de la philosophie conçue comme science. Toutefois, rien d’extérieur n’étant simplement donné et rien d’intérieur n’étant tout bonnement inné, ni l’un ni l’autre ne remplissent immédiatement les conditions de vérité requises et il nous incombe, en vue de corriger nos concepts, de parcourir un processus de formation qui manifeste une « histoire de notre conscience »67 : « Dans la conscience humaine, toute représentation vraie est une représentation qui advient, et toute vérité a son histoire, sans laquelle elle ne saurait se former »68. La philosophie, c’est l’humanité se connaissant soi-même ; elle a pour tâche de reconnaître la forme d’éducation de l’humanité à chacune de ses étapes. Tout au long de l’histoire de la philosophie, l’esprit s’explique son agir et se reconnaît dans sa force structurante. Ainsi, la connaissance de soi et l’instruction vont de pair. On repère les systèmes philosophiques d’exception en tant qu’ils représentent des « facteurs marquants de l’histoire universelle »69 pour les systèmes culturels : « L’humanité est un problème qui dans l’histoire se développe toujours davantage, qui dans la philosophie apparaît toujours plus clairement et que l’on comprend avec une profondeur toujours croissante ; c’est, en un mot, tout le contenu de l’histoire de la philosophie, contenu qui comporte lui-même la plus haute signification historique »70.

Par ces réflexions programmatiques, Fischer donne une nouvelle légitimité à l’historiographie de l’histoire de la philosophie : là où Hegel et Erdmann intègrent l’esprit de système et les formes historiques de l’activité philosophique dans un système ultime ou dans l’histoire universelle, Fischer envisage précisément les formes historiques dans leur caractère contradictoire en tant qu’elles représentent les moyens de la connaissance et servent à la constitution de l’esprit humain ; ce n’est pas la fin de l’histoire qui est déterminante, mais l’histoire elle-même, qu’elle connaisse ou non un aboutissement. Il est difficile de concevoir un programme historiciste plus prégnant pour l’historiographie de la philosophie après Fischer. Son histoire de la philosophie en plusieurs volumes, qui fait le pont entre Descartes et Leibniz d’un côté et Hegel et Schopenhauer de l’autre, en témoigne avec brio. Néanmoins, l’architecture du savoir passe de la sphère objective des concepts fondamentaux et des catégories à une acquisition historique et subjective des connaissances ; la conscience de soi qui se forme par l’étude de l’histoire devient l’architecte de son propre point de vue. Qui saurait garantir le succès d’un tel apprentissage ?

Pendant l’époque qui précède la première guerre mondiale, l’historiographie philosophique tend à s’internationaliser. La douzième édition du Grundriss der Geschichte der Philosophie de 1928, qui comprend un volume sur la philosophie européenne et extra-européenne du XIXe siècle71, s’accompagne d’un remarquable projet d’encyclopédie universelle, à savoir de celle de La culture du présent, entreprise par Paul Hinneberg (1862-1934) aux éditions de B. G. Teubner depuis 190572. Dans le cadre de ce projet éditorial, on voit paraître, respectivement en 1907 et 1909, les volumes intitulés Philosophie systématique et Histoire générale de la philosophie, dont le premier s’ouvre sur « L’essence de la philosophie » de Wilhelm Dilthey, traité qui déduit historiquement la philosophie de l’enchaînement des différents systèmes. Selon cet auteur, tous les penseurs s’attellent à élucider l’énigme du monde et de la vie et génèrent, dans leurs tentatives d’objectivation conceptuelle des questions métaphysiques fondamentales sur l’être du monde et la cause de la vie, un continuum dans lequel doit s’inscrire toute position nouvelle : « Ainsi, toutes les prises de position de la conscience philosophique et toutes les déterminations conceptuelles de la philosophie dans lesquelles ces prises de position trouvent leur expression forment ensemble le contexte historique. »73

