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Représentations et apophatisme

À propos de la symbolique trinitaire

Isabelle CHAREIRE

Faculté de théologie, Université catholique de Lyon

Peut-on s’appuyer sur la représentation de l’Irreprésentable pour argumenter du bien-fondé d’une assertion touchant à l’expérience sensible ? Irreprésentable, en effet, cet Au-delà-de-tout que le christianisme considère avoir un visage, celui de Jésus de Nazareth confessé comme Christ et dont la symbolique trinitaire est la pierre d’angle. À une époque où nos contemporains se tournent plus volontiers vers l’expérience spirituelle intérieure que vers les médiations et les symbolisations partagées, comment tenir le paradoxe d’un christianisme qui tient Dieu pour totaliter aliter et se structure cependant autour de représentations et de médiations symboliques, historiques et institutionnelles ?

Nous examinerons le paradoxe chrétien à partir d’une double entrée : le caractère incontournable de la symbolique trinitaire et les questions posées par cette représentation telle qu’elle est construite par une pensée à dominante masculine. La question structurelle des représentations de l’Absolu sera ainsi abordée par le biais de la conjoncture historique qui, pour une religion confessant une révélation dans l’histoire, est tout sauf anecdotique. Comment la question posée par la tension entre les médiations symboliques communes et la singularité de la vie spirituelle, notamment à travers l’expérience mystique, peut éclairer et être éclairée par le défi représenté par le tournant historique que représente l’accès des femmes à l’argumentation théologique ; femmes qui ainsi ne sont plus assignées au seul imaginaire, riche et suggestif, légué par tant de leurs consœurs mystiques. Après avoir esquissé les caractéristiques de l’expérience mystique, ce qu’elle enseigne du rapport à l’Absolu et les interrogations posées à la symbolique trinitaire, nous évoquerons comment le discours théologique assume cette tension. La symbolique trinitaire et ses représentations seront ensuite examinées en les considérant selon leur aspect sexué ; cela conduira à questionner le statut des médiations figurées du divin. Dégageant et analysant deux types de représentations, l’une anthropologiquement structurelle et l’autre utilisant des formes contingentes, nous proposerons une nouvelle image trinitaire.

1. L’expérience-limite mystique et l’apophatisme théologique

De la lecture de quelques mystiques, nous dégageons deux voies : l’une qui tient au référent de la médiation christique, l’autre qui s’aventure aux limites extrêmes du dépassement de cette médiation. Ensuite, nous évoquerons comment la théologie intègre le totaliter aliter de l’Irreprésentable à son propre discours.

1.1. L’expérience unitive des mystiques

Les mystiques manifestent à la fois une intimité au-delà des mots et des représentations et la vive épreuve d’une présence qui se donne dans l’absence. L’intimité avec l’Absolu se caractérise par une extase et une union de l’âme avec Dieu qui prend tout l’être :

Tandis que l’âme cherche ainsi son Dieu, elle se sent, avec un plaisir très vif et plein de suavité, défaillir presque tout entière. La respiration manque, les forces physiques font défaut, en sorte qu’on ne peut remuer les mains qu’avec bien de la peine. Les yeux se ferment sans qu’on veuille les fermer, et si on les tient ouverts, on ne voit presque rien. Veut-on lire, on ne parvient pas à rassembler les lettres, et c’est à peine si on les distingue clairement. [...]. Ainsi les sens ne sont à l’âme d’aucune utilité ; ils entravent plutôt sa jouissance et lui nuisent au lieu de la servir. Parler devient impossible : on n’arrive pas à former un seul mot, et le pourrait-on on n’aurait pas la force de l’articuler. C’est que toutes les forces extérieures défaillent ; mais celles de l’âme s’en accroissent d’autant, afin de la rendre plus capable de jouir de sa gloire. Les délices sont grandes et très manifestes dans la partie sensitive1.

