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La possession démoniaque de Saül

Exorcisme, philosophie et médecine dans le Malleus maleficarum

Serge MARGEL

Université de Neuchâtel

Et quand toutes ces maladies se réunissent ensemble et se déchaînent toutes à la fois dans la tête d’un homme, elles le rendent fou (in amentiam ducunt) et le privent de son intelligence normale, tout comme un navire agité par les tempêtes se trouve mis en pièces. C’est pourquoi beaucoup pensent qu’il est possédé par le démon, ce qui est faux ; mais les démons viennent s’ajouter à ces maladies et à leur douleur, tendent leurs pièges, accomplissant ainsi leur rôle de déraison.

Hildegarde de Bingen, Les causes et les remèdes (Causae et cure), texte traduit du latin et présenté par Pierre Monat, Grenoble, Jérôme Millon, 2007, p. 115.

1. Exorcisme et possession démoniaque

Dans l’univers biblique, la possession démoniaque concerne surtout les premiers rois d’Israël. Saül, tout d’abord, intronisé par le prophète Samuel, fut le premier possédé de l’histoire. Son âme est en proie aux démons, hantée par la colère de Dieu, mais soulagée et libérée par la cithare de David, le premier roi thaumaturge et exorciste. Puis vient Salomon, son fils, qui représente la première institution de l’exorcisme ou d’une chasse aux démons. C’est le premier médecin philosophe, maître artisan et encyclopédiste des savoirs, selon le récit de Flavius Joseph :

Dieu lui accorda aussi le pouvoir de combattre les démons pour l’utilité et la guérison des hommes. Comme il avait composé des incantations pour conjurer les maladies, il a laissé des formules d’exorcisme pour enchaîner et chasser les démons de façon qu’ils ne reviennent plus. Et cette thérapeutique est encore très en vigueur jusqu’ici chez nous. C’est ainsi que j’ai vu un certain Éléazar de ma race qui, en présence de Vespasien, de ses fils, des tribuns et du reste de l’armée, délivrait des gens possédés des démons. Le mode de guérison était celui-ci : il approchait du nez du démoniaque un anneau dont le chaton enfermait une des racines indiquées par Salomon, puis, le faisant respirer, extrayait l’esprit démoniaque par les narines : l’homme tombait aussitôt et Éléazar adjurait le démon de ne plus revenir en lui en prononçant le nom de Salomon et les incantations composées par celui-ci. À l’effet de persuader et de rendre plus manifeste aux assistants qu’il possédait bien ce pouvoir Éléazar plaçait à proximité un gobelet plein d’eau ou un bain de pieds et il ordonnait au démon une fois sorti de l’homme, de renverser ces récipients et de faire ainsi connaître aux spectateurs qu’il avait quitté l’homme. C’est ce qui arriva et ainsi s’affirmèrent l’intelligence et la sagesse de Salomon ; c’est à cause d’elles, pour que tout le monde sache la grandeur de son génie, et combien il fut cher à Dieu, et afin que personne sous le soleil n’ignore l’excellence du roi dans tous les genres de vertus, que nous avons été conduits à cette digression1.

Selon le livre des Rois, Salomon connaît les plantes, les herbes, mais aussi « les quadrupèdes, les oiseaux, les reptiles et les poissons »2. Et selon le livre de la Sagesse, Salomon est un glorieux artisan, son savoir est universel, il détient la connaissance des astres et le « pouvoir des esprits »3. Le grand roi d’Israël, qui bâtit le Temple de Jérusalem, est donc un exorciste. Son savoir, théorique et pratique, lui permet d’agir sur les esprits, de conjurer les maladies, de guérir les hommes et surtout « de chasser les démons, de telle manière qu’ils ne reviennent plus ». Grâce aux pouvoirs de la parole et de l’incantation, ou par la force des mots, la virtus verborum, Salomon invente sur les traces de son père l’efficacité thérapeutique de l’exorcisme4. Aussi, pour comprendre cette efficacia, j’en aborderai la notion à partir des controverses médiévales sur le corps des démons et du fameux Malleus maleficarum5, IIe partie, 2e question, « À propos des remèdes pour lever les maléfices », chapitres V et VI6. Publié en 1486, cet ouvrage aura joué durant plus de deux siècles le rôle d’un manuel pour les Inquisiteurs engagés dans la chasse aux sorcières. Ces quelques pages du Malleus se réfèrent non seulement au Formicarius de Jean Nider, livre V, chapitres XI et XII7, rédigé dans les années 1436-1438, et consacré en partie aux tromperies des sorciers, mais aussi à deux textes de Thomas d’Aquin, la Summa theologiae, troisième partie, question 71, articles 2 et 38, et le De malo, question XVI, articles 9 et 119. La lecture de ces textes me permettra de revenir aux envoûtements maléfiques de Saül et surtout de comprendre comment la cithare de David libéra le roi de ses tourments et le guérit (1 S 16,14-23)10.

J’avancerai une hypothèse assez simple. L’efficacia thérapeutique de l’exorcisme, d’un côté, repose sur un certain usage de la parole, ou des incantations, et de l’autre dépend directement de la substance corporelle des démons. Dans la tradition chrétienne, ce corps spécifique est purement aérien ou vaporeux. Il n’a de consistance qu’affective, d’autre pouvoir qu’aliénant, et se confond quasiment avec le corps du possédé, qu’il pénètre et qu’il occupe, envahit ou assaille. En réalité, il n’y a qu’un seul corps, mais dédoublé, transformé ou altéré, que l’exorciste doit discerner, identifier et démêler, pour soigner l’âme du possédé et pour la libérer des forces malignes qui l’aliènent et qui la prive de son propre corps. La spécificité des invocations thérapeutiques dont parle Joseph, à propos de Salomon, est liée à la substance du corps démoniaque, qui envoûte Saül. On ne peut pas observer ce corps, ni lui adresser la parole, comme on peut le faire pour un corps propre, naturel et ordinaire. Devant le corps du démon, on ne peut qu’adresser une parole, elle aussi spécifique, rituelle et codifiée11. Il s’agit de l’invocatio d’une formule magique, d’un passage biblique ou d’un des noms de Dieu, qui vaut pour une adjuratio, un énoncé qui oblige quelqu’un à accomplir une action précise en prêtant serment. Adjuro, « je lie, j’oblige par serment, je fais jurer quelqu’un ou je conjure un esprit à m’obéir ». C’est un terme juridique, théologique et médical, qui signifie « donner sa parole »12. Dans adjuratio, il y a ad, vers, en direction de, et juratio, qui traduit le grec ὅρκος, « le serment », ce qui enferme ou contraint, et ses dérivés, ἐξορκίζω et ἐξορκόω, « faire prêter serment », « prononcer une formule sacramentelle », ou plus simplement « exorciser », comme dans l’Évangile de Matthieu, lorsque le grand prêtre s’adresse à Jésus : « Je t’adjure (ἐξορκίζω σε ; adiuro te) par le Dieu vivant (κατά τοῦ θεοῦ τοῦ ζῶντος ; per Deum vivum) de nous dire si c’est toi le Christ. »13

Jésus est souvent nommé le médecin (ἰατρέ, medice), comme chez Luc14, ou le Christ-médecin, voire encore le nouvel Asclépios, qui guérit gratuitement15, sans drogue ni herbe mais par le seul pouvoir de la parole16. Or, lorsque Jésus ordonne ou adjure aux démons de quitter le corps du possédé, les textes bibliques n’utilisent pas le terme d’exorcisme, mais recourent à des verbes de mouvement, comme ἐκβάλλω, « j’expulse », ou ἐξέρχομαι, « je sors » : « Jésus le tança [le démon] et dit : “Assez ! sort de lui (ἔξελθε ἀπ’ αὐτοῦ ; exiit ab illo).” »17 En revanche, saint Augustin tisse un lien de traduction entre les termes, à propos de l’esprit impur (spiritus immundus) :

Si bien que ceux qui sont charger de l’expulser [le démon] font ce qu’on appelle une imposition des mains ou un exorcisme, ce qui veut dire qu’ils font une adjuration par ce qu’il y a de divin pour le chasser (exorcizare dicuntur, hoc est per divina eum adiurando expellere)18.