Les contributions faites aux domaines philosophiques particuliers ne respectent cependant pas toutes le cadre annoncé : Alois Riehl (1844-1924) couvre les champs de la logique et de la théorie de la connaissance, Wilhelm Wundt (1832-1920), celui de la métaphysique, Wilhelm Ostwald (1853-1932), celui de la philosophie naturelle, Hermann Ebbinghaus (1850-1909), celui de la psychologie, et Friedrich Paulsen (1846-1908), celui de l’éthique. Le projet sera néanmoins représenté par les plus éminents philosophes du monde académique des alentours de 1900 – exception faite du néokantisme de l’école de Marbourg74. Le volume sur la philosophie de l’histoire fait paraître, dans une perspective à la fois diachronique et synchronique, une approche d’histoire globale de la philosophie. En accord avec ses études sur la psychologie des peuples (« Völkerpsychologie »), Wilhelm Wundt déduit les débuts de la philosophie des formes de pensée primitives. D’éminents savants, tels que l’indologue Hermann Oldenberg (1854-1920), l’orientaliste Ignaz Goldhizer (1850-1921) et le sinologue Wilhelm Grube (1855-1908), font le tableau de la philosophie orientale, tandis que le philosophe Tetsujiro Inouye (1855-1944) se charge de la présentation de la philosophie japonaise. La philosophie européenne profite des contributions de divers spécialistes, qui en retracent l’histoire de façon linéaire de l’Antiquité au XIXe siècle. Quant à la philosophie récente, elle est placée sous la responsabilité de Wilhelm Windelband. Dans son ensemble, l’encyclopédie de Hinneberg présente une histoire de la philosophie tendant à s’internationaliser et qui, libérée de ses stéréotypes confessionnels et de toute pensée politique nationaliste, a fait date, indéniablement75. L’un des effets d’une telle conception globale de la philosophie tient dans le renversement de l’ordre fondamental et systématique instauré entre la philosophie et la science, d’une part, et entre la philosophie et d’autres formes d’objectivation, de l’autre. De cette façon, l’architecture du savoir est extraite des rapports entre philosophie et science pour se voir confiée aux « archives des propos de l’humanité accessibles à tout un chacun »76.

4. Connaissances et Weltanschauung : la perte d’une perspective unifiée

Dans sa remarquable Histoire du matérialisme et critique de son importance à notre époque77 de 1866, Friedrich Albert Lange affiche le premier ses doutes face à une compréhension unifiée des connaissances historico-culturelles en raison du retrait de l’historiographie de la philosophie sur le champ trop étendu de l’ensemble du monde ou au contraire sur le domaine trop restreint des perspectives partiales. Y point un nouveau type d’historiographie de la philosophie78, qui assiste au traitement par Lange, dans le premier livre, de l’histoire du matérialisme jusqu’à Kant et dans le second, de l’histoire du matérialisme jusqu’à sa propre époque. Et l’on n’y raconte pas une histoire quelconque, mais celle d’un principe de conception philosophique du monde, lequel principe ne suffit pas à expliquer le monde, mais qui assume une fonction corrective pour la recherche et une fonction d’orientation pour la vie quotidienne. Dans sa forme de représentation de l’histoire de la philosophie, Lange combine deux éléments : à partir de la reconstruction historique des conceptions philosophiques de leurs débuts dans l’Antiquité à travers toutes les époques et jusqu’à l’époque contemporaine, il élabore le point de vue critique-théorique qui lui permettra d’intervenir dans les débats présents.

Déjà la première phrase du traité est programmatique : « Le matérialisme est aussi vieux que la philosophie, mais pas plus vieux »79. Par là, on veut signifier que le matérialisme s’oppose dès le départ et de manière critique à toute conception naturelle du monde s’empêtrant dans des constructions mythiques, la personnification de forces surnaturelles ou les apories d’une vision dualiste du monde. L’exposé de Lange a pour but de retracer l’efficacité de l’idée matérialiste sur son passage à travers l’histoire culturelle de l’humanité et d’en déterminer le potentiel explicatif. Cependant, toute médaille a son revers, et celui du projet de Lange est rendu visible par le succès des sciences naturelles modernes au XIXe siècle : c’est que le matérialisme prétend être la clé de tous les secrets du monde. D’ailleurs, Lange estime que sa mission consiste à définir les limites de l’explicabilité du monde et par là du matérialisme en tant que weltanschauung80. La vérité de l’immanence doit être assortie d’un monde idéal afin d’être achevée aux yeux des hommes. Selon Lange, la « forme de la vie spirituelle » et son « contenu idéal »81 ne sauraient se satisfaire, en vue de leur explication, d’une hypothèse matérialiste ; l’historiographie de la philosophie a pour tâche de décrire l’efficacité de l’idéal dans l’histoire réelle. Voilà le programme censé servir d’antidote à la conception matérialiste du monde qui domine notre culture moderne.