Thérèse d’Avila évoque le voyage de l’âme et une extase quasiment hors du corps et des médiations extérieures ; expérience éminemment subjective. Plus loin elle précise : « Venons-en maintenant à ce que l’âme sent intérieurement en cet état. Si quelqu’un le sait, qu’il le dise, car cela ne peut se comprendre et moins encore se dire. »2 L’intensité de la présence de l’Absolu s’éprouve au lieu même de son absence. Ainsi l’acuité de la présence éprouvée ne comble pas mais creuse le sentiment d’altérité et d’absence, comme en témoigne ce poème de Jean de la Croix :

Où t’es-tu caché, Bien-Aimé,
Me laissant toute gémissante ?
Comme le cerf tu t’es enfui,
M’ayant blessée ; mais à ta suite,
En criant, je sortis. Hélas, vaine poursuite !3

Les métaphores nuptiales reprises au Cantique des Cantiques expriment le désir de l’âme dont la présence de l’Aimé avive le désir et le comble sans l’altérer. Comme dans le combat de Jacob avec l’ange, la nuit est métaphore de cette sortie de l’âme hors d’elle-même qui s’accomplit « grâce à la force et à l’ardeur que l’amour de son Époux a versées en elle durant cette contemplation obscure »4.

L’aventure mystique est aussi l’expérience d’une déficience à dire l’Absolu et son expression relève du poétique plutôt que de l’argumentatif, elle crée un monde et y convoque5. Le langage mystique évoque l’inouï d’une traversée propre à celui qui la parcourt, à la fois anhistorique et immédiatement universalisable. L’expression de l’aventure intérieure est à la fois la plus personnelle et la plus extérieurement « décontextualisée » en quelque sorte ; non au sens où l’expérience mystique ne serait pas affectée par le contexte dans lequel elle s’éprouve et s’exprime, mais au sens où « l’espace et le temps » dans lesquels elle se déroule ne sont pas référés à une réalité historiquement et géographiquement repérables ; il s’agit d’un temps et d’un espace créés par l’intensité même de la rencontre, kairos plutôt que chronos, khôra plutôt que topos. Radicale et subjective par définition, l’aventure mystique s’évoque plus qu’elle ne se raconte ou s’argumente ; dans cette évocation de l’union mystique affleurent des représentations du divin, cependant celles-ci désignent sans assigner à résidence Celui qui s’enfuit aussitôt que rencontré.

En christianisme, l’aventure mystique s’inscrit à l’intérieur d’une révélation qui est prioritairement historique, formalisée dans des médiations extérieures ; néanmoins l’acte de foi n’est pas dissociable d’une perception subjective et animée, tant dans l’expérience personnelle que communautaire, par le dynamisme invisible de l’Esprit. L’expérience unitive, par sa polarisation subjective et anhistorique, pose la question du rapport à la doctrine commune. Pour Thérèse d’Avila, il n’est pas question d’écarter la médiation christique : « Si les contemplatifs veulent marcher par une voie sûre, ils ne doivent pas se porter d’eux-mêmes aux choses sublimes. C’est par l’humanité de Jésus-Christ qu’on parvient à la plus haute contemplation. »6 Thérèse s’élève contre l’idée que l’humanité de Jésus-Christ serait un obstacle à la contemplation. La voie du Christ et la voie de l’Esprit ne s’opposent pas. En effet, la révélation s’effectue par l’incarnation du Verbe, elle est donc historicité ; mais elle est aussi l’œuvre de l’Esprit, invisible et anhistorique. L’Esprit saint préside à l’habitation du Verbe dans la chair et, diffusé à la résurrection, donne aux disciples et à leurs successeurs de reconnaître que Celui-ci est Fils de Dieu. Il n’est donc pas sans effet dans l’histoire et l’expérience croyante chrétienne est nouée autour de ces pôles : suite du Christ, habitation engagée et prophétique dans ce monde et contemplation orientée vers l’au-delà des représentations. Le propre de l’expérience mystique, par rapport à la vie spirituelle commune, tient à ce que l’articulation entre le Verbe et l’Esprit tire davantage du côté de l’expression anhistorique du rapport à l’Absolu, en ce sens elle est une expérience-limite de la vie spirituelle chrétienne. Dans la configuration chrétienne, la mystique, forme excessive de l’expérience spirituelle, doit trouver son équilibre à partir de l’incarnation du Verbe. Des mystiques comme Thérèse d’Avila ou Jean de la Croix se rattachent non seulement à la voie de l’Esprit, mais aussi à la voie du Verbe ; mais qu’en est-il de Henri Le Saux, qui vécut en quelque sorte une expérience-limite à l’intérieur de cette expérience-limite ?

