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Pierre Poiret : le plus fidèle disciple d’Antoinette Bourignon

Mirjam DE BAAR

Faculté des Sciences Humaines, Université de Leiden

C’est en grande partie grâce à sa connaissance de l’œuvre de la mystique et prophétesse flamande Antoinette Bourignon (1616-1680) que le cartésien Pierre Poiret est devenu un fervent défenseur du mysticisme. Bourignon, qui était catholique, fille d’un marchand aisé de Lille, était convaincue qu’elle avait été appelée par Dieu à rallier les « vrais » chrétiens sur terre, avant qu’il ne prononce le Jugement dernier1. Elle se présentait comme une prophétesse dont la mission divine était de transcender les différences entre les confessions chrétiennes. Afin de divulguer son message divin, Antoinette Bourignon se rend à Amsterdam en 1667. Elle estime que la liberté de presse qui y régnait lui permettrait de publier ses écrits. Elle ne voit aucune possibilité de le faire dans les Flandres, car elle refuse de soumettre son travail à la censure ecclésiastique. Le but de son voyage est l’île Nordstrand dans le Schleswig-Holstein, où elle veut établir une communauté œcuménique ante litteram. Bien qu’elle n’ait jamais accompli cet idéal, elle réussit à attirer un groupe de fidèles grâce à la publication de ses écrits français et néerlandais dès 1669. Poiret la connut personnellement en 1676, quatre ans avant sa mort. Dans les années qui suivirent, il devint son acolyte le plus dévoué. C’est pourquoi on l’appelle parfois son « apôtre » et son « ami le plus important »2.

Max Wieser et Marjolaine Chevallier pensent tous deux que la première rencontre de Poiret avec Antoinette Bourignon a scellé un lien qui dura tout au long de leur vie3. Sans doute une telle affirmation est-elle éclairée par les activités et la contribution de Poiret à l’édition posthume des écrits de Bourignon. Cependant, il n’était nullement question qu’il assume ce rôle lors de leur première rencontre en 1676. En fait, de nouvelles recherches montrent que pendant deux ans, Bourignon n’a cessé de mettre Poiret à l’épreuve et l’a même renvoyé par deux fois avant de l’accepter comme son « enfant »4. Les lettres imprimées de Bourignon ne le montrent pas, mais le nom de Poiret et, dans certains cas, des passages entiers où ses hésitations sont mentionnées ont été supprimés avant la publication. Cela se produisit à l’époque de la préparation de la copie pour impression, dans laquelle Poiret est fortement impliqué à partir de 1678. Les épreuves auxquelles Bourignon le soumit ne le détournèrent pas d’elle, ce qui ne fait que montrer à quel point il la croyait vraiment prophétesse de Dieu : elle seule avait le pouvoir de lui montrer le chemin vers Dieu et de donner corps et forme à sa conversion. En quelques mots, cela signifiait qu’il devait renoncer à tout, y compris à son mariage, et se dévouer entièrement au service de Bourignon.

Cet article se concentre d’une part sur l’importance de Bourignon pour Poiret, et d’autre part sur la question de son rôle dans la postérité de cette mystique. Pourquoi a-t-il accepté de passer dix ans de sa vie au service de Bourignon ? Pour comprendre sa dévotion envers elle, il faut d’abord se pencher sur les années de formation de Poiret et son activité en tant que ministre réformé, lorsque ses vues théologiques académiques ont progressivement fait place à une forme de piété plus intérieure.

1. Le cartésianisme et la mystique

Entre 1664 et 1668, Poiret étudie la théologie dans deux universités réformées de renom, Bâle et Heidelberg5. À cette époque, il découvre Descartes, dont la philosophie était alors largement méconnue dans ces universités. Poiret est confirmé en 1669 et commence à prêcher dans les communautés françaises d’Otterberg, de Frankenthal, et de Mannheim6. Le 30 novembre 1670, il épouse Claudia Kin, une veuve sans enfants qui, comme lui, est originaire de Metz7. En 1672, le couple s’installe à Annweiler, une petite communauté rurale du duché de Zwei-Brücken (Duché de Deux-Ponts) dans la région du Palatinat. C’est là que Poiret commence à étudier les écrits des mystiques médiévaux tels que la Theologia Deutsch, les œuvres de Johannes Tauler, et l’Imitatio Christi de Thomas à Kempis.

Chevallier affirme que dans sa quête de vérité, Poiret avait besoin de maîtres qui puissent lui servir de guides spirituels dans une quête qui exige sobriété et ascèse. Cette recherche l’avait conduit à Descartes lorsqu’il était étudiant, et il s’est ensuite tourné vers les mystiques rhénans. Chevallier estime que les différences entre ces deux écoles de pensée n’étaient pas aussi grandes qu’elles pouvaient paraître. Descartes présente ses Méditations comme une introduction à une méthode qui consiste à rejeter les sens trompeurs afin de s’approcher de la Vérité. Les œuvres spirituelles dont Poiret était profondément touché propagent pareillement la sobriété et le renoncement à toute prétention. Au début, Poiret n’a pas réalisé que les concepts de vérité et de renoncement chez Descartes ou chez les mystiques étaient d’une autre nature. Il s’est donc d’abord accroché à la croyance qu’il pouvait être cartésien et embrasser simultanément les méthodes de ses guides spirituels. Plus tard, après avoir rencontré Bourignon, il comprend qu’il est nécessaire de prendre position, en tout cas au sujet de la raison.

Il est clair qu’à partir de 1673, Poiret traverse un processus dans lequel l’intériorisation de la piété devient de plus en plus importante. Si l’on en croit sa Vita publiée à titre posthume, la décision d’abandonner son travail paroissial et de se retirer des affaires du monde a été déclenchée par la crise qu’il a connue en 16748. Cette année-là, sa paroisse a énormément souffert de la violence de la guerre, des saccages, de la famine et des épidémies alors que la région du Palatinat était entraînée dans la guerre avec la France. Lorsque les troupes françaises ont occupé Zwei-Brücken, la position des « réfugiés » français qui y séjournaient est évidemment devenue précaire. En août de la même année, Poiret et son épouse ont failli succomber à la dysenterie. Au bord de la mort, Poiret semble alors réaliser que, jusqu’alors, l’amour de soi avait joué un rôle plus important dans sa vie que l’amour de Dieu. Cette pensée lui fait craindre d’être condamné, ce qui l’amène à promettre à Dieu que désormais il lui consacrerait entièrement sa vie, s’il survit. Il révisera également ses réflexions philosophiques encore inédites sur Dieu, l’âme et le mal. Contre toute attente, il se rétablit et, conformément à ses vœux, reprit ses études en décembre 1674. À la fin du mois de janvier 1675, Poiret est informé de la mort prématurée de son ami Daniel Spanheim de Heidelberg ; sa mort et surtout la manière « sainte » dont il est mort renforcent la résolution que Poiret avait prise lorsqu’il était lui-même au bord de la mort.

