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Médecine et philosophie au cœur du soin

Contribution à une anthropologie clinique contemporaine

Lazare BENAROYO

Université de Lausanne

Le corps humain, écrit Maurice Merleau-Ponty, est un entrelacs de nature et d’existence1. Dans l’état de bien-être, il est vécu comme allant de soi, comme une évidence. Lorsque qu’il se fissure, qu’il se désintègre, l’existence ne va plus de soi, l’état de mal-être est ressenti, et la quête de soin commence.

Comment le soignant va-t-il répondre à l’appel à l’aide de la personne qui souffre ? Il va d’une part se fonder sur une approche scientifique, cherchant à expliquer la cause du dysfonctionnement du corps, « chose parmi les choses », et à maîtriser dans le même mouvement le cours de la maladie ; d’autre part, il va adopter une attitude personnelle, cherchant à comprendre la signification de la brisure de l’être-au-monde qui vient rompre l’harmonie de l’existence jusqu’alors insouciante de la personne malade2.

Comme le relèvent Schwartz et Wiggins, adopter de front ces deux attitudes ne va cependant pas de soi, dans la mesure où elles font appel à des formes de connaissances et à des méthodes différentes, qui entretiennent des relations paradoxales3. Confronté à l’universel et au particulier, à l’objectif et au subjectif, au désir d’infini en regard d’une réalité finie, le praticien doit faire face à des paradoxes difficiles à affronter. Georges Canguilhem, une figure emblématique de la pertinence de l’union féconde entre médecine et philosophie, a décrit cette tension en ces termes éloquents : « Il faut s’avouer [...] qu’il ne peut y avoir homogénéité et uniformité d’attention et d’attitude envers la maladie et envers le malade, et que la prise en charge d’un malade ne relève pas de la même responsabilité que la lutte rationnelle contre la maladie. »4

Canguilhem souligne l’importance d’être dès lors attentif au « point de conversion de la valeur de la rationalité médicale »5, un point nodal « qui n’est pas un point de repli »6 précise-t-il, auquel le soignant doit faire face en vue d’articuler son agir technique, fondé sur la maîtrise et le contrôle, à l’art de l’accueil et de l’écoute7, qui suppose une mise en retrait, une absence de maîtrise, une ouverture à l’autre.

Comment mettre en œuvre ce « décentrement de l’attention du médecin », cette « conversion de la rationalité médicale » nécessaire à une démarche de soin attentive à la personne ? Comment un dialogue entre médecine et philosophie peut-il ouvrir l’horizon d’une possibilité pour la clinique de construire un avenir porté par les responsabilités éthiques, sociales et politiques qui lui incombent ?

1. Exploration préliminaire des fondements épistémologiques et anthropologiques de l’activité clinique contemporaine

L’activité clinique est généralement comprise, en son sens étymologique, comme l’ensemble des pratiques diagnostique, thérapeutique et pronostique accomplies par le médecin ou l’équipe médicale au chevet du patient. S’appuyant depuis le XVIIIe siècle sur le modèle épistémologique des sciences naturelles et expérimentales, le diagnostic et la thérapeutique modernes consistent, comme Michel Foucault l’a relevé avec pertinence8, en l’application de connaissances théoriques, notamment physiopathologiques et épidémiologiques, à une réalité morbide définie par des symptômes inscrits dans le corps et accessibles à la vue, au toucher à l’audition et à la parole, une accessibilité que les moyens techniques prolongent aujourd’hui à l’infini. S’il est vrai que la pratique médicale contemporaine comporte une part de plus en plus importante d’application technique, qui en garantit l’efficacité, elle ne saurait toutefois se réduire à cela. Comme de nombreux travaux de philosophie de la médecine l’ont mis en évidence tout au long du XXe siècle9, la pratique ne peut en effet être considérée comme la simple application des éléments cognitifs de sciences théoriques : elle se différencie du savoir scientifique par le fait qu’elle implique toujours une prise de décision responsable qui opère un choix entre des possibilités de réalisation de divers biens intrinsèquement reconnus comme tels par ses acteurs10. De ce point de vue, la pratique médicale peut être conçue comme un champ autonome de l’action humaine comportant sa propre logique, sa propre finalité, ses méthodes, ses règles et son langage : si la finalité de la science médicale est d’établir la vérité scientifique, la finalité de la pratique de la médecine est, dans son orientation thérapeutique11, de restaurer la santé d’un individu singulier souffrant dans son corps et dans son être-au-monde12.

Face à la singularité propre à toute prise en charge médicale, le médecin ne peut donc réduire l’individu malade à une simple entité nosologique ; il se doit d’explorer les multiples contingences qui caractérisent la situation de détresse de la personne souffrante qui l’interpelle, pour aboutir à un jugement circonstancié adapté à sa singularité : le malade supportera-t-il sans dommage le traitement considéré comme le plus efficace ? Le milieu dans lequel il vit a-t-il une influence sur sa maladie ou au contraire favorise-t-il le bon déroulement du traitement ? Comment agir pour que le malade puisse répondre au mieux aux changements auxquels sa maladie le soumet ?

La visée éthique de la clinique contemporaine peut ainsi être conçue comme un souci de trouver la voie qui aide un individu malade à accéder à un nouvel état d’équilibre où il devrait pouvoir retrouver toutes ses potentialités. L’activité clinique est en somme une activité de re-possibilisation : elle ne se contente donc pas de prévoir pour le patient un retour à la norme physiologique, mais se concentre également sur les capacités de guérison du malade.

Si, comme nous venons de l’affirmer, la tâche du médecin consiste bien à re-possibiliser l’existence de son patient, nous comprenons aussitôt que la mise en œuvre du jugement médical circonstancié ne peut être mise au compte des seules interventions diagnostique et thérapeutique. Ce souci du patient singulier ne peut manquer de rendre le clinicien attentif à la manière dont la maladie affecte l’identité du malade qu’il prend en charge.

Du point de vue de ce dernier, la maladie n’est habituellement pas seulement vécue comme un incident technique, un fonctionnement organique déréglé ou un accident dépourvu de sens. Comme le précise Georges Canguilhem, se sentir malade n’est pas se sentir anormal au sens de l’écart de la norme, de l’étalon de la justesse et de la vérité : pour le malade, la maladie est caractérisée par une configuration nouvelle de son organisme, une nouvelle forme d’adaptation aux perturbations du milieu extérieur, qui se traduit par l’élaboration d’une nouvelle norme individuelle13. La santé et la maladie ne sont donc pas deux expériences vitales de même qualité, comme cela est présupposé dans la perspective naturaliste adoptée par la médecine scientifique. Pour le malade, la santé et la maladie représentent deux états qualitativement différents de l’existence individuelle : la santé est la capacité d’être normatif, c’est-à-dire la capacité d’instaurer des normes adaptées aux variations des conditions de l’environnement : « Être sain, écrit Canguilhem, c’est non seulement être normal dans une situation donnée, mais aussi être normatif dans cette situation et dans d’autres situations éventuelles »14. La maladie est, dans ce contexte, une réduction de la capacité d’être normatif. En ce sens, la maladie n’est pas, aux yeux du malade, une perte de sa normalité mais plutôt une réduction de sa capacité d’instaurer de nouvelles normes.