1.2. Voie unitive et symbolique trinitaire

Henri Le Saux-Abhishiktananda (1910-1973), moine bénédictin, répond à l’appel de l’Inde et expérimente, dans sa vie spirituelle et ascétique, à la fois la proximité de l’expérience de l’Absolu et la distance qui sépare les formes et représentations des traditions chrétienne et hindoue. Comment partager l’expérience contemplative des sannyāsī indiens et dire en vérité le Dieu trine révélé en Jésus-Christ ?7 La symbolique trinitaire est-elle surmontée8 dans l’expérience unitive éprouvée par le mystique ? Nous empruntons à Colette Poggi9 pour tracer brièvement les lignes de cet itinéraire spirituel original.

S’appuyant sur 1 Jn 1,1.3, « ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie [...], ce que nous avons vu et entendu nous vous l’annonçons », Henri Le Saux souligne le primat de l’expérience sur le concept :

Le but de toutes les Écritures et de toute tradition orale ou écrite – ainsi que de toutes les structures ecclésiales – est uniquement la transmission de cette expérience, l’expérience que les apôtres ont eue de Jésus, non pas une notion de Jésus mais cette expérience même à laquelle saint Jean se réfère d’une manière si frappante au début de sa première épître10.

Ce primat de l’expérience interroge le statut des mots et des représentations dans chacune des deux traditions. Dans la tradition hindoue, les nāma-rūpa (noms et formes) sont des voiles qu’il convient de dépasser pour accéder à la perception plénière de l’Absolu et « la Parole se dit en chaque homme sur fond de silence, identifié comme la pure conscience, vidée de ses contenus, redevenant alors ce qu’elle est en essence : “espace de lumière et de vie” »11 ; ainsi la médiation extérieure, historique, devient-elle une simple étape transitoire et relativise le concept. Touché par cette perception de la parole vibratoire12, Henri Le Saux insiste sur le caractère révélateur de l’Esprit, c’est-à-dire la manifestation cosmique et subjective de Dieu, tout en ayant le souci de l’articuler à la manifestation historique du Christ13. Parce que « la parole de Dieu est à l’œuvre dans tout le cosmos et au cœur de chaque homme, et de même le Saint-Esprit, Révélation biblique et Révélation cosmique ne sont ni opposées ni séparées [...] »14. Henri Le Saux, à partir de son expérience contemplative, cherche à comprendre comment relier ces deux traditions ; pour lui, si cet « unique processus de salut » culmine dans « la mission révélatrice et rédemptrice du Christ », il « n’en est pas moins coextensif au développement total du cosmos et à l’entièreté de l’Histoire de l’homme. »15 Ainsi « la création tout entière est ordonnée à l’éveil du cœur de l’homme à Dieu et à lui-même »16.

Cependant dans la tradition chrétienne, la Parole, le Verbe de Dieu qu’est le Christ, est une médiation subsistante. D’où la difficulté posée par cette tentative d’unir ces deux chemins : elle tient au statut de la médiation et à la symbolique trinitaire. Alors que dans le Sanâtana-dharma « les Écritures, les Védas sont seulement le radeau qui fait passer la rivière, le brandon qui sert à allumer le feu et qui ensuite doit être lui-même jeté dans le feu »17, en christianisme le Verbe, Parole de Dieu, demeure éternellement et les Écritures, pour être historiques et par là-même non-absolues attestent de ce Verbe. Le rapport à l’histoire est ainsi totalement différent dans l’une et l’autre tradition et conduit à la deuxième difficulté : l’incompatibilité entre la non-dualité et la Trinité ; alors que l’itinéraire du sannyāsī hindou est vécu comme chemin vers l’advaita (la non-dualité), le pèlerinage chrétien est pensé comme orientation vers l’Indépassable Trinité. Surgit ici la dialectique du « je » et de l’altérité : comment l’expérience spirituelle fait-elle entrer dans l’union avec le Tout-Autre tout en gardant l’altérité ? Les Upanishad expriment l’expérience spirituelle comme expérience du Soi (atmân), la fine pointe de l’être ; il s’agit pour le Soi d’être réuni à l’Absolu (Brahman) dans un dépassement total de la dualité. Pour Le Saux, ces vingt-cinq ans d’expérience à la confluence mystique des deux traditions chrétienne et hindoue constituèrent un drame intérieur18 ; tout en continuant à suivre la pratique liturgique et la prière de l’Église, le moine bénédictin s’immergea dans l’expérience de l’advaita à travers la pratique du mantra19 :

Il n’y a pas de place en moi pour Dieu et moi à la fois. S’il y a Dieu, je ne suis pas ; s’il y a moi, comment Dieu pourrait-il être ? Dilemme de l’homme qu’il faut que lui ou bien Dieu disparaisse.

