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Pierre Poiret, le piétisme radical et la traduction allemande de l’Œconomie divine

Sebastian TÜRK

Laboratoire Lettres et Civilisations Étrangères, Université Lumière Lyon 2

1. Introduction : Pierre Poiret comme référence pour les piétistes radicaux allemands

Pierre Poiret a entretenu de son vivant de multiples contacts avec des disciples et amis dans plusieurs pays européens, et il jouit d’une postérité importante dans certains milieux spirituels au sein de l’espace protestant. Ces contacts et filiations ont déjà été retracés avec beaucoup de détails par Marjolaine Chevallier1. Ce qui nous intéresse dans le présent article, c’est la réception de Pierre Poiret en Allemagne et, plus précisément, au sein du piétisme radical. Dans un premier temps, nous voulons brièvement rappeler pourquoi les radicaux allemands ont pu s’intéresser à Poiret, avant de retracer la genèse d’une traduction de l’Œconomie Divine (1687) de Poiret au sein de ce milieu spirituel, et d’analyser enfin comment les traducteurs piétistes ont transposé le texte original en langue allemande.

Quand nous parlons du « piétisme radical » comme milieu de réception de Poiret en terre germanique, nous mobilisons un concept utilisé par la recherche théologique allemande, et qui essaie de tenir compte du fait que le réveil piétiste dans les pays germaniques a revêtu dès la fin du XVIIe siècle des formes dites « radicales » qui – même si les frontières entre divers courants se révélaient souvent poreuses2 – se sont manifestées notamment par une distance vis-à-vis de l’Église qui pouvait aller jusqu’au séparatisme, ainsi que par une critique de l’administration orthodoxe de la vérité religieuse et une relativisation de la portée des dogmes. Cela a encouragé parmi les radicaux une recherche « impartiale » des témoignages de vérité religieuse au-delà des frontières confessionnelles3. Les piétistes radicaux pouvaient trouver dans les ouvrages de Poiret, ainsi que dans ses éditions d’écrits mystiques souvent de provenance catholique, des réflexions sur différentes problématiques qui les intéressaient de près. Le théologien Gottfried Arnold (1666-1714), qui critiquait le supposé dogmatisme et formalisme de l’orthodoxie luthérienne, a par exemple apprécié Pierre Poiret comme l’apologète d’une théologie mystique qui s’affranchit des dogmes confessionnels4. Arnold a incorporé dans son Histoire de la théologie mystique (version latine en 1702, version allemande en 1703) des réflexions de Poiret sur ce sujet5. Dans les milieux radicaux, Poiret est connu aussi comme le disciple et l’éditeur d’Antoinette Bourignon (1616-1680) et de Mme Guyon (1648-1717), deux écrivaines mystiques françaises dont les écrits circulaient largement dans les cercles hétérodoxes de l’espace protestant européen6. Prenons l’exemple de Nicolas Samuel de Treytorrens (1671-1728). Ce piétiste radical d’origine vaudoise, s’est adressé tout naturellement à Poiret afin de se renseigner sur les différences entre les thèses d’A. Bourignon et de Mme Guyon7.

Enfin, Poiret est devenu lui-même une référence en tant qu’auteur d’ouvrages religieux comme l’Œconomie divine de 1687 que nous avons déjà mentionnée. Il s’agit d’un vaste ensemble en sept volumes, rempli de réflexions sur la vie mystique comme de spéculations hétérodoxes sur la création du monde et de l’homme8, et donc de thématiques susceptibles d’intéresser les piétistes radicaux. Une traduction allemande de l’Œconomie divine a vu le jour après la mort de Poiret, entre 1735 et 1742, dans la ville de Berlebourg, la capitale du comté allemand de Sayn-Wittgenstein-Berlebourg9. Sous la régence particulièrement tolérante du comte Casimir (1687-1741), Berlebourg devint justement un centre important du piétisme radical10 et de sa production littéraire : dans l’imprimerie de la ville parut entre autres la Bible de Berlebourg (8 vol. 1725-1742), une nouvelle traduction de l’Écriture accompagnée d’un vaste commentaire hétérodoxe qui s’est partiellement inspiré des commentaires bibliques de Mme Guyon11. Le comte Casimir a activement collaboré à ce projet, en traduisant les commentaires guyoniens12. De plus, l’officine de la ville, reprise en 1733 par l’imprimeur Christoph Michael Regelein, a produit dans les années 1730 une série d’écrits mystiques de provenances diverses, à l’image d’une sélection de textes du « directeur de conscience » de Mme Guyon, Jacques Bertot (1622-1681), édité d’abord en français sous le titre Le Directeur Mistique (1726), et quatorze ans plus tard dans une traduction allemande effectuée par Johann Friedrich von Fleischbein (1700-1774)13. Ce personnage proche du milieu wittgensteinois, seigneur d’un château situé à quelques lieues de Berlebourg, était un ardent disciple de Mme Guyon. Il traduisit aussi la plupart des ouvrages rédigés dès 1735 par Charles-Hector de Saint-George de Marsay (1688-1753), un réfugié huguenot qui, converti en écrivain mystique, fut également largement influencé par les écrits de Mme Guyon14. Fortement impliqué dans la production et la traduction d’ouvrages mystiques et hétérodoxes à Berlebourg, Fleischbein a également joué un rôle important dans le projet d’une version allemande de l’Œconomie divine de Poiret.