Dans le De symbolo, Augustin précise encore la notion : « On souffle sur les petits enfants et on les exorcise (exsufflantur et exorcizantur), afin de chasser d’eux la puissance ennemie du démon (ut pellatur ab eis diaboli potestas inimica) qui n’a trompé les hommes que pour en faire des esclaves »19. Saint Thomas cite ce dernier texte, dans la question 71 de la Summa theologiae, après avoir souligné que « l’exorcisme est destiné aux énergumènes, c’est-à-dire aux possédés (arreptitios) »20. Avec obsessus, demoniacus et energumenus, le terme arrepticius fait partie des substantifs consignés pour dire la possession. Arrepticius vient du verbe adripere, tirer à soi, arrêter, saisir brusquement, ou encore assaillir. L’idée du saisissement, brusque, soudain et violent, exprime bien ce qu’on entend par possession, lorsque le démon s’empare subrepticement et violemment de sa victime. C’est le verbe latin utilisé chez Luc pour décrire l’intrusion d’un démon dans le corps du possédé de Gésara : « l’esprit malin [plus bas le démon] s’est emparé de lui (arripiebat illum). »21

La possession diabolique est un assaut du corps, qui perturbe le déroulement de ses fonctions vitales, prend le contrôle de ses mouvements, créant différents types de convulsions. Le démon brouille les pensées de l’âme et s’empare de sa parole, parfois même s’exprimant à sa place22, ou la faisant parler en langues, qu’on nomme aussi glossolalie. Dérèglement des mouvements, perturbation de la pensée, trouble du langage, convultio, alienatio et glossolalia, autant de signes pathologiques ou de symptômes d’un corps possédé et assailli par le démon. Thomas précise que les opérations du démon n’ont qu’un seul but : maintenir l’homme dans le péché en s’opposant à la réception de la grâce et du salut. Le démon s’oppose à la guérison de l’âme et du corps. Il crée un double obstacle (duplex impedimentum), affirme Thomas :

Il faut donc dire que ces rites ont une certaine efficacité, mais différente de celle du baptême lui-même. Car le baptême donne à l’homme la grâce par la pleine rémission de ses fautes. Mais les rites de l’exorcisme écartent un double obstacle qui s’oppose à la réception de la grâce du salut. De ces obstacles, l’un est extérieur : c’est le démon qui s’efforce d’empêcher le salut de l’homme [...]. L’autre obstacle est intérieur, en ce sens que, imprégnés par le péché originel, nos sens sont fermés par le péché originel, nos sens sont fermés à la réception des mystères du salut23.

2. L’efficacité thérapeutique de l’exorcisme

Le pouvoir thérapeutique de l’exorcisme tend à écarter (excludere) ce double obstacle. Son efficacia consiste donc à faire obstacle à l’obstacle au diable, pour le chasser du corps du possédé, qu’il vienne de l’extérieur ou de l’intérieur. La distinction entre intérieur et extérieur me semble pertinente pour définir la nature pathologique du démon, ou des possessions démoniaques, comme celles de Saül, et pour comprendre l’efficacité thérapeutique des chasseurs de démons, qu’ils soient d’ailleurs exorcistes ou médecins, comme David. On la retrouve évoquée dans le Malleus maleficarum, mais pour distinguer tout aussi bien le possédé de l’énergumène que l’exorciste et le médecin. Elle est déjà présente chez Origène, dans son Traité des principes, dont plusieurs paragraphes sont consacrés à la nature des démons :

Il est montré clairement et par de multiples indices que l’âme humaine, tant qu’elle se trouve dans le corps, peut être sujette à diverses actions ou opérations d’esprits divers, mauvais ou bons. Et les mauvais esprits agissent de deux façons : ou bien en possédant complètement et entièrement l’intelligence, au point de ne pas laisser ceux qu’ils obsèdent comprendre ou penser quoique ce soit, comme c’est le cas de ceux qu’on appelle vulgairement énergumènes et que nous voyons dans un état de démence et de folie, pareils à ceux qui d’après l’Évangile furent guéris par le Sauveur ; ou bien en dépravant par des suggestions hostiles, à l’aide d’idées diverses et de persuasions funestes, une intelligence qui pense et qui comprend, comme ce fut le cas de Judas, poussé au crime de trahison par l’action du diable, selon le témoignage de l’Écriture24.

Aussi longtemps que l’âme séjourne dans le corps, les mauvais esprits peuvent exercer leur puissance sur l’âme de deux façons. D’un côté, en possédant entièrement son intelligence, en la dépossédant de ses moyens, en la privant de ses fonctions, cognitives, volitives ou morales. C’est ce que les Grecs appelaient la μανία25, et les Latins dementia, insania, ou encore alienatio mentis26. Ces termes caractérisent en particulier les énergumènes, c’est-à-dire, selon Thomas d’Aquin – de qui évoque le grec ἐνεργούμενοι –, « ceux qui sont travaillés intérieurement (interius laborantes) et qu’il faut exorciser »27. D’un autre côté, les démons peuvent agir en dépravant l’âme par toutes sortes de persuasions retorses et d’idées perverses, de manière à la convaincre de commettre le mal, comme dans le cas de Judas. Origène ne parle pas directement d’intérieur et d’extérieur, mais d’une prise de possession par le démon ou d’un détournement, ce qui précise à mon sens l’opposition thomiste entre ad extra et ad intra. Thomas ne voit dans l’œuvre du démon qu’un obstacle, qui vient tantôt du dehors tantôt du dedans, empêchant la puissance salutaire de la grâce ou l’action thérapeutique de la guérison, tandis qu’Origène parle de l’affection ou du tourment de l’âme elle-même, soit privée totalement, soit détournée violemment de ses fonctions mentales. Or, en citant Thomas d’Aquin, le Malleus assimile les deux arguments :

Et en vérité, si quelqu’un demandait la différence entre l’aspersion d’eau bénite et l’exorcisme, puisque l’un et l’autre sont ordonnés à défendre contre le tourment du démon ; on peut fournir la réponse de saint Thomas : Le diable nous attaque de l’extérieur et de l’intérieur. L’eau bénite est faite pour défendre contre l’attaque du diable qui vient de l’extérieur, et l’exorcisme contre celle qui vient de l’intérieur. Pour cette raison ceux pour qui il est fait sont appelés énergumènes (de « en », qui signifie dans, et de « ergon », qui signifie travail), comme s’ils se travaillaient à l’intérieur d’eux-mêmes. Pour exorciser un ensorcelé, on doit utiliser les deux remèdes, car c’est des deux côtés qu’il est attaqué28.