Mais ce n’est qu’après sa rencontre avec l’œuvre de Bourignon que Poiret entre réellement en action. Lors d’un séjour à Francfort au printemps 1675, il met la main sur les trois premiers volumes de La Lumière née en ténèbres, qui lui sont signalés par Johann Jakob Schütz, figure de proue du piétisme luthérien. Animé par des idéaux piétistes, Poiret retourne à Annweiler et cherche à transmettre aux membres de sa paroisse son ardent désir d’une vie plus sainte. Ceux-ci restent cependant insensibles et Poiret est d’ailleurs à nouveau assailli par le doute : comment pouvait-il penser prendre la responsabilité d’autres âmes s’il ne peut pas même être sûr de son propre salut ?

Pour l’heure, Poiret décide donc de se concentrer sur la révision de ses réflexions philosophiques, qu’il intitule Cogitationes rationales de Deo, anima et malo. Le texte s’adresse à tous les amateurs de philosophie, et en particulier aux lecteurs attirés par la pensée cartésienne. Son objectif est à la connaissance véritable Dieu et à l’établissement de la paix entre les branches belligérantes du christianisme. Poiret achève l’ouvrage en août 1675, mais la publication est retardée en raison de la guerre qui continue de sévir dans la région du Palatinat9.

Les doutes de Poiret, ainsi que son désir d’abnégation et de dévotion totale à Dieu, sont ravivés lorsqu’en décembre 1675 il commence à lire un autre ouvrage de Bourignon, Le tombeau de la fausse théologie ; un recueil épistolaire contenant des conseils spirituels à l’attention des destinataires qui, tout comme Poiret, sont aux prises avec les douleurs de l’âme et la question du salut. Cela a apparemment donné une autre tournure à ses tourments : devait-il rester pasteur ?

2. À la recherche d’Antoinette Bourignon

Poiret ne voit qu’une seule issue : celle de renoncer à son poste et de se lancer à la recherche d’Antoinette Bourignon. Apparemment, il avait les moyens de le faire, ce qui signifie probablement que son épouse disposait d’une rente personnelle. En d’autres termes, c’est en partie grâce à elle que Poiret a pu changer de voie. Le rôle de son épouse n’a jusqu’à présent reçu que très peu d’attention dans les recherches sur Poiret, si ce n’est la suggestion qu’elle ne lui a pas été d’un grand support, apparemment en raison de son insatisfaction durant les années à Annweiler10. Cependant, comme le montrent clairement les lettres de Bourignon, c’est l’épouse de Poiret qui le persuade à aller à la recherche de « La Lumière née en Ténèbres »11. Bien que ses motivations restent floues, il est certain que Claudia Poiret était elle aussi attirée par les touches de piétisme mystique présentes dans la pensée de Bourignon. Et qui sait, peut-être l’idée de trouver un nouveau but dans la vie l’attirait-elle ; peut-être espérait-elle avoir une vie qui pourrait lui apporter un épanouissement que l’existence isolée caractérisant une femme de pasteur dans une petite communauté rurale ne pouvait lui offrir.

Immédiatement après avoir fait ses adieux à la paroisse, le 1er mars 1676, Pierre et Claudia Poiret se rendent à Amsterdam avec leur servante, car ils ont compris, d’après les écrits de Bourignon, que c’est là qu’elle résidait12. À son arrivée, Poiret apprend par le docteur Justus Schrader, un disciple de Bourignon, qu’elle a quitté la ville pour le Schleswig-Holstein et qu’elle réside désormais à Hambourg. Avec Schrader comme intermédiaire, Poiret écrit à Bourignon pour se présenter et lui demander également son opinion sur le piétiste réformé Jean de Labadie, dont la pensée lui plaît beaucoup à l’époque13. Il ne savait pas que Bourignon ne voulait rien avoir à faire avec Labadie, parce que l’ancien ministre réformé s’en tenait à la doctrine de la prédestination, et aussi parce qu’elle le considérait comme un rival14.

Il faut un certain temps avant que Bourignon n’écrive une réponse, car sans l’aide de lunettes, elle n’est pas capable de déchiffrer l’écriture minuscule de Poiret15. Ayant transmis la lettre à ses disciples restés au Schleswig, elle leur demande de la transcrire et de lui transmettre la transcription. Le 19 mai 1676, elle écrit sa réponse, disant à Poiret qu’elle se réjouit de sa volonté de suivre la vérité qu’elle proclame, mais exprimant aussi sa crainte à l’idée qu’il ne soit finalement un disciple de Labadie16. Peut-être pour tempérer ses attentes et peut-être aussi parce qu’elle ne veut pas s’engager dans un débat infructueux avec un théologien réformé, elle présente également une version concise de son programme spirituel :

[Nous] ne mettons pas la vertu en des belles speculations, des beaus discours, ou une belle Théorie : mais nous la mettons (comme vous l’avez aussi remarqué) dans la mortification de la chair, & en l’mitation [sic] de Jesus Christ. Ceux qui veulent avoir le salut par un autre voye, ne doivent venir auprés de moy, puisque je n’en connois d’autre qui meine à salut17.

Ici il n’est pas question de la mystique spéculative ; il s’agit de la mortification de la chair et de l’imitation du Christ, car, tel qu’elle le soutient, il n’y a qu’une seule voie qui menait à la vie éternelle.

Poiret répond que non, il n’est pas un adepte de Jean de Labadie. Apparemment, cela rassure Bourignon, qui l’invite dans sa deuxième lettre à venir la voir à Hambourg. Une fois de plus, elle souligne que celui qui la rejoint doit être prêt à mener une vie en imitant Jésus-Christ et en pleine dévotion18. Cela ne dissuade pas Poiret, bien au contraire : il pense avoir trouvé en Bourignon non seulement une personne qui transmet un message divin, mais aussi un guide mystico-spirituel suprême. Il semble avoir pensé qu’en devenant son disciple, elle escorterait personnellement son âme sur son chemin vers Dieu.

3. Deux années de plus à l’épreuve

Enfin, Poiret rencontre Bourignon à Hambourg en juillet 167619. Très vite, elle lui fait comprendre qu’elle doute beaucoup de sa conversion, sans doute en raison de ses Cogitationes rationales encore inédites. Lorsque Bourignon découvre son discours sur Dieu dans cet ouvrage, elle en tire la conclusion qu’il n’a pu renoncer à sa « foi cartésienne » : Dieu, pense-t-elle, ne pouvait pas être connu par la raison. Poiret a apparemment d’autres vues et elle l’a donc écarté à ce moment-là. Poiret est contraint de partir, ce qui, selon toute vraisemblance, donne lieu à une annexe de dernière minute aux Cogitationes rationales lors de leur publication en 167720. Il y informe le lecteur que la doctrine de Bourignon lui a donné des raisons de reconsidérer certains de ses arguments dans le texte principal.