2. La traduction allemande de l’Œconomie Divine : le projet et sa réalisation

Il apparaît en effet qu’une première initiative en vue de cette traduction revient à Fleischbein. Celui-ci s’est adressé en 1733 à Otto Homfeld (1662-1740), l’un des principaux disciples de Poiret avec lesquels ce dernier vivait dès 1688 en communauté à Rijnsburg (Pays-Bas). Le cercle subsista après la mort de Poiret en 171915. Si les lettres de Fleischbein sont malheureusement perdues, nous détenons une réponse d’Homfeld qui date du 26 mars 173316. Dans cette lettre, Homfeld évoque et approuve le projet de son correspondant consistant à traduire l’Œconomie divine et à commencer cette traduction par le 5e tome, et mentionne la volonté initiale du libraire francfortois Paul Heinrich Hort de faire imprimer cette traduction. Hort en aurait cependant été empêché par une maladie17. Enfin, Homfeld donne des conseils sur la manière de traduire l’OD, affirmant qu’il « serait bien de ne pas se lier strictement aux mots, mais de s’orienter plutôt à la langue allemande et au sens de l’auteur »18. Le fait qu’il conseille en outre de laisser des mots « inhabituels » en latin ou de citer le latin avec l’allemand19 laisse penser qu’Homfeld table sur une traduction faite à partir de la version latine de l’OD (1705) qu’il a lui-même réalisée20, ou qu’il envisage au moins que Fleischbein s’aidera de cette version latine.

Le projet se concrétisa par la suite. Fleischbein a traduit dès 1733, comme annoncé à Homfeld, le 5e tome de l’Œconomie divine, imprimé en allemand en 173621. Fleischbein n’a pourtant pas été le seul traducteur de l’ouvrage. Le 1er tome imprimé en 1739 a été transposé en allemand par Johann Christian Edelmann (1698-1767) qui signe sur la page de titre : « quelqu’un qui cherche la vérité en simplicité chrétienne », ce qui donne en allemand : « von einem der in Christlicher Einfalt Wahrheit sucht » [= Iohann Christian Edelmann aus Weißenfels]22. Edelmann, un ancien étudiant de théologie qui a développé des positions hétérodoxes suite à sa lecture de Gottfried Arnold, est arrivé en 1736 à Berlebourg où il fréquenta les cercles radicaux et devint aussi un collaborateur de la Bible de Berlebourg. Les quatre volumes restants (t. 6, 1735 ; t. 2-3 et 7, 1742) ont été très vraisemblablement traduits par deux autres personnes dont l’identité reste à ce stade une énigme que des recherches ultérieures devront résoudre23.

Enfin, bien qu’il ne figure pas parmi les traducteurs, la participation de l’écrivain spirituel Gerhard Tersteegen (1697-1769) au projet est attestée. Il s’agit d’un autre grand amateur des ouvrages de Mme Guyon qui était également en contact avec le cercle des disciples de Poiret à Rijnsburg. Dans cette lettre, Tersteegen affirme avoir communiqué ses réflexions au sujet de la traduction de l’OD non seulement à Otto Homfeld, mais aussi à Johann Samuel Carl (1677-1757), médecin, personnage important du milieu piétiste de Berlebourg et éditeur de leur revue « FAMA spirituelle »24.

Pour ce qui est du lieu d’impression et de son financement, l’idée initiale d’une publication à Francfort a été abandonnée. Comme nous l’avons dit d’emblée, la traduction de l’œuvre de Poiret a vu le jour à Berlebourg dans l’officine de Christoph Michael Regelein. La presse berlebourgeoise travaillait à l’époque en grande partie pour une maison d’édition locale bien implantée dans le marché du livre piétiste25 : celle de Johann Jacob Haug (1690-1756) qui collaborait étroitement avec son frère aîné Johann Friedrich (1680-1756), théologien et par ailleurs éditeur de la Bible de Berlebourg26. Nous savons en effet que Johann Friedrich Haug s’intéressait à Poiret27, et qu’il a fait avancer le projet en attribuant à Edelmann la tâche de continuer la traduction de l’OD28. Financièrement très impliqué dans la production de la Bible de Berlebourg, la maison d’édition Haug a dû récolter les fonds nécessaires à l’impression de la traduction de l’OD grâce aux précommandes29. Un appel à précommandes, imprimé à Berlebourg en 1734, est également mentionné par Gerhard Tersteegen, qui s’est engagé à le distribuer parmi ses amis30. Ce procédé témoigne d’un recours à des canaux de financement et distribution extra-institutionnels, à travers les réseaux étroits tissés entre piétistes (radicaux), ce qui est caractéristique du « marché spécial » du livre piétiste31.

3. Le traitement du texte de Poiret par ses traducteurs piétistes Fleischbein et Edelmann

La thèse selon laquelle l’édition allemande de l’OD s’adresse en priorité à un lectorat piétiste radical est aussi corroborée par le contenu des préfaces que les deux traducteurs identifiés Fleischbein et Edelmann ont respectivement rédigé pour les versions allemandes du 5e et du 1er tome de l’OD. Les deux soulignent l’utilité de l’ouvrage de Poiret pour des personnes à la recherche de la vérité religieuse32. Fleischbein relie son apologie de l’ouvrage, qui contiendrait un « système complet, bref et clair de toute la véritable science divine » [« ein vollkommenes, kurtzgefaßtes und deutliches, Systema der gantzen Wahren Gottes = Gelehrtheit »]33, à une critique radicale des théologiens orthodoxes et de l’Église34. Le terme « vérité » nous paraît très intéressant : Car cette « vérité » que les traducteurs voient contenue dans l’OD n’est ni celle qui est prônée par les théologiens de l’Église, ni celle que recherchent les philosophes. Elle échappe à toute érudition humaine, car elle peut uniquement être dévoilée par Dieu. Pour Edelmann, Dieu est « la source de toute la sagesse secrète et cachée » [« GOTT [ist der] Brunn = Quell aller heimlichen und verborgenen Weißheit »35]. Fleischbein range implicitement Poiret parmi les écrivains « mystiques » et « illuminés » qui auraient reçu la lumière divine36.