Attaquer l’âme de l’intérieur, c’est la travailler du dedans, de telle sorte que les possédés ou les énergumènes « se travaillent à l’intérieur d’eux-mêmes ». Ce travail, non seulement s’exerce dans l’âme, mais de plus il opère sur l’âme, en l’empêchant de comprendre et de penser (intelligere et sentire), dit Origène, et surtout il s’accomplit par l’âme elle-même. Cette maladie ou possession de l’âme constitue le pouvoir même du démon. Il agit sur l’âme de manière à ce qu’elle devienne elle-même l’instrument par lequel elle se dépossède d’elle-même. Mais d’où vient ce pouvoir du démon ? D’où peut-il tirer cette force de possession intrinsèque, cette capacité d’aliénation et de détournement ? Cette question porte sur la nature substantielle du démon. Pour guérir une âme possédée, il faut non seulement interpeller le démon, lui adresser la parole, le conjurer ou l’adjurer, donc le forcer ou le contraindre à quitter cette âme, mais il faut surtout le connaître, ou le reconnaître et l’identifier. Selon la célèbre affirmation d’Apulée, reprise par Augustin, puis commentée et critiquée par une longue histoire philosophique et médicale, de saint Thomas au Malleus, le démon se définit selon cinq propriétés spécifiques :

De fait, écrit Apulée, pour embrasser mon objet dans une définition, les démons sont des êtres d’espèce animée, doués de faculté de raisonner, d’une âme passible, d’un corps aérien, d’une vie éternelle [...]. Si je les ai qualifiés, avec raison je crois, de « passibles (passiva) », c’est qu’ils sont sujets aux mêmes troubles intérieurs que nous29.

Le corps aérien du démon va de pair avec son anima passiva, ou susceptible de passio, au double sens de souffrance et d’endurance, de trouble et de turbulence30. Aérien par son corps, gazeux ou vaporeux, le démon peut se déplacer à la vitesse du vent et pénétrer les autres corps sans en subir la résistance ni la pesanteur. Mais par son âme, le démon n’a d’autre existence qu’affective. En ce sens, un démon est un pur affect qui hante l’univers, qui se balade librement dans l’atmosphère et qui agit sur les corps et sur les âmes en les troublant de l’intérieur. À la manière d’un virus qui ne mourrait jamais vraiment, par ses infinies métamorphoses vaporeuses et ses multiples contrefaçons ou simulacres affectifs, le démon a toujours besoin d’un corps d’emprunt, qu’il doit assaillir et posséder. Pour survivre dans ses malices, il doit s’emparer des âmes humaines, les occuper, les troubler et les aliéner. Apulée dit que les démons sont sujets aux troubles intérieurs (turbationibus mentis obnoxii). Ils sont soumis aux turbulences, dépendants des troubles mentaux, et surtout condamnés au mouvement désordonné des excitations excessives, du tourbillon, de la perturbation et du bouleversement. Soigner le possédé revient donc à le libérer de cette substance affective turbulente, qui non seulement l’abîme et le ronge de l’intérieur, mais surtout qui l’altère ou le transforme de telle manière que son âme devienne elle-même son propre agent destructeur. Le démon n’est pas divin, il ne peut ni créer ni transformer la substance des corps, les modifier formellement, dirait Thomas31, mais il peut s’emparer affectivement de certaines parties ou fonctions du corps comme d’un instrument (instrumentum), pour produire en lui certains effets nocifs et déroutants32. Dans le De malo, Thomas explique très bien ce mécanisme démoniaque, que reprendront Nider et les auteurs du Malleus maleficarum :

Mais on peut dire, écrit Thomas, que le démon excite les sens et l’imagination non certes en imprimant de nouvelles espèces, mais en ramenant vers les organes de l’imagination ou des sens les espèces qui préexistent dans les esprits sensitifs33.

3. Exorciste et nécromant

Le démon est une substance affective, dont la puissance permet de transformer de l’intérieur les fonctions de l’âme humaine, entre les sens, l’imagination et la raison. Il ne peut pas produire – comme Dieu seul en est capable – de nouvelles espèces ou images mentales (species), mais en revanche il peut s’emparer des images déjà existantes, qui subsistent dans la mémoire sensible, pour les rapporter à l’imagination et ainsi produire des illusions. Par un artifice que l’âme ne perçoit pas, il peut faire ressurgir ces images, ou les ranimer de telle manière que le jugement de la raison s’y trompe. Le démon agit donc sur les traces mnésiques de l’esprit. Il ne les produit pas ni ne les invente, mais il meut, excite ou éprouve – par un assaut violent du corps – les sens et l’imagination de telle façon que l’esprit s’égare, s’aliène et se trompe sur lui-même. L’esprit s’émeut à ce point de turbulence qu’il croie voir certaines choses dans le monde qui n’existent pas. Il est convaincu de formuler un jugement conséquent, alors qu’en réalité il n’a été que l’instrument affectif des illusions diaboliques, des volontés malignes et des ruses du démon. À partir de là, on comprend mieux pourquoi la parole du médecin exorciste est décisive dans la guérison d’une possession démoniaque. Une parole sui generis, une adjuratio, ou conjuratio, qui convoque le démon et le contraint à cesser d’agir, d’agiter ou d’affecter le corps de mouvements turbulents, d’émotions excessives, et d’aliéner l’âme d’images mentales qui ne correspondent pas à la réalité sensible qu’elle perçoit. La reconnaissance thérapeutique de la parole est donc directement liée à la puissance affective du corps du démon. Et en ce sens, son efficacité performative est en fonction de la puissance affective du démon. Devant cette parole, les exorcistes sont confrontés non seulement aux médecins, mais aussi aux sorciers, ou aux nécromants, comme on peut le lire dans le Malleus maleficarum :

Quand on dit que l’exorciste doit veiller à ne rien ajouter de suspect ni de superstitieux, un exorciste pourrait émettre un doute : Est-ce que l’on pourrait employer certaines herbes et certaines pierres même non bénites ? Réponse : Si ces herbes sont bénites, tant mieux. Si non, employer cette herbe qui s’appelle « démonifuge » ou certaines espèces de pierre, ne sera pas superstitieux ; mais à condition de croire que ces choses ne chassent pas les démons de par leur nature même. Ainsi en effet on retomberait dans l’erreur (de penser) que d’autres herbes ou pierres pourraient avoir le même effet. C’est l’erreur des nécromants qui pensent avoir une efficacité de par les vertus de choses de ce genre. Saint Thomas en tout cas dit dans les Commentaires : il ne faut pas croire que les démons soient soumis à certaines vertus des corps et que les sorciers puissent les forcer par des invocations et des gestes, sauf dans la mesure où là-dessus ils ont passé un pacte avec eux. Selon les paroles d’Isaïe [Is 28,15] : Nous avons fait alliance avec la mort, nous avons fait un pacte avec l’enfer ; ou selon les paroles de Job [Jb 40,25 ; 41,25] : Pourrais-tu tirer Léviathan avec un hameçon ? Là-dessus saint Thomas conclut en disant : Si l’on considère correctement tout cela, ces paroles semblent confondre la présomption des nécromants qui tentent de conclure un pacte avec les démons, de se les soumettre et de les contraindre de quelque façon34.

