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Thomas A. Fudge, Hieronymus von Prag und die Anfänge der hussitischen Bewegung. Eine Biographie

sous la direction de Barbara Hallensleben et Olivier Ribordy, traductions de Rainer Behrens, Winfried Humpert, Hans Jörg Meier, Anna Ney, Hanna Nüllen et Stefanie Weck-Rauprich, Münster, Aschendorff (Studia Oecumenica Friburgensia 75), 2020, 343 p.

Ruedi IMBACH

Il s’agit ici d’une biographie du philosophe tchèque Jérôme de Prague exécuté le 30 mai 1416 au concile de Constance. L’édition originale en anglais a paru en 2016 (Oxford University Press). Comme le souligne l’auteur à plusieurs reprises, Jérôme est resté trop longtemps à l’ombre de Jan Hus dont il était effectivement l’ami et le compagnon (mais pas le disciple). Toutefois, le profil intellectuel des deux fondateurs du mouvement hussite est très différent et pour mettre en avant et mieux apprécier la particularité et l’originalité de Jérôme, l’auteur a entrepris la rédaction de cet ouvrage qui dans une certaine mesure peut être considéré comme une biographie intellectuelle. Il faut rappeler ici que cette entreprise se base largement sur la biographie incontestablement la plus fiable et la meilleure qui, précédant l’édition des œuvres de Jérôme parue dans le Corpus Christianorum Continuatio Mediaevalis (222, 2010, p. XI-CXXVIII), est due à František Šmahel. Dans les neuf chapitres de son ouvrage, l’auteur retrace d’abord la vie mouvementée du philosophe. Les aspects suivants méritent d’être relevés : au chapitre 2 est examinée la source principale de la pensée du Praguois, à savoir la théologie et la philosophie de John Wyclif (vers 1330-1384), dont Jérôme hérite en particulier la doctrine des idées divines. Dans les chapitres suivants, l’auteur décrit d’abord le parcours universitaire de ce professeur des arts, en particulier son passage à Paris en 1405-1406 (où il rencontre pour la première fois Jean Gerson), sa première condamnation à Vienne (1311, p. 122-149), puis sa condamnation au concile de Constance et son exécution sur le bûcher. Ces derniers événements sont décrits avec beaucoup de détails (p. 173-261). L’auteur s’interroge en particulier sur la portée de la révocation de septembre 1415 que Jérôme rejettera plus tard (cf. p. 233-241 concernant la sincérité de Jérôme) et nous donne des informations minutieuses sur le débat à Constance. Dans le dernier chapitre, consacré aux souvenirs conservés sur Jérôme, l’auteur ne présente pas seulement les éléments iconographiques (p. 271-282), mais évoque également les discussions sur les hussites au Concile de Bâle et consacre une attention particulière à Poggio Bracciolini (1380-1459), le célèbre humaniste, auteur d’une lettre à juste titre très fameuse, dans laquelle il compare la mort héroïque de Jérôme à celle de Socrate et de Caton (p. 302-306). Sans doute l’auteur souligne avec raison le fait que l’œuvre de Jérôme met en question les perspectives développées par Heiko Oberman dans son ouvrage L’automne de la théologie médiévale où il décrit la vie intellectuelle à la fin du moyen âge comme étant dominée par le nominalisme : inspiré par Wyclif, Jérôme défend un réalisme des universaux lié à une certaine conception des idées divines. La prise en compte d’une pensée comme celle de Jérôme invite donc à une vision plus nuancée de la vie intellectuelle de la fin du moyen âge. Il est également correct, à mon avis, de voir en Jean Gerson l’adversaire le plus éminent du penseur tchèque, et il est pertinent d’interpréter le conflit entre les accusateurs et Jérôme comme un combat entre le nominalisme et un réalisme de provenance platonicienne. Toutefois, la description de la nature, des fondements et des enjeux philosophiques de ce différend – philosophique – ne sont pas analysés avec assez d’acuité et de précision, bien que la brève introduction de Ribordy (p. IX-XVI) corrige un peu ce défaut et que l’auteur insiste à plusieurs reprises sur le fait qu’il faut considérer Jérôme comme un philosophe. L’auteur affirme avec force que Jérôme est un hérétique, en définissant l’hérétique comme « un individu qui met en question un système clos d’une vérité supposée ou déclarée » (p. 7). Je ne vois pas l’intérêt de maintenir la terminologie de l’hérésie que l’on peut difficilement affranchir de sa connexion avec la déviance coupable, l’accusation et l’erreur. La proposition de Hallensleben, qui déclare (p. VII) que c’est la peur de la dissolution de l’autorité qui a amené Jérôme au bûcher, est sans doute plus plausible. Dans sa fameuse lettre, Poggio dit que Jérôme est un homme qui mérite que l’on s’en souvienne et l’auteur complète cette affirmation : il le mérite, parce qu’il incarne la force de la contradiction et met en garde contre un conformisme croissant (p. 8). L’étude de ce penseur est sans doute indispensable pour mieux saisir encore les racines et les bases des divers mouvements de « réforme » à la fin du moyen âge et au début de la modernité. Notons que, si nous disposons d’excellents travaux d’érudition sur Jérôme en français (notamment ceux de Zénon Kaluza), il n’existe malheureusement aucune présentation introductive et générale sur Jérôme en cette langue. Et de la magnifique lettre de Poggio, il faut se contenter d’une traduction de 1837 !