Cependant, Poiret lui-même ne s’est jamais présenté comme un tel « illuminé »37. Si, dans l’OD, il subordonne la raison à la foi et fustige les philosophes qui « n’adhèr[ent] qu’à l’Idole de la Raison humaine & corrompue »38, il avoue néanmoins faire lui-même usage « de la Raison & de son activité »39 pour combattre dans l’OD les « méchans » qui calomnient les vérités religieuses40 en quelque sorte sur leur propre terrain et par leurs propres armes. Mais n’y a-t-il pas une tension entre l’inspiration divine de la vérité et son agencement systématique et rationnel dans le volumineux traité de l’ancien cartésien Poiret ? Celui-ci avait lui-même imaginé les possibles critiques de son procédé par des personnes qui « pourront dire, A quoi bon tant de spéculations & tant de subtilité ? »41. Pour s’en protéger, il se présente ouvertement comme disciple de la mystique Antoinette Bourignon42, qui prétendait avoir reçu des révélations sur certains sujets repris dans l’OD43. De plus, Poiret écrit que les personnes « qui n’ont point étudié » pourraient « passer par dessus ce qui leur semblera d’abord obscur », notamment dans les deux premiers volumes qui traitent la création et le péché originel et qui contiennent selon l’auteur « quelque chose de plus abstrait & de métaphysique »44.

Edelmann, le traducteur du 1er volume de l’OD, énonce ouvertement le problème du langage compliqué de ce traité, en mentionnant dans sa préface le caractère « profond » d’un texte qu’il qualifie de métaphysique et de difficile à saisir même pour des personnes bien instruites45. Quant à Fleischbein, il associe l’OD plutôt aux écrits « mystiques » dont le langage pourrait scandaliser les personnes inexpérimentées46. Les traducteurs recourent à un éventail de stratégies diverses pour transposer en langue allemande et, à notre avis, pour mettre plus à la portée des lecteurs les propos de Poiret qui pour eux, d’une manière ou d’une autre, ne sont pas sans poser problème. Ironiquement, ces stratégies renforcent le caractère paradoxal d’un texte présenté comme le témoignage d’une vérité non accessible à l’effort studieux de l’homme et pourtant enveloppée dans un traité aux aspects « savants ».

Sans vouloir entrer dans une étude linguistique détaillée, nous proposons à titre d’exemple quelques analyses des traductions effectuées par Fleischbein et Edelmann. Les deux traducteurs ont consulté la traduction latine d’Homfeld à côté du texte original français qui leur sert pourtant de base. Fleischbein affirme dans sa préface avoir cherché à exprimer le sens de l’original et l’opinion de l’auteur de manière correcte et claire47, ce qui correspond au conseil d’Homfeld qui lui avait enjoint de ne pas se lier strictement aux mots de Poiret, mais d’en rendre le sens48. Quant à Edelmann, il écrit s’être limité à la « simple traduction », en expliquant ici et là « le plus difficile » au moyen de brèves annotations49, ce qui – comme nous allons le voir – ne correspond pas tout à fait à la réalité. Cette supposé fidélité au texte original ne doit, de toute manière, pas être prise au pied de la lettre dans le contexte d’un XVIIIe siècle où les traducteurs en avaient une conception moins contraignante50.

Entrons donc dans l’analyse des traductions. Celle-ci nous montre d’abord que nous sommes en effet loin d’une traduction littérale qui se caractérise selon le linguiste Andrew Chesterman par un respect maximal de la forme du texte original51. On remarque vite les nombreuses libertés qu’Edelmann et Fleischbein s’accordent, suivant en cela les habitudes de l’époque52. Sur le plan syntaxique par exemple, ils changent fréquemment les catégories grammaticales ou les structures des phrases :

Poiret OD 5 FR, p. 1 : « Dieu ne sçait presque que faire de l’homme [...] depuis que cette méchante créature s’est avisé de se détourner de luy & de se vouloir damner ». Fleischbein OD 5 ALL, p. 3 : « Nachdem der Mensch, das boshafftige Geschöpff, sich einmal in den Sinn genommen, GOTT dem Herrn den Rücken zu kehren, und sich in de Verdammniß zu stürtzen, so weiß er [...] fast nicht mehr, was er mit ihm anfangen sole ». [La structure proposition principale + subordonnée est inversée dans la traduction allemande.]

Sur le plan lexical, la transposition des mots supposément « difficiles » de Poiret passe par différentes stratégies. Pour certains termes, Edelmann et Fleischbein ne proposent pas de traduction allemande, mais les rendent en latin. Ce procédé concerne souvent des termes issus du domaine philosophique, voire théologique. Dans la traduction d’Edelmann, nous trouvons par exemple « Metaphysici » (OD 1 ALL, p. 11) ou « Sceptici » (p. 78). Puisque la présence de tels termes latins était tout à fait usuelle dans les écrits allemands du domaine savant au sens large, il s’agit également d’une sorte de filtrage culturel, c’est-à-dire d’une stratégie pragmatique qui vise selon A. Chesterman à conformer le texte original aux normes de la communauté linguistique visée53. Parfois, Edelmann et Fleischbein accompagnent aussi les mots latins et français d’une traduction allemande. Cette stratégie de « double représentation »54 semble également concerner avant tout des termes d’un registre soutenu, mais assez polyvalents pour qu’une précision à l’attention du lectorat germanophone puisse avoir du sens. Quand Poiret évoque par exemple plusieurs « périodes » de l’économie divine dans le sens de plusieurs étapes dans un cycle temporel, Fleischbein traduit par « Zeitlauf oder Periodus » (OD 6 ALL, p. 94), le substantif allemand « Zeitlauf » précisant le sens de periodus temporis55.