Il n’y a que Toi au fond de moi, Toi au fond de tout. Toi qui me regarde, qui m’appelle, qui me donne l’être en me disant Toi, en me faisant partenaire de Toi, autre à Toi, et cependant inséparé, akhananda [le non-divisé, l’indivisible], advaita [la non-dualité]. [...]

Je suis l’écho de Toi, le retour à Toi de tout cela. Je ne suis que ce retour.

Ce OM en lequel Tu te dis à moi, à travers tout... c’est le OM qui jaillit de moi, en lequel je Te dis. Car qui suis-je, si je suis, sinon Toi ? Car il n’y a que Toi qui es. Si je suis je ne peux être que Toi. [...]

Sur la route du pèlerinage, tout croisement est une grâce, il fait jaillir le OM des deux cœurs : l’appel et la réponse ne se distinguent plus. Au-delà du moi et du toi qui se distinguent, le OM du pūrnam [plénitude] qui est l’appel à soi, au sein de soi, du sein de soi. Du sein de Toi, Tu m’appelles au sein de Toi. Du sein de moi, je te réponds, au sein de Toi. Quel est donc le sein de moi, sinon le sein de Toi ?

OM ! Tout est là. Tout ce qui est, fut, sera. Tout est Je, Tu, Il, et tout ce qui est au-delà des trois temps et des trois personnes. C’est le Mystère le plus profond des « Trois ». Non à part d’eux, mais au plus fond d’eux. Chacun au sein de l’autre. Jamais un pur Toi. Le Toi qui délivre le Moi. Pūrnam20.

Au-delà des trois temps, c’est l’éternité ; au-delà des trois personnes : est-ce à dire que l’on pourrait penser Dieu au-delà de la symbolique trinitaire ? Mais alors n’est-ce pas la relativiser ? Serait-ce une expérience d’union fusionnelle plutôt que relationnelle et qui évacuerait l’altérité de Dieu et l’altérité en Dieu ? L’authenticité et la force de l’expérience de Henri Le Saux ne sont évidemment pas en cause ici ; mais sa radicalité nous fait aborder à l’extrême les interrogations soulevées avec des mystiques s’inscrivant uniquement dans le cadre d’expression chrétien. Dans cet itinéraire contemplatif chrétien inspiré par le Sanâtana-dharma, la question posée de l’équilibre entre la voie du Verbe et la voie de l’Esprit est en quelque sorte redoublée. Ghislain Lafont en résume ainsi l’enjeu :

Si les « noms divins » ne disent pas vraiment Dieu, ou bien la révélation évangélique est provisoire, tout autant que ce dont elle parle (de sorte que théologie trinitaire et christologie seront eschatologiquement abolies), ou bien elle ne l’est pas, mais il est alors extrêmement difficile d’articuler le non-langage mystique, le langage de l’itinerarium mentis et celui du fondement christologique et trinitaire tant de l’expérience que de l’itinéraire21.

Aux yeux de Ghislain Lafont, Le Saux s’orienterait « vers un effacement eschatologique de tout ce qui pourrait ressembler à quelque dualité, distinction ou distance » par le fait même qu’il « pose au départ la non-altérité essentielle de Dieu, par rapport à l’homme et au cosmos » et pense ainsi le salut comme « l’éveil à cette Présence qui n’est pas altérité. »22

L’expérience singulière de Henri Le Saux-Abhishiktananda illustre la radicalité de la tension entre l’expérience mystique et la modalité chrétienne de la révélation ainsi que sa symbolique fondamentale, le mystère trinitaire. Les expériences-limite interrogent la capacité ou non du verbe à dire l’Absolu révélé par le Verbe et par là le statut de la révélation christique ; si la médiation est accessoire, l’expérience de l’Absolu n’est-elle pas présence à soi plutôt que présence à l’Autre – la symbolique trinitaire perdant alors sa centralité ?