Ainsi, bien que Bourignon ait condamné ses vues, Poiret hésite et tente de la convaincre de ses bonnes intentions. En mars 1677, il fait savoir qu’il souhaite s’entretenir avec son nouveau mécène, Dodo II Baron zu Inn-und Knyphausen, au sujet d’une édition complète de toute son œuvre, qui devrait paraître, selon lui, chez une maison d’édition renommée. Il est de la plus haute importance, d’après lui, de partager ces écrits d’inspiration divine avec le grand public. Bourignon n’est pas insensible à cette proposition, mais bien qu’elle apprécie les idées perspicaces de Poiret, elle estime qu’il est encore loin d’être un chrétien régénéré. En avril 1677, elle écrit ce qui suit à l’un de ses confidents à Genève :

Il est vray que Dieu a donné de grandes lumieres de verité à Mr. P. [Poiret, MdB] pour découvrir les abus des doctes de ce siécle, qui sont des aveugles & grands ignorans devant Dieu : mais il n’est pas encore devenu enfant comme Jesus Christ disoit à Nicodéme qu’il falloit devenir21.

Sans doute ses réserves à l’égard de son épouse y étaient-elles pour quelque chose. Peu à peu, Claudia Poiret commence à douter du parcours que suit son mari ; elle doute que Bourignon soit vraiment le guide qu’ils recherchent. Évidemment, Bourignon n’est pas amusée. Dans une lettre du 23 mars 1677 à Knyphausen, Bourignon fait également part de ses inquiétudes au sujet de l’épouse de Poiret, se plaignant de son adhésion persistante à « une secte calviniste » et lui reprochant de contester les vérités que son mari avait trouvées dans ses écrits :

C’est domage qu’il [Poiret, MdB] a une femme encore attachée a la Secte Calvinienne, et contredit aus verités que son mari a descouvert par mes escrits, quoi qu’au commancement elle les approuvoit, et la mesme induit à me venir chercher de si loin par la lecture qu’elle avoit fait de mes escrits22.

Trois mois plus tard, Bourignon a cependant mis de côté ses objections. Ayant accepté une invitation à visiter Knyphausen dans son domaine de Lütetsburg (au sud d’Emden), elle souligne que c’est Poiret qui l’accompagna dans ce voyage en Frise orientale. Leur différence d’âge (elle avait 59 ans, lui 31) signifiait qu’il pouvait facilement passer pour son fils, lui offrant ainsi une couverture pour voyager sans entrave. Mais peu de temps après leur arrivée, les frictions reprennent. Bourignon ne cesse de reprocher à Poiret de ne pas se détacher de la pensée cartésienne et d’être encore trop attaché à son épouse. Ainsi, en septembre 1677, elle le renvoie chez cette dernière, à Hambourg.

Malgré, ou peut-être à cause de ces rejets, Bourignon continue d’exercer une attraction intacte sur Poiret. En lui envoyant des lettres de soumission et de repentir depuis Hambourg, il dit regretter le « crime » qu’il a « commis ». Il fait probablement référence à un comportement qui a amené Bourignon à douter de sa détermination à devenir un vrai chrétien et à se soumettre à sa direction spirituelle. Une fois de plus, il tache de lui prouver le contraire et lui offre ses services. Il écrit ainsi le prologue de l’édition latine de son ouvrage sur la « vraie vertu » et s’occupe de la table des matières23. Cette nouvelle preuve des bonnes intentions de Poiret convainc Bourignon que Poiret peut résister au « poison de la peste cartésienne » et retrouver la miséricorde de Dieu24. Mais elle est moins optimiste à l’égard de son épouse, dont la conduite aurait été trop peu fiable.

En février 1678, Bourignon tente de forcer son esprit. Elle qualifie le comportement de l’épouse de Poiret comme « inconstant », dit qu’elle agit au gré de sa « nature corrompue & ses passions déréglées, qui sont unies avec le Diable »25. Son propre salut doit primer, et il ne doit pas être aussi réceptif aux objections de son épouse, car, selon Bourignon, c’est la tâche des femmes que de se soumettre à la volonté de leur mari plutôt que de la contredire. Maintenant qu’il a si clairement l’intention de suivre la volonté de Dieu, alors que son épouse oppose encore résistance, il vaut donc mieux divorcer. Bourignon rappelle à nouveau à Poiret l’appel de Jésus-Christ, comme elle a toujours fait dans de telles situations : Jésus lui-même n’avait-il pas proclamé que celui qui n’abandonne pas son père, sa mère, sa femme et ses enfants par amour pour Jésus-Christ ne mérite pas d’être son disciple ?26

Claudia, qui a continué à s’opposer à l’idée du divorce, doit finalement l’accepter. La conclusion selon laquelle il s’agissait d’un mariage malheureux, comme l’affirme Max Wieser, est probablement excessive. Wieser s’appuie fortement sur une allégation d’un prétendu ami de Poiret. En 1721, deux ans après la mort de Poiret, cette personne a déclaré que son père l’avait bien connu pendant les années Annweiler27. L’épouse de Poiret aurait causé à son mari un grand malheur, par ses changements d’humeur et son mécontentement. Ce verdict va cependant à l’encontre du jugement positif de Friedrich Breckling, qui avait connu Claudia Poiret en personne. Selon lui, elle était exceptionnellement pieuse, et c’est son mari qui aurait été la source de tous les problèmes conjugaux28. En tout cas, il est très douteux qu’elle aurait divorcé sans l’intervention de Bourignon.

Dans les lettres rédigées à Bourignon depuis Hambourg, Poiret écrit qu’il espère être rétabli dans ses bonnes grâces, et qu’il aimerait s’engager dans la diffusion de ses œuvres, ne serait-ce que comme correcteur. Bien qu’elle dise être prête à lui pardonner, Bourignon ne cède toujours pas. Fin février 1678, elle écrit à son confident à Genève qu’elle ne fait toujours pas entièrement confiance à Poiret, car il est français (et elle se méfie de tout ce qui est français !) et parce qu’elle pense qu’il manque de détermination :

Mr. Poiret se repens de la mauvaise doctrine de descartes. Il m’a escrit diverses lettres avec grand submission & souhaite de retourner en grace pour estre employé a divulger mes escrits : a quoy il est assez propre de les corriger en l’impression. Mais je n’ose encore me fier à luy pour estre francois & leger au changement29.