Si ces procédés gardent le sens du texte original, la transposition du discours de Poiret en allemand ne se fait pourtant pas sans déformations sémantiques. Fleischbein, qui a affirmé dans sa préface son souci de rendre le sens du texte original de manière correcte, n’hésite pas à intensifier fréquemment les propositions de Poiret par des expressions plus vives ou par des ajouts56. Voici un exemple :

Poiret OD 5 FR, p. 2 : « [...] mais tous reviennent enfin à un méme état de corruption devant Dieu [...] ». Fleischbein OD 5 ALL, p. 94 : « [...] aber sie kommen endlich alle wieder in gleichen Verfall und in einerley Stand des Verderbens vor Gott [...] » [= « Mais tous reviennent enfin à la même déchéance et à un même état de corruption devant Dieu » ; ajout de l’expression « à la même déchéance »].

On trouve le même procédé chez Edelmann. Là où Poiret écrit dans le 1er tome de l’OD qu’il y aurait « de la contradiction » à douter de l’existence de soi-même57, Edelmann traduit qu’une telle pensée ne serait pas seulement « contradictoire » [« sich selbst widersprechend »], mais aussi « absurde » [« närrisch »]58, renforçant l’affirmation initiale de Poiret par l’ajout d’un adjectif. Nous ne pouvons que spéculer sur les motifs des traducteurs. Leur procédé peut s’expliquer comme une volonté d’« améliorer » le texte, qui a motivé bien de traducteurs de l’époque même s’ils prétendaient être fidèles à l’original59, et en l’occurrence comme une stratégie pragmatique visant à rendre l’argumentation de Poiret plus explicite aux lecteurs, dont le supposé goût – les textes piétistes développaient leurs arguments souvent avec emphase – a également pu influencer les traducteurs.

Enfin, une stratégie importante des traducteurs visant à éclairer l’argumentation de Poiret pour les lecteurs consiste en l’ajout d’informations supplémentaires dans de nombreuses notes de bas de page qui ne se trouvent pas dans le texte original. C’est là que réside une différence importante entre Fleischbein et Edelmann. Le premier se contente dans ses notes d’indiquer les passages bibliques, ainsi que les auteurs et ouvrages souvent implicitement mentionnés par Poiret. Rarement, Fleischbein ajoute aussi des citations prises dans des ouvrages auxquels Poiret fait référence60, ou bien il définit certains termes « savants »61. S’il intensifie dans sa traduction certains propos de Poiret, ce qui peut bien trahir sa compréhension du texte ou celle qu’il souhaite en donner aux lecteurs, Fleischbein n’ose pas pour autant commenter le texte dans ses notes de bas de page. Beaucoup plus intéressantes sont en comparaison les notes insérées par Edelmann qui, comme d’autres traducteurs allemands du siècle des Lumières, aime y étaler son érudition62. Dans ses notes, il ne fournit pas seulement des informations bibliographiques et explications terminologiques plus complètes que Fleischbein, mais il propose aussi de véritables commentaires qui visent à éclairer les lecteurs sur tel ou tel point d’achoppement dans l’argumentation de Poiret. Edelmann interprète pour les lecteurs les propos de Poiret lorsque ceux-ci lui paraissent particulièrement « obscurs » ou « subtils »63, et se livre parfois à des appréciations très subjectives du texte original. Par exemple, Edelmann disqualifie un long développement de Poiret sur la différence entre l’essence de Dieu et l’idée que les créatures s’en font : « Toute cette réflexion bizarre ne mérite guère d’être traitée aussi exhaustivement que le fait l’auteur. »64

Nous constatons donc que, globalement, les traductions effectuées par Fleischbein et Edelmann ne cherchent pas à être une transposition fidèle de la forme du texte de Poiret en langue allemande. Les traducteurs visent à rendre le sens du texte original, voire à le rendre plus explicite à leurs lecteurs, d’où probablement une tendance à l’intensification des propos de Poiret, et aussi l’insertion d’informations supplémentaires dans les nombreuses annotations qui fournissent des indications bibliographiques permettant au lecteur d’aller chercher plus loin ou définissant certains termes. Edelmann va encore plus loin en ce qu’il propose des commentaires interprétatifs du texte de Poiret. Essayons maintenant de contextualiser les résultats de notre analyse pour aboutir à une piste de réflexion plus large.

4. Conclusion : du piétisme radical aux Lumières

Pierre Poiret et ses admirateurs piétistes allemands, tous amateurs de la tradition mystique, partagent une conviction épistémologique selon laquelle la vérité échappe entièrement aux laborieuses réflexions entreprises par les érudits, qu’ils soient des théologiens de formation ou des philosophes, en ce qu’elle est uniquement accessible par l’illumination divine. Cela n’a pourtant pas empêché les radicaux de témoigner à leur tour de cette vérité au moyen de gros livres et de longues réflexions. Voilà le caractère paradoxal de l’OD de Poiret qui se trouve encore renforcé par le travail des traducteurs piétistes Fleischbein et – surtout – Edelmann qui recourent à des stratégies érudites afin de mettre le texte plus à la portée de leurs lecteurs. Les attitudes de deux hommes sont en effet différentes : tandis que Fleischbein – pour qui l’OD témoigne des vérités fondamentales qu’il ne faut pas juger mais uniquement accepter65 – se garde en général de commenter le texte, Edelmann propose aux lecteurs non seulement de bien plus nombreuses explications terminologiques, mais interprète aussi certains propos de Poiret.