Nous sommes ici dans le contexte de l’Inquisition et de la chasse aux sorcières. L’exorciste doit alors se démarquer du nécromant, du sorcier, du magicien35. L’efficacité thérapeutique de l’exorcisme dépend de cette démarcation. Les sorciers « contrefont les médecins, et exorcistes », dira Bodin dans De la démonomanie des sorciers36, « ils font profession de guérir les maladies, et ôter les charmes et demandent, premièrement, à celui qu’ils veulent guérir, qu’il croie fermement qu’ils le guériront »37. Bodin poursuit la chasse en insistant sur la croyance, là où le Malleus soulignait plutôt l’inefficacité des rites sorciers. Le Malleus n’est pas contre l’usage des charmes, des herbes ou des pierres. Ce qu’il refuse d’admettre, en revanche, c’est que ces herbes soient capables de chasser « les démons de par leur nature même ». C’est la distinction entre exorcisme licite et illicite, sur laquelle je reviendrai. À partir de là, le Malleus énonce deux points déterminants pour la compréhension du terme. D’un côté, les nécromants se trompent s’ils croient que l’efficacité de leur incantation provient de la vertu des plantes ou des minéraux qu’ils utilisent. Et en ce sens, cette croyance est une superstition. D’un autre côté, en reconnaissant néanmoins un pouvoir aux nécromants, donc une certaine efficacité thérapeutique à leur incantation, le Malleus l’attribue à leur seule volonté « de conclure un pacte avec le démon », ou « une alliance avec la mort »38. Cette idée de pacte va de pair avec la nécessité, pour la substance affective du démon, de s’introduire dans un corps, l’occuper ou le posséder. Le Malleus la reprend de Thomas, qui lui-même la tire de saint Augustin39. Cette idée postule que les « pactes privés avec les démons (privatos contractus demonum) ne dépassent pas l’ordre des causes naturelles »40.

Pour se rapprocher du médecin, médecin céleste ou médecin de l’âme, l’exorciste doit se distinguer du nécromant. Cette distinction est d’autant plus nécessaire que leurs pratiques sont très proches, et notamment en ceci qu’avant l’émergence de l’Inquisition elles devaient quasiment se confondre. L’exorciste et le nécromant parviennent l’un et l’autre à contraindre le démon. L’un et l’autre en effet usent de parole incantatoire pour le soumettre et le forcer à quitter le corps du possédé. Mais ils se distinguent surtout en ce que l’efficacité de la parole exorciste repose sur la seule vertu divine ou des volontés de Dieu, tandis que l’efficacité de la parole magique tient aux vertus naturelles des charmes et dépend de la seule volonté du nécromant. Ces efficacités sont bien réelles, mais seul l’exorciste peut prétendre chasser les démons de par ses propres forces, tandis que le nécromant ne peut que détourner le possédé des tromperies du démon, et parfois même user de ces tromperies pour son propre avantage. Et c’est là que l’on peut revenir au livre de Samuel. La figure du roi Saül représente à lui seul ces deux types de rapport contraignant au démon41. D’un côté, Saül est lunatique autant que possédé, et se morfond dans la mélancolie. Il est rongé par le péché mais soulagé par la cithare de David42 – poète divin et légendaire patron des psalmistes43 –, qu’analyse un passage du Malleus. D’un autre côté, Saül recours aux sortilèges d’une nécromancienne, qu’on nomme la sorcière d’Endor, en 1 S 28,7-1444, mais dont cette fois le Malleus ne parle pas. Dieu a quitté Saül, il l’a destitué de son pouvoir, et Saül ne sait plus comment agir devant les Philistins qui l’assaillent. Il consulte alors la sorcière d’Endor pour faire remonter le prophète Samuel de la mort, et lui demander conseil. Mais la voix du prophète lui annonce que « Yahvé livrera Israël avec toi à la main des Philistins » (1 S 28,19).

Soulignons ici les deux types d’exorcisme. Le recours à la nécromancienne confirme le type illégitime d’exorcisme, dont parle le Malleus. C’est la condition d’une alliance avec la mort et d’un pacte avec le diable, qui n’a rien de divin et qui finit toujours mal. Au dernier chapitre du premier livre de Samuel, les Philistins renversent Israël, comme l’avait prédit Samuel, et Saül se suicide, en se jetant sur l’épée d’un de ses propres soldats (1 S 31,4). Tandis que le recours à la cithare de David, futur roi d’Israël, qui succède au royaume de Saül, représente le type licite d’exorcisme, pouvant indirectement, précise le Malleus, soulager les troubles de Saül : « Toutefois celui qui est possédé du démon peut indirectement être soulagé par la vertu d’une mélodie, comme Saül par la cithare de David ; ou par la vertu d’une herbe ou d’une autre chose matérielle ayant certaine vertu naturelle. »45 Puis le Malleus poursuit quelques lignes plus bas, en comparant cet exorcisme musical aux traitement des médecins :

Les démons ne peuvent à leur guise transformer la matière corporelle, mais seulement par la conjonction voulue des principes actifs et passifs. Or de la même manière une chose sensible peut dans le corps humain créer une disposition qui le rend plus apte à recevoir l’action du démon. Par exemple : selon les médecins, la manie est la plus grande disposition à la démence et par conséquent aussi à la possession démoniaque. Donc si en pareil cas on faisait reculer la prédisposition passive, il s’ensuivrait aussi la guérison de l’affliction active par le diable. On peut donc dire la même chose du foie du poisson ; la même chose de la musique de David par laquelle Saül fut d’abord un peu réconforté et se trouva mieux puis totalement délivré, puisque dit la lettre de (l’Écriture) : l’esprit malin s’éloigna de lui. En effet il ne serait pas logique avec la lettre de l’Écriture de dire que cela se faisait à cause du mérite de David et par ses prières ; car il n’est pas vraisemblable que l’Écriture se taise sur une chose qui serait notoirement à sa louange. Ainsi parle le susdit Paul (de Burgos)46. Nous n’avions pas mentionné la chose plus haut, là où nous disons : parce que la cithare préfigurait la vertu de la croix et l’extension des membres du corps du Christ, alors Saül fut délivré47.

L’argumentation est très claire. Elle part d’une donnée médicale et raisonne en termes causalistes. Les médecins ont défini la manie comme « une grande disposition à la démence », et le Malleus en déduit que cette disposition conduit aussi « à la possession démoniaque ». Ce n’est donc pas cette possession elle-même qui a rendu mélancolique le roi Saül, mais c’est bien au contraire sa prédisposition affective, maniaco-lunatique, qui le dispose aux assauts du diable. En d’autres termes, ce n’est pas le démon qui rend fou Saül, mais c’est bien sa folie qui le rend sujet aux possessions démoniaques. Comme on l’affirme au moins depuis les Pères de l’Église, la mélancolie est le balneum diaboli. Alors que le texte biblique dit simplement qu’un « esprit mauvais, suscité par Yahvé, le [Saül] frappa d’épouvante » (1 S 16,15), le Malleus formule une interprétation médicale des possessions démoniaques de Saül. À la différence du Formicarius de Nider, qui rappelle que « Saül, désobéissant à Dieu, fut possédé »48, soulignant ainsi la cause morale du tourment, en quelque sorte sa punition, le Malleus transforme cette faute morale en agent pathogène. Saül est possédé parce qu’il est malade, et non l’inverse. Cet argument médical permet au Malleus de repenser le sens de l’exorcisme licite et d’en définir proprement l’efficacité thérapeutique.