Poiret, pour sa part, ne change pas d’avis sur Bourignon : pour lui, c’est une âme revêtue de sagesse et d’autorité divine, dont il juge le message tout à fait sincère. Il se rend compte qu’en cherchant à perfectionner sa propre âme, il doit taire sa volonté propre et obéir en tout à sa mère spirituelle. Cela explique pourquoi il est prêt à renoncer à son mariage. Il quitte définitivement son épouse dans le courant de l’année 1678 et rejoint à nouveau la communauté de Bourignon. Elle le reconnaît alors enfin comme « enfant de Dieu ». Claudia Poiret reste à Hambourg et rejoint la communauté réformée d’Altona. Pendant un an encore, elle tente de contrecarrer Bourignon30, tandis que Poiret entame l’œuvre de sa vie : il prépare l’impression de la partie des écrits de Bourignon qui n’a pas encore été publiée. À cette fin, il s’installe à Amsterdam avec l’un de ses confrères en octobre 1678. En partie grâce à leurs efforts, pas moins de dix-huit nouvelles œuvres de Bourignon furent imprimées en 1679, tandis que quatre autres publications furent réimprimées31.

4. Publication posthume de l’œuvre de Bourignon

Bourignon meurt les 30/31 octobre 1680. Quatre de ses disciples décident de continuer la communauté à Amsterdam et d’exécuter son dernier testament : l’édition, la publication et la traduction du reste de ses lettres et écrits non publiés. La coordination et l’exécution de ce projet sont presque entièrement entre les mains de Pierre Poiret. Il est la bonne personne pour les mener à bien, non seulement en raison de son dévouement total à sa mission, mais aussi parce qu’il possède les connaissances et l’expérience requises, puisqu’il connaît diverses langues et a l’avantage de l’âge et de l’énergie sur ses confrères aînés. Grâce à ses efforts, vingt nouveaux titres français sont publiés entre 1681 et 1685, auxquelles il faut ajouter douze autres réimpressions et un grand nombre d’éditions traduites en néerlandais et en allemand32.

Poiret fournit à toutes les nouvelles éditions une préface présentant l’ouvrage. Il joue principalement le rôle d’apologiste de son travail, mais dans quelques cas, ces introductions servent également l’expression de ses propres idées sociales et la manifestation de sa position anti-philosophique33. Ainsi, il s’oppose à la philosophie politique de son contemporain anglais, Thomas Hobbes, dans la préface (anonyme) de l’Avertissement d’Antoinette Bourignon, Addressé au peuple contre la secte des Trembleurs (1682). Poiret disqualifie la politique de Hobbes comme étant « Tyrannique et Diabolique » car, selon Hobbes, l’autorité suprême repose sur l’approbation du peuple et sur l’hypothèse imaginaire que chaque homme possède toutes choses en vertu du droit naturel et a donc le droit de tuer quiconque conteste cette propriété34. Poiret fournit également l’ouvrage d’un nouveau sous-titre qui indique clairement que cette œuvre représente plus qu’une attaque contre les quakers35.

De plus, en 1683 Poiret publie sous forme anonyme sa biographie de 600 pages sur Bourignon. Intitulée La vie continuée de Damlle. Antoinette Bourignon, l’ouvrage couvre – contrairement à ce que le titre laisse entendre – toute la vie de Bourignon du berceau à la mort. Il s’est inspiré de ses écrits autobiographiques et de diverses pièces qu’elle a laissées derrière elle, mais aussi de ses propres observations et expériences et de ce que d’autres lui ont dit à son sujet.

En outre, il veille à ce qu’une édition complète de l’œuvre de Bourignon en dix-neuf volumes soit publiée en 1686 par le célèbre éditeur d’Amsterdam Henry Wetstein36. Le premier volume, comprenant une préface apologétique de Poiret et deux tracts autobiographiques de Bourignon, présente son portrait gravé en frontispice. C’est le seul portrait connu de Bourignon et il a été réalisé d’après un dessin de Poiret. De plus, il cherche à attirer de nouveaux publics intéressés par sa vie et ses idées, en écrivant de courts articles et des annonces dans des périodiques internationaux. En 1685, par exemple, il publie deux pièces dans les Nouvelles de la République des Lettres, le périodique dirigé par Pierre Bayle37. Dans la même revue, il annonce également la publication des Œuvres de Bourignon dans la rubrique « Livres nouveaux » en mars 1686. Il envoie aussi un extrait de son œuvre au Journal de Leipsic38.

5. Inscrire Antoinette Bourignon dans une tradition théologique mystique

La compilation des œuvres collectées par Bourignon peut être considérée comme un effort conscient de la part de Poiret pour situer la directrice spirituelle qu’il avait tant admirée dans une tradition mystico-théologique. Il a fourni au volume 1 une longue Préface Apologétique anonyme qui précède les écrits autobiographiques de Bourignon. Le volume 2 contenait le récit de sa vie. Le titre de ces deux premiers volumes est La vie de Damlle Antoinette Bourignon. Ecrite partie par elle-méme, partie par une personne de sa connoissance39. Le titre fait clairement référence aux vitae médiévales de personnes religieuses ou de saints ainsi qu’au genre de l’hagiographie. Cette dernière présente généralement un témoin privilégié qui raconte l’histoire de la vie ; quelqu’un qui est en mesure de combiner une proximité avec la personne sainte avec un certain degré d’objectivité40. Poiret s’est sans doute reconnu dans ce rôle. Il réécrit l’histoire d’Antoinette dans sa Vita de Bourignon, en y ajoutant de nouveaux détails et en proposant des interprétations symboliques de toutes sortes d’événements. D’après Poiret, la vie de cette femme mystique était entièrement consacrée à l’illumination divine dont elle avait fait l’expérience en tant que jeune fille innocente et analphabète. Il aurait appris à la connaître comme la lumière divine qui pouvait transporter les gens sur terre vers Jésus-Christ et désormais vers Dieu. En bref, il se positionne comme le biographe qui pouvait à la fois autoriser et expliquer les expériences de Bourignon, afin que ses lecteurs comprennent sa mission donnée par Dieu et se convertissent.

En soulignant son analphabétisme et en opposant sa connaissance et son amour de Dieu à l’alphabétisation et à la vanité des maîtres de l’Église, Poiret fait de Bourignon un prototype des « théodidactes » qu’il admire41. Selon lui, Bourignon était illuminée par Dieu et, grâce à sa connaissance, elle dépassait les doctrines de tous ces théologiens qui ne cessent de se disputer42. Si ses pensées avaient été consignées par l’un des Pères de l’Église, comme Augustin ou Chrysostome, leur travail aurait été pratiquement « adoré », a-t-il affirmé. Mais le simple fait que l’auteur soit une « fille » signifie que les gens ont tendance à la juger comme étant fragile. Cependant, réplique-t-il, il aimerait voir quelqu’un qui puisse signaler un seul passage dans « tous les livres des Docteurs de tout le monde » qui pourrait se rapprocher de l’œuvre de Bourignon43.