C’est sur ce point que nous trouvons intéressant d’établir un parallèle avec le plus important projet éditorial du piétisme radical allemand auquel Edelmann fut également associé : la Bible de Berlebourg. Comme l’écrit l’historien Jonathan Sheehan dans son étude de la « Bible des Lumières », la traduction de Berlebourg a établi un lien de prime abord paradoxal entre « la théologie enthousiaste et l’étude savante » [« enthousiastic theology and scholarly inquiry »]66. Car pour faire ressortir le « vrai » sens de l’Écriture derrière ce qu’ils percevaient comme un mur d’érudition érigé par la théologie institutionnelle, les rédacteurs de la Bible de Berlebourg ont accompagné le texte biblique d’un vaste commentaire qui fait paradoxalement preuve de l’érudition même qu’ils dévalorisaient. D’après Sheehan, il s’agit d’une véritable « encyclopédie de l’interprétation de la Bible » dont le contenu alternait entre allégorèse spiritualiste et mystique, détails historiques et numérologiques etc., en mobilisant des sources allant de Platon à Mme Guyon. Selon Sheehan, ce fut la première fois qu’un si riche matériau d’exégèse biblique a été présenté en langue vernaculaire et donc popularisé à l’attention des laïcs, tout comme les techniques et stratégies employées par les exégètes, qui pour certains étaient eux-mêmes des laïcs comme Edelmann qui n’a jamais achevé ses études de théologie67. Ainsi, la Bible de Berlebourg, à l’origine un projet d’« enthousiastes » religieux, a contribué pour sa part à saper l’autorité dogmatique exercée sur les textes religieux au profit d’examens faits par des laïcs, ce qui apparaît tout à fait en phase avec le processus d’autonomisation de l’individu et de ses facultés qui caractérise l’époque des Lumières dans son ensemble68.

Que le mouvement des Lumières et le piétisme radical aient pu partager les mêmes préoccupations ne veut pas dire qu’un tel rapprochement virtuel ait pu déterminer la conscience des acteurs historiques et que la frontière entre ces milieux fût fluide. Cependant, on ne peut nier que le décloisonnement du savoir religieux et l’incitation à son examen par des laïcs comporte aussi une dimension critique qui peut potentiellement s’émanciper de ses fondements « enthousiastes » et remettre en question ce savoir même que les piétistes voulaient libérer de l’emprise de l’institution. Nous conclurons ainsi notre propos en rappelant que Johann Christian Edelmann, collaborateur de la Bible de Berlebourg et traducteur/commentateur de l’Œconomie divine, se détourne par la suite du milieu piétiste pour se muer en rationaliste et représentant radical des Lumières69, passant ainsi « d’une critique interne du christianisme et plus spécialement de l’orthodoxie luthérienne » à « une critique externe du christianisme, fondée sur la raison »70.

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1Marjolaine Chevallier, Pierre Poiret (1646-1719). Du protestantisme à la mystique, Genève, Labor et Fides, 1994, p. 127-151. Voir aussi de la même autrice : « Pierre Poiret et le piétisme », in : Anne Lagny (éd.), Les piétismes à l’âge classique. Crise, conversion, institutions, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2001, p. 317-333.

2La recherche récente a ouvert des perspectives pour envisager le piétisme allemand dans sa globalité comme un réseau aux contours souples, en mettant l’accent sur les contacts et les passages entre centres et courants piétistes, et sur la perméabilité des frontières avec d’autres mouvements spirituels aux niveaux européen et transatlantique. Voir Ulrike Gleixner, « Potenziale eines Konzepts “Pietismus als Netzwerk” für die Pietismusforschung », in : Pia Schmid et al. (éds), Gender im Pietismus. Netzwerke und Geschlechterkonstruktionen, Halle, Verlag der Franckeschen Stiftungen, 2015, p. 3-17.

3Sur le concept du piétisme radical voir Hans Schneider, « Rückblick und Ausblick », in : Wolfgang Breul, Marcus Meier et Lothar Vogel (éds), Der radikale Pietismus. Perspektiven der Forschung, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2010, p. 451-469, ici p. 458 sq. Voir aussi Hans-Jürgen Schrader, Literaturproduktion und Büchermarkt des radikalen Pietismus. Johann Henrich Reitz’ « Historie der Wiedergebohrenen » und ihr geschichtlicher Kontext, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1989, p. 58-63.

4Sur la réception de Poiret par Gottfried Arnold, voir Hanspeter Marti, « Jesuiten im Blickfeld des radikalen Pietisten Gottfried Arnold. Konfessionalistische Abgrenzung und mystisch-spirituelle Solidarität », in : Antje Milßfeldt (éd.), Gottfried Arnold. Radikaler Pietist und Gelehrter. Jubiläumsausgabe von und für Dietrich Blaufuß und Hanspeter Marti, Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau, 2011, p. 106-130.

5Pierre Poiret, « Solida Defensio Theologiae Mysticae, cum una Epistola de Principiis et Characteribus Praecipuorum Scriptorum de rebus Mysticis et Spiritualibus qui postremis hisce seculis vixerunt », in : Gottfried Arnold, Historia Et Descriptio Theologiae Mysticae, Francfort/M. T. Fritsch, 1702, p. 430-645, et Pierre Poiret, « Verthädigung der mystischen Theologie », in : Gottfried Arnold, Historie und Beschreibung der Mystischen Theologie, Francfort/M. T. Fritsch, 1703. Ces réflexions de Poiret sur la théologie mystique ont été publiées pour la première fois dans sa « Préface apologétique sur la Théologie Mystique » dans La Théologie réelle, Amsterdam, J. H. Wetstein, 1700.