En effet, cette argumentation médicale sert d’instrument de légitimation au discours théologique (et thomiste) du Malleus, qu’on peut reconstituer en trois points. Tout d’abord, le démon ne peut pas modifier formellement le corps malade, mais seulement l’altérer par le truchement de principes affectifs ou d’« agents naturels », dit Thomas. Ensuite, ces principes peuvent constituer une prédisposition favorable au démon. Enfin, si l’on parvient à réduire cette prédisposition affective, on peut guérir le possédé des troubles produits par l’action du diable. L’efficacité thérapeutique de l’exorcisme dépend donc de cette différence entre prédisposition affective ou pathologique et affliction active ou démoniaque. Une fois ces deux plans clairement distingués, on comprend mieux pourquoi la cithare de David peut jouer le rôle d’un exorcisme licite, dans la guérison de Saül. De même que les herbes, les pierres et tous les autres charmes ne peuvent pas prétendre, d’eux-mêmes ou par nature, chasser les démons, de même la musique de David ne peut pas d’elle-même guérir la folie de Saül. Les pouvoirs thérapeutiques de la cithare de David ne proviennent pas de ses vertus naturelles, mais elles sont directement liées à David lui-même, à son inspiration divine, à son esprit de vérité, à ses mérites et ses prières49.

4. La folie de Saül et la cithare de David

Devant cette situation, le Malleus semble embarrassé, car l’Écriture n’en parle pas, du moins pas en ces termes. On peut reconstituer cet embarras de la manière suivante. 1 S 16 n’évoque aucun esprit de David. La cithare ne comporte en soi aucune vertu thérapeutique. L’Écriture affirme pourtant deux choses importantes. D’un côté la cithare de David a guéri Saül de ses tourments : « Et il advint que, dès lors que l’esprit de Dieu était sur Saül [c’est-à-dire le mauvais esprit], David prenait la cithare et en jouait de sa main. Alors Saül en était soulagé et se sentait mieux : l’esprit mauvais se détournait de lui » (1 S 16,23)50. De l’autre, le texte joue sur le verbe « se détourner », סור (sour) en hébreu. Alors qu’au verset 14, c’est le souffle de Dieu qui « se détourne » de Saül, au verset 23, le souffle mauvais « se détourne » de Saül grâce à David51. Pour s’en sortir, le Malleus utilise l’argument typologique de préfiguration : « parce que la cithare [de David] préfigurait la vertu de la croix et l’extension des membres du corps du Christ, alors Saül fut délivré ». C’est donc bel et bien la cithare de David qui guérit Saül, c’est son instrument lui-même qui éloigne et détourne les démons loin de lui, mais en tant seulement qu’il préfigure la croix du Christ52, comme l’hameçon du Léviathan, en Job 40,25, annonçait déjà l’hameçon de Dieu qui capture et chasse les démons. La cithare de David est investie d’un pouvoir thérapeutique par la seule vertu de la croix du Christ, présente dans l’esprit de Dieu. Autrement dit, Saül est soigné par les pouvoirs de la croix, que représente déjà la cithare de David, « son mérite et ses prières ». Cet état de préfiguration ou de transfert des vertus thérapeutiques permet non seulement au Malleus de reconsidérer l’efficacité d’une guérison par la seule écoute musicale, mais surtout de distinguer la conjuration du démon et l’exorcisme de la maladie : « faut-il conjurer le démon ? Faut-il exorciser la maladie ? »53

Comme on l’a vu plus haut, le Malleus fonde sa démonstration théologique sur une argumentation médicale. Afin de comprendre le fonctionnement de l’esprit et de saisir comment le diable s’y prend pour l’assaillir et pour le posséder, il faut partir des affections qui constituent sa prédisposition passive aux troubles et aux bouleversements, qu’ils soient psychiques, comme la démence ou l’épilepsie, ou somatique, comme la lèpre. Cette affection troublée n’a pas été produite par le démon, mais représente ce balneum diaboli, dont parle la tradition. Exorciser la maladie, c’est agir sur une telle affection, c’est « faire reculer la prédisposition passive », dit le texte. C’est en réduire le plus possible les effets de turbulence pour empêcher que le démon s’y introduise, s’y baigne et y bâtisse sa demeure. Pour conjurer le démon, il faut donc d’abord et avant tout détruire son terrain, anéantir la couche affective du corps qui le nourrit, qu’il habite et qui devient finalement le corps d’emprunt du démon lui-même :

Jusqu’ici nous avons établi, poursuit le Malleus, que les sorcières peuvent infliger aux hommes toutes sortes d’infirmités corporelles ; nous pouvons donc prendre comme règle générale que les divers remèdes (paroles et gestes) applicables aux afflictions notées plus haut, peuvent aussi l’être à toutes autres infirmités, par exemple à l’épilepsie ou la lèpre si elles étaient infligées. Et parce que l’on compte les exorcismes licites parmi les paroles-remèdes, nous les avons souvent mentionnées comme un remède en général54.

L’exorcisme licite est une « parole-remède » capable de soigner les possessions démoniaques, qu’elles relèvent d’une maladie physique ou d’une maladie mentale. Selon la distinction thomiste, que reprend le Malleus, parmi les possédés, les énergumènes représentent une classe à part. Pour Thomas, on l’a vu, les énergumènes sont « travaillés intérieurement » par le démon, et pour le Malleus, « ils se travaill[ent] à l’intérieur d’eux-mêmes ». Le fonctionnement de leur esprit est devenu l’instrument par lequel le démon opère son affliction et sa possession diabolique. Il agit sur l’esprit, et le trouble intérieurement, voire lui fait perdre la raison, en ramenant artificiellement vers l’imagination des images préexistantes déposées dans la mémoire sensible. Or, si l’on rapporte ce raisonnement démonologique, théologique et philosophique, à l’argumentation médicale du Malleus des prédispositions passives, on obtient la démonstration suivante : en agissant sur ces prédispositions, le démon agite et trouble l’esprit de telle manière qu’il devienne lui-même cet instrument maléfique, par l’opération duquel ses propres images mentales préexistantes et passives, passées, oubliées ou cachées, ressurgissent en sa mémoire, se représentent dans son imagination et trompent sa raison. C’est sur ce point précis que doit s’exercer le pouvoir de la parole-remède de l’exorcisme. La parole thérapeutique doit réduire les prédispositions passives de l’esprit et renverser le processus interne des transmissions d’images mentales. En somme, elle doit enrayer l’ouvrage du démon, le saboter, voire le contraindre à s’arrêter.

L’argumentation du Malleus est donc clairement médicale, et peut-être aussi psychiatrique :

Ce n’est pas la maladie mais l’homme malade et ensorcelé qui est à exorciser. Ainsi dans l’enfant on n’exorcise pas l’infection (source de la) passion mais l’enfant infecté en sa source de convoitise. Et l’enfant une fois exorcisé, on commande au diable de s’en aller avec ses œuvres55.

Ce texte souligne bien l’ambigüité des relations entre l’exorcisme et la médecine. Il met le doigt sur ce qui noue l’efficacité thérapeutique de la parole à la nature affective du démon. D’un côté, il faut conjurer le démon et exorciser la maladie. Mais d’un autre côté, il faut distinguer la maladie et l’homme malade, afin d’exorciser cet homme possédé par le démon. En somme, selon le Malleus, l’exorcisme ne concerne pas directement les démons, mais l’homme possédé par un démon. D’où l’affirmation simple et commune : une fois cet homme exorcisé, on peut conjurer le démon puis le chasser. Ce que le Malleus appelle ici « l’homme malade », et qu’il distingue de la « maladie » à proprement parler, représente le sujet d’une affection ou d’une source passive d’infection, comme la convoitise. Il faut donc exorciser « l’enfant infecté en sa source de convoitise », c’est-à-dire traiter directement ce qui le dispose à une telle affection. C’est en quoi consiste l’art médical de l’exorcisme : soigner l’homme malade dans ce qui constitue sa prédisposition aux possessions démoniaques. L’efficacité thérapeutique de la parole exorcise la maladie en agissant sur les turbulences de son âme. La puissance de la parole incantatoire est donc religieuse et médicale tout à la fois, surnaturelle autant que naturelle. Elle a pour vocation de chasser les démons et les forcer à quitter le corps du possédé, « de telle manière qu’ils ne reviennent plus ».