Dans son introduction apologétique à l’œuvre de Bourignon, Poiret se fait un devoir de soutenir que celle-là témoignait d’une grande sagesse et d’un grand savoir, précisément parce qu’elle a été écrite par une femme. Cette position n’implique pas qu’il remette en cause les notions essentialistes sur le sexe féminin : lui aussi croit que les femmes étaient par nature plus dociles, réceptives et passives que les hommes. Mais pour lui, cela signifie qu’elles ont un avantage sur les hommes, puisque ces caractéristiques les rendent plus réceptives à l’illumination divine. De plus, le fait que les femmes soient moins instruites que les hommes constitue à son avis un grand avantage, car cela implique qu’elles soient à l’abri des spéculations métaphysiques vaines et trompeuses44. En se référant à l’apôtre Paul (1 Co 1, 26-27), Poiret souligne une fois de plus que Dieu se range du côté des fous et des faibles afin de faire honte aux sages et aux forts.

Toute critique possible sur le sexe de Bourignon et donc sur son autorité est ainsi contrée par Poiret avec les mêmes arguments que Bourignon avait elle-même utilisés de son vivant, bien qu’il les intégrée dans un discours systématique, approfondi et érudit. Il cite également de nombreux exemples bibliques et historiques. Il soutient que quelles que soient les « faiblesses du sexe féminin », à travers les époques, il y a toujours eu des femmes qui ont prouvé qu’elles n’étaient pas « dépourvues de capacités », même pour les questions les plus importantes. À cet égard, il mentionne Myriam, la sœur de Moïse, Hannah, la mère de Samuel, Huldah, Deborah, Judith, la Vierge Marie, Sainte Blandine et Sainte Thérèse d’Avila. Cette dernière, qui fut canonisée en 1622, était un excellent exemple : sa sainteté et son autorité étaient indiscutables45.

La défense de Bourignon par Poiret est suivie d’un exposé de sa doctrine. Avant tout, il précise qu’elle n’a jamais eu l’intention de fonder une secte. Il la disculpe également des allégations de Socinianisme (on lui reprochait d’avoir nié la Sainte Trinité et la nature divine du Christ). Il souligne que les écrits de Bourignon ne concernent qu’une seule chose : l’amour divin et le chemin vers Dieu, par le renoncement à soi et la décision de vivre dans l’isolement et sans péché46. Il affirme ainsi qu’elle était une véritable représentante de la théologie mystique, c’est-à-dire de la doctrine de la perfection spirituelle.

Plus tard, Poiret systématise la « théologie mystique » qui, contrairement à la « théologie dogmatique », se concentre sur les aspects relationnels de la pensée chrétienne. À cet égard, il parle également d’une « Théologie du cœur », soutenant que l’orthodoxie « ou croyance juste et solide » ne constitue qu’une « mince partie de la religion », voire aucune partie47. Cela rejoint la pensée de Bourignon48, qui a ainsi marqué durablement son développement intellectuel et ses propres écrits. En outre, il continue à se consacrer à la publication d’une série d’auteurs mystiques. C’est en grande partie grâce à Poiret que la spiritualité romane s’est répandue dans les pays protestants comme l’Allemagne et l’Angleterre49. Cependant, le changement de climat religieux ne favorise pas sa position et son plaidoyer en faveur de la théologie mystique est reçu avec méfiance et aversion50. À la fin du XVIIe siècle, le mysticisme devient un terme suspect dans les milieux théologiques et ecclésiastiques. Les individus et les groupes religieux qui prétendaient être dirigés par une inspiration divine étaient en outre de plus en plus associés à l’« enthousiasme », qui avait également acquis une connotation péjorative à la fin du XVIIe siècle51. À la même époque, le quiétisme est violemment combattu en France.

En d’autres termes, les efforts inlassables de Poiret pour systématiser la pensée de Bourignon et l’intégrer dans la théologie mystique vont à l’encontre des tendances croissantes de rationalisation de la théologie protestante et catholique romaine. À long terme, ses tentatives ont peut-être involontairement provoqué la marginalisation de sa pensée. D’autre part, c’est sans doute en grande partie grâce à ses efforts continus que Bourignon, qui n’a jamais systématisé sa doctrine, a pu occuper un rôle dans l’histoire de la théologie.

Conclusion

Poiret pratique de manière rigoureuse la vie de piété que Bourignon lui avait prescrite. En 1688, il se retire à la campagne pour s’installer à Rijnsburg (un petit village près de Leyde), où il achète une maison avec un jardin. Il y établit une petite communauté spirituelle avec quelques amis52. L’acquisition de cette maison donne lieu à quelques spéculations ; Bourignon lui a sûrement laissé une petite fortune53. La vérité est cependant qu’il n’a pas hérité d’un seul centime. Il est probablement devenu riche à la suite du décès de son ancienne épouse. En 1678 il lui avait coûté de la quitter à l’instigation de Bourignon, mais apparemment, Claudia Poiret a désigné son ancien mari comme son unique héritier54.

Pendant son séjour à Rijnsburg, Poiret continue à propager les idées de Bourignon dans ses propres écrits, dans des lettres aux érudits et aux dissidents religieux en Angleterre, en Écosse, en France, en Allemagne et en Suisse, et dans ses entretiens avec des visiteurs étrangers55. Il estime personnellement qu’il est de son devoir, en tant que dernier disciple, de nourrir la mémoire de Bourignon et de sa pensée, ce qu’il fait jusqu’à sa propre mort en 1719.

Ses efforts sont d’autant plus remarquables que l’on se rend compte qu’il n’était ni parmi les disciples de Bourignon depuis le début ni l’un de ses héritiers. Peut-être voulait-il prouver, même après sa mort, qu’il méritait sa confiance ? D’une manière ou d’une autre, il s’est sans doute considéré comme son héritier spirituel. C’est pourquoi il n’a pas seulement pris soin de la publication posthume de ses écrits, mais il a également défendu et systématisé sa pensée. De plus, grâce aux éditions française, néerlandaise et allemande de son œuvre ainsi qu’à une vaste biographie, Poiret réussit à susciter l’intérêt d’un nouveau public international. Non seulement il permit qu’elle ne tombât pas dans l’oubli, mais il a aussi assuré la reconnaissance publique de son travail, dont il avait la conviction qu’elle était pleinement méritée. À cet égard, il a joué un rôle essentiel et indéniable dans la postérité de Bourignon.