Avec Lange, l’historiographie de la philosophie se tourne vers l’« histoire des problèmes » (« Problemgeschichte ») et l’analyse des conceptions du monde – et acquiert ainsi, comme chez Windelband, mais d’une autre manière, une dimension de politique éducative. Parmi les historiens de la philosophie, le plus radical est sans doute Wilhelm Dilthey, comme en attestent ses thèses sur l’historiographie de la philosophie : à la grande diversité des formes d’existence correspond selon lui une multiplicité à peine contrôlable de façons de penser et de systèmes philosophiques82. Afin de réussir à concevoir ce procédé comme une méthodologie, Dilthey n’a pas cessé, en les formant, d’éprouver expérimentalement ses concepts. La tentative du Dilthey tardif de faire de l’ordre sur ce terrain confus trouve son expression écrite dans le traité de 1911 intitulé Les types de conceptions du monde et leur développement dans les systèmes métaphysiques. Pour rester dans la métaphore de l’« architecture du savoir », il suffira d’indiquer que pour Dilthey, l’histoire du savoir et des sciences ressemble à un paysage en ruines : « Derrière nous, nous apercevons un incommensurable champ de ruines, sur lequel se côtoient traditions religieuses, assertions métaphysiques et systèmes démontrés : l’esprit humain, durant de nombreux siècles, a expérimenté et éprouvé toutes sortes de possibilités pour prouver scientifiquement, représenter poétiquement ou annoncer dans le cadre d’une religion le rapport des choses entre elles, et la recherche historico-critique méthodique examine chaque fragment, chaque petite miette de ce long travail du genre humain »83.

Cette vision désastreuse doit être replacée dans le cadre des tentatives sans cesse renouvelées par Dilthey en vue de reconstruire un système du savoir. En employant les différentes briques argumentatives qui figureront ensuite dans ses écrits posthumes ou qu’il avait déjà fait paraître en 1907 sous le titre L’essence de la philosophie84, Dilthey élabore sa conception d’une construction structurale des weltanschauungen, dont les étapes sont : la vie, l’expérience de la vie, le mystère de la vie, la loi constitutive des weltanschauungen, leur structure et leur diversité. S’ensuit une classification des weltanschauungen en trois types que sont la religion, la poésie et la métaphysique, le but étant d’« analyser l’histoire plus profondément, soit du point de vue de la vie-même »85. Pourtant, du propre aveu de l’auteur, cette typologie est à considérer comme une tentative tout à fait insuffisante en vue de saisir l’étendue et la profondeur des phénomènes étudiés. C’est pourquoi, dans ses suppléments manuscrits associés à la typologie et intitulés La structure de l’histoire de la philosophie, Dilthey poursuit sa recherche afin de justifier sa conception ; et pour ce faire, il se tourne vers le modèle de l’« histoire des problèmes » de Windelband. Ainsi, en réponse à la question de savoir ce qui nous permet de rattacher un Démocrite ou un Helvetius à un parti ou à une weltanschauung particuliers au-delà des frontières temporelles, linguistiques et culturelles, il avance l’hypothèse de travail selon laquelle la vie, de même que « l’histoire de la philosophie, [sont régis par] des rapports objectifs et nécessaires »86. L’argumentation philosophique est limitée, quant à l’étendue de ses possibilités, par les barrières historiquement conditionnées de la connaissance acquise par l’expérience. Et c’est parce que le nombre des énigmes philosophiques est limité qu’une comparaison reste possible au-delà des frontières historiques, sociales et culturelles. En développant son hypothèse, Dilthey en vient à affirmer que l’histoire de la philosophie pourrait être envisagée comme l’« ordre rationnel [...] selon lequel les pensées philosophiques se succèdent »87. Si l’on suit cette idée, toutes les époques, tous les pays, ainsi que des hommes pensants en nombre incommensurable et les formes de vie diverses et variées de ceux-ci sont à considérer comme les événements constitutifs d’un contexte universel de la vie culturelle. En effet, de cette manière, l’historiographie de la philosophie redevient une discipline historique fondamentale, car dans son propre domaine – celui de l’histoire de la philosophie – et en vue d’une histoire sociale et culturelle valide et mettant en rapport les résultats des études particulières les uns avec les autres, elle fournit un fondement systématico-historique et propose un ordonnancement rationnel des formes de vie et de pensée. C’est du moins ainsi qu’est conçu le projet de Dilthey, qu’il n’a pas lui-même mené à terme.