6Sur la diffusion de l’œuvre d’Antoinette Bourignon et ses contacts avec des disciples internationaux voir Mirjam De Baar, « Ik moet spreeken ». Het spiritueel leiderschap van Antoinette Bourignon (1616-1680). Het spiritueel leiderschap van Antoinette Bourignon (1616-1680), Zutphen, Walburg, 2004, p. 275-352. Sur la postérité de Madame Guyon parmi les piétistes allemands voir Hans-Jürgen Schrader, « Madame Guyon, Pietismus und deutschsprachige Literatur », in : Hartmut Lehmann et al. (éds), Jansenismus, Quietismus, Pietismus, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2002, p. 189-225.

7Les lettres de Treytorrens à Poiret sont malheureusement perdues. Mais nous détenons deux lettres de réponse de Poiret (Rijnsburg, 24 août et 15 décembre 1717, BCU Lausanne, TP 1029/2,3). C’est dans la seconde lettre que Poiret aborde les différences entre A. Bourignon et Mme Guyon. Sur cette lettre voir aussi Marjolaine Chevallier, « Madame Guyon et Pierre Poiret », in : Joseph Beaude et al. (éds), Madame Guyon. Rencontres autour de sa vie et son œuvre, Grenoble, J. Million, 1997, p. 35-51, ici p. 48 sq.

8Voir M. Chevallier, Pierre Poiret, op. cit., p. 82 sq.

9Pierre Poiret, Die Göttliche Haushaltung [...], six traités répartis en sept volumes, Berleburg, [C. M. Regelein], 1735-1742. Par la suite, nous citons « OD », suivi du numéro du volume et d’une indication de la version française (« FR ») ou allemande (« ALL »).

10Parmi la littérature abondante à ce sujet, voir notamment Hans-Jürgen Schrader, « Zores in Zion. Zwietracht und Missgunst in Berleburgs toleranz-programmatischen Philadelphia », in : Johannes Burkardt et Bernd Hey (éds), Von Wittgenstein in die Welt. Radikale Frömmigkeit und religiöse Toleranz, Bielefeld, Luther-Verlag, 2009, p. 157-193, et Ulf Lückel, Adel und Frömmigkeit. Die Berleburger Grafen und der Pietismus in ihren Territorien, Siegen, Vorländer, 2016.

11Voir les analyses faites par Jean-Marc Heuberger, « Les commentaires bibliques de Madame Guyon dans la Bible de Berlebourg », Revue de Théologie et de Philosophie 133 (2001), p. 303-323.

12Voir la contribution de Xenia von Tippelskirch dans le présent volume.

13Jacques Bertot, Der von Gott erleuchtete Führer in denen geheimen Wegen des mit Christo in GOTT verborgenen Lebens, vorgestellet in einem Auszug aus denen Schrifften des Hn. Bertot, Le Directeur Mystique. Aus dem Französischen in die teutsche Sprach übersetzt. Erster Theil, Berlebourg, C. M. Regelein, 1740. Fleischbein affirme sa responsabilité pour cette traduction dans une lettre adressée à son ami Georg Ludwig von Klinckowström, Pyrmont, 29 octobre 1762 (BCU Lausanne, TS 1913/1/3).

14Au château de Hayn s’est constituée dans les années 1730 une communauté spirituelle autour de Fleischbein et de Marsay, les « Associés à l’Enfance de Jésus », qui s’efforcèrent de mettre en pratique les préceptes spirituels de Mme Guyon. Voir Michael Knieriem et Johannes Burkardt (éds), Die Gesellschaft der Kindheit Jesu-Genossen auf Schloß Hayn, Hannover, Wehrhahn, 2002. Voir aussi Xenia von Tippelskirch, « Die “Gesellschaft der Kindheit Jesu-Genossen” aus geschlechtgeschichtlicher Perspektive », in : P. Schmid et al. (éds), Gender im Pietismus, op. cit., p. 193-209.

15Sur le cercle de Rijnsburg voir M. Chevallier, Pierre Poiret (1648-1719), op. cit., p. 69-83.

16Lettre d’Otto Homfeld à Johann Friedrich von Fleischbein, Rijnsburg, 26 mars 1733 (BCU Lausanne, TP 1029/8). La BCU Lausanne possède aussi une lettre d’Homfeld à Karl Sigismund Prueschenk von Lindenhofen (ca. 1686-1744), le gendre de Fleischbein qui vivait également au château de Hay et partageait la sensibilité religieuse de son beau-frère.

17Lettre d’Otto Homfeld à Johann Friedrich von Fleischbein, Rijnsburg, 26 mars 1733 (BCU Lausanne, TP 1029/8). Le libraire Hort devait être Paul Heinrich Hort, propriétaire d’une libraire co-gérée avec Johann Benjamin Andrae (?-1778). Voir David L. Paisey, Deutsche Buchdrucker, Buchhändler und Verleger 1701-1750, Wiesbaden, Harrassowitz, 1988 p. 4. Andreae et Hort ont édité des ouvrages très divers, d’un texte du philosophe rationaliste Christian Wolff (Ausführliche Nachricht von seinen eigenen Schrifften [...], 2e éd. 1733) à la réédition d’un traité du piétiste radical Gottfried Arnold (Theologia experimentalis: das ist : geistliche Erfahrungslehre [...], 1735).