Canguilhem en conclut que l’état de santé que le patient cherche à retrouver est un état dans lequel celui-ci aurait à nouveau la possibilité « d’aborder l’existence en se sentant non seulement possesseur ou porteur, mais aussi au besoin créateur de valeurs, instaurateur de normes vitales »15. Dans cette perspective, la quête de santé que le malade poursuit, peut être interprétée comme la recherche d’une restauration de l’autonomie de son organisme – la maladie étant vécue par ce dernier comme la réduction de cette autonomie sous la forme d’une réduction du niveau d’activité normative, voire d’une réduction de l’ensemble de l’organisme à une norme unique16.

L’un des maîtres à penser de Canguilhem, Viktor von Weizsäcker, avait déjà relevé avec pertinence au cours de la première moitié du XXe siècle que la maladie est un événement qui s’inscrit dans une biographie dont elle perturbe la continuité : la maladie est une crise qui en faisant courir un danger à l’équilibre psychophysique, somme le malade, dans les affections graves tout au moins, de transformer son cadre de vie et de s’adapter à sa nouvelle condition. Pour Weizsäcker, le « pathique » – c’est-à-dire les catégories pathogénétiques à travers lesquelles le patient perçoit sa maladie et sa souffrance dans son être-au-monde17 – est, au-delà de sa détermination physiopathologique, un mode d’existence de l’être humain, dont les caractéristiques sont les suivantes :

  • le sentiment de vie contrariée ;
  • la perte des cadres de références habituelles ;
  • la perte de contrôle sur soi ;
  • l’isolement profond ;
  • la dépendance à l’égard des autres ;
  • la crainte de la mort possible ;
  • l’altération de la conscience intime du temps.

Aux yeux de Viktor von Weizsäcker, cette dernière catégorie du « pathique » mérite une attention particulière, dans la mesure où elle permet de caractériser l’une des dimensions fondamentales de la réduction du pouvoir-être liée à l’expérience de la maladie. Se basant sur les travaux d’Edmund Husserl18, von Weizsäcker insiste sur le fait que l’altération de la conscience intime du temps inscrit la souffrance dans l’histoire du patient : elle altère les horizons du présent et affecte le jeu des « rétentions » et des « protentions » qui l’animent, rompant ainsi la confiance que le malade peut avoir en lui-même et au monde qui l’entoure, ainsi que l’espèce de familiarité ou d’évidence qui l’attache au monde, aux autres et à lui-même. La souffrance situe ainsi l’individu dans une sorte d’interminable présent ancré dans un passé qui ne s’ouvre pas sur des horizons futurs19. Cet écrasement de la temporalité représente, pour Weizsäcker, la dimension ontique de la souffrance, dont la réduction du pouvoir-être est l’expression existentielle. Dans ce contexte, la souffrance est, tant pour Weizsäcker que pour Canguilhem, presque toujours une crise du sens. Tout ce dans quoi le patient avait investi peut être soudainement menacé de perte ou de désintégration.

À l’aune de cette phénoménologie de l’expérience morbide, l’activité clinique se mue alors en une sollicitude orientée vers un travail d’interprétation – une herméneutique – des signes et symptômes, porteur d’une reconstruction du sens et du temps, de telle sorte que la question de savoir ce que le patient peut devenir ou s’il existe encore pour lui des futurs possibles fait partie intégrante du travail de guérison20. L’anamnèse peut être ici d’un grand secours : elle permet par exemple de poursuivre avec le patient la tâche reconstructive à l’aide d’un approfondissement des thématiques suivantes :

  • quel est le style de vie du patient ?
  • à quoi l’existence du patient s’est-elle destinée jusqu’alors ?
  • quels sont les conflits ou tensions présents dans son existence ?
  • comment le patient engage-t-il son corps dans cet affrontement ?
  • comment aménage-t-il son temps et son espace vital à l’occasion de la maladie ?
  • de quelle manière le patient met-il son existence en jeu à travers sa maladie ?
  • quelles modifications de son réseau de relations sociales sont survenues à l’occasion de sa maladie ?

Puisque chaque malade présente un profil particulier qui peut être appréhendé dans le cadre d’une démarche herméneutique, il ne saurait être question de lui appliquer des décisions normées de façon arbitraire et générale. Mais il s’agit de délibérer en tenant compte des circonstances contingentes pour se décider à choisir le meilleur bien possible pour chaque individu singulier. L’élection de ce bien repose sur la faculté du médecin d’opérer des choix qui orientent ses actions sur les voies du soulagement de la souffrance et du rétablissement du malade.

Dans la filiation de la tradition philosophique aristotélicienne, cette activité délibérative est classiquement assignée à la sagesse pratique, également dénommée prudence, c’est-à-dire l’aptitude du soignant à trouver la « norme juste » dans une situation singulière21. À l’image du phronimos, l’homme « prudent », en l’occurrence le clinicien, sait, comme le précise René Simon, que « la solution n’est pas prescrite, mais qu’elle est risquée, inconfortable, singulière, difficile »22. Le clinicien doit « en quelque sorte inventer ce qu’il faut faire, ce qui s’imposera comme un devoir singulier, résultat d’un débat, parfois difficile et toujours risqué, dont les éléments n’apparaissent pas dans une clarté qu’assurerait la maîtrise rationnelle de la situation ; c’est dans l’inconfort qui résulte de l’écart existant entre le respect de la norme et le respect dû aux personnes, que la décision est à prendre »23.

2. Les premiers chemins de la prudence médicale : l’anthropologie médicale allemande des années 1930-1960

Pour baliser l’horizon d’exercice éthique d’une prudence médicale contemporaine, il nous paraît fécond de faire revivre les travaux de chercheurs du XXe siècle, se situant dans la filiation de la pensée de Viktor von Weizsäcker, tels Viktor Emil Freiherr von Gebsattel, Otto Guttentag ou encore Hans Jonas, et de faire appel dans ce sillage, à la pensée de Paul Ricœur, qui a enrichi cette tradition, comme nous nous proposons de le montrer.

Viktor Emil Freiherr von Gebsattel a élaboré au cours des années 1950 une anthropologie phénoménologique de la relation clinique, qui va nous servir de guide dans notre cheminement vers l’élaboration d’une conception de la sagesse pratique médicale que les travaux de Ricœur nous aiderons à incarner dans l’univers contemporain24.

Pour Gebsattel, les deux faces du phénomène morbide que Weizsäcker a mises en lumière – le versant existentiel et le versant physiopathologique – déterminent deux niveaux anthropologiques de la relation médecin-malade :

  1. le niveau de la relation interpersonnelle – l’espace de dialogue et de confiance au sein duquel les catégories du pathique peuvent être appréhendées ;
  2. le niveau scientifique et technique – l’espace au sein duquel les mécanismes physiopathologiques peuvent être compris.

À ses yeux, l’acte de soin doit puiser à ces deux sources anthropologiques pour réaliser sa finalité première : soulager la souffrance du malade. Gebsattel définit sur cette base trois moments de la relation thérapeutique :

  1. le stade sympathique élémentaire, au cours duquel le soignant perçoit une détresse humaine (Not) – détresse que Gebsattel associe dans la tradition inaugurée par Weizsäcker à une brèche existentielle, une atteinte du pouvoir-être du patient (Nicht-sein-können) ; cette détresse constitue, à ses yeux, une injonction au soignant de répondre à la demande d’aide du malade (Hilfe) ;
  2. le stade de l’agir scientifique : l’élaboration du diagnostic, de la thérapie et du pronostic. Aux yeux de Gebsattel, ce stade est explicitement « aliénant » au plan humain, dans la mesure où le soignant se doit de réifier son patient pour pouvoir intervenir sur son corps ou sa psyché à l’aide de moyens techniques ;
  3. le stade de l’acte thérapeutique personnalisé, au cours duquel le médecin, après avoir été instruit de la nature de la brèche existentielle liée à la maladie, recourt aux moyens techniques nécessaires qu’il adapte à la singularité du projet de soin.