5. Remarques conclusives et ébauche d’un programme de recherche

Comme nous avons pu le constater, les glissements dans l’architecture du savoir au cours du XIXe siècle, et ce rien que pour la discipline philosophique, sont particulièrement importants. À la reconstruction d’une unité encyclopédique du savoir dans les philosophies idéalistes fait suite une fragmentation radicale des connaissances existantes. Dans le cadre de la métaphore qui a présidé à la collection de textes que vient clore la présente contribution, on peut dire que les doctrines scientifiques des alentours de 1800 assistent à une double destruction des palais du savoir : de l’intérieur d’abord, par l’historisation et l’anthropologisation des connaissances ; de l’extérieur, ensuite, par la différenciation des sciences conjuguée avec le pluralisme des méthodes qui s’établit progressivement. C’est ainsi que vers 1900, il ne reste de ces rutilants palais que des ruines. Cependant, il reste permis de lire cette évolution comme l’histoire d’un déclin ou l’histoire d’un progrès. Du point de vue de la philosophie, qui a perdu ses fonctions organisatrice et unificatrice au milieu des divers champs du savoir, il ne saurait être question de progrès, mais au sein de la nouvelle discipline philosophique en pleine constitution et conçue comme science spécialisée, on peut relever quelques avantages, qui tiennent surtout à la plus grande clarté dont jouit cette science. En conséquence de cette évolution, en effet, il incombe désormais aux philosophes de faire précéder chaque entreprise philosophique d’une clarification des rapports entre la systématique et l’histoire et de définir leur méthodologie en distinguant celle-ci des autres méthodes scientifiques (comme par exemple de celles de la sociologie de la connaissance ou de l’histoire des sciences). De surcroît, ils n’échappent plus à la question relative à l’objet de la philosophie : s’agit-il – pour n’en nommer que quelques-uns – de conceptions, de catégories, de termes, de problèmes, de visions du monde, de formes d’expression culturelles ? En fin de compte, il nous reste donc au moins une bonne nouvelle : à supposer que le thème de l’architecture du savoir soit encore d’intérêt aujourd’hui, la philosophie fait en tout cas figure d’interlocuteur valable et important.

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1Jürgen Osterhammel, La transformation du monde. Une histoire globale du XIXe siècle, trad. de l’all. par H. Van Besien, Paris, Nouveau monde éditions, 2017, p. 1053 (cf. Jürgen Osterhammel, Die Verwandlung der Welt. Eine Geschichte des 19. Jahrhunderts, Münich, C. H. Beck, 2009, p. 1105).

2Cf. Gerald Hartung, « Philosophie », in : Friedrich Jäger, Wolfgang Knöbl et Ute Schneider (eds), Handbuch der Moderneforschung, Stuttgart, J. B. Metzler, 2015, p. 204-215.