18Ibid. Extrait original : « Übrigens bin [ich] mit H[err]n von Pruschenk allerdings der Meÿnung das es gut wäre sich an die worte so stricte nicht zu binden, sondern vielmehr nach der Teutschen Sprach zu richten u.[nd] mehr auf den sensum Auctoris zu sehen. »

19Ibid.

20Petri Poiret Œconomia Divinae [...], trad. par Otto Homfeld, Frankfurt/M., T. Fritsch, 1705, six traités répartis en deux volumes.

21Fleischbein se souvient en 1762 dans une lettre à Georg Ludwig von Klinckowström (voir supra, note 13) de l’année 1733 : « Je passais les journées dans la chambre de ma mère et je travaillais à la traduction du 5e tome de l’Œconomie divine de Pierre Poiret. » Extrait original : « In dem Gemach meiner Mutter war ich den tag über und arbeitete an der Übersetzung de V Toms P.[ierre] Poiret Oeconomie Divine. »

22Voir aussi H.-J. Schrader, Literaturproduktion, op. cit., p. 215.

23Le traducteur du 6e tome, qui se désigne lui-même sur la page de titre par l’expression « amateur de la vérité impartiale » [« Liebhaber der unpartheyischen Wahrheit »], écrit dans sa préface que les traductions des tomes 5 et 6 ont été commencées indépendamment par deux personnes différentes qui y travaillaient presque en même temps, mais sans avoir eu d’abord connaissance du travail de l’autre (voir OD 6 ALL, [p. IX], Préface du traducteur). Enfin, les trois tomes publiés en 1742 portent tous la même expression « fidèlement traduit en allemand » [« treulich ins Teutsche übersetzet »] sur leurs pages de titre.

24Lettre de Gerhard Tersteegen à Karl Sigismund Prueschenk von Lindenhofen, Mülheim, 11 mai 1734 (éd. par M. Knieriem et J. Burkardt, Die Gesellschaft der Kindheit Jesu-Genossen, op. cit., p. 107-112, ici p. 108).

25Sur l’importance de la maison d’édition Haug au sein du milieu piétiste (radical) voir H.-J. Schrader, Literaturproduktion, op. cit., p. 227-238.

26Originaire de Strasbourg, la famille d’imprimeurs-libraires Haug est arrivée au début des années 1720 à Berlebourg. Selon Hans-Jürgen Schrader, les frères Johann Friedrich et Johann Jacob Haug ont acquis « une influence considérable sur la production de l’imprimerie locale ». Ibid., p. 228.

27Le piétiste radical Charles-Hector de Marsay écrit dans une lettre adressée au pasteur bâlois Hieronymus Annoni, Berlebourg, 2 juin 1735 (Bibliothèque universitaire de Bâle, NL2/FII/582) qu’il aurait communiqué une « lettre de Mr Poiret » à Johann Friedrich Haug et que celui-ci « aura soin de la faire mettre dans la fama », c’est-à-dire la « FAMA spirituelle » [« Geistliche FAMA »], la revue piétiste radical éditée à Berlebourg entre 1730 et 1744. Nous n’avons cependant pas pu trouver une lettre de Poiret dans les numéros de la FAMA spirituelle publiées après 1735.

28Edelmann se souvient dans son autobiographie [Selbstbiographie, 1752] : « Je lui [= J. F. Haug] ai traduit la première partie de l’Œconomie Divine de Poiret [...]. » Extrait original : « Ich übersetzte Ihm den ersten Theil von des Poirets seiner göttlichen Haushaltung », cité d’après H.-J. Schrader, Literaturproduktion, op. cit., p. 229.

29CfIbid., p. 473, note 245, qui cite un extrait de la « FAMA spirituelle » (vol. 14, 1734) mentionnant l’impression à Berlebourg d’un appel à précommandes qui donnerait aux personnes fortunées une occasion de soutenir financièrement la maison d’édition.

30Voir la lettre de Gerhard Tersteegen à Karl Sigismund Prueschenk von Lindenhofen, Mülheim, 24 août 1734 (éd. par M. Knieriem et J. Burkardt, Die Gesellschaft der Kindheit Jesu-Genossen, op. cit., p. 112-116, ici p. 114).

31H.-J. Schrader, Literaturproduktion, op. cit., p. 244 sq.

32Fleischbein adresse sa préface « à toutes les âmes de bonne volonté, avides de connaître l’authentique vérité des Évangiles » [« an alle gutwillige [sic], und nach der unverfälschten Wahrheit der Evangelii begierige [sic], Seelen. »] (voir OD 5 ALL, p. 3, Préface du traducteur). Edelmann indique sur la page de titre de sa traduction que celle-ci a été effectuée en raison des « excellentes vérités » [« vortreffliche Wahrheiten »] contenues dans l’ouvrage.

33OD 5 ALL, p. 6, Préface du traducteur.

34Ibid. Fleischbein désigne l’Église par la métaphore péjorative « Babel », très fréquemment utilisée par les piétistes radicaux.

35OD 1 ALL, p. 8, Préface du traducteur.

36OD 5 ALL, p. 7, Préface du traducteur. Fleichbein écrit que le lecteur doit avoir un cœur sincère pour saisir les vérités contenues dans les écrits mystiques comme l’OD et découvrir ainsi « la vive lumière divine révélée dans ce livre » [« das in diesem Buch offenbahrte göttliche helle Licht »].

37Dans l’OD 6 FR, p. 472, Poiret répond à ceux qui voient l’illumination divine comme une hérésie : « O quand viendra le temps que je pourray dire avec vérité que je suis parvenu à cette hérésie-là, qui est, ô mon Dieu, l’unique promotion que je désire et que j’espère dans cette vie. » Cité aussi par M. Chevallier, Pierre Poiret (1646-1719), op. cit., p. 245.