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1À propos de la vie d’Antoinette Bourignon, voir Mirjam de Baar, « Ik moet spreken ». Het spiritueel leiderschap van Antoinette Bourignon (1616-1680), Zutphen, Walburg Pers, 2004 ; John Björkhem, Antoinette Bourignon. Till den svärmiska religiositetens historia och psykologi, thèse de doctorat, Université de Stockholm, 1940 ; Claude Louis-Combet, Mère des vrais croyants. Mythobiographie d’Antoinette Bourignon, Paris, Flammarion, 1983 ; Marthe van der Does, Antoinette Bourignon. Sa vie (1616-1680), son œuvre, thèse de doctorat, Université de Groningen, 1974 ; Leszek Kolakowski, « Antoinette Bourignon. La mystique égocentrique », in : Id., Chrétiens sans Église. La conscience religieuse et le lien confessionnel au XVIIe siècle (1965), Paris, Éditions Gallimard, 19872, p. 640-718 ; Antonius von der Linde, Antoinette Bourignon. Das Licht der Welt, Leiden, Brill, 1895 ; Alexander R. MacEwen, Antoinette Bourignon. Quietist, Londres, Hodder and Stoughton, 1910 ; Xenia von Tippelskirch, « Antoinette Bourignon. Légitimation et condamnation de la vie mystique dans l’écriture (auto)biographique : enjeux historiographiques », in : Sylvie Steinberg, Jean-Claude Arnould (éds), Les femmes et l’écriture de l’histoire (1400-1800), Rouen, Publications des universités de Rouen et du Havre, 2008, p. 231-248 ; Xenia Von Tippelskirch, « L’échec d’une prophétesse : l’exemple d’Antoinette Bourignon dans Chrétiens sans Église de Leszek Kolakowski », Archives de Sciences Sociales des Religions 166 (2014), p. 129-142. À propos de la correspondance d’Antoinette Bourignon, voir Early Modern Letters Online (emlo), URL : http://emlo-portal.bodleian.ox.ac.uk.

2M. van der Does, Antoinette Bourignon, op. cit., p. 140 ; A. von der Linde, Antoinette Bourignon, op. cit., p. 214, 262 ; L. Kolakowski, Chrétiens sans église, op. cit., p. 684-685.

3Max Wieser, Peter Poiret. Der Vater der romanischen Mystik in Deutschland. Zum Ursprung der Romantik in Deutschland, Munich, Georg Müller, 1932, p. 52 ; Marjolaine Chevallier, Pierre Poiret 1649-1719. Du protestantisme à la mystique, Genève, Labor et Fides, 1994, p. 44 : « C’est là [i.e. Hambourg] que Poiret devait la rencontrer et que leur itinéraire devient commun pour quelque temps. »

4Dans ses écrits, Bourignon se présente comme la « mère des vrais chrétiens » ou la « mère des vrais croyants ». Elle ne considère comme « vrais chrétiens » que ceux qu’elle reconnaît comme « enfants ».

5À Bâle, il a été inscrit du 2 juin 1664 (en payant « nihil propter paupertatem ») jusqu’au 17 août 1667, voir Hans Georg Wackernagel (éd.), Die Matrikel der Universität Basel, t. 3, Bâle, éditeur de la bibliothèque universitaire, 1962, p. 579. Poiret quitte Bâle en août 1667 pour un semestre afin d’effectuer un stage pastoral à Hanau. Il reprend ensuite ses études au printemps 1668 à Heidelberg, voir M. Chevallier, Pierre Poiret, op. cit., p. 24-28.

6Ce qui suit s’appuie largement sur M. Chevallier, Pierre Poiret, op. cit., ch. 2, p. 29-40.

7M. Chevallier, Pierre Poiret, op. cit., p. 30. Claudia Kin avait été mariée à Daniel Grandidier, le ministre de Hanau, qui est mort pendant le séjour de Poiret dans sa paroisse. Chevallier suggère que c’était une question de devoir civil de la part de Poiret. On pense qu’une certaine forme de concession professionnelle commençait à devenir une coutume dans les cercles de prêcheurs, où, avec la paroisse, la veuve d’un prédicateur décédé était concédée à son successeur.

8[Anonyme], De Vita & scriptis Petri Poiret Commentariolum, Amsterdam, Wetstein, 1721.

9L’ouvrage a finalement été publié en 1677 par Daniel Elzevier, comptant environ 300 pages. Poiret a dédié cette première édition à Friedrich-Ludwig, le duc de Zwei-Brücken. Une deuxième édition révisée de 850 pages a suivi en 1685, et une troisième édition révisée de près de 1 000 pages en 1715. Pour les modifications apportées au texte, voir Marjolaine Chevallier, « Introduction », in : Pierre Poiret, Cogitationes rationales de Deo, anima et malo (1715), Hildesheim/Zürich/New York, Olms, 19903, p. VII-LI.

10M. Wieser, Peter Poiret, op. cit., p. 152-153.

11Bibliothèque universitaire d’Amsterdam, Collections spéciales, Ms VG 9c, copie manuscrite d’Antoinette Bourignon, Les Persécutions du Juste, Amsterdam, Pierre Arentz, 1684, lettre 43 (23 mars 1677), non incluse dans la version publiée. Cf. aussi Antoinette Bourignon, Avis et Instructions Salutaires, Amsterdam, Pierre Arentz, 1684, lettre 133 (21 avril 1677), p. 410 (cité dans la note 22).

12Bibliothèque universitaire d’Amsterdam, Collections spéciales, Ms Aij 248, lettre de Poiret à Van de Walle (22 novembre 1676). Dans cette lettre, Poiret fait également référence à son intention de visiter la communauté labadiste d’Amsterdam : « Vous savez avec quelle sincérité et impartialité j’avois fait dessein d’aller voir cette compagnie de Mr. de L[abadie, MdB] ». Marjolaine Chevallier ne mentionne pas ce but supplémentaire du voyage.

13Antoinette Bourignon, Confusion des Ouvriers de Babel, Amsterdam, Pierre Arents, 1684, lettre 12 (16 mai 1676) à Schrader, p. 61 : « Je ne sçay aussi qui est ce M. ** [M. Poiret et sa femme], pour n’en avoir jamais ouï parler ». Selon toute vraisemblance, cette première lettre de Poiret d’avril 1676, avec la lettre d’accompagnement de Schrader, s’est perdue.

14À propos de Jean de Labadie (1610-1674), voir Trevor J. Saxby, The Quest for the New Jerusalem, Jean de Labadie and the Labadists, 1610-1744, Dordrecht/Boston/Lancaster, Martinus Nijhoff Publishers, 1987.

15A. Bourignon, Confusion des Ouvriers de Babel, op. cit., lettre 12 (16 mai 1676) à Schrader, p. 61 : « Mais je n’ay sçu lire la lettre de Mr. P. à cause du petit caractere, & de la palleur de l’ancre : parce que je ne me suis encore jamais servie de lunettes. »

16Ibid., lettre 13 (19 mai 1676) à Poiret, p. 71 : « Je doute si estes un des Disciples de Labadie. »

17Ibid.