3W. Windelband, « Die gegenwärtige Aufgabe der Logik und Erkenntnistheorie in Bezug auf Natur- und Kulturwissenschaft », in : Édouard Claparède (éd.), Congrès international de philosophie, IIe session, tenu à Genève du 4 au 8 septembre 1904. Rapports et comptes rendus, Nendeln (Liechtenstein), Kraus Reprint Limited, 1968 (reprod. de l’éd. de Genève, 1905), p. 104-119.

4Cf. Gerald Hartung, « Ein Philosoph korrigiert sich selbst – Wilhelm Windelbands Abkehr vom Relativismus », in : Peter König et Oliver Schlaudt (eds), Wilhelm Windelband (1848-1915), Würzburg, Königshausen & Neumann, 2018, p. 45-60.

5Pour le contexte de cette évolution, on consultera Frederick C. Beiser, The German Historicist Tradition, Oxford, Oxford University Press, 2011.

6Cf. Paul Ricœur, Histoire et verité, Paris, Seuil, 1967, 1re partie : « Vérité dans la connaissance de l’histoire », p. 27-149.

7On citera aussi quelques travaux plus anciens : Lutz Geldsetzer, Die Philosophie der Philosophiegeschichte im 19. Jahrhundert: zur Wissenschaftstheorie der Philosophiegeschichtsschreibung und -betrachtung, Meisenheim am Glan, A. Hain, 1968 ; Hans-Martin Sass, « Philosophische Positionen in der Philosophiegeschichtsschreibung. Ein Forschungsbericht », Deutsche Vierteljahrsschrift für Literaturwissenschaft und Geistesgeschichte, t. 46/3, 1972, p. 539-567 ; Richard Rorty, Jerome B. Schneewind et Quentin Skinner (eds), Philosophy in History. Essays on the Historiography of Philosophy, Cambridge/London, Cambridge University Press, 1984 ; Helmut Holzhey et Wolfgang Röd, Die Philosophie des ausgehenden 19. und des 20. Jahrhunderts, t. 2 : Neukantianismus, Idealismus, Realismus, Phänomenologie, Münich, C. H. Beck, 2004. L’un de nos récents travaux propose une première systématisation de l’historiographie philosophique au XIXe : Gerald Hartung, « Philosophical Historiography in the 19th Century : A Provisional Typology », in : Gerald Hartung et V. Pluder (eds), From Hegel to Windelband. Historiography of Philosophy in the 19th Century, Berlin, W. de Gruyter, 2015, p. 9-24. Voir aussi les contributions faites dans Allen W. Wood et al. (eds), The Cambridge History of Philosophy in the Nineteenth Century (1790-1870), Cambridge, Cambridge University Press, 2012.

8C’est dans cet esprit que j’assortis la présente étude d’un espoir, que je formule ainsi : je serais ravi de proposer, de concert avec les futurs collègues de France et d’ailleurs en Europe qui joindraient leurs forces aux miennes, une vaste étude comparatiste à l’échelle européenne centrée sur l’acculturation, la nationalisation, les distanciations et rapprochements, le transfert culturel entre les pays d’Europe au cours du long XIXe siècle (de 1800 jusqu’à la catastrophe de la première guerre mondiale), ceci en prenant pour exemple les différentes historiographies de la philosophie. Il s’agirait d’un projet de recherche mené par des Européens, au sein de l’Europe et pour l’Europe.

9Cf. Lucien Braun, Histoire de l’histoire de la philosophie, Paris, Ophrys, 1973 ; Gerald Hartung, « Philosophiegeschichtsschreibung als Geschichtswissenschaft oder spekulative Geschichtsbetrachtung. Über den Nutzen und die Überwindung einer epistemologisch motivierten Unterscheidung », in : Andreas Blödorn, Christof Hamann et Christoph Jürgensen, Erzählte Moderne. Fiktionale Welten in den 1920er Jahren, Göttingen, Wallstein, 2018, p. 214-231.

10Cf. Ulrich J. Schneider, Die Vergangenheit des Geistes. Eine Archäologie der Philosophiegeschichte, Francfort, Suhrkamp, 1990, p. 309-320.