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1Flavius Joseph, Les Antiquités juives, VIII, 45-49, traduit par Julien Weill, Paris, Ernest Leroux, 1926, p. 168-169.

21 R 5,12-13. La Bible. Ancien Testament, édition publiée sous la direction d’Édouard Dhorme, Paris, Gallimard, 1956.

3Sg 8,5-6.

4Cf. Pablo A. Torijano, « Salomon and Magic », in : Jozef Verheyden (éd.), The figure of Solomon in Jewish, Christian and Islamic Tradition. King, Sage and Architect, Leiden, Brill, 2012, p. 107-126.

5Henry Institoris, Jacques Sprenger, Le Marteau des sorcières (Malleus Maleficarum) (1486), traduit et présenté par Amand Danet, Grenoble, Jérôme Millon, 2005, p. 368-388. Pour le texte latin, cf. Günter Jerouschek (éd.), Malleus maleficarum 1487 von Heinrich Kramer (Institoris). Faksimile der Handschrift von 1491 aus dem Staatsarchiv Nürberg. Nr. D. 1521, Hildesheim/Zürich/New York, Olm, 1992. Cf. André Schnyder, Malleus maleficarum von Heinrich Institoris (alias Kramer) unter Mithilfe Jakob Sprengers aufgrund der dämonologischen Tradition zusammengestrellt. Kommentar zur Wierdergabe des Erstdrucks von 1487 (Hain 9238), Göppingen, Kümmerle, 1993 ; Peter Segl (éd.), Der Hexenhammer. Entstehung und Umfeld des Malleus maleficarum von 1487, Cologne/Vienne, Böhlau Verlag, 1988 ; Hans Peter Broedel, The Malleus Maleficarum and The Construction of Witchcraft. Theology and Popular Belief, Manchester, Manchester University Press, 2003 ; et Carmen Rob-Santer, « Le Malleus maleficarum à la lumière de l’historiographie : un Kulturkampf ? », Médiévales 44 (Le diable en procès. Démonologie et sorcellerie à la fin de Moyen Âge) (2003), p. 155-172. Et de façon plus générale, on pourra encore consulter l’ouvrage classique de Joseph Hansen, Quellen und Untersuchungen zur Geschichte des Hexenwahns und der Hexenverfolgung im Mittelalter, Bonn, C. Georgi, 1901, ainsi que Stuart Clark, Thinking with Demons. The Idea of Witchcraft in Early Modern Europe, Oxford, Clarendon Press, 1997.

6Le Marteau des sorcières, II, 2, chap. V et VI, op. cit., p. 368-389. Le Malleus se divise en trois parties. La première, composée de dix-sept questions, concerne les écrits patristiques et les doctrines théologiques médiévales, en particulier thomistes. La deuxième partie comporte deux questions, l’une composée de dix-neuf chapitres, qui cherche à savoir quelles sont les volontés du sorcier et qui en est la cible, et l’autre composée de neuf chapitres – dont les V et VI nous concernant –, qui portent sur les moyens de se défendre contre les envoûtements des sorciers et sur le rituel exorciste. La troisième partie, composée de trente-cinq questions, énonce des instructions pour la conduite des procès de sorcellerie.

7Jean Nider, Des sorciers et leurs tromperies. La Fourmilière (Formicarius), livre V, chap. XI et XII, texte établi et traduit par Jean Céard, Grenoble, Jérôme Millon, 2005, p. 194-235. Cf. Gabor Klaniczay, « Entre visions angéliques et transes chamaniques : le sabbat des sorcières dans le Formicarius de Nider », Médiévales 44 (2003), p. 47-72.

8Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa., q. 71, art. 2 et 3, traduction française collective, Paris, Le Cerf, 1986, p. 528-531.

9Thomas d’Aquin, Questions disputées sur le mal (De malo), q. XVI, art. 9 et 11, texte et traduction française par les moines de Fontgombault, Paris, Nouvelles Éditions latines, 1992, p. 846-855 et 860-870. Cf. Christine Pigné, « Du De malo au Malleus maleficarum. Les conséquences de la démonologie thomiste sur le corps de la sorcière », Cahiers de recherches médiévales et humanistes 13 (2006), p. 195-220.

10Ce célèbre chapitre 16 fait coïncider la destitution du pouvoir de Saül et la venue de David à la cour du royaume. Il se divise en deux parties. Tout d’abord l’onction de David par Samuel (v. 1-13), puis la présentation de David à Saül (v. 14-23). Je cite ces derniers versets en entier : « L’esprit de Yahvé se retira de Saül et un esprit mauvais, suscité par Yahvé, le frappa d’épouvante. Les serviteurs de Saül lui dirent : “Voici donc qu’un mauvais esprit de Dieu t’épouvante ! Que notre seigneur parle ! Tes serviteurs sont devant toi, ils chercheront un homme sachant jouer de la cithare et ainsi, dès que sera sur toi le mauvais esprit de Dieu, il en jouera de la main et il ira mieux.” Saül dit à ses serviteurs : “Voyez donc à me trouver un homme qui soit bon musicien et vous me l’amènerez.” L’un des garçons pris la parole et dit : “Voici que j’ai vu un fils d’Isaï de Bethléem qui sait jouer de la musique : c’est un brave de valeur, un homme de guerre, à la parole intelligente, il a belle tournure et Yahvé est avec lui.” Alors Saül envoya des messagers vers Isaï et il dit : “Envoie-moi David, ton fils, celui qui est avec le petit bétail.” Isaï chargea un âne de pain, d’une outre de vin et d’un chevreau, qu’il envoya à Saül par la main de David, son fils. David vient donc vers Saül et se tient devant lui ; celui-ci l’aima beaucoup et il devient son porteur d’armes. Puis Saül envoya dire à Isaï : “Que David, je t’en prie, se tienne devant moi, car il a trouvé grâce à mes yeux !” Et il advient que, dès que l’esprit de Dieu était sur Saül, David prenait la cithare et en jouait de sa main. Alors Saül en était soulagé et se trouvait mieux : l’esprit mauvais se retirait de lui ». Cf. André Caquot, Philippe de Robert, Les livres de Samuel, Genève, Labor et Fides, 1994, p. 187-191.

11Cf. Florence Chave-Mahir, Julien Véronèse, Rituel d’exorcisme ou manuel de magie ? Le manuscrit Clm 10085 de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich (début du XVe siècle), Florence, Sismel, 2015, spéc. p. 63 sq. ; Florence Chave-Mahir, L’exorcisme des possédés dans l’Église d’Occident (Xe-XIVe siècle), Turnhout, Brepols, 2011, spéc. p. 14-16 ; et en dernier lieu Julien Véronèse, « “Hujusmodi practcica non est ordinata per ecclesiam”. L’exorcisme, une pratique liturgique en question au XVe siècle », in : Élise Boillet, Gaël Rideau (éds), Textes et pratiques religieuses dans l’espace urbain de l’Europe moderne, Paris, Honoré Champion, 2020, p. 25-49.

12Cf. Otto Böcher, William Nagel, Walter Neidhart, « Exorzismus I. Neues Testament II. Liturgiegeschichtlich III. Praktisch-theologisch », Theologische Realenzyklopädie 10 (1982), p. 747-761.