18Ibid., lettre 14 (26 mai 1676) à Poiret, p. 72-76. Elle finit sa lettre en disant : « C’est pourquoy il se faut arrester sur la Doctrine de Jesus-Christ, & tâcher de mettre icelle en pratique. Cela est le seul moyen de vivre heureux à toute eternité, lequel bonheur je vous souhaitte, & à vôtre compagnie. »

19[Anonyme], Vita Petri Poiret, op. cit., p. 15.

20La Bibliothèque nationale de France en possède un exemplaire sans annexe et un exemplaire avec annexe. Cela semble indiquer que seule une partie des exemplaires imprimés en 1677 comportait effectivement cet appendice (11 pages), ce qui prouve, à mon avis, que Poiret a ajouté ses corrections à la dernière minute et après l’impression de la première édition. Chevallier suppose cependant qu’il a décidé d’ajouter l’appendice alors qu’il était encore sur la presse en 1676, cf. M. Chevallier, « Introduction », in : P. Poiret, Cogitationes rationales, op. cit., p. X-XL et note 3, p. XLIII.

21A. Bourignon, Avis et Instructions Salutaires, op. cit., lettre 133 (21 avril 1677) à Chateauvieux, p. 409-410.

22Bibliothèque universitaire d’Amsterdam, Collections spéciales, Ms VG 9c, copie manuscrite de A. Bourignon, Les Persécutions du Juste, lettre 43 (23 mars 1677), passage retiré de la version publiée. Cf. A. Bourignon, Avis et Instructions Salutaires, lettre 130 (s.d. [23 février 1677]), p. 397 : « La femme ** [de Poiret] s’empire tous les jours », et lettre 133 (21 avril 1677), p. 410 : « C’est domage que sa femme n’est pas dans ses sentimens. Elle l’a induit à me venir chercher ; & à cause que je ne l’ay pû recevoir pour son indisposition, elle s’est retournée vers sa Secte Calvienne, qu’elle estime plus que la Verité de Dieu qu’elle avoit auparavant connue. »

23Ibid., lettre 151 (s.d. [27 novembre 1677]) à Schrader, p. 459 : « J’Ay vû par la vôtre du 27. de ce mois que la préface & la table des matieres faites par ** [Poiret] est ou sera par vous translatée. » Schrader traduit le prologue et la table des matières de La solide vertu en latin. L’œuvre est publiée en 1678 par Pierre Arentsz, sous le titre : Tractatus Admirabilis de Vera Virtute.

24Ibid. « Je vous ay écrit en ma precedente que ledit * [Poiret] est repentant en son mal-fait, & je croy qu’il retournera en la grace de Dieu. » Bourignon voyait aussi là une tâche qu’elle pouvait s’attribuer : « Il y a encore beaucoup de personnes de bonne volonté qui sont infectés de cette peste Cartesienne. J’espére de retirer aucuns par le traitté que je feray contre icelle si Dieu me donne la vie. »

25A. Bourignon, Les Persécutions du Juste, Amsterdam, lettre 58 (5 février 1678) à Poiret, p. 227.

26A. Bourignon, Avis et Instructions Salutaires, op. cit., lettre 133 (21 avril 1677), p. 410.

27Il s’agit d’une lettre du 11 avril 1721, écrite à Leyde. Wieser a utilisé une traduction allemande de l’originale en français (qui figurait en manuscrit dans la copie de De vita et scriptis à la Staatsbibliothek de Berlin), cf. M. Wieser, Peter Poiret, op. cit., p. 152-153. L’auteur de la lettre déclare que Poiret a béni le mariage de ses parents à Annweiler et que son père a été membre du consistoire de la congrégation française à Annweiler.

28Cf. Gottlieb Stolle, « Reisetagbuch », 26 juillet 1703, cité par M. Wieser, Peter Poiret, op. cit., p. 131.

29Bibliothèque universitaire d’Amsterdam, Collections spéciales, Ms VG 11, A. Bourignon, Avis et Instructions Salutaires, op. cit., lettre 160 (29 février 1678) à Chateauvieux [passage supprimé dans la version publiée].

30Elle a menacé de dévoiler l’emplacement de l’imprimerie de Bourignon à Amsterdam. Par la suite, dans la correspondance de Bourignon nous ne trouvons plus de références à Claudia Poiret. Elle retourne au moins une fois à Metz, pour le baptême du fils de son neveu Jean Poiret (été 1680), voir M. Chevallier, Pierre Poiret, op. cit., p. 47-48.

31La bibliographie des œuvres de Bourignon composée par M. van der Does, Antoinette Bourignon, ch. 1, est malheureusement truffée d’erreurs. Dans M. de Baar, « Ik moet spreken », op. cit., l’annexe A-2 comprend une nouvelle bibliographie des œuvres de Bourignon.

32En incluant les traductions, le nombre total de publications de Bourignon pour cette période s’élève à 76 (contre 60 dans les années de 1669 à 1680).

33A. von der Linde, Antoinette Bourignon, op. cit., p. 214, estime que les efforts de Poiret ne servent pas la cause de Bourignon, voire qu’il entrave la diffusion de ses œuvres en ajoutant « allerlei trockenen, langweiligen Einleitungen und albernen Abschweifungen » (« toutes sortes d’introductions sèches et ennuyeuses et d’élaborations idiotes »). La déclaration de von der Linde n’était pas fondée, car il n’a fait aucune recherche sur la réception des œuvres de Bourignon.

34Antoinette Bourignon, Avertissement, Addressé au Peuple contre la Secte des Trembleurs, Amsterdam, Jean Rieuwerts & Pierre Arents, 1682, « Avis ». Cf. pour le radicalisme philosophique de Hobbes : Jonathan I. Israël, Radical Enlightenment. Philosophy and the Making of Modernity 1650-1750, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 601-602, 623-624, 632-633, 697-698.

35L’édition néerlandaise (1672) a été intitulée Advertissement, van Anthoinette Bourignon, Geschreven aen alle menschen die het aengaan mag. Tegen De Secte der Quakers, traduite en français et publiée en 1682 sous le titre : Avertissement d’Antoinette Bourignon, Addressé au Peuple contre la Secte des Trembleurs, où sont solidement découverts & établis Les fondemens de l’Authorité & de la Puissance de toutes sortes de Superieurs dans l’Etat Ecclesiastique, le Politique, & l’Oeconomique ; les Devoirs de toutes sortes de sujets ; les Principes des bonnes moeurs, des bonnes loix, & des coûtumes loüables de la société humaine, de plus les Principes, les Moyens & les Marques de la vraye Religion Chrétienne, laquelle consiste en la vraye renaissance spirituelle dans l’Esprit de Jesus Christ.