11Emmanuel Kant, « Lose Blätter zu den Fortschritten der Metaphysik », in : Kant’s gesammelte Schriften, Abt. III : Handschriftlicher Nachlass, t. 20, Berlin-Leipzig, G. Reimer/W. de Gruyter, 1942, p. 341. Les citations rapportées dans le présent article, pour lesquelles on renverra (sauf exception) à l’édition en langue allemande, ont été traduites par A. Sienkiewicz-Pépin. Quant aux titres des ouvrages, on indiquera également, dans la mesure du possible, l’édition en langue française.

12Johann G. Fichte, « Du concept de la doctrine de la science », in : Johann G. Fichte, Émile Jalley, Marc Géraud (eds), La doctrine de la science, Paris, L’Harmattan, 2016, dont le titre original était Über den Begriff der Wissenschaftslehre.

13Johann G. Fichte, Über den Begriff der Wissenschaftslehre, in : Fichtes Werke, t. 1, I. H. Fichte éd., Berlin, W. de Gruyter, 1971, p. 77 (réimpression reprographique de l’édition de Berlin, 1845).

14Philosophisches Journal, Johann G. Fichte et Friedrich I. Niethammer (eds), t. 6 (1797), Hildesheim, G. Olms, 1969 (réimpression reprographique de l’édition de Iéna-Leipzig, 1797).

15Friedrich W. J. Schelling, Über die Preisfrage der Berliner Akademie für 1795, in : Id., « Allgemeine Übersicht der neuesten philosophischen Literatur », Philosophisches Journal 6 (1797). Nous trouvons une version rééditée du texte dans Schellings Werke, M. Schröter éd., 1. Hauptband : Jugendschriften 1793-1798, Münich, C. H. Beck/R. Oldenbourg/Biederstein Verlag/Leibniz Verlag, 1927, p. 377-385.

16Ibid., p. 380.

17Ibid., p. 382.

18Ibid.

19Friedrich W. J. Schelling, Vorlesungen über die Methode des akademischen Studiums (1803), in : Schellings Werke, op. cit., 3. Hauptband : Schriften zur Identitätsphilosophie 1801-1806, p. 229-507.

20Ibid., p. 331-332.

21Cf. L. Braun, Histoire de l’histoire de la philosophie, op. cit. (Geschichte der Philosophiegeschichte, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1990, p. 313).

22Christian A. Brandis, Von dem Begriff der Geschichte der Philosophie. Eine Einladungsschrift zu seinen an der Universität in Berlin zu haltenden Vorlesungen, Copenhagen, Gerhard Bonnier, 1815.

23Ibid., p. 31.

24Ibid., p. 62-63.

25Ibid., p. 68.

26Heinrich Ritter, « Über die Bildung des Philosophen durch die Geschichte der Philosophie », in : Id., Welchen Einfluss hat die Philosophie des Cartesius auf die Ausbildung der des Spinoza gehabt, und welche Berührungspunkte haben beide Philosophien mit einander gemein ?, Leipzig-Altenburg, 1817, p. 83-120, p. V-VI.

27Id., Geschichte der Ionischen Philosophie, Berlin, T. Trautwein, 1821, p. 4.

28Id., Geschichte der Pythagorischen Philosophie, Hamburg, Friedrich Perthes, 1826, p. V.

29Ibid., p. VII.

30Ibid., p. VIII.

31Id., « Über die Bildung des Philosophen », op. cit.

32Ibid., p. 103-104.

33Ibid., p. 108-109.

34Cf. L. Braun, Histoire de l’histoire de la philosophie, op. cit. (Geschichte der Philosophiegeschichte, op. cit., p. 364 ss.).

35Georg W. F. Hegel, Leçons sur l’histoire de la philosophie, 8 vol., trad. et notes par P. Garniron, Paris, Vrin, 1971-2007 (Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie, Teil 3, in : Werke, t. 20, Francfort, Suhrkamp, 1971, p. 454-455).

36Ibid., p. 455-456.