Cette approche anthropologique détermine, pour Gebsattel, trois strates éthiques de l’acte de soin :

  1. la rencontre proprement éthique, qui est, à ses yeux, une promesse d’aide face à une demande formulée par une personne vulnérable et souffrante ; à cette demande, qui place le malade dans une position asymétrique par rapport au médecin, répond la promesse d’aide prononcée par le médecin de permettre à ce dernier de retrouver son pouvoir-être altéré par la maladie ;
  2. autour de ce noyau vient se greffer la phase réparatrice de l’acte médical. Il s’agit, pour Gebsattel, d’une forme d’aide quasi impersonnelle, permettant d’agir sur les dysfonctionnements biologiques liés à la maladie ; le médecin se doit alors : a) de mettre en évidence les causes de la douleur ou de la limitation fonctionnelle provoquée par la maladie, et b) d’avoir recours à la science pour corriger ces dysfonctionnements. À ses yeux, ce moment le malade devient un cas soumis à une règle afin de donner la possibilité au médecin de maîtriser le cours de la maladie ;
  3. sur la base des deux strates précédentes, la prise en charge médicale peut s’orienter vers la réalisation personnalisée de la promesse d’aide énoncée au départ : c’est le moment de l’acte médical responsable, visant concrètement la restauration du pouvoir-être du patient.

Ces trois moments éthiques de la relation thérapeutique forment, pour Gebsattel, l’ethos médical authentique25. Cet ethos peut cependant être menacé par divers dangers, précise-t-il : la méfiance et la dépendance peuvent s’installer au sein de la première strate ; l’erreur scientifique peut envahir la seconde strate ; la faute morale peut grever la troisième strate.

Otto Guttentag26, un disciple de Gebsattel émigré aux USA, reviendra à la fin des années 1970 et reprendra à cette occasion les trois moments éthiques décrits par Gebsattel. Dans le même esprit, Hans Jonas fera référence à cet ethos au cours des années 1970.

Dans la filiation de l’approche anthropologique inaugurée par Victor von Weizsäcker, essaimée en Europe par l’intermédiaire des travaux de Pedro Lain Entralgo27 et aux USA grâce aux œuvres de Jonas et de Guttentag, des auteurs nord-américains tels que Edmund D. Pellegrino et David C. Thomasma28, pour ne citer ici que les figures les plus marquantes, féconderont, au cours des années 1980-1990, le mouvement de renouvellement conceptuel et méthodologique de la bioéthique nord-américaine. Ces chercheurs inscriront, avec plus ou moins de succès, dans la culture éthique nord-américaine des années 1980 l’empreinte anthropologique européenne qui était inaugurée vingt ans auparavant dans l’espace germanophone comme fondement d’une éthique de responsabilité en médecine.

En faisant appel à la conception aristotélicienne de la sagesse pratique, ces figures médicales et philosophiques ont permis de donner une légitimité éthique à la notion classique de phronesis dans l’ordre de la praxis. La phronesis est ici comprise, pour reprendre les mots de Maximilien Froschner, comme « un jugement qui, sur fond de raison naturelle et d’une attitude éthique fondamentale [orientée vers la vie bonne et réussie], est capable de relier, dans l’ordre de la praxis, la norme générale et le cas particulier, des situations schématisées et des circonstances exceptionnelles. La prudence est la raison pratique spécifique de l’action temporelle conduite à travers les risques et les aléas de circonstances souvent imprévisibles »29. C’est cette conception de la prudence, précise Froschner, qui est tombée dans l’oubli sous l’influence de la philosophie de Kant30 ainsi que du développement de la pensée scientifique moderne qui y est associée. Celle-ci conçoit en effet la pratique comme une application d’actes normés, « a-situationnels, répétables et schématisés »31.

Or, poursuit Froschner « une éthique philosophique qui ne se limite ni à la légitimation des normes, ni à la reconstruction d’actions schématisées, mais qui tâche de comprendre le problème éminemment pratique de l’application des normes à des contenus concrets, catégoriquement hétérogènes, ne peut pas renoncer à l’analyse du jugement moral qu’Aristote a introduit sous le titre de phronesis [prudence] »32.

Dans le champ de la clinique, la sagesse pratique, telle que la caractérise Froschner, est particulièrement importante à nos yeux, dans la mesure où celle-ci permet précisément d’actualiser la visée éthique fondamentale de l’acte médical : l’action la meilleure n’est pas seule celle obéissant à des lois universelles et inconditionnelles sur le modèle de l’application des principes éthiques universels, mais bien celle qui tire sa légitimité de l’exploration de l’infinité des biens singuliers pour délibérer et choisir le meilleur bien possible au milieu des circonstances contingentes. L’homme prudent – au sens où il est imprégné de sagesse pratique – peut être considéré comme un navigateur, celui qui parvient à garder le cap malgré la tempête, celui qui préserve le sens de son action malgré les contraintes33.

À l’image du phronimos, le clinicien sait que la solution n’est pas prescrite, mais qu’elle est risquée, inconfortable, singulière, difficile34.

Comment se déploie la notion de prudence aristotélicienne ? Comme on le sait, elle se déploie sous quatre modalités :

  1. la délibération (euboulia), qui fixe les objectifs concrets à atteindre ;
  2. la circonspection, qui « considère les alternatives, les modes de réalisation, les conséquences possibles, et reconnaît les circonstances favorables (kairos) » ;
  3. l’intelligence clairvoyante (sunesis) « qui, dans la communication, se forme un jugement sur ce qui est moralement juste » ;
  4. le « coup d’œil » (deinotes), « qui saisit les occasions et utilise les circonstances qui accompagnent la poursuite d’un but ».

Arrêtons-nous un instant sur le moment délibératif, qui détermine, comme le précise Aristote, l’ensemble de la démarche prudentielle35. Délibérer, c’est peser avant d’agir, après avoir exploré le contexte. La délibération est le moment essentiel à partir duquel le jugement moral en situation peut être élaboré et l’action sage accomplie. Elle comporte trois moments :

  1. l’exploration des contingences (exploration de la complexité de la situation) ;
  2. l’élection du meilleur possible (l’élaboration d’un jugement éthique) ;
  3. l’exécution d’une action en vue du bien concret (l’acte singularisé).

Mais, demandera-t-on, comment réactualiser cette conception délibérative de la phronesis dans la médecine scientifique moderne au cœur de laquelle la complexité prévaut et la délibération éthique fait habituellement face aux inévitables conflits qui surgissent dans une situation de soins où plusieurs intervenants sont nécessairement impliqués. Les sources de ces conflits peuvent être de divers ordres :

  1. la diversité des visées concrètes de la vie bonne du patient et des différents intervenants de la situation de soin, de même que la multiplicité de ces visions chez le patient lors des diverses périodes de sa vie ;
  2. la diversité des normes et des règles sociales et institutionnelles ;
  3. la variété des éthiques au sein des multiples communautés auxquelles peuvent appartenir le patient et les soignants36.