13Mt 26,63. Cf. Mc 5,7. On peut surtout citer le passage des Actes sur l’incantation des exorcistes juifs, sans doute en référence à Mt 12,27 qui évoque les démons de Béelzéboul : « Quelques exorcistes juifs ambulants entreprirent de nommer le nom du seigneur Jésus sur des gens qui avaient des esprits mauvais ; ils disaient : “Je vous adjure (ὁρκίζω, adiuro), par ce Jésus que Paul prêche...” », Ac 19,13. La Bible. Nouveau Testament, édition et traduction de Jean Grosjean et Michel Léturmy, Paris, Gallimard, 1971 ; Novum Testamentum. Graece et Latine, Édition Nestle, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 1993.

14Lc 4,23.

15« Toi [Jésus] le seul gardien de tes serviteurs et le seul médecin qui guérit gratuitement, le seul bienfaiteur et le seul sans orgueil, le seul miséricordieux et le seul généreux, le seul sauveur et le seul juste », Acta Iohannis, 108, in Corpus christianorum. Series Apocryphum, tome I, texte édité, introduit et traduit par E. Junod et J.-D. Kaesteli, Turnout, Brepols, 1983, p. 298.

16« Abgar Oukama à Jésus, le bon médecin qui parut dans le pays de Jérusalem. Monsieur, salut ! J’ai entendu parler de toi et de tes guérisons et j’ai entendu dire que tu guéris sans drogue ni herbe, mais par ta parole. Tu fais voir les aveugles, tu fais marcher les boiteux, tu purifies les lépreux, tu fais entendre les sourds. Les possédés, les épileptiques et les tourmentés, c’est par ta parole que tu les guéris, et même les morts, tu les ressuscites », La doctrine de l’apôtre Addaï, 4, in : Alain Desreumaux (trad., intro. et notes), Histoire du roi Abgar et de Jésus, Turnout, Brepols, 1993, p. 56-57. Ce passage se réfère à Mt 11,5 et Lc 7,22. Le thème de l’exorcisme et de la guérison par la seule parole de Jésus se retrouve dans l’Évangile de l’Enfance du Sauveur selon Thomas l’Israélite : « Et Joseph appelant à lui l’enfant, l’admonestait, disant : “pourquoi fais-tu ces choses-là ? on prend de la haine contre nous et nous serons persécutés.” Jésus répondit : “Je sais que les paroles que tu viens de prononcer ne sont pas de toi, mais de moi ; je me tairai cependant à cause de toi, mais eux, ils subiront leur châtiment.” Et aussitôt ses accusateurs devinrent aveugles, et ceux qui virent cela furent fort épouvantés, et ils hésitaient, et ils disaient : “Chacune de ses paroles est suivie d’effet, soit pour le bien, soit pour le mal et amène des miracles” », Évangile de l’Enfance du Sauveur selon Thomas l’Israélite, 5, 2, in : Les Évangiles apocryphes, traduit par Gustave Brumet, Paris, Franck, 1848.

17Lc 4,35. Cf. Mc 5,7. Notons par ailleurs qu’en latin, et de façon plus générale, on trouve surtout des termes qui signifient une « élimination par la force », comme eicere, exigere, excludere, exturbare, expellere, depellere, et d’autres qui expriment le fait de « quitter », « se détacher », comme exire, recedere, abscedere, absistere. Cf. A. A. R. Bastiaensen, « Exorcism: Tackling the Devil by Word of Mouth », in : Nienke Vos, Willemien Otte (éds), Demons and the Devil in Ancient and Medieval Christianity, Leiden, Brill, 2011, p. 129-142, spéc. p. 138.

18Saint Augustin, De beata vita, 3, 18, in : Jean Doignon (trad. et éd.), Œuvres de saint Augustin. 4/1, Paris, Desclée de Brouwer, 1986, p. 91. On retrouve déjà la transcription latine exorcizare chez Tertullien, De Idolatria, XI,7.

19Saint Augustin, Du symbole, I,2, in : Jean-Joseph-François Poujoulet, Jean-Baptiste Raulx (éds et trad.), Œuvres philosophiques complètes, t. 2, Paris, Les Belles Lettres, 2018, p. 514. Isidore de Séville parlera de sermo increpationis, parole de blâme, réprimande ou menace, cf. Isidore de Séville, De ecclesiasticis officiis, C. M. Lawson (éd.), L. Turnhout, Brepols, 1979, terme correspondant à l’ἐπιτιμία paulinienne (2 Cor 2,6), la peine ou le châtiment. p. 96. Cf. Francis Young, A History of Exorcism in Catholic Christianity, Cambridge, Palgrave Macmillan, 2016, p. 40.

20Thomas d’Aquin, Somme théologique, trois. part., q. 71, art. 2, op. cit., p. 528.

21Lc 8,26.

22Mc 1,23-26.

23Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa, q. 71, art. 3, op. cit., p. 530.

24Origène, Traité des principes, III, 3, introduction, texte critique de la Philocalie et de la version de Rufin, traduit par Henri Crouzel et Manlio Simonetti, Paris, Le Cerf, 1980, p. 193.

25Cf. Jackie Pigeaud, Folie et cure de la folie chez les médecins de l’antiquité gréco-romaine, Paris, Les Belles Lettres, 1987, spéc. p. 65 sq.

26Cf. Jean-Marie Fritz, Le discours du fou au Moyen Âge. XIIe-XIIIe siècles. Étude comparée des discours littéraire, médical, juridique et théologique de la folie, Paris, PUF, 1992, spéc. chap. 5, p. 115-152 ; et Jean-Claude Schmitt, « Corps malade, corps possédé », in : Id., Le corps, les rites, les rêves, le temps. Essais d’anthropologie médiévale, Paris, Gallimard, 2001, p. 319-343.

27Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa, q. 71, art. 2, op. cit., p. 529.

28Le Marteau des sorcières, II, 2, chap. VI, op. cit., p. 382.

29Apulée, Du dieu de Socrate, XIII, 148, in : Opuscules philosophiques et fragments, texte établi et traduit par Jean Beaujeu, Paris, Les Belles Lettres, 1973, p. 33. Voir encore Augustin, La Cité de Dieu, VIII, XVI, in : Bernhard Dombart et al. (éds), Œuvres de saint Augustin, 34, Paris, Desclée de Brouwer, 1959, p. 289.

30« Car ce qu’on appelle en grec πάθος, écrit Augustin, est une perturbation (perturbatio) ; de là vient qu’Apulée a voulu appeler ces êtres [les démons] “passifs quant à l’âme (animo passiva)”, parce que le mot “passion (passio)” dérivé du mot πάθος doit désigner le mouvement de l’âme contraire à la raison (motus animi contra rationem) », La Cité de Dieu, VIII, XVII, op. cit., p. 291.

31De malo, q. XVI, art. 9, op. cit., p. 850.

32Ibid., art. 9, p. 851.

33Ibid., art. 11, p. 861.

34Le Marteau des sorcières, II, 2, chap. V, op. cit., p. 372.

35Cf. Richard Kieckhefer, « Witchcraft, Necromancy and Sorcery as Heresy », in : Martine Ostorero, Georg Modestin, Kathrin Utz Tremp (éds), Chasse aux sorcières et démonologie. Entre discours et pratiques (XVIe-XVIIe siècle), Florence, Sismel, 2010, p. 133-153 ; Jean-Patrice Boudet, Entre science et nigromance. Astrologie, divination et magie dans l’Occident médiéval (XIIe-XVe siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2006 ; Jean-Patrice Boudet, Julien Véronèse, « Lier et délier : de Dieu à la sorcière », in : Jean-Philippe Genet (éd.) La légitimité implicite, vol. 1, Paris/Rome, Publications de la Sorbonne/École française de Rome, 2015, p. 87-119 ; et en dernier lieu Julien Véronèse, « Guérir et rendre malade : un exemple de l’ambivalence de la magie savante médiévale (XIIe-XVe s.) », in : Cécile Chapelain de Seréville-Niel et al. (dir.), Purifier, soigner ou guérir ? Maladies et lieux religieux de la Méditerranée antique à la Normandie médiévale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2020, p. 241-254.

36Jean Bodin, De la démonomanie des sorciers, IV, « Réfutation des opinions de Iean Wier », Paris, Jacques du Puys, 1580, p. 221.

37Ibid., III, 1, p. 125.

38« À cause en effet d’un pacte avec l’enfer et d’une alliance avec la mort, pour réaliser leurs desseins dépravés, ces femmes [les sorcières] se soumettent à la plus honteuse servitude ; et s’y ajoutent des maux quotidiens qui atteignent, avec la permission de Dieu et par la puissance du diable, hommes, bêtes et fruits de la terre », Le Marteau des sorcières, Apologie, op. cit., p. 101. Cette alliance avec la mort renvoie directement à Is 28,15.

39« Est superstitieux, écrit Augustin, tout ce qui a été institué par les hommes concernant la fabrication et le culte des idoles, ou visant à rendre un culte, comme à Dieu, à la création ou à quelque partie de la création, ou en vue de consulter les démons et de conclure avec eux un pacte (pacta) d’alliance fondé sur des signes, telles les machinations des arts magiques, que les poètes ont l’habitude d’évoquer, plutôt d’ailleurs qu’ils ne les enseignent », La doctrine chrétienne, II, 30, in Œuvres de saint Augustin, 11/2. Texte critique du CLL, introduit et traduit par Madeleine Moreau, Paris, Institut d’études augustiniennes, 1997, p. 183. Cf. Kurt Flasch, Le Diable dans la pensée européenne, traduit par Inigo Atucha, Paris, Vrin, 2019, p. 84-85.

40De malo, q. XVI, art. 9, op. cit., p. 854.

41Cf. Bruno Méniel, « Saül et ses démons. Un personnage biblique à la croisée des discours, de la fin du Moyen Âge à la Renaissance », Cahiers de recherches médiévales et humanistes 13 (2006), p. 221-236.

42Cf. Gideon Bohak, Ancient Jewish Magic. A History, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, spec. p. 97-114. La figure de David poète et thaumaturge a été commentée dans la littérature patristique. Cf. Martine Dulaey, « L’histoire de David lue par les écrivains des premiers siècles chrétiens. (I) Le roi caché », Revue d’études augustiniennes et patristiques 60 (2014) p. 175-212, spéc. p. 200-206 ; et plus largement sur les liens entre la musique et les démons, voir encore Laurence Wuidar, Fuga Satanae. Musique et démonologie à l’aube des temps modernes, Genève, Droz, 2018, spéc. chap. 1 : « Fondements bibliques et patristiques ».

43Une légende dont parle entre autres 2 S 23,2 : « L’esprit de Yahvé parle de moi [David] et sa parole est sur ma langue. »

44Là encore se tisse une relation entre la femme et la mort. Le texte dit בעלת אוב (ba’alat ‘ov), que l’on peut traduire littéralement « une femme maitresse de revenant », ou qui domine ce qui revient (de la mort), d’où nécromancienne, magicienne ou sorcière.

45Le Marteau des sorcières, II, 2, chap. V, op. cit., p. 372.

46Paul de Burgos (1351-1435), de son vrai nom Salomon ha-Levi, est un rabbin converti au catholicisme qui fut très actif dans la persécution des Juifs d’Espagne. Il est l’auteur d’Additiones – que mentionne un peu plus haut le Malleus – aux Postilla litteralis super totam Bibliam du célèbre commentateur franciscain Nicolas de Lyre (1270-1349).

47Le Marteau des sorcières, II, 2, chap. V, op. cit., p. 373.

48J. Nider, Des sorciers et leurs tromperies, IX, 11.19, op. cit., p. 202-203.

49« Oui, David, roi et cithariste, écrit Clément d’Alexandrie, dont nous parlions un peu plus haut, nous a invité à trouver la vérité, nous a détourné des idoles ; loin de célébrer les démons, il les chassait par sa musique de vérité (ἀληθεῖ [...] μουσικῇ) : comme Saül était possédé, il se contenta de chanter et il le guérit. Le Seigneur envoyant son souffle dans ce bel instrument, qu’est l’homme, le fit à son image ; il est, lui aussi, un instrument de Dieu, tout harmonie, accordé et saint, sagesse supraterrestre, Logos céleste », Le Protreptique, I,5,4, introduction, traduction et notes de Claude Mondésert, Paris, Le Cerf, 1976, p. 58. Origène insiste davantage sur les dons rythmiques et mélodiques de David : « Le très sage David y excellait avec tant de virtuosité, et il en avait si bien acquis toutes les règles mélodiques et rythmiques, qu’il y trouvait des airs capables d’apaiser sur la cithare un roi profondément agité et tourmenté par un esprit maléfique », Homélies sur les Nombres, 18,3,3, texte latin de Willem Adolf Baehrens, nouvelle édition de Louis Doutreleau, Paris, Le Cerf, 1999, p. 324-325. Et pour Jérôme, David est un Pindare et un Catulle chrétiens : « David, qui est pour nous Simonide, Pindare et Alcée, Horace aussi, Catulle et Serenus, avec sa lyre et son décacorde, chante le Christ, célèbre son réveil et sa résurrection des lieux infernaux », Lettre 53, 16-17, in : Correspondance, t. 3, texte établi et traduit par Jérôme Labourt, Paris, Les Belles Lettres, 2002, p. 21.

50Notons que « esprit mauvais » traduit l’hébreu רוח הרעה (ruach hara’ah), littéralement le souffle ou l’esprit du mal, que la Septante traduit à son tour par τὸ πνεῦμα τὸ πονηρόν, et la Vulgate par spiritus malus. Cet esprit mauvais se réfère donc à l’esprit de Dieu, qui a quitté Saül, une fois destitué de son pouvoir, et qui s’annonce en en 1 S 15,10-11 et se reprend pour s’affirmer dans le chapitre 16, v. 14.

51Dans les deux cas, on a l’hébreu סור (sour), se détourner, s’éloigner, quitter, tantôt à l’accompli tantôt à l’inaccompli, alors que la Septante traduit le texte par deux termes distincts, ἀπέστη ἀπὸ, de ἄπειμι, « je pars, je m’éloigne de », et de ἀφίστατο, de ἀφίστημι, « s’écarter, se retirer », et la Vulgate par recessit et recedebat.

52« C’est lui [David], dans notre Église, écrit Tertullien, qui prophétise le Christ parce que le Christ s’est prophétisé lui-même par sa voix », La chair du Christ, XX,3, introduction, texte critique et traduction de Jean-Pierre Mahé, Paris, Le Cerf, 1975, p. 292.

53Le Marteau des sorcières, II, 2, chap. VI, op. cit., p. 376.

54Ibid., p. 374.

55Ibid., p. 380.