36Antoinette Bourignon, Toutes les oeuvres de Mlle Antoinette Bourignon, Amsterdam, Henry Wetstein, 1686, réédition Amsterdam, R. et G. Wetstein, 1717.

37Pierre Bayle, Nouvelles de la République des Lettres, avril 1685 (article IX) et mai 1685 (article VIII), inclus dans Pierre Bayle, Œuvres diverses, Hildesheim, Olms, 1965-1982, I, p. 269-272 et 290.

38Le Journal de Leipsic (janvier 1686), p. 9.

39La section suivante a déjà été publiée dans Mirjam de Baar, « Conflicting Discourses on Female Dissent in the Early Modern Period: The Case of Antoinette Bourignon (1616-1680) », L’Atelier du Centre de recherches historiques. Revue électronique du CRH 4 (2009), URL : http://journals.openedition.org.

40Pour l’analogie avec les modèles hagiographiques, voir W. Frijhoff, Heiligen, idolen, iconen, Nimègue, SUN, 1998, p. 7-38.

41Cf. Willem Frijhoff, « Autodidaxies, XVIe-XIXe siècles. Jalons pour la construction d’un objet historique », Histoire de l’éducation 70 (1996), p. 5-27 ; Michel de Certeau, La Fable mystique : XVIe-XVIIe siècles, Paris, Gallimard, 1982, « L’illettré éclairé », p. 280-329.

42[Pierre Poiret], La Vie Continuée de Dam.lle Antoinette Bourignon, Amsterdam, Jan Riewerts & Pierre Arents, 1683, p. 270-271 : « Une simple fille qui n’a jamais étudié, en a fait plus qu’eux tous [Tout ce qu’en on dit ou écrit Pelagiens, Semipelagiens, Antipelagiens, S. Augustin, & ses Disciples, Jansenistes, Molinistes, Antelapsaires, Post-lapsaires, Universalistes, Particularistes, Arminiens, Gomaristes, Labadistes] en trois ou quatre feüilles de papier, ou pour mieux dire, c’est l’Esprit de Dieu son Unique Maitre, qui residoit dans le Santuaire de cette pure ame, lequel reservoit pour les derniers siecles la declaration des merveilles & des loüanges de Dieu par la bouche des petits & des simples. »

43Ibid., p. 279.

44[Pierre Poiret], « Preface Apologétique », La Vie de Damlle Antoinette Bourignon, Amsterdam, Jan Riewerts & Pierre Arents, 1683, p. 20 : « Aprés cela, qui peut empécher Dieu de privilegier davantage les femmes & les filles que les hommes dans le partage de ses lumiéres & de ses graces, lors que les hommes s’en rendent plus incapables qu’elles par leurs indispositions. »

45Ibid., p. 17-18.

46Ibid., p. 59-183.

47Cf. Jean Orcibal, « Les spirituels français et espagnols chez John Wesley et ses contemporains », Revue de l’Histoire des Religions 139 (1951), p. 79. Voir également Ted A. Campbell, The Religion of the Heart. A Study of European Religious Life in the Seventeenth and Eighteenth Centuries, Eugene (Oregon), Wipf and Stock Publishers, 2000.

48M. Chevallier, Pierre Poiret, op. cit., p. 242-257. D’après Alister E. McGrath, Christian Spirituality. An Introduction, Oxford, Wiley, 1999, p. 5-6, les termes modernes de « mystique » et de « spiritualité » sont originaires de la France du XVIIe siècle, en particulier des « cercles plutôt élitistes de la société des salons associés à Madame de Guyon ».

49M. Chevallier, Pierre Poiret, op. cit., p. 93-107, 283. Cf. M. Wieser, Pierre Poiret, op. cit. ; J. Orcibal, « Les spirituels français et espagnols », art. cit., p. 54, 58-59, 69, 72, 79-80. Selon Orcibal, c’est grâce à la médiation de John Wesley (1703-1791) et de son frère Charles (1707-1788) que le monde anglo-saxon a pu connaître et apprécier les racines et les ramifications de la piété mystique. L’intérêt de John Wesley pour « la religion du cœur » est particulièrement évident dans sa Christian Library (50 volumes) où il a inclu une des oeuvres de Poiret en traduction anglaise et pas moins de huit rééditions d’écrits mystiques français.

50Parmi ceux qui ont pris position contre Poiret dans ce numéro, on trouve Johann Wolfgang Jäger (1647-1720). Il est l’auteur de l’Examen Theologiae novae et maxime Celeberrimi Dn. Poireti, ejusque Magistrae Mad. de Bourignon, Francfort et Leipzig, Georg Wilhelm Kühnen, 1708.

51Cf. Michael Heyd, « Be Sober and Reasonable. » The Critique of Enthusiasm in the Seventeenth and Early Eighteenth Centuries, Leiden/New York/Cologne, Brill, 1995 ; Dorothée Sturkenboom, Spectators van hartstocht. Sekse en emotionele cultuur in de achttiende eeuw, Hilversum, Verloren, 1998, p. 168-171.

52Le testament fait par Poiret le 22 janvier 1715 apporte un éclairage sur la composition de cette petite communauté. Cf. pour les dispositions de ce testament, M. de Baar, « Ik moet spreken », op. cit., annexe D-1.

53Voir M. Wieser, Peter Poiret, op. cit., p. 54, 131, 159, qui n’avait pas connaissance des dernières volontés de Bourignon. Il s’appuie sur les témoignages des piétistes Breckling et Diffenbach. En 1703, ils dirent à Gottlieb Stolle que Poiret avait hérité de Bourignon tellement d’argent qu’il pouvait vivre et écrire sans avoir besoin d’autres ressources économiques. La rumeur circulait encore vingt ans après sa mort, selon une lettre de Gerhard Tersteegen, novembre 1739, cf. M. Chevallier, Pierre Poiret, op. cit., p. 62, note 72. En plus des 1 000 florins de Tiellens, il ne reçut que 131 florins et 5 stuivers de la succession de Van de Velde (d’après une déclaration signée par lui le 13 décembre 1687, Archives de la ville d’Amsterdam, 612. Archives de la « Remonstrantse Gemeente », no 586).

54Elle est morte trente ans avant son mari (1689), selon l’auteur de la Vita de Poiret, cf. M. Chevallier, Pierre Poiret, op. cit., p. 47-48 et note 26 pour son dernier testament.

55Pour un aperçu de la correspondance de Poiret durant son séjour à Rijnsbourg, cf. M. Chevallier, Pierre Poiret, op. cit. ; André Séguenny (éd.), Bibliotheca Dissidentium. Répertoire des non-conformistes religieux des seizième et dix-septième siècles, t. 5, Baden-Baden, Valentin Koerner, 1985.