Pour pouvoir emprunter les chemins d’une éthique de responsabilité tels que nous les avons balisés, la sagesse pratique médicale moderne devrait être à même de déployer, face à ces sources de conflit, son potentiel délibératif explorant les diverses sphères de l’agir humain avant de pouvoir procéder à l’élection du meilleur possible avec circonspection et clairvoyance. En médecine clinique, ces sphères de l’agir sont de trois ordres :

  1. la sphère interpersonnelle ;
  2. la sphère professionnelle ;
  3. la sphère institutionnelle et sociale.

Le philosophe Paul Ricœur a précisément exploré dans ces récents travaux ces diverses sphères de l’agir dans la perspective d’une réactualisation de l’éthique aristotélicienne. Ses travaux, présentant de nombreuses analogies avec les recherches des fondateurs de l’anthropologie clinique du milieu du XXe siècle, vont nous guider sur les chemins de la construction contemporaine d’un jugement prudentiel qui pose les jalons d’une responsabilité éthique en clinique37. Ces travaux apportent à notre sens une contribution majeure au développement de l’éthique médicale contemporaine.

3. Ressources éthiques de la philosophie de Paul Ricœur

Dans Soi-même comme un autre Ricœur conçoit la construction du jugement éthique comme le fruit d’une délibération qui explore les trois sphères éthiques de l’action que nous venons justement de décrire. Selon lui, c’est en parcourant les trois temps de l’action correspondant à ces trois sphères – le temps de la visée éthique d’une restauration du pouvoir-être du patient, le temps de l’intervention technique et le temps du traitement personnalisé – qu’un jugement de prudence circonstancié et individualisé peut être construit. En termes ricœuriens, ces trois étapes de la construction du jugement prudentiel sont :

  1. le moment téléologique de déploiement de la visée éthique ;
  2. le moment déontologique ;
  3. le moment de la sagesse pratique (de l’élaboration du jugement de prudence proprement dit).

Examinons de quelle manière chacun de ces moments – qui nous rappellent les catégories des fondateurs de l’anthropologie clinique allemande – contribue à l’élaboration d’un jugement éthique circonstancié.

3.1. Le moment téléologique de déploiement de la visée éthique

Dans un article séminal paru dans la revue Esprit en décembre 1996, intitulé « Les trois niveaux du jugement médical », Ricœur précise quelle est la signification dans le champ de la clinique de la visée éthique38 du soignant. Cette dernière, placée dès le départ sous le signe de l’asymétrie, cherche à rétablir le pouvoir-être du patient, en restaurant la symétrie initiale : d’un côté la plainte, qui est une mise en cause de l’être malade, d’un autre côté la mise en œuvre par le soignant des moyens ouvrant la voie à la personne souffrante d’une restauration de son pouvoir-être. Le patient est confronté à une souffrance, le médecin a les qualifications lui permettant de porter remède à ce dernier, nous dit Ricœur. Cette visée puise sa source dans l’expérience vécue par le malade, qui s’exprime le plus souvent par « le désir d’être délivré du fardeau de la souffrance et l’espoir d’être guéri »39. Pour Ricœur, le noyau proprement éthique de cette rencontre est un pacte de soins basé sur la confiance mutuelle, qui constitue la source vive à partir de laquelle la dissymétrie initiale de la rencontre pourra être surmontée. Ainsi, précise-t-il :

Le pacte de soins devient une sorte d’alliance scellée entre deux personnes contre l’ennemi commun, la maladie. L’accord doit son caractère moral à la promesse tacite partagée par les deux protagonistes de remplir fidèlement leurs engagements respectifs40.

Nous le voyons, Ricœur situe l’éthicité de la visée éthique de l’acte médical dans sa dimension sociale, orientée vers ce qu’il appelle « l’égalisation des conditions » ; la constitution du pacte de soins cherche ainsi à redonner à la personne souffrante le statut d’agent moral, de lui redonner la possibilité de retrouver son autonomie altérée – une altération qui est à la source de la position asymétrique par rapport au médecin. Ce point de vue reflète les préoccupations fondamentales d’éthique sociale, concernant notamment le rapport à autrui, que Ricœur développe dans Soi-même comme un autre.

Dans cette perspective, la visée éthique du soignant engage ce dernier à appréhender la signification que la souffrance revêt pour le malade. Cette démarche – au cours de laquelle une attention à la narration est primordiale – repose sur une compréhension des rapports singuliers que la souffrance entretient avec l’identité personnelle dans le contexte de la maladie.

Pour Ricœur, cette conception de la visée éthique ne peut cependant s’actualiser, que si elle a effectué un passage à travers ce qu’il nomme le « crible de la norme » – une traversée du moment déontologique qui garantit que le rapport de face-à-face avec les autres ou soi-même s’effectue sous le signe de la justice. Il écrit dans Soi-même comme un autre :

Sans la traversée des conflits, qui ébranlent une pratique guidée par les principes de la moralité nous succomberions aux séductions d’un situationnisme moral qui nous livrerait sans défense à l’arbitraire41.

C’est à l’occasion de cette percée de la visée éthique à travers le champ des préceptes universels qui règlent la déontologie médicale – tels l’exigence du consentement éclairé, le respect de la confidentialité et le respect de l’équité dans la distribution des ressources – que des conflits peuvent apparaître, nous dit Ricœur. Ceux-ci peuvent surgir à divers niveaux : les niveaux de la communauté, du rapport à l’autre et du rapport à soi-même42. Cette « odyssée » de la visée éthique constitue le moment déontologique de l’élaboration du jugement médical.

3.2. Le moment déontologique

Comme le précise Ricœur43, le moment déontologique revêt trois fonctions :

  • une fonction d’universalisation des préceptes régissant le pacte de soins basé sur la confiance : l’élévation de ce pacte au rang de norme constitue, pour lui, le moment déontologique du jugement médical. Le caractère universel de la norme lie dès lors tout médecin à tout patient. Ainsi, le pacte de soins devient-il, dans le vocabulaire déontologique, le contrat médical ; de même, le précepte de confidentialité s’exprime-t-il à travers l’interdiction de rompre le secret médical ;
  • une fonction de connexion, qui permet de lier les normes de pratiques médicales aux autres normes sociales et politiques de la profession ;
  • une fonction d’arbitrage des conflits éthiques, pouvant apparaître d’une part sur le front où l’éthique médicale orientée vers la clinique rencontre l’éthique orientée vers la recherche, et d’autre part sur le front où se confrontent les visées du bien-être personnel du patient et du bien-être collectif44.

Face à ces tensions, suscitées par la confrontation de la visée éthique au formalisme de la règle, le moment prudentiel du jugement médical renvoie, pour Ricœur, l’éthique à son niveau téléologique. Nous entrons alors dans le moment de la sagesse pratique – ou moment prudentiel – soit le moment où la mise en œuvre personnalisée de moyens techniques est adaptée à l’atteinte spécifique du pouvoir-être du patient45. Enrichie par son passage à travers le crible de la norme, la visée éthique peut alors, nous dit Ricœur, s’actualiser « à l’issue d’une sagesse pratique, qui renvoie à ce qui, dans la visée éthique, est le plus attentif à la singularité des situations »46. La résolution des conflits accomplie par la sagesse pratique, nous dit-il, « consiste à inventer des conduites qui satisferont le plus à l’exception que demande la sollicitude en trahissant le moins possible la règle »47.

3.3. Le moment de la sagesse pratique

Le moment de la sagesse pratique achève le processus d’élaboration du jugement prudentiel au terme d’une délibération. C’est à cette occasion que la sagesse pratique va explorer, lors d’un mouvement réflexif, les valeurs fondamentales qui sous-tendent les jugements portés aux niveaux déontologique et téléologique mis en tension. C’est ainsi que, pour Ricœur, le jugement prudentiel est un jugement qui fait face au « tragique de l’action sur fond d’un conflit de devoir »48.

Lors du processus délibératif, accompli idéalement à plusieurs dans le cadre d’une « cellule de bon conseil », la prudence va devoir par exemple explorer les représentations et les interprétations de certains concepts en fonction des traditions éthiques auxquels ils appartiennent. Ainsi, les notions de santé et de maladie devront notamment faire l’objet d’un examen critique approfondi de la part du médecin. Dans de nombreuses situations cliniques concrètes, il s’agira par exemple d’évaluer comment concilier les deux conceptions rivales de la santé : d’un côté, la santé conçue comme un bien-être – comme la possibilité de notre corps à effectuer un certain nombre de performances et à nous confronter à nos semblables sur un mode concurrentiel. D’un autre côté, la santé conçue comme un pouvoir-être de l’individu – comme la qualité d’une existence qui comprend, sans aucunement l’exclure, tout ce qu’une vie peut receler de drames et de souffrances.

À l’occasion de ces conflits d’interprétation, nous dit Ricœur, « un seuil est franchi où la déontologie se greffe sur une anthropologie philosophique, laquelle ne saurait échapper au pluralisme des convictions dans les sociétés démocratiques »49.

L’élaboration du jugement prudentiel repose dès lors sur la volonté et la capacité des soignants à accorder une place prépondérante au dialogue interdisciplinaire, seul moyen de parvenir, précise Ricœur, à un « équilibre pesé et réfléchi entre conviction et argumentation »50. Le moment prudentiel – qualifié alors de « sollicitude critique »51 – devrait idéalement pouvoir se dérouler au sein d’une « cellule de bon conseil » sur le « modèle d’un petit cercle rassemblant parents, médecins, psychologues, religieux au chevet d’un malade ». C’est toujours à plusieurs que devrait être pratiquée la sagesse du jugement et prononcé le jugement de sagesse, précise Ricœur52. Cette « délibération à plusieurs », cherchant à faire apparaître les diverses facettes du « bien-être » du patient, devrait être conduite, pour ce dernier, selon les règles de l’éthique de la discussion53.

Telles sont donc les modalités de déploiement d’une conception réactualisée de la prudence aristotélicienne qui balisent, aux yeux de Ricœur, les chemins de la responsabilité éthique en médecine clinique.

Lors de son « odyssée », comme aime à le dire Ricœur, la prudence peut cependant rencontrer des obstacles. Ainsi, une première zone de fragilité de l’éthique médicale peut-elle résider au cœur même de la sphère interpersonnelle : les patients sont le plus souvent dans un état de dépendance et de fragilité qui ne favorise pas leur développement en tant qu’agents moraux responsables.

L’autre zone de fragilité de l’éthique médicale peut résider, nous rappelle Ricœur, dans la sphère socioculturelle au sein de laquelle s’affrontent des conflits de représentations et d’interprétations : « Quel lien faisons-nous entre la demande de santé et le souhait de vivre bien ? Comment intégrons-nous la souffrance et l’acceptation de la mortalité à l’idée que nous nous faisons du bonheur ? Comment une société intègre-t-elle dans sa conception du bien commun les strates hétérogènes déposées dans la culture présente par l’histoire sédimentée de la sollicitude ? »54

En fin de compte, l’ultime fragilité de l’éthique médicale résulte, aux yeux de Ricœur, de la structure consensuelle/conflictuelle des « sources » de la moralité commune. Les compromis qui se placent sous le signe des deux notions de « consensus par regroupement » et de « désaccords raisonnables » constituent, pour lui, « les seules répliques dont disposent les sociétés démocratiques confrontées à l’hétérogénéité des sources de la morale commune »55.

Face à ces fragilités, la sagesse pratique consiste, conclut Ricœur, à trouver la juste mesure entre la demande de sollicitude et le respect de la règle, en inventant des conduites qui permettront de renvoyer à ce qui, dans la visée éthique, est le plus attentif à la singularité de la situation56.

4. L’horizon d’exercice d’une éthique de responsabilité en médecine clinique : les ressources éthiques de la philosophie d’Emmanuel Lévinas

Si cette conception ricœurienne de la sagesse pratique pose les jalons d’une éthique de responsabilité qui vise la restauration de l’autonomie du malade, elle nous semble cependant prêter le flanc à la critique lorsqu’elle se trouve réellement confrontée à l’univers de la clinique. Dans ce contexte, elle nous paraît devoir être examinée de manière critique dans la mesure où le « pacte de soins basé sur la confiance », sur lequel repose l’ensemble de l’édifice, est de plus en plus fragilisé aujourd’hui.

À ce point de notre réflexion, les ressources éthiques de la pensée d’Emmanuel Lévinas nous paraissent pouvoir apporter un précieux soutien.

La conception lévinassienne de la responsabilité nous apparaît en effet être une source vive qui permet de jeter les bases d’une attention particulière à la vulnérabilité du patient et investir dans le même mouvement le médecin d’une responsabilité inaliénable dont il n’a pas l’initiative. C’est le visage et la parole de cet autrui qui font prendre à ce dernier conscience que la première règle éthique « tu ne tueras pas » signifie aussi « tu feras tout pour que l’autre vive ».

Dans le cadre de son approche philosophique, Lévinas, se démarque de son maître Husserl, dont il suivit l’enseignement en 1928 et 1929, pour lequel autrui est conçu comme un alter-ego, connaissable par une activité constituante de la conscience. Il se distingue aussi de Heidegger, dont il avait lu Sein und Zeit, pour qui la relation à autrui repose sur la compréhension par le biais de la connaissance objective.

En contraste, Lévinas affirme qu’autrui n’est pas seulement un signe, mais qu’il est de soi signification. Son sens est dit et enseigné par sa présence57. La présence d’autrui déborde le Moi. Expulsé de son intériorité, déposé, dérangé et perturbé dans son repos en lui-même, inquiété, le Moi est exposé à l’approche du visage d’autrui. L’un-pour-l’autre devient signification dans le cadre d’une immédiateté, sans intermédiaire. Pour Lévinas, le face-à-face enjoint, il constitue le rapport premier à autrui, qui ouvre l’humanité selon sa propre expression. En ce sens, l’accès au visage est d’emblée éthique.

Pour Lévinas, le visage est à la fois phénomène et non-phénomène, d’où le paradoxe de la rencontre avec le visage. Le face-à-face fait apparaître à la fois le visage au sens du visus, soit une partie du corps qui a des caractéristiques physiques, mais, au-delà de l’apparence, le visage est aussi pour Lévinas une extériorité, ce qui signifie que le visage se situe hors de la catégorie qui détermine la relation sujet-objet. En ce sens, le visage n’est pas seulement une partie anatomique et physiologique d’un corps comme tel, il n’est pas la somme des yeux, du nez et de la bouche. Il peut très bien être perçu comme tel en toute autre partie du corps58. Il n’est ni « chose en soi », ni dévoilement, il ne s’identifie pas seulement à la figure visible, mais il est « présence vivante » pour reprendre une expression qui est chère à Lévinas59.

Dès lors, l’approche plastique habituelle du visage paradoxalement « manque le visage »60, car elle le réifie, elle le transforme en objet, empêchant par là tout accès à la différence, à l’altérité. L’approche plastique est, selon Lévinas, totalisante et déshumanisante, elle ouvre la voie à la banalité du mal. « La meilleure façon de rencontrer autrui, c’est de ne pas remarquer la couleur de ses yeux » écrit-il dans un entretien donné en 1979 à Philippe Nemo61.

Ainsi, essentiellement dans Totalité et infini, l’éthique ne commence pas pour Lévinas par le souci d’autrui, comme cela est le cas dans l’éthique classique exprimée dans la Règle d’or, mais par l’abandon du souci d’affirmer sa propre autonomie. L’éthique se situe, pour lui, au-delà de l’essence ou dans l’autrement qu’être. En d’autres termes, la rencontre avec le visage d’autrui est au plan éthique la mise en question de mon pouvoir ; l’éthique consiste en l’épreuve de la déprise de soi, la mise en question de l’égoïsme du moi. Dans la mesure où pour Lévinas, l’approche idéelle et rationnelle de l’autre peut céder à la tentation de la totalisation, au nom de la recherche de la vérité – l’éthique est pour lui philosophie première, exigence de paix avant d’être exigence de vérité. C’est en ce sens que la rencontre avec le visage d’autrui brise la totalité62.

Le face-à-face relève dès lors avant tout de l’écoute plutôt que de la vision, le visage parle, il est la voix, et la perception devient le modèle de la rencontre avec autrui. Ainsi, autrui est pour Levinas, avant tout interpellation éthique. À la différence des choses, autrui n’est pas seulement un phénomène, il se présente, se manifeste, s’exprime sous l’aspect d’un visage qui ne renvoie à rien derrière lui, comme s’il était une image, pas plus qu’il est un masque. Il se présente comme infiniment autre, comme une « présence vivante », qui défait à tout instant la forme qu’il offre63.

Ainsi, la présence de l’autre me situe d’emblée, pour Lévinas, en position de responsabilité : l’autre est celui qui échappe à ma compréhension, mais qui m’interroge de toute façon. Je ne suis dès lors pas plus ou moins responsable d’un autre en fonction de ses origines, de son pays, de sa langue, de sa culture ou de son histoire, comme le rappelle Agata Zielinski64. Toute altérité doit être honorée en tant que telle, et le visage ne représente justement rien d’autre que l’altérité en tant que telle.

Vivre éthiquement, c’est dès lors vivre sans se détourner de la rencontre du visage65. Cela présuppose une manière d’être particulière du sujet, où ce dernier est en position de subjectivité, ce qui en termes lévinassiens signifie une manière d’être où le sujet n’est plus un sujet connaissant, mais un sujet sensiblement affecté, un sujet vulnérable – c’est-à-dire ouvert à l’inconnu et à l’inconnaissable – qui ne se définit pas par lui-même mais par sa relation à l’autre, à travers l’interpellation éthique suscitée par l’autre. Pour le dire autrement, à la lumière des catégories de la bioéthique contemporaine, la fracture de l’autonomie est la naissance du sujet éthique66.

Pour Lévinas, cette approche de l’altérité est à même d’interrompre l’égoïsme de la conscience, et d’empêcher la raison de se transformer en violence, qu’il définit comme l’incapacité de faire place à l’autre, et d’accéder aux dimensions éthiques de sa vulnérabilité.

En somme, la rencontre du visage force le sujet à un nudité de sa conscience, une ouverture à sa propre vulnérabilité, qui fait de la passivité non pas l’envers de l’action libre et autonome, mais l’espace d’accueil d’autrui – c’est-à-dire de ce qui est inconnaissable – en soi. C’est ce que résume ce passage saisissant de Lévinas que l’on trouve dans son ouvrage L’humanisme de l’autre homme :

Autrui qui se manifeste dans le visage, perce en quelque sorte sa propre essence plastique, comme un être qui ouvrirait la fenêtre où sa figure pourtant se dessinait déjà. Sa présence consiste à se dévêtir de la forme qui cependant déjà le manifestait. Sa manifestation est un surplus sur la paralysie inévitable de la manifestation. C’est cela que nous décrivons par la formule : le visage parle. La manifestation du visage est le premier discours. Parler, c’est avant toute choses, cette façon de venir de derrière son apparence, de derrière sa forme, une ouverture dans l’ouverture67.

Ainsi, une lecture lévinassienne de la relation clinique enjoint à percevoir la responsabilité soignante comme une attention particulière portée à la « visitation » du patient, ne réduisant pas le colloque singulier à ses aspects techniques. En d’autres termes, cela signifie que l’éveil éthique du soignant pourrait consister à accepter la profonde altérité de son patient, qui s’exprime à travers son visage et à travers la vulnérabilité qui y est associée. La vulnérabilité non pas en tant que perte d’autonomie à combler dans la mesure du possible par la médecine, mais bien plus en tant qu’appel, en tant qu’injonction éthique à prendre soin de ce malade-là, en ouvrant un espace où l’avenir est possible pour lui. Cette conception de la responsabilité fait appel à une capacité d’accueil, à une hospitalité du soignant qui mobilise sa propre vulnérabilité. C’est au cœur de ce dialogue entre deux vulnérabilités, que la confiance peut prendre naissance et se déployer dans une prise en soin singulière à même de répondre de manière responsable au noyau de la souffrance du malade.

À l’aune de cette pensée profondément humaine, riche et féconde, il apparaît d’emblée que face à un homme atteint dans sa santé, le médecin a pour devoir de se mettre en quête sans tarder des ressources nécessaires pour répondre à sa souffrance en s’appuyant sur un fonds commun d’humanité – source de confiance et de dialogue qui innerve et donne sens au pacte de soins au sens où Ricœur l’entend68.

5. Les figures de la responsabilité éthique au cœur du soin

Ainsi interprété, l’exercice de la vertu de prudence, qui devrait être nourri, comme nous l’avons déjà développé ailleurs69, par son double enracinement dans les pensées de Lévinas et de Ricœur, nous semble poser les jalons d’une éthique de responsabilité qui fait écho aux caractéristiques propres à la pratique clinique. Cette éthique nous paraît pouvoir se déployer selon les quatre moments suivants :

  1. le moment de l’éveil éthique à la souffrance où s’impose, comme le relève Emmanuel Lévinas, la « catégorie anthropologique du médical, primordiale, irréductible, éthique », à l’aune de laquelle le patient est perçu, dirons-nous avec Jacques Derrida, comme une présence (et non une catégorie, une représentation ou un personnage) ;
  2. le moment de la médiation sociale, que Ricœur qualifie de moment téléologique, et dont le noyau éthique est le pacte de soin basé sur la confiance et qui vise à surmonter la dissymétrie initiale de la rencontre entre le malade et son médecin ;
  3. le moment de la mise en œuvre des moyens techniques appropriés à la catégorie nosologique à laquelle appartient le patient, que Ricœur propose de placer sous le signe des normes déontologiques ;
  4. le moment de la restauration personnalisée du patient, que Ricœur qualifie de moment prudentiel, où l’affection du pouvoir-être de ce dernier est rétablie selon des modalités éthiques mises au point en commun avec le médecin dans le cadre du pacte de soins basé sur la confiance.

On peut dès lors mieux comprendre la place qu’occupe la démarche délibérative dans le déploiement de la responsabilité éthique du médecin : si cette dernière s’incarne, comme nous l’avons dit, dans l’exercice d’une prudence médicale qui vise le rétablissement du pouvoir-être du malade, il s’agira d’explorer dans l’exercice concret de la sagesse pratique de quelle manière la souffrance que ce dernier éprouve se médiatise et se donne à penser dans son propre langage par le biais d’un processus d’interprétation pluriel. C’est à cette condition que pourra se construire un jugement éthique circonstancié qui ouvre la voie d’un projet de soin individualisé.

Conclusion et perspectives

Pour penser une éthique médicale contemporaine, nous nous sommes proposés de revivifier les horizons philosophiques de l’activité clinique. C’est sur cette base que nous suggérons de fonder une éthique du soin qui conçoit l’autonomie du malade comme une finalité de l’acte médical plutôt que comme une donnée de départ. En ce sens, la clinique nous semble pouvoir être comprise comme un art de la re-possibilisation, dont la sagesse pratique médicale constitue la clé de voûte.

Puisant aux sources des pensées de Paul Ricœur et d’Emmanuel Lévinas, la conception de la sagesse pratique que nous proposons permet d’élaborer un projet de soin qui respecte, sur fond de confiance, la singularité de la souffrance du malade tout en intégrant cette dernière au sein des normes sociales et institutionnelles qui permettent de la contextualiser.

C’est à l’occasion de ces moments cruciaux de l’élaboration d’un jugement médical circonstancié, que l’incitation à comprendre la souffrance non pas comme un fait mais comme un événement, nous paraît pouvoir être la source d’une créativité clinique : cet événement, qui se manifeste par une altération de la présence au monde du malade – et notamment de la rupture de confiance envers les autres et envers lui-même – peut être la source d’une créativité clinique. Comme l’a montré Jerôme Porée, c’est au cœur de ce bouleversement, que la souffrance introduit dans l’existence du malade une « transformation interne du sens de la temporalité »70. Cette transformation est un signe d’espérance et « d’ouverture originelle vers le secourable où vient s’imposer [...] la catégorie anthropologique du médical, primordiale, irréductible, éthique » pour reprendre les termes de Lévinas71. Par cette ouverture, un ancrage peut alors être trouvé, qui permet d’envisager l’élaboration d’un projet de soin orienté vers le futur faisant sens pour le malade et ouvrant la voie de la restauration d’une présence au monde confiante orientée vers la restauration d’un nouvel état de santé.

La configuration éthique de la sagesse pratique médicale que nous proposons à la lumière des pensées de Ricœur et de Lévinas, nous paraît poser les jalons d’une éthique de responsabilité clinique qui revivifie les liens unissant éthique et médecine. Dans la mesure où elle intègre une éthique de l’attention et de la réponse à la demande d’aide du malade tenant compte du contexte de soin, cette conception de la sagesse pratique nous semble constituer une posture herméneutique de veille indispensable qui engage la responsabilité éthique du professionnel de la santé au cœur même de son activité clinique.

C’est en ce sens qu’à nos yeux clinique et éthique sont à comprendre comme les deux facettes d’un même agir spécifique. Les figures du soin qui jalonnent ces divers moments deviennent alors des métaphores vives attestant l’intime union de la médecine et de la philosophie au cœur du soin.

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1Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1964, p. 178-182.

2S. Kay Toombs, The Meaning of Illness. A Phenomenological Account of the Different perspectives of Physician and Patient, Dordrecht, Kluwer Academic Press, 1992 ; voir également Stephen Toulmin, « Knowledge and Art in the Practice of Medicine. Clinical Judgment and Historical Reconstruction », in : Corinna Delkeskamp-Hayes, Mary Ann Gardell Cutter (éds), Science, Technology, and the Art of Medicine. European-American Dialogues, Dordrecht, Kluwer Academic Press, 1993, p. 231-249.

3Michael Schwartz, Osborne Wiggins, « Scientific and Humanistic Medicine. A Theory of Clinical Methods », in : Kerr L. White (éd.), The Task of Medicine. Dialogue at Wickenburg, Melon Park, California, The Henry J. Kaiser Foundation, 1988, p. 137-171 ; Lazare Benaroyo, « L’éthique et les paradoxes du soin », in : Jean-Philippe Pierron, Didier Vinot, Élisa Chelle (éds), Les valeurs du soin, Paris, Seli Arslan, 2018, p. 175-186.

4Georges Canguilhem, « Puissance et limites de la rationalité en médecine », in : Id., Études d’histoire et de philosophie des sciences (1968), Paris, Vrin, 1983, p. 408.

5Ibid., p. 411.

6Ibid.

7Richard J. Baron, « An Introduction to Medical Phenomenology. I Can’t Hear You While I’m Listening », Annals of Internal Medicine 103 (1985), p. 606-611.

8Michel Foucault, Naissance de la clinique, Paris, Presses universitaires de France, 1963.

9Hans-Georg Gadamer, « What is Practice? The Conditions of Social Reason », in : Id., Reason in the Age of Science, Cambridge, The MIT Press, 1981, p. 69-87 ; Henk A. M. Ten Have, Stuart F. Spicker, « Introduction », in : Henk A. M. Ten Have, Gerrit K. Kimsma, Stuart F. Spicker (éds), The Growth of Medical Knowledge, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 19842, p. 1-11.

10Alasdair C. McIntyre, After Virtue. A Study in Moral Theory, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 20123, p. 187.

11Nous mettons ici entre parenthèses l’orientation préventive de la pratique médicale.

12Edmund D. Pellegrino, David C. Thomasma, For the Patient’s Good. The Restoration of Beneficence in Health Care, New York/Oxford, Oxford University Press, 1988, p. 119-152 ; Hans-Martin Sass, « Medicine—Beyond the Boundaries of Sciences, Technologies and Arts », in : Science, Technology, and the Art of Medicine, op. cit., p. 259-270.

13Georges Canguilhem, Le normal et le pathologique (1966), Paris, Presses universitaires de France, 19794.

14Ibid., p. 130.

15Ibid., p. 134.

16Ibid., p. 121-122.

17Viktor von Weizsäcker, Der kranke Mensch. Einführung in die medizinische Anthropologie, Stuttgart, K. F. Koehler, 1951, p. 274-306.

18Edmund Husserl suggère que le présent vivant est épaissi par ses prolongements « rétentionnels » (orientés vers le passé) et « protentionnels » (orientés vers le futur). Aux yeux de Husserl, ces horizons du présent constituent pour chaque individu la réserve inépuisable de sens qui ancre la confiance qu’il a dans la vie et dans le monde qui l’entoure. Cf. Edmund Husserl, Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps, Paris, Presses Universitaires de France, 1964, p. 325-346.

19V. von Weizsäcker, Der kranke Mensch, op. cit., p. 274-293.

20Lazare Benaroyo, « Éthique et herméneutique du soin », in : Lazare Benaroyo et al. (éds), La philosophie du soin. Éthique, médecine et société, Paris, Presses universitaires de France, 2010, p. 23-36.