1.3. Nommer Dieu

La théologie a tenté de penser ce paradoxe d’un Dieu représentable et cependant toujours au-delà des concepts et c’est pourquoi elle se pense elle-même comme discours analogique. Il s’agit d’affirmer la pertinence du concept tout en refusant d’assigner Dieu aux représentations qu’elle en donne à travers son chemin argumentatif.

Henri de Lubac, dans Sur les chemins de Dieu23, présente un florilège de textes mystiques pour évoquer le vertige de l’Absolu : Dieu, écrit-il en une curieuse formule, ne peut être « encapsulé » !24 Dieu est hors-cadre, mais il faut bien tenter de le dire puisque, pour citer Paul Beauchamp, l’ineffable lui-même s’est donné à raconter. Toute figuration est inapte à dépasser le seuil du mystère, cependant l’affirmation de l’ineffabilité de Dieu, « infini d’intelligibilité »25 est au terme du raisonnement et non un préalable qui dispenserait de penser. Dieu, poursuit Henri de Lubac, est non pas l’Inconnaissable, mais l’Insaisissable. Le connaître, ce n’est pas le saisir, mais entrer dans la perception de Ce qu’Il est, à savoir au-delà de tout, Il est le Nom au-delà de tout Nom.

« Tout ce que notre intelligence conçoit de Dieu échoue à le représenter », rappelle Thomas d’Aquin26. Les noms à l’aide desquels nous désignons Dieu sont des indices de ce qu’Il est, mais ils ne disent pas qui Il est puisque « [n]ous ne pouvons pas saisir ce que Dieu est, mais ce qu’il n’est pas, et quel rapport soutient avec lui tout le reste. »27 Parmi ces noms, le De Deo uno distingue ceux qui sont attribués à Dieu par métaphore et ceux qui le sont en propre. L’image du rocher (Ps 18,3) désigne la fidélité indéfectible de Dieu : il s’agit d’une métaphore car alors nous empruntons à la matérialité, brute pourrait-on dire, de notre monde et celle-ci ne peut être attribuée à Dieu. En revanche, lorsque nous parlons de la bonté de Dieu, nous en désignons l’inouï dont la bonté humaine n’est qu’un pâle reflet ; c’est pourquoi ici le raisonnement s’inverse : ce mot-là s’applique « à Dieu au sens propre, avec plus de propriété encore qu’aux créatures », il est dit « de Dieu en toute propriété » car il désigne une perfection divine. Créé à l’image de Dieu, l’être humain peut expérimenter à hauteur humaine cette qualité, mais elle ne s’applique en plénitude qu’à Dieu et Thomas distingue clairement entre « les perfections exprimées par ces mots, comme la bonté, la vie et les autres, et la manière dont elles sont signifiées » ; ces mots-là s’appliquent en propre à Dieu quant à ce qu’ils désignent, mais si l’on considère « la manière de signifier, ces mêmes mots ne s’appliquent plus proprement à Dieu, car leur mode de signification est celui qui appartient à la créature. »28

Les « noms attribués proprement à Dieu impliquent des conditions corporelles [...] uniquement dans la manière de les signifier » et non dans les perfections signifiées29. C’est ainsi que De Deo trino décrit le titre de Père : puisque « l’éternel a priorité sur le temporel » il est légitime d’attribuer la paternité à Dieu en un sens propre car Dieu est Père du Fils de toute éternité ; secondairement, elle désigne la relation de Dieu avec la créature30. Ces noms attribués en toute propriété à Dieu renvoient à l’expérience anthropologique (paternité et filiation, expressions concrètes de la bonté...) mais « à plus hault sens », selon une dialectique de continuité et discontinuité : ce que nous expérimentons dans notre condition finie donne un indice de la vérité de Dieu puisque nous confessons que nous sommes créés à son image mais selon une dissymétrie qualitative et non point quantitative. Il ne s’agit pas de considérer que certains concepts représentent, bien qu’imparfaitement, l’essence de Dieu car ce serait admettre une ressemblance imparfaite mais directe, mais de « déterminer comment, au moyen de concepts qui ne s’appliquent par eux-mêