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Casimir, comte de Sayn-Wittgenstein et la réception des éditions de Pierre Poiret à Berleburg

Xenia VON TIPPELSKIRCH

Institut d’histoire, Université Humboldt (Berlin)

L’un des nombreux petits territoires du Saint Empire, le comté de Sayn-Wittgenstein – situé à quelque 150 kilomètres au nord de Francfort – a accueilli au début du XVIIIe siècle un grand nombre de ceux que l’on nomme habituellement « piétistes radicaux »1 : des séparatistes qui appelaient à la réforme de la pratique religieuse, des pasteurs, des prédicateurs autoproclamés et des prophètes persécutés ailleurs, des dévotes et dévots calvinistes ou luthériens qui cherchaient la solitude et la vie intérieure dans ce comté très rural et loin des grandes routes. Presque tous se référaient aux revendications formulées par les théologiens Philipp Jacob Spener (1635-1705) et Johann Jacob Schütz (1640-1690) quelques années auparavant, lisaient les ouvrages de Gottfried Arnold (1666-1714), la Bible et une quantité d’écrits édifiants – dont les éditions préparées par le pasteur réformé Pierre Poiret. Marjolaine Chevallier a souligné dans son travail soigné sur la postérité de ce passeur de textes mystiques le lien qui existait entre le cercle des disciples et amis de Poiret à Rijnsburg et le comté de Sayn-Wittgenstein2. Grâce à Hans-Jürgen Schrader nous connaissons de nombreux détails de la production éditoriale qui a eu lieu à Berleburg, centre urbain du comté et lieu où se trouve le château des comtes3. Et plus récemment, Lionel Laborie a étudié le réseau qui reliait les expériences œcuméniques de Berleburg à la Hollande pour montrer les fondements pratiques et pragmatiques de la tolérance religieuse au début du XVIIIe siècle4. Ici, il s’agira d’ajouter quelques éléments à ce tableau en nous concentrant sur le cas d’un lecteur qui fit preuve d’une assiduité particulière vis-à-vis des textes mystiques préparés par Poiret : le comte Casimir de Sayn-Wittgenstein-Berleburg (1687-1741).

1. La cour seigneuriale pieuse

Les comtes de Sayn-Wittgenstein avaient accepté l’arrivée d’immigrés contraints à fuir d’autres territoires à cause de leurs convictions religieuses afin de suppléer à des problèmes économiques, mais aussi parce qu’ils partageaient certaines de leurs préoccupations religieuses5. Au XIXe siècle l’historien allemand Friedrich Wilhelm Barthold (1799-1858) propose la dénomination des « cours seigneuriales pieuses » (fromme Grafenhöfe) dans un texte où il trace un cadre général de tous les inspirés de l’Allemagne protestante6. Une de ces petites cours (situées au centre du Saint Empire et toutes en relation étroite les unes avec les autres par des liens de parenté) aurait été celle de Sayn-Wittgenstein. D’après son étude, les comtes et leurs épouses agissaient ensemble et en tant que couple. Toutefois, selon sa reconstruction les différences étaient bien marquées : les comtes auraient suivi le mouvement piétiste pour des raisons matérielles et représentatives. La modestie et l’autodiscipline revendiquées par les piétistes leur auraient permis de donner une « dimension religieuse-morale et patriarcale à la vie de famille qui leur procurait le prétexte de se priver de plein gré de biens matériels et de plaisirs »7. Pour les comtesses valait – toujours selon Barthold – le fait que non seulement la dévotion correspondait à la nature féminine (weibliche Gemütsveranlagung), mais que la pratique religieuse pouvait aussi faire passer l’ennui qui régnait dans ces cours dépourvues de toute distraction mondaine. Cette interprétation – caractéristique du XIXe siècle – a longtemps été répétée sans être problématisée par les historiens locaux qui ont pris pour objet Berleburg8. Cependant, il faut nuancer et tenir compte des différences entre familles, territoires et générations. L’explication économique à elle seule ne suffit certainement pas – la tolérance était trop peu lucrative et donnait en plus souvent lieu à des conflits avec les comtés avoisinants. Et il faut aussi se garder de considérer la dévotion comme une exclusivité féminine. Le comte Casimir de Sayn-Wittgenstein-Berleburg servira ici d’exemple.

Casimir avait été éduqué par sa mère, Hedwig Sophie (1669-1738), piétiste convaincue et régente à Berleburg après le décès de son mari Ludwig-Franz en 1694. Elle avait envoyé son fils faire ses études à Gießen d’abord, puis à Halle où il provoqua un scandale à cause de dettes de jeux. Sa mère change alors son précepteur et l’encourage à entreprendre – entre octobre 1706 et mars 1708 – un grand voyage qui le mène vers la Hollande et l’Angleterre9. Pendant ce voyage, il passe plusieurs mois à Utrecht, La Haye et à Amsterdam, traverse Leyde. Peut-être est-il même passé par Rijnsburg, qui se trouve sur le chemin. Son trajet se poursuit jusqu’à Londres où il semblerait avoir eu des contacts avec des philadelphiens, disciples de Jane Lead (1624-1704). Son précepteur Johann Georg Wurm (?-1731) enregistre toutes les dépenses que le comte fait tout au long de ce voyage – et en rend compte auprès de sa mère, la comtesse Hedwig Sophie10. De ces listes résulte qu’il achète surtout des livres d’histoire comme « La guerre d’Espagne & France », « Histoire de l’Empire », « Guerre d’Italie » et « l’Histoire universelle » de Jacques Bénigne Bossuet11. La « bible française » qui figure dans ces listes d’achat était explicitement destinée à la mère, il est trop tôt pour qu’il puisse s’agir du commentaire biblique de Madame Guyon édité par Poiret qui ne sort des presses qu’en 1713. Et Casimir semble avoir eu d’autres intérêts à ce moment-là. Il a 20 ans. Il prend des cours de musique et assiste à plusieurs spectacles de théâtre et d’opéra pendant ce voyage et il perd – à son propre regret – de l’argent en jouant au billard (il se presse à raconter ce fait à sa mère avant qu’elle ne puisse en avoir vent par le précepteur – en promettant de renoncer à partir de ce moment à « tout jeu de grand gain ou perte » et de se contenter de « petits jeux »)12. Une fois rentré à Berleburg, il se marie en 1711 avec la piétiste Marie Charlotte zu Ysenburg und Büdingen (1687-1716). Après le décès de celle-ci il épouse en 1717 la luthérienne Esther Maria Polyxena von Wurmbrandt-Stuppach (1696-1775).

Dès 1712 il succède à sa mère au gouvernement. Il aurait alors commencé à acquérir de manière systématique des textes « mystiques » comme nous l’attestent le catalogue de la bibliothèque du château et des listes d’achats correspondant aux mêmes années13. Dans le catalogue de la bibliothèque qui a été produit en 1736 nous trouvons, entre autres, des titres de Jeanne-Marie Bouvier de La Motte Guyon, Antoinette Bourignon, mais aussi de Pierre Poiret en français, latin et allemand14. Grâce à des trouvailles casuelles, la politique d’acquisition peut être reconstruite de manière ponctuelle15. Casimir soutient également l’établissement d’une imprimerie en 1714 à Berleburg qui sera gérée dès 1720 par la famille Haug de Strasbourg16. C’est sous la direction de Johann Friedrich Haug (1680-1753) qu’a lieu le travail de publication de la Bible de Berleburg en huit tomes, entre 1724 et 1742, réalisé avec un soutien financier important de la part du comte17. Casimir n’est certainement pas le seul dans son comté qui possède une solide culture théologique, nous le voyons en compagnie et en relation avec une série de personnes qui s’occupent de la transmission de textes mystiques – comme le pasteur Ludwig Christoph Schefer (1669-1731), inspecteur du comté et collaborateur à l’édition biblique18, ou le huguenot Charles Hector de Marsay (1688-1753) qui s’est inspiré d’Antoinette Bourignon (1616-1680) et de Madame Guyon et qui a travaillé pendant quelques années comme horloger à la cour de Berleburg avant de se dédier exclusivement à l’écriture de textes mystiques, mais aussi Johann Christian Edelmann (1698-1767) et Johann Friedrich Fleischbein (1700-1774), ces deux derniers étant les traducteurs de l’Oeconomie divine de Poiret19. Gerhard Tersteegen (1697-1769) installé à Mülheim à mi-chemin entre Berleburg et Rijnsburg fait le lien entre la cour et le cercle dévot des disciples de Poiret. Il raconte, dans ses lettres, avoir été en contact avec la veuve Hedwig Sophie ou fait part du souhait du comte de lire les cantiques spirituels de Madame Guyon20.

2. Traduire comme pratique religieuse

C’est dans les mêmes années, plus précisément à partir de 1722, que nous avons des traces très concrètes des lectures de Casimir puisqu’il commence à traduire. Spener avait revendiqué qu’il fallait lire la Bible de manière extensive du début jusqu’à la fin21 et Casimir met ce postulat en action en traduisant pendant huit ans le commentaire biblique de Madame Guyon du français vers l’allemand. Une fois terminé ce travail, il continue, apparemment sans interruption, de suivre les traces de Poiret : il traduit les œuvres d’Antoinette Bourignon en suivant les éditions de Poiret. Le fait que Casimir traduise le commentaire de Guyon est mentionné à plusieurs reprises dans la littérature secondaire – aussi et surtout parce que ces traductions sont reprises directement dans les commentaires qui se trouvent à l’intérieur de la Bible de Berleburg – projet piétiste important qui a attiré l’attention des théologiens et théologiennes qui la considèrent comme la « somme du savoir piétiste »22. Moins connue – voire inconnue – est la traduction de Bourignon23. Comment expliquer cette activité de traduction ?

Casimir a eu une production écrite importante qui ne s’est pas limitée à des traductions. L’un des textes qu’il a composés est un journal intime très volumineux24. Ce journal intime couvre la période de 1724 à 1741, soit un laps de temps de 17 ans. Casimir tenait ce journal de manière très méticuleuse, il y notait d’abord quotidiennement puis à un rythme hebdomadaire les événements quotidiens et extraordinaires qui avaient lieu dans son comté. Il résumait les sermons dominicaux qu’il avait entendus dans l’église paroissiale ou dans l’antichambre de son château, décrivait régulièrement la qualité de son repos nocturne et commentait ses humeurs, ses maladies et les décès dans sa famille. Éduqué et engagé comme piétiste, le comte de Berleburg s’est mis à douter de lui-même pendant des années ; il était conscient de ses péchés et espérait une nouvelle naissance (Wiedergeburt)25.

Bien qu’il s’agisse donc d’un écrivain productif, il était très parcimonieux lorsqu’il s’agissait de commenter son activité d’écriture elle-même – ou simplement le choix de textes qu’il a traduit. Nous n’avons que très peu d’énoncés explicites de sa part à disposition pour reconstruire ses activités de lecture et d’écriture, et devons nous baser sur un croisement des traces matérielles. On possède bien le catalogue de la bibliothèque, des correspondances, des comptes épars – mais surtout les manuscrits produits par ses soins. Et l’analyse de ceux-ci amène à penser que ces écritures ressemblent aux pratiques dévotes que Lars Nørgaard et Hugues Pasquier ont décrites à propos des cahiers que tenait Madame de Maintenon26. Le comte Casimir écrivait de manière régulière, abondante, consciencieuse, il semble que sa piété s’exprimait – au moins en partie – par des pratiques d’écriture.

Les originaux des commentaires guyoniens qu’il a utilisés pour sa traduction – et qui se trouvent encore dans la bibliothèque princière – ne montrent pratiquement aucune trace d’utilisation. Il a simplement noté les dates de ses traductions sur la page de garde de chaque volume27. Les volumes qui contiennent les traductions parlent de manière plus explicite. Il a fait relier les pages manuscrites en cuir avec une date en relief d’or sur le recto, ainsi qu’on l’a fait pour tous les livres imprimés et achetés pour la bibliothèque du comte pendant son règne. Il n’est pas aisé de rendre compte de son ouvrage monumental de traduction : il s’agit d’un ouvrage hybride avec des frontispices calligraphiés qui laissent supposer un public, mais l’intérieur a – surtout pour les tout premiers volumes – le caractère d’un document de travail qui comporte des ratures, des passages soulignés en rouge et des doublons, des taches d’encre et aussi des petits feuillets agrafés – qui témoignent d’une part d’une lecture très intensive, mais d’autre part d’une écriture complexe28. La compétence croissante dans la traduction est perceptible, des changements sont également visibles dans l’écriture (le comte a écrit avec des caractères de plus en plus grands, peut-être signe d’une presbytie d’âge progressive). La traduction en nombreux volumes témoigne d’une lecture continue qui a été conservée dans sa forme écrite, soigneusement reliée en cuir.

L’importance de cette pratique d’écriture n’a pas échappé aux contemporains. Ainsi, l’éditeur Samuel Walther qui se trouvait à Leipzig a annoté dans sa préface à la traduction de la vie de Guyon :

Ainsi nous avons reçu l’information sûre qu’une certaine personne de la haute noblesse s’occupe de la traduction des commentaires bibliques de Madame Guyon qui concernent la vie intérieure c’est-à-dire 12 volumes sur l’Ancien Testament et 8 sur le Nouveau Testament qui ont été imprimés en Hollande entre 1713 et 1715 en langue française in-8o. Cette noble personne s’en occupe tous les jours pendant plusieurs heures et s’y concentre tellement qu’elle ne se laisse déranger par rien de ce travail agréable29.

Casimir lui-même avait annoté sur le frontispice des deux premiers tomes : « Traduit du français, par un éveillé né chrétiennement qui essaie de se surpasser »30. Le but de se surpasser grâce à l’activité d’écriture et de traduction semble avoir été présent tout au long de son existence. Ainsi commente-t-il dans son journal après une pause de travail : « avec l’aide de Dieu j’ai recommencé mon travail ce matin. Oh, mon Dieu, donne-moi ta grâce que je puisse accomplir ce travail aussi sur mon âme, surtout pour calmer mon hybris, ma colère et ma volupté. »31 Même la mise en cause du projet d’édition par les autorités impériales n’interrompt pas son élan : en décembre 1724, immédiatement après le lancement de la production de la Bible de Berleburg, le Corpus Evangelicorum de Ratisbonne lui demande d’interdire la publication de la Bible dans son territoire pour éviter tout soupçon d’hétérodoxie32. L’avertissement mentionne explicitement un commentaire sur Gn 1,27 qui fait référence à un texte du pasteur Johann Wilhelm Petersen privé de ses fonctions à cause de ses doctrines. Casimir défend l’œuvre de publication dont il souligne l’utilité publique promettant d’effacer seulement le passage incriminé33. Il refuse ainsi habilement d’interférer avec ses droits souverains territoriaux et évite de mettre en péril l’ensemble du projet de publication. Par la suite, il continue de traduire et en fait mention dans une correspondance avec le quaker Benjamin Holme à qui il offre le résultat de ses efforts, la Bible imprimée, en échange de livres théologiques34. Il peut sembler étonnant que Casimir ne commente pas l’aboutissement de son travail de traduction des œuvres de Guyon le 20 mai 1730. Dans son journal, il mentionne des sermons qu’il a écoutés pendant la semaine, raconte des maladies et dit avoir subi des interventions médicales, en conclusion il précise « sinon rien d’exceptionnel ne s’est passé »35.

Si l’on cherche dans ce travail des traces de la plume de Poiret, on pourrait être très vite déçu, puisque Casimir – à la différence de presque tous les traducteurs des ouvrages de Guyon – choisit de ne pas traduire la préface rédigée par Poiret au commentaire biblique ; pourtant il suit l’exemple de Poiret de près : comme lui, il semble avant tout guidé par la préoccupation d’une reproduction très fidèle du texte – et il n’a pas fini après avoir terminé avec les traductions du commentaire biblique de Guyon puisqu’il traduit Bourignon en se servant des éditions françaises préparées par Poiret comme support. Les traductions des textes de Bourignon faites dans les années 1730 ont moins l’aspect de documents de travail, il y a peu de corrections, mais il s’agit d’une traduction très fidèle – qui transcrit même les indications des feuillets de la version imprimée.

3. Le désir de solitude

À la même époque, Casimir traduit une biographie, d’après une édition de Poiret, d’un saint mexicain. Cette dernière traduction qui est beaucoup plus courte n’est pas datée, mais doit être lue dans le contexte du reste du travail monumental : Auszug aus den sogenandten Heiligen Einsidlern in Indien oder aus der Lebens-Beschreibung Gregorii Lopez (aus dem Französischen übersetzt)36. Il s’agit d’une traduction synthétique d’un texte qui avait été traduit en 1674 par Andilly de l’espagnol en français et que Pierre Poiret avait réédité avec une nouvelle préface en 1717 (avec l’indication du faux lieu d’édition Cologne)37. Le volume français se trouve en effet dans la bibliothèque du comte et il est également mentionné dans le catalogue. Poiret présente le laïc Gregorio Lopez (1542-1596) qui avait décidé de quitter l’Espagne pour aller vivre au Mexique et qui n’y cherche ni la richesse ni la mission, mais qui y vit dans un ermitage et qui convertit de manière presque involontaire grâce à son style de vie, en tant qu’homme solitaire dont l’esprit, le cœur, l’âme et les actions sont voués à Dieu et qui est un exemple à vénérer grâce à ce fait même. Il est présenté comme un homme stoïque, qui ne se laisse pas émouvoir, qui ne laisse pas transparaître des signes d’émotions à l’extérieur. Son stoïcisme est certainement une des raisons pour lesquelles les quiétistes français se sont intéressés à lui. Guyon et Fénelon ont lu et commenté sa vie, l’envoyé à la diète de Ratisbonne, comte Wolf von Metternich (1669-1731), avait discuté avec Guyon de ce modèle38. Il n’est pas étonnant que Poiret ait édité la vie de ce saint bien connue en Europe à cette époque et que Guyon appréciait tellement39. Et l’édition de Poiret circulait dans le comté : elle n’est pas seulement présente dans la bibliothèque du château, mais aussi chez le huguenot Marsay qui la montre au médecin de Francfort Johann Christian Senckenberg (1707-1772) quand celui-ci lui rend visite40. La diffusion du texte peut expliquer pourquoi le comte de Berleburg s’est occupé de manière intensive d’un quasi saint du XVIe siècle qui était actif au Mexique, mais on peut aller encore plus loin : une interprétation biographique semble s’imposer.

Sur la page de garde de son journal intime, Casimir note qu’il se considère le pire pécheur sur terre (Casimir Graff zu Sayn und Wittgenstein dabey aber der Sündhaftigste auf Erden). Ce journal intime nous parle de son inquiétude face à son incapacité à contrôler ses excès de rages, à l’inverse du saint stoïque. Ainsi il écrit en 1724 qu’il est ému et désolé quand il pense au moment de rage et de méchanceté qui l’a traversé pendant l’heure du déjeuner. D’après lui, il s’est comporté comme un lion, un chien ou un ours, mais non pas comme un homme – non pas comme un chrétien, mais « bestialisch », comme une bête féroce, ce qui avait été observé par tout l’entourage, sa famille, la maison41. Sa femme Maria Esther Polixena, sur laquelle il a levé la main, subit notamment les retombées de sa violence42.

Qu’il se soit approprié l’histoire de la vie de l’ermite mexicain est aussi indiqué par l’omission systématique de certains passages43. Quand Jodi Bilinkoff a travaillé récemment sur le Colonial Saint Lopez, donc sur la version espagnole de la vie, publiée pour la première fois en 1613 au Mexique, elle a souligné surtout le rôle du biographe Francisco Losa, un ecclésiastique qui avait été choisi pour vérifier si le laïc Lopez n’était pas un hérétique. Il en ressort convaincu par sa sainteté44. Dans la vie le biographe apparaît comme le miroir de Lopez, il partage sa cellule pendant quelque temps et continue à y vivre même après le décès du vénérable. Le succès de cette vie est lié à l’image positive qu’elle livre, importante pour la mission en terre coloniale. Le comte Casimir enlève Losa du texte ; la figure du biographe qui a transcrit son amour et sa dévotion pour Lopez dans son texte n’intéresse pas le comte, il se concentre exclusivement sur la figure de l’ermite stoïque Lopez. Il est possible d’insérer la lecture de la vie de l’ermite mexicain dans un horizon d’attente que Casimir partageait avec d’autres protestants qui s’efforçaient de renouveler leur vie. Depuis les débuts du mouvement piétiste, les théologiens appelaient à la retraite (Absonderung)45. Parmi eux, Gottfried Arnold et Johan Henrich Reitz, deux auteurs présents dans la bibliothèque du comte, avaient exprimé de manière très claire qu’il fallait se dissocier de toute vie mondaine46. Pour le comte régnant à Berleburg, cependant, il était extrêmement compliqué de suivre les modèles formulés dans leurs textes. La retraite était un défi pour les aristocrates, qui n’était pas toujours facile à relever dans la société du XVIIIe siècle, car on attendait explicitement des nobles qu'ils exercent activement et publiquement leur rôle. Nous savons qu’il a été fasciné par les ermites qui essayaient de vivre selon le modèle des ermites de la première chrétienté à proximité de Berleburg, à Schwarzenau47. Modèle qui n’était toutefois pas adapté à son état : le comte pouvait imaginer se défaire de certains excès émotifs, mais il ne pouvait pas abandonner le gouvernement de ses terres et donc pas se faire ermite dans une cabane48.

4. En quête de perfection

Les activités d’écriture du comte peuvent aussi être documentées à partir d’un autre fond de sources. Il a écrit des sermons destinés aux réunions philadelphiennes qui avaient été établis à Berleburg après le passage du comte Nikolaus Ludwig von Zinzendorf (1700-1760)49. De ses notes nous pouvons déduire qu’il a dédié beaucoup de temps à la préparation de ses discours50. Il souligne dans son sermon du 31 janvier 1731, qu’il ne souhaite pas se soustraire à la règle selon laquelle chacun devait prendre la parole à tour de rôle, mais qu’il se considère comme un chrétien débutant (geringer Anfänger im Christenthum) qui n’a pas assez d’expérience spirituelle pour pouvoir produire beaucoup de son cœur51. Il mentionne que sa mémoire est faible, sa prononciation mauvaise, il ne se voit pas comme un champion de rhétorique, mais il ne veut pas non plus manquer à sa tâche et commente donc un passage de la Bible. Il met en garde contre les vanités du monde – et souligne qu’il ne faut jamais interrompre la prière intérieure – et contre la perdition. Cet avertissement fait apparaître une peur de sa propre insuffisance qui transparaît aussi au cours de la lecture du journal intime52. Particulièrement en danger seraient ceux qui sont habitués à la bonne vie, à l’honneur, aux richesses et à la surabondance, c’est-à-dire ceux qui partagent sa condition53. Qu’il se prononce sur la prière et l’oraison continue dans son premier discours laisse entrevoir à quel point il a intériorisé les enseignements de Madame Guyon. Même si l’âme était consciente de la grâce et se sentait prête à l’enfance divine, il y a toujours des rechutes, réversions ; l’âme doit « combattre, soupirer, se fatiguer »54. Dans le troisième discours conservé dans les archives, il thématise de manière explicite la ressemblance que les enfants de Dieu devraient avoir le plus possible avec leur maître, le divin enfant. Ceci signifie d’après lui surtout être en harmonie avec soi-même – et dans un deuxième temps aussi, le dépouillement et l’humilité55.

Le comte espérait un véritable changement de cœur, et il se déclarait prêt à renoncer à des possessions qui lui revenaient grâce à son état, il espérait pouvoir apprendre la simplicité et s’adressait ainsi avec une simplicité enfantine à Dieu56. On entend là Guyon, mais aussi Poiret.

En conclusion, pendant son règne Casimir ne quitta que rarement son territoire, il était en contact étroit avec les cours voisines, ayant étudié avec certains des comtes régnants, et partageant pour la plupart leur orientation religieuse. L’influence au niveau impérial était très réduite, son champ d’action politique se limitait presque exclusivement à la dimension locale du comté, où il était actif en tant qu’administrateur en chef d’un vaste domaine forestier. Toutefois, il s’efforça d’animer une cour représentative et fit réaménager le château selon le modèle de Versailles. Il est impossible de soutenir que le comte Casimir ait adhéré à tout ce qu’il a traduit pendant sa vie. Il a été possible de montrer seulement de manière très ponctuelle de véritables choix : dans le cas notamment de la traduction sélective de la vie de Lopez. Une traduction reste toujours une interprétation. Cependant, c’est plutôt dans l’ensemble de son activité qu’il a suivi le modèle de Poiret. Ce que nous avons pu voir sont des pratiques d’écritures surprenantes qui s’apparentent beaucoup à ce que Poiret a fait pendant de longues années : donner accès aux écrits des âmes qu’il considérait comme proches de Dieu. Écrire, traduire, copier permettait à Casimir de vivre sa retraite personnelle.

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1Sur les enjeux de l’usage de la dénomination heuristique « Radikalpietismus », cf. Hans Schneider, « Der radikale Pietismus in der neueren Forschung », Pietismus und Neuzeit 8 (1982), p. 15-42 et 9 (1983), p. 117-151 ; Martin Brecht, « Der radikale Pietismus – die Problematik einer historischen Kategorie », in : Wolfgang Breul, Marcus Meier, Lothar Vogel (éds), Der radikale Pietismus. Zwischenbilanz und Perspektive, Göttingen, 2010, p. 11-18 ; Hans-Jürgen Schrader, « Terminologische und historische Eingrenzungen : Pietismus – Radikalpietismus – philadelphische Bewegung » (orig. 1989, version corrigée par l’auteur), in : Id., Literatur und Sprache des Pietismus. Ausgewählte Studien, éd. Markus Matthias/Ulf-Michael Schneider, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht 2019, p. 19-62.

2Marjolaine Chevallier, Pierre Poiret (1646-1719) : du protestantisme à la mystique, Genève, Labor et Fides, 1994, p. 143.

3Hans-Jürgen Schrader, Literaturproduktion und Büchermarkt des radikalen Pietismus. Johann Henrich Reitz’ Historie der Wiedergebohrnen und ihr geschichtlicher Kontext, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1989 ; Id., « Madame Guyon, le piétisme et la littérature de langue allemande », in : Joseph Beaude et al., Madame Guyon. Rencontres autour de la vie et de l’œuvre, Grenoble, Jérome Millon, 1997, p. 83-129 ; Id., « Pietistisches Publizieren unter Heterodoxieverdacht. Der Zensurfall “Berleburger Bibel” » (1988), in : Id., Literatur und Sprache des Pietismus. Ausgewählte Studien, éd. Markus Matthias/Ulf-Michael Schneider, Göttingen, 2019, p. 261-283 ; Id., « Zores in Zion. Zwietracht und Missgunst in Berleburgs toleranz-programmatischem Philadelphia », in : Johannes Burkardt et Bernd Hey (éds), Von Wittgenstein in die Welt. Radikale Frömmigkeit und religiöse Toleranz (Beiträge zur Westfälischen Kirchengeschichte 35), Bielefeld, Luther-Verlag, 2009.

4Lionel Laborie, « Radical Tolerance in Early Enlightenment Europe », History of European Ideas 43/4, (2017), p. 359-375. Il reprend en partie une idée développée par Hans-Jürgen Schrader, « Berleburgs Beitrag zur Geschichte der religiösen und literarischen Toleranz in Deutschland », Wittgenstein 69/45 (1981), p. 117-128 ; cf. aussi Douglas Shantz, An Introduction to German Pietism: Protestant Renewal at the Dawn of Modern Europe, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2013, p. 220-224.

5Voir à ce propos entre autres la reconstruction dans H.-J. Schrader, « Zores in Zion », art. cit.

6Friedrich Wilhelm Barthold, « Die Erweckten im protestantischen Deutschland während des Ausgangs des 17. und der ersten Hälfte des 18. Jahrhunderts: besonders die Frommen Grafenhöfe », Historisches Taschenbuch 3/4 (1852/1853). Quant à l’importance de cet ouvrage pour l’historiographie allemande voir Xenia von Tippelskirch, « Die Herrschaftspraxis an den “frommen Grafenhöfen” und der radikale Pietismus. Ein Forschungsbericht », in : Ruth Albrecht et al. (éds), Pietismus und Adel. Genderhistorische Analysen, Halle, Verlag der Franckeschen Stiftungen, 2018, p. 41-55.

7F. W. Barthold, « Die Erweckten im protestantischen Deutschland », art. cit., p. 169.

8Cf. X. von Tippelskirch, « Die Herrschaftspraxis an den “frommen Grafenhöfen” », art. cit.

9Christoph Reimann, Die Tagebücher des Grafen Casimir zu Sayn Wittgenstein Berleburg (1687-1741) als Selbstzeugnis eines pietistischen Landesherrn, Kassel, Kassel University Press, 2019, p. 56-57. Pour la biographie du comte, voir aussi Friedrich Wilhelm Winckel, Casimir, regierender Graf zu Sayn-Wittgenstein-Berleburg und das religiös-kirchliche Leben seiner Zeit. Bielefeld, 1850 ; Friedrich Göbel, Historische Fragmente aus dem Leben der regierenden Grafen und Fürsten zu Sayn-Wittgenstein-Hohenstein, Siegen, 1858 ; Max Goebel, Geschichte des christlichen Lebens in der rheinisch-westphälischen evangelischen Kirche, vol. I-III, Coblenz, 1849-1860 ; Ulf Lückel, Adel und Frömmigkeit. Die Berleburger Grafen und der Pietismus in ihren Territorien, Siegen, Vorländer, 2016, p. 73-157.

10FA Berleburg A F 81. Cf. C. Reimann, Die Tagebücher des Grafen Casimir, op. cit., p. 58.

11Seul le dernier titre est clairement identifiable : Jacques Bénigne Bossuet, Discours sur l’histoire universelle à Monseigneur le Dauphin pour expliquer la suite de la religion et les changements des empires (1681), le comte a acquis probablement la 4e édition de 1707.

12C. Reimann, Die Tagebücher des Grafen Casimir, op. cit., p. 60.

13L’étiquette « Mystische Bücher » est une des catégories données par le catalogue, qui mentionne expressément les « Poirets scripta ». À titre d’exemple le catalogue contient 391 titres de théologie, cinq sur l’art de la guerre, et sept en médecine. Fürstliche Schlossbibliothek Berleburg : Catalogus über die Hoch-Gräffl.Bibliothec in Berlenburg, Anno 1736.

14Le catalogue mentionne : « Madame Guion, Réflexions sur la Sainte Bible, en 8, vol. 8 ; Discours chrétiens et spirituels, Cologne (1716) ; lettres chrétiennes et spirituelles, 8, 4 vol. (1717) ; Iustifications (1720) ; Poésies et cantiques spirituels, 4 vol. (1722), Vie écrite par elle-même ; Opuscules spirituelles, 2 vol., Kurzes und leichtes Mittel zu beten Leipzig ; Geistliche Ströme 1728 ; Antoinette Bourignon, Toutes ses œuvres, 19 vol. ; Petri Poireti, Oeconomia Divina Franc. 1705 ; Oeconomie divine, 7 vol., Amsterdam 1687 ; Oeconomia teutsch, Berleburg 1735, De Eruditione triplici solida, superficiaria et falsa 8, Franc. et Leipzig 1708. »

15Pour la période qui nous intéresse les dépenses de la maison du comte sont conservées seulement dans un fond ordonné de manière très sommaire qui a été sauvé de la déchiqueteuse à la dernière minute. On y trouve les demandes de bois de la part de sujets indigents, des calculs des dépenses pour l’acquisition de chocolat, thé, café, amandes, plantes médicinales pour la pharmacie de la cour et l’achat d’un violoncelle, mais aussi une facture bien précise de la part de Johann Jakob Haug, qui demande 70 Reichstaler pour l’acquisition de livres le 1er septembre 1732. On y trouve à côté de partitions d’une sonate de Johann Jakob Schnell, un recueil de chants de Halle, des ouvrages sur l’émigration de Salzburg ou bien des ouvrages sur la gestion de l’ordre public en allemand, plusieurs ouvrages en français qui témoignent des intérêts du comte, dont une tragédie de Racine, mais aussi le recueil général des pièces concernant le procès entre Mlle Cadière et le père Girard, jésuite, Lahaye, 1731 ; Portrait au naturel des jésuites et anciens et modernes en image véritable du premier et du dernier siècle de la Société de Jésus, Amsterdam : N. Potier, 1731 ; Histoire de Polybe ; nouvellement traduite du grec par Dom Vincent Thuillier, Amsterdam : aux dépens de la Compagnie, 1729 ; Jacques Saurin, Discours historiques, critiques, théologiques et moraux sur les événements les plus mémorables du Vieux et du Nouveau Testament, Amsterdam : B. Picart 1720-1739. Fürstliches Archiv (FA) Berleburg R, Nr. II 1732.

16Quant aux débuts de l’imprimerie, voir H.-J. Schrader, Literaturproduktion, op. cit., p. 184s. ; U. Lückel, Adel und Frömmigkeit, p. 93-101. Aux archives de la famille est conservé un calendrier qui atteste que Casimir a payé à l’imprimeur 20 Reichstaler en 1720 pour « quelque travail d’imprimerie ». FA Berleburg B 2167, Schreib- und Rechen Calender auf N. 13 Von Ausgabe von Haushaltungs und Notthurft, Eintrag 26.4.1720 : « dem Buchdrucker für allerhand Druckarbeit 20rt ».

17L’édition de la Bible était financée grâce à un système de souscription complexe et une loterie pour laquelle le comte Casimir se portait garant. Le comte avait procuré un capital initial important et subvenait en outre aux besoins de Haug et de sa famille pendant toute la période de production de la Bible. Sur l’activité de Haug cf. Martin Brecht, « Die Berleburger Bibel. Hinweise zu ihrem Verständnis », Pietismus und Neuzeit 8 (1982), p. 162-200, ici : 163-171 ; H.-J. Schrader, Literaturproduktion, op. cit.

18Schefer a entre autres publié en 1720 un dictionnaire hébraïque. Cf. Ulf Lückel, « Ein fast vergessener großer Berleburger: Inspektor und Pfarrer Ludwig Christof Schefer. Eine erste Spurensuche », Wittgenstein. Blätter des Wittgensteiner Heimatvereins 88 (2000), p. 137-159.

19Sur Marsay et Fleischbein cf. Michael Knieriem, Johannes Burkardt, Die Gesellschaft der Kindheit Jesu-Genossen auf Schloß Hayn, Hannovre, Wehrhahn, 2002 ; Xenia von Tippelskirch, « Die Gesellschaft der Kindheit Jesu-Genossen aus geschlechtergeschichtlicher Perspektive », in : Pia Schmid (éd.) : Gender im Pietismus. Netzwerke und Geschlechterkonstruktionen, Halle, Harrassowitz Verlag, 2015, p. 177-196 et Ead., Spirituelle Kindheit. Religiöses Wissen, Frömmigkeitspraktiken und neue Geschlechterordnungen um 1700 zwischen Frankreich und dem Alten Reich, en cours de publication. Nous attendons aussi l’étude de Sebastian Türk.

20Cf. Rudolf op ten Höfel, « Gerhard Tersteegen in Berleburg Ein Beitrag zur Tersteegenausstrahlung », in : Hans-Joachim Wolter (éd.), Gerhard Tersteegen Leben und Gegenwartsbedeutung, Mülheim, Verkehrsverein, 1969, p. 7-32 et H.-J. Schrader, Literaturproduktion, op. cit., (1989), p. 92 s., 199, 288, 404, 473.

21Cf. Johannes Wallmann, « Vom Katechismuschristentum zum Bibelchristentum. Zum Bibelverständnis im Pietismus », in : Id., Pietismus-Studien: Gesammelte Aufsätze, Tübingen, Mohr Siebeck, 2008, II, p. 228-258, en particulier : p. 230 ; Martin Brecht, « Die Bedeutung der Bibel im deutschen Pietismus », in : Ruth Albrecht, Hartmut Lehmann (éds), Glaubenswelt und Lebenswelten. Geschichte des Pietismus, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2004, vol. 4, p. 102 s.

22M. Brecht, « Die Berleburger Bibel », art. cit. ; H.-J. Schrader, « Pietistisches Publizieren », art. cit., p. 271-282 ; Jean-Marc Heuberger, « Les commentaires bibliques de Madame Guyon dans la Bible de Berleburg », RThPh 133/3 (2001), p. 303-323, a comparé systématiquement les commentaires de Guyon et le projet de la bible de Berleburg, mais il n’a pas inclus dans son analyse les volumes manuscrits de Casimir ; voir à ce propos aussi Hans-Jürgen Schrader, « “Red-arten u(nd) worte behalten/die der Heil(ige) Geist gebrauchet”. Pietistische Bemühungen um die Bibelverdeutschung nach und neben Luther », Pietismus und Neuzeit 40 (2014), p. 10-47, ici : p. 41.

23Winckel se méprend en partie en soutenant que Casimir aurait traduit des ouvrages de « l’école de Fénelon » ; F. W. Winckel, Casimir, regierender Graf, op. cit., p. 86.

24Voir l’étude de C. Reimann, Tagebücher des Grafen Casimir, op. cit. Cette pratique est certainement à mettre en lien avec les écritures du for privé d’autres piétistes : Un exemple récemment étudié est celui de Johann Christian Senckenberg : Vera Faßhauer, « “Ô stultam sapientiam!” Zum Verhältnis von pietistischer Selbsterkenntnis und weltlicher Gelehrsamkeit in den Tagebüchern des jungen Johann Christian Senckenberg », in : Irmtraut Sahmland, Hans-Jürgen Schrader (éds), Medizin- und kulturgeschichtliche Konnexe des Pietismus. Heilkunst und Ethik, arkane Traditionen, Musik, Literatur und Sprache, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2016, p. 45-68.

25FA Berleburg, Ber. Hss RT 3-12 ; cf. C. Reimann, Tagebücher des Grafen Casimir, op. cit.

26Lars Nørgaard, Hugues Pasquier, « Les “petits carnets” de Madame de Maintenon : grandeur de la direction spirituelle (1688-1709) », Revue de l’histoire des religions 233/3 (2016), p. 343-387.

27Bad Berleburg, Schlossbibliothek, Re 8/34-41 : « J’ay commencé la traduction de ce 3 et 4me tome le 7me Janv. 1728 et achevé le 29 décembre 1728 » (Re 8/39), « ayant achevé avec l’aide du grand Dieu le 3 et 4me tome du Nouveau Testament le 29 de Dec. 1728 j’ay recommencé la traduction de ce 5 et 6me tome le même jour, ce tome a été achevé de traduire le 27me Octobre 1729. » (Re 8/40) ; « J’ay commencé la traduction de ces 2 derniers tomes le 30me 8bre 1729 priant Dieu qu’il m’y veuille assister de sa grâce, Amen ! / J’ay fini avec l’assistance et grâce du bon Dieu très haut cette Traduction le 20me de May 1730 / A Dieu soit Gloire et Honneur à jamais, Amen ! » (Re 8/41).

28Le travail se veut aussi fidèle que possible, même des italiques présents dans l’édition de Poiret ont été reproduits par des soulignements dans le manuscrit de la traduction. Des ratures en rouge signalent des passages qui n’ont pas été repris dans l’édition de la Bible de Berleburg. Il est donc très probable qu’il s’agisse du support utilisé en imprimerie. Étonnant semble le fait que ce matériel ait été conservé et relié.

29Das Leben der Madame Guion von Ihr selbst beschrieben, und nun aus dem Frantzösischen verteutscht. Erster Theil, Francfort/Leipzig, Samuel Benjamin Walthern, 1727, Vorbericht, n.n. (Jena 23 mars 1727) : « Also hat man auch sichere Nachricht erhalten, daß eine gewisse hohe Standes-Person sich mit Ubersetzung der M. Guion Auslegungen und Betrachtungen der H. Schrift, so auf das innere Leben gehen, nemlich 12 Bände über das Alte und 8 Bände über das Neue Testament, so ebenemassen in Holland im Jahr 1713 und 1715 in Frantzösischer Sprache in octavo gedruckt worden, beschäfftiget, und täglich etliche Stunden so viel Fleiß darauf wendet, daß sich selbe zu solcher gesetzen Zeit auch nicht das geringste an dieser angenehmen Arbeit hindern lässt. » Ce texte reprend la préface de la Bible Die Heilige Schrift Altes und Neues Testament, vol. 1, Berleburg, 1726, p. 4 ; cf. H.-J. Schrader, « Pietistisches Publizieren », art. cit., p. 273.

30« Aus dem Frantzösischen übergesetzt, von einem Christlich-Gebohrenen Zur Sein-SelbstÜberwindung Wachsamer. »

31Cité après Friedrich Wilhelm Winckel, Aus dem Leben Casimirs, weiland regierenden Grafen zu Sayn-Wittgenstein-Berleburg, Francfort, 1842, p. 87. « Den Morgen (21. Oct. 1724) habe ich unter dem Beistande Gottes meine Arbeit wiederum angefangen. Ach Gott, verleihe doch deine Gnade, daß diese meine Arbeit auch an meiner Seele in die Erfüllung und That möge gesetzt werden, sonderlich aber zur Dämpfung meines Hochmuths, Zornes und meiner Fleischeslust. »

32Cf. la reconstruction minutieuse de la censure de l’édition : H.-J. Schrader, « Pietistisches Publizieren », art. cit., p. 276 s.

33Schrader a analysé les manœuvres réussies du comte : les collaborateurs ne changent pas et bien que le nom de Petersen ne soit plus mentionné explicitement dans la nouvelle version de ce passage, son traité est toujours cité. H.-J. Schrader, « Pietistisches Publizieren », art. cit., p. 277 s.

34« Ich bin auch beschäftiget einer gewissen frantzösischen frauen nahmens Guion auslegungen über die gantze bibel, so auf das Innere Leben gehen aus dem frantzösischen ins teutsche zu übersetzen welche bey einer hier in folio gedruckten biebel gesetzet wurden. Es wird auf Ostern 2 Theile davon herauskommen, und wo ihr sie zu haben verlanget, will ich sie euch gleichfalls senden. » FA Berleburg, K 36 : « Copia Antwortschreiben an einen unbekannten Guten und frommen Freund in Amsterdam nahmens Benjamin Holme », 27 février 1728. Cette lettre a aussi été citée (légèrement modernisée) par F. W. Winckel, Casimir, op. cit., p. 101 s.

35FA Berleburg, Handschriften, RT 3/14, 410 : « Sonst ist nichts sonderliches passieret. »

36FA Berleburg, RT 3/19.

37Francisco Losa, Le saint Solitaire des Indes, ou la Vie de Gregoire Lopes, de la traduction de M. Arnauld d’Andilly, Cologne 1717.

38Cf. sur le rapport entre ces deux mystiques : Xenia von Tippelskirch, « Traductions Mystiques. Madame Guyon et Wolf von Metternich, une Direction Spirituelle à Distance », in : Chantal Connochie-Bourgne, Jean-Raymond Fanlo (éds), Fables mystiques. Savoirs, expériences, représentations du Moyen Âge aux Lumières, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2016, p. 259-271.

39Sur la diffusion en Europe : cf. Thérèse-Marie Jallais, « La vie de Gregorio Lòpez par Thomas White (1592-1676), ou la sanctification d’un ermite hétérodoxe par un catholique hérétique », Revue Française de Civilisation Britannique XVIII/I (2013), En ligne depuis le 1er mars 2013, dernière consultation le 24 novembre 2019 : http://journals.openedition.org ; DOI : 10.4000/rfcb.3571.

40« Item vidi auß dem Verlag Herrn wetstein Lopez leben in Gallic. in 8. so sehr schön ist. » Universitätsbibliothek Frankfurt, Na 31 Nachlass Johann Christian Senckenberg : Tagebücher, t. 2, août-décembre 1732, p. 422. Je remercie Vera Faßhauer pour la communication de ce passage.

41FA Berleburg, RT 3/12, p. 198 s. Il note le 16.9.1724 : « Aber ich kann ohne Hertzens Betrübnüß und innigste Rührung meines Gemüths nicht an das Böse, an den Grimm, Zorn und Boßheit, die ich in dieser Mittagsstunde angetrieben habe, so wohl mit meiner armen lieben Gemahlin und denen übrigen, gedencken, dann ich habe darinnen Leyder Gott aus denen Augen gesetzet und dem leidigen Zorn Teuffel in mir Raum gegeben. Ich habe mich nicht menschlich, noch weniger aber christlich aufgeführet, sondern recht bestialisch, mich denen wütenden grimmigen Löwen, Hunden und Bären gleichgestellet, und in Summa ich habe mich so betragen, daß meinen Kindern, Bedienten und allen bey der Aufwartung gegenwärtigen Leuthen zu einem Anstoß und Ärgernüß gewesen binn. »

42FA Berleburg, RT 3/15, p. 283.

43La vie de Lopez fait aussi parti des Auserlesene Lebensbeschreibungen Heiliger Seelen de Gerhard Tersteegen, Tersteegen a également traduit, il raccourcit aussi, mais de manière très différente. Gerhard Tersteegen, Auserlesene Lebensbeschreibungen Heiliger : In welchen nebst derselben merkwürdigen äussern Lebens-Historie hauptsächlich angemerket werden die innere Führungen Gottes über Sie und die mannigfaltige Austheilungen seiner Gnaden in Ihnen, Essen, Bädeker, 1784.

44Allan Greer, Jodi Bilinkoff (éds), Colonial saints: discovering the holy in the Americas, 1500-1800, New York, Routledge, 2003.

45Cf. Hartmut Lehmann, « “Absonderung” und “Gemeinschaft” im frühen Pietismus. Allgemeinhistorische und sozialpsychologische Überlegungen zur Entstehung und Entwicklung des Pietismus », Pietismus und Neuzeit 4 (1977/78), 54-82 ; Andreas Deppermann, Johann Jakob Schütz und die Anfänge des Pietismus, Tübingen, Mohr Siebeck, 2002, p. 80.

46Voir par exemple : Gottfried Arnold, Die erste Liebe der Gemeinen Jesu Christi, das ist wahre Abbildung der ersten Christen, nach ihren lebendigen Glauben und heiligen Leben, 1696, p. 476 ; Id., Vitæ Patrum Oder Das Leben Der Altväter und anderer gottseeligen Personen, Halle, Waysen-Haus, 1700 ; Johan Henrich Reitz, Historie Der Wiedergebohrnen, Oder Exempel gottseliger, so bekannt- und benannt- als unbekannt- und unbenannter Christen, Männlichen und Weiblichen Geschlechts, In Allerley Ständen, Idstein, Haug, 1717, vol. IV, p. 15, 36, 118, IV143, 163, 180, vol. V, p. 117, 218, 215, 221-222, 232-236, 117 ; Cf. aussi : Hanspeter Marti, Der Seelenfrieden der Stillen im Lande. Quietistische Mystik und radikaler Pietismus, 130-143.

47Journal du 26.4.1726 : « Ich bin mit meiner Frau Mutter Gnaden und meiner Gemahlin Liebden nach Schwarzenau gefahren, um einige Tage daselbst zu bleiben, wie wir uns denn wirklich noch daselbst befinden. (Gott wolle mir, ) da ich allhier gleichsam eine Abbildung der frommen Altväter, die ihm zu ihrer Zeit in vieler Verläugnung der Welt Casteiung ihres eigenen Fleisches und Abgezogenheit in wahrem Glauben gedienet haben, in den Hütten und Stuben einiger sich hier aufhaltenden Frommen, welche ich besucht, gefunden habe, deren wahren Grund ich nicht untersuchen will, sondern vielmehr für aufrichtig halten, denn der Herr kennet eines Jeglichen Herzen und Nieren, (so wolle Gott doch auch mir) mehr Eifer und Ernst, Jesu in der Verläugnung der Welt und Kreuzigung meiner Lüsten und Begierden nachzufolgen, geben. » Cité d’après F. W. Winckel, Aus dem Leben Casimirs, op. cit., p. 112-113.

48Sa sœur pouvait faire ce pas, nous avons ses lettres dans lesquelles elle le prie de lui concéder du bois pour pouvoir se construire une simple cabane. FA Berleburg, A – F 082, IV, 2.

49FA Berleburg, Rt 3/18 (Anlagen zum Tagebuch), Il a lui-même noté sur les documents qui venaient compléter son journal pour l’année 1731 : « ad Diarium 1731 p. 9 » ; « ad Diarium 1731 p. 103 ».

50FA Berleburg, Rt 3/18.

51« Vor das erste an genugsamer geistlicher Erfahrung ermangelt, um aus der Fülle (s)eines Hertzens vieles hervorbringen zu können ». FA Berleburg, Rt 3/18.

52Ceci est explicite dans des énoncés comme « nicht ohne Furcht », « beständig in Sorge », « mit großer Furcht ». (FA Berleburg, Rt 3/18 ; 18.7.1731) Ces formulations rappellent les champs sémantiques soigneusement étudiés par Bähr : Andreas Bähr, Furcht und Furchtlosigkeit. Göttliche Gewalt und Selbstkonstitution im 17. Jahrhundert, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2013.

53« Unser eigen Fleisch und Blut. » FA Berleburg, Rt 3/18.

54« Kämpfet, ringet, ächzt, seufzt und bemühet sich. » Ibid., 15.

55Ibid.

56Cf. aussi F. W. Winckel, Aus dem Leben Casimirs, op. cit., p. 74, 79, 82.