38OD 1 FR, Préface générale, § 19.

39OD 1 FR, Préface générale, § 35.

40Ibid.

41OD 1 FR, Préface générale, § 33.

42OD 5 FR, Préface, § 6 : « [...] je confesse ingenûment que sans les écrits & la conversation de Madlle. Bourignon, je ne sçaurois rien solidement dans les choses divines, ni mémes dans les naturelles. Toutes les vérités que j’ay proposées dans ces Traités, ne sont que des consequences des Principes que j’ay tirés d’elle, ou que j’ay trouvé ou approfondy ensuite des ouvertures d’esprit qu’elle m’a donnée pour toutes sortes des choses. »

43Par exemple l’idée d’une androgynéité primitive d’Adam. Voir Ernst Schering, « Adam und die Schlange. Androgyner Mythos und Moralismus bei Antoinette Bourignon. Ein Beitrag zum Einfluß Jakob Böhmes auf das französische Geistesleben », Zeitschrift für Religions- und Geistesgeschichte 10 (1958), p. 97-124.

44OD 1 FR, Préface générale, § 39.

45OD 1 ALL, p. 4, Préface du traducteur : « Enfin c’est en particulier la 1re partie [de l’OD] [...] qui est rédigée d’une manière si difficile et si profonde que même des hommes bien éduqués et accoutumés à la réflexion aurait du mal à entièrement saisir le véritable sens [des propos] de l’auteur. » Extrait original : « Endlich ist sonderlich der erste Theil [...] so schwer und tieffsinnig abgefaßt, daß auch wol gelehrte und im Nachsinnen geübte Männer Mühe haben dürfften, den rechten Sinn des Autoris allemal zu fassen. »

46OD 5 ALL, p. 7, Préface du traducteur.

47Voir OD 5 ALL, p. 13, Préface du traducteur.

48Voir supra, p. XX.

49Voir OD 1 ALL, p. 6, Préface du traducteur.

50Helmut Knufmann, « Das deutsche Übersetzungswesen des 18. Jahrhunders im Spiegel von Übersetzer- und Herausgebervorreden », Börsenblatt für den Deutschen Buchhandel 91 (1967), p. 2676-2716, ici p. 2695.

51Voir Andrew Chesterman, Memes of translation. The spread of ideas in translation theory, 2e éd. Amsterdam/Phildalphia, J. Benjamins, 2016, p. 91 sq.

52H. Knufmann, « Das deutsche Übersetzungswesen », art. cit., p. 2690-2695.

53A. Chesterman, Memes of translation, op. cit., p. 104.

54Ibid., p. 92.

55L’allemand de l’époque connaissait la siginification de « Zeitlauf » comme une période de temps déterminée en lien justement avec la course générale du temps (« Weltlauf »). Voir DWB 31, col. 565.

56Sur cette stratégie de traduction que Chesterman qualifie de « changement d’emphase », cf. A. Chesterman, Memes of Translation, op. cit., p. 101.

57OD 1 FR, p. 2.

58OD 1 ALL, p. 97.

59H. Knufmann, « Das deutsche Übersetzungswesen », art. cit., p. 2695.

60Voir par exemple la longue note OD 5 ALL, p. 25-28. Fleischbein reproduit au bas du texte une citation extraite de la correspondance entre Hildegard de Bingen (1098-1179) et Bernard de Clairvaux (1090-1153), issue d’une traduction allemande qui n’est pas précisée. Le texte original de Poiret mentionne cette correspondance.

61Voir par exemple la note OD 5 ALL, p. 36. Fleischbein donne une définition du terme « Simoney » [simonie].

62H. Knufmann, « Das deutsche Übersetzungswesen », art. cit., p. 2697 sq.

63Voir par exemple la note OD 1 ALL, p. 109. Edelmann y explique le sens d’une réflexion sur la faculté des hommes à contempler Dieu, car cette réflexion serait selon lui « quelque peu subtile » [« Die Sache ist etwas subtil. »].

64OD 1 ALL, p. 179. Extrait original : « Die gantze Grille ist kaum werth daß man sich so lang dabey aufhält als der Author thut. »

65Voir OD 5 ALL, p. 8-10, Préface du traducteur.

66Jonathan Sheehan, The Enlightenment Bible. Translation, Scholarship, Culture, Princeton, Princeton University Press, 2005, p. 73.

67Ibid., p. 77-85.

68Hans-Georg Kemper, Deutsche Lyrik der Frühen Neuzeit. t. 5/1. Aufklärung und Pietismus, Tübingen, Niemeyer, 1991, p. 25 sq. Sur le potentiel critique de l’épistémologie spiritualiste et son rapport avec la genèse des Lumières voir aussi l’étude de Kristine Hannak, Geist = reiche Critik. Hermetik, Mystik und das Werden der Aufklärung in spiritualistischer Literatur der Frühen Neuzeit, Berlin, De Gruyter, 2013.

69Voir Walter Grossmann, Johann Christian Edelmann. From Orthodoxy to Enlightenment, La Haye/Paris, Mouton, 1976, et Jonathan Israel, Les Lumières radicales : la philosophie de Spinoza et la naissance de la modernité, 1650-1750, Paris, Éd. Amsterdam, 2005, p. 729-735.

70Else Walravens, « La Bible chez les libres-penseurs en Allemagne », in : Yvon Belaval et Dominique Bourel (éds), Le siècle des Lumières et la Bible, Paris, Beauchesne, 1986, p. 589-598, ici p. 593.