37Wolfgang Hübener, « Die Ehe des Mercurius und der Philologie. Prolegomena zu einer Theorie der Philosophiegeschichte », in : Norbert W. Bolz (éd.), Wer hat Angst vor der Philosophie? Eine Einführung in die Philosophie, Paderborn, F. Schöningh, 1982, p. 137-196, ici p. 143-145.

38G. W. F. Hegel, Leçons sur l’histoire de la philosophie, op. cit. (Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie, 1re partie, in : Werke, t. 20, op. cit., p. 47).

39Ibid., p. 49.

40Cette thèse représente sans doute l’une des raisons pour lesquelles l’historiographie de la philosophie a été négligée après Hegel, comme en témoigne Frederick C. Beiser, After Hegel. German Philosophy 1840-1900, Princeton, Princeton University Press, 2014.

41Cf. Klaus C. Köhnke, Entstehung und Aufstieg des Neukantianismus. Die deutsche Universitätsphilosophie zwischen Idealismus und Positivismus, Francfort, Suhrkamp, 1986 ; Gerald Hartung et Klaus C. Köhnke (éd.), Friedrich Adolf Trendelenburgs Wirkung, Eutin, Eutiner Landesbibliothek, 2006 ; Gerald Hartung, « Friedrich Adolf Trendelenburg », in : Hans-Christof Kraus (éd.), Geisteswissenschaftler II, Berlin, Duncker & Humblot, 2012, p. 9-26 ; F. C. Beiser, Late German Idealism. Trendelenburg and Lotze, Oxford, Oxford University Press, 2014.

42Adolf Trendelenburg, Geschichte der Kategorienlehre, Hildesheim-New York, G. Olms, 1979 (réimpression reprographique de l’édition de Berlin, G. Bethge, 1846).

43Ibid., p. 365.

44Ibid., p. 368.

45Ibid., p. 179.

46Ibid., p. 180.

47Cf. Gerald Hartung, « What are Logical Investigations? Aristotelian Research in Trendelenburg and Husserl », in : Gerald Hartung, Colin G. King et Christof Rapp (eds), Aristotelian Studies in 19th Century Philosophy, Berlin-Boston, W. de Gruyter, 2018, p. 77-96.

48Hermann Bonitz, Aristotelische Studien, Hildesheim, G. Olms, 1969 (réimpression de l’édition de Vienne, 1862-1867). Cf. Gerald Hartung, « Theorie der Wissenschaften und Weltanschauung. Aspekte der Aristoteles-Rezeption im 19. Jahrhundert », Zeitschrift für philosophische Forschung 60/2 (2006), p. 290-309.

49Gustav Teichmüller, Studien zur Geschichte der Begriffe, Hildesheim, G. Olms, 1966 (réimpression reprographique de l’édition de Berlin, 1874).

50Ibid., p. V.

51Rudolf Eucken, R., Geschichte und Kritik der Grundbegriffe der Gegenwart, Leipzig, Veit, 1878.

52Ibid., p. V.

53Id., Geschichte der philosophischen Terminologie, im Umriss dargestellt, Hildesheim, G. Olms, 1960 (réimpression de l’édition de Leipzig, Veit, 1879).

54Ibid., p. 139.

55Ibid., p. 219.

56Johann E. Erdmann, Versuch einer wissenschaftlichen Darstellung der Geschichte der neuern Philosophie, facsimile en 7 tomes, Stuttgart, F. Frommann, 1931-1934 (réimpression de l’édition de Leipzig de 1834-1853).

57Ibid., t. 1, 1re partie, p. 16.

58Ibid., p. 39.

59Ibid., p. 47.

60Ibid., p. 58.

61Ibid., p. 99.

62Id., Grundriss der Geschichte der Philosophie, Bd. 1 : Philosophie des Alterthums und des Mittelalters, Berlin, W. Hertz, 1866, p. 3.

63Ibid., p. 3-4.

64Ibid., t. 2 : Philosophie der Neuzeit, p. 798.

65Kuno Fischer, Einleitung in die Geschichte der neueren Philosophie, s. l. : Vero Verlag, 2019 (Nachdruck der vierten Auflage von Heidelberg, Winter’s Universitätsbuchhandlung, 1891).