21Solange Vergnières, Éthique et politique chez Aristote. Physis, êthos, nomos, Paris, Presses universitaires de France, 1995, p. 129.

22René Simon, « La vertu de prudence ou sagesse pratique », Ethica 12 (2000), p. 64-65.

23Ibid.

24Viktor Emil Freiherr von Gebsattel, Prolegomena einer medizinischen Anthropologie, Berlin, Springer, 1954, p. 361-378.

25Ibid., p. 377.

26Otto E. Guttentag, « The Attending Physician as a Central Figure », in : Eric J. Cassell, Mark Siegler (éds), Changing Values in Medicine, Frederick, University Publications of America Inc., 1979, p. 107-126.

27Pedro Lain Entralgo, Le médecin et le patient, Paris, Hachette, 1969.

28Edmund D. Pellegrino, David C. Thomasma, A Philosophical Basis of Medical Practice. Toward a Philosophy and Ethic of the Healing Professions, New York/Oxford, Oxford University Press, 1981 ; Edmund D. Pellegrino, « Being Ill and Being Healed. Some Reflections on the Grounding of Medical Morality », in : Victor Kestenbaum (éd.), The Humanity of the Ill. Phenomenological Perspectives, Knoxville, The University of Tennessee Press, 1983, p. 363.

29Maximilian Froschner, « Prudence », in : Otfried Höffe (dir.), Petit dictionnaire d’éthique, Paris, Cerf. 1993, p. 271.

30Si la prudence était dans sa version aristotélicienne la reine des vertus cardinales, elle est tombée dans le discrédit, nous dit Froschner, depuis que Kant l’a exclue de la sphère morale. Cette vertu relève depuis lors moins de la morale que de la psychologie. Pour Kant, la vertu de prudence n’a pas de statut moral car elle ne se situe pas dans l’ordre de l’impératif catégorique – inconditionnel, rationnel, s’imposant par lui-même comme une loi universelle. La prudence ne peut, aux yeux du philosophe de Königsberg, qu’énoncer des conseils guidant des comportements n’ayant pas de pertinence morale.

31M. Froschner, « Prudence », art. cit., p. 272.

32Ibid.

33Éric Fiat, « Les enjeux éthiques de la décision – 2e partie », La lettre de l’espace éthique (2002), p. 15-18, 39.

34R. Simon, « La vertu de prudence ou sagesse pratique », art. cit., p. 65.

35Aristote, Éthique à Nicomaque, Paris, Vrin, 1979, 1140 a, 30.

36R. Simon, « La vertu de prudence ou sagesse pratique », art. cit., p. 57.

37Paul Ricœur, « Les trois niveaux du jugement médical », Esprit 227 (1996), p. 21-32.

38Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 199-236 : dans la pensée de Ricœur, la visée éthique première est imprégnée d’une perspective téléologique – le mot telos désignant l’orientation d’une action vers une finalité. La finalité de la visée éthique est caractérisée par la visée de la vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes. À ses yeux, la visée de la vie bonne est un horizon orienté vers la constitution de l’estime de soi. La visée du vivre bien avec et pour les autres atteste que la visée de la vie bonne (l’horizon de l’estime de soi) ne peut s’articuler que par la médiation de l’autre. Ainsi, l’estime de soi, dépend, dans la pensée de Ricœur, de la sollicitude, qui caractérise le rapport du sujet à l’autre. La visée du vivre bien avec et pour les autres dans des institutions justes atteste que la visée éthique ne se déploie pas uniquement dans le souci d’autrui, mais exige une référence à la règle : un autre que le « tu » est toujours engagé dans le vivre bien, c’est le « tiers ». Ricœur précise ce point dans Paul Ricœur, « Avant la loi morale : l’éthique », in : Encyclopedia Universalis. Symposium Les enjeux, Paris, 1990, p. 65 : Cette médiation par le tiers en vue de la coexistence, précise-t-il, renvoie à la notion de justice comme « schème des actions à faire pour que soit institutionnellement possible la communication, ou mieux la communauté, voire la communion des libertés ». Ainsi, la visée de la vie bonne inclut à la fois le sujet, son rapport à l’autre et son rapport à la communauté.

39P. Ricœur, « Les trois niveaux du jugement médical », art. cit., p. 22.

40Ibid., p. 23.

41P. Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit., p. 280.

42Voir à ce propos le commentaire de P. Velsen, « Téléologie et déontologie : à propos du projet systématique de l’éthique chez Paul Ricœur », in : J. A. Barash, M. Delbraccio (éds), La sagesse pratique. Autour de l’œuvre de Paul Ricœur, Amiens, Centre national de documentation pédagogique, 1998, p. 100.

43P. Ricœur, « Les trois niveaux du jugement médical », art. cit., p. 25-30.

44Ibid., p. 29-30.

45Ibid., p. 32.

46P. Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit., p. 131.

47Ibid., p. 312.

48Ibid., p. 139.

49P. Ricœur, « Les trois niveaux du jugement médical », art. cit., p. 31.

50P. Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit., p. 335.

51Ibid., p. 318.

52Paul Ricœur, La conscience et la loi. Enjeux philosophiques, in : Id., Le juste, Paris, Éditions Esprit, 1995, p. 221.

53P. Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit., p. 335-336.

54P. Ricœur, « Les trois niveaux du jugement médical », art. cit., p. 32-33.

55Ibid., p. 33.

56P. Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit., p. 312 ; Id., « Éthique et morale », Revue de l’Institut catholique de Paris 34 (1990), p. 131.

57Simonne Plourde, Emmanuel Levinas. Altérité et responsabilité, Paris, Cerf, 1996, p. 30, 43 et 57.

58Agata Zielinski, Levinas. La responsabilité est sans pourquoi, Paris, Presses universitaires de France, 2004, p. 107.

59Francis Guibal, Levinas, Paris, Aubier Montaigne, 1980, p. 49.

60Lazare Benaroyo, « Le Visage au-delà de l’apparence. Levinas et l’autre rive de l’éthique », Lo Sguardo 20/1 (2016), p. 217-223.

61Emmanuel Lévinas, Éthique et infini. Dialogue avec Philippe Nemo, Paris, Fayard, 1982, p. 79.

62François-David Sebbah, Levinas, Paris, Les Belles Lettres, 2000, p. 39.

63S. Plourde, Emmanuel Levinas, op. cit., p. 30 et 43.

64A. Zielinski, Levinas, op. cit., p. 181.

65F.-D. Sebbah, Levinas, op. cit., p. 71.

66Mylène Baum-Botbol, « Après vous Monsieur », in : Monette Vacquin (éd.), La responsabilité, Paris, Éditions Autrement, 2002, p. 54.

67Emmanuel Levinas, Humanisme de l’autre homme, Paris, Fata Morgana, 1972, p. 51.

68Lazare Benaroyo, « Soin, confiance et disponibilité. Les ressources éthiques de la philosophie d’Emmanuel Lévinas », Éthique et Santé 1 (2004), p. 60-63.

69Lazare Benaroyo, Éthique et responsabilité en médecine, Genève, Médecine et Hygiène, 2006, p. 97-98.

70Jérôme Porée, « Souffrance et temps. Esquisse phénoménologique », Revue philosophique de Louvain 95 (1997), p. 123.

71Emmanuel Levinas, « La souffrance inutile », in : Id., Entre nous. Essais sur le penser-à-l’autre, Paris, Grasset, 1991, p. 110.