66Ibid., p. 2.

67Ibid., p. 4.

68Ibid.

69Ibid., p. 6.

70Ibid., p. 13.

71Friedrich Ueberwegs Grundriss der Geschichte der Philosophie, Teil 5 : Die Philosophie des Auslandes vom Beginn des 19. Jahrhunderts bis auf die Gegenwart, T. K. Oesterreich éd., Berlin, E. S. Mittler, 192812.

72À propos de ce projet, voir Paul Ziche, « Wissenschaftssystematik als Kulturaufgabe. Möglichkeiten eines offenen Kulturbegriffs in Paul Hinnebergs Enzyklopädieprojekt », Wissenschaftsgeschichte 31/1 (2008), p. 44-57, https://doi.org.

73Wilhelm Dilthey, « Das Wesen der Philosophie », in : P. Hinneberg (éd.), Die Kultur der Gegenwart, Teil 1, Abt. VI : Systematische Philosophie, Berlin/Leipzig, Teubner, 1907, p. 8.

74À propos de cette école, cf. K. C. Köhnke, Entstehung und Aufstieg des Neukantianismus..., op. cit. ; Frederick C. Beiser, The Genesis of Neo-Kantianism, 1796-1880, Oxford, Oxford University Press, 2014, où l’on ne traite toutefois pas explicitement de l’historiographie de la philosophie.

75Pour une célébration de ce projet encyclopédique dans sa signification pour l’historiographie de la philosophie, on consultera notamment Rolf Elberfeld, « Ansätze globaler Philosophiegeschichtsschreibung. Kommentierender Überblick anhand von Textpassagen und Inhaltsverzeichnissen », in : Id(éd.), Philosophiegeschichtsschreibung in globaler Perspektive, Hamburg, Felix Meiner Verlag, 2017, p. 281-323.

76Clifford Geertz, Dichte Beschreibung. Beiträge zum Verstehen kultureller Systeme, trad. B. Luchesi et R. Bindemann, Francfort, Suhrkamp, 1987, p. 43.

77Friedrich A. Lange, Histoire du matérialisme et critique de son importance à notre époque, trad. de l’allemand sur la 2e éd. par B. Pommerol, introd. par D. Nolen, préf. de M. Onfray, Checy, CODA, 2004.

78Cf. Gerald Hartung, « Friedrich Albert Lange et l’histoire critique du matérialisme », in : Charlotte Morel (dir.), L’Allemagne et la querelle du matérialisme (1848-1866) : Une crise oubliée ?, Paris, Classiques Garnier, 2017, p. 155-171.

79F. A. Lange, Histoire du matérialisme, op. cit. (Cf. Id., Geschichte des Materialismus und Kritik seiner Bedeutung in der Gegenwart, t. 1, Leipzig, Baedecker, 18965, p. 3).

80Ibid., t. 2, p. 539.

81Ibid., p. 553.

82Wilhelm Dilthey, Théorie des conceptions du monde, trad. par L. Sauzin, Paris, PUF, 1946. (Cf. Id., « Das geschichtliche Bewusstsein und die Weltanschauungen », in : Gesammelte Schriften, t. 8 : Weltanschauungslehre. Abhandlungen zur Philosophie der Philosophie, Stuttgart/Göttingen, Teubner/Vandenhoeck & Ruprecht, 19916, p. 8).

83Id., « Die Typen der Weltanschauung und ihre Ausbildung in den metaphysischen Systemen », in : Gesammelte Schriften, op. cit., p. 76. Cf. Frithjof Rodi, Das strukturierte Ganze. Studien zum Werk von Wilhelm Dilthey, Weilerswist, Velbrueck Wissenschaft, 2003.

84W. Dilthey, « Das Wesen der Philosophie », art. cit.

85Id., « Die Typen der Weltanschauung », art. cit., p. 100.

86Id., « Die Versuche, die Gliederung der Geschichte der Philosophie aufzufinden » (supplément manuscrit à l’article « Die Typen der Weltanschauung », art. cit., p. 121-139), p. 135.

87Ibid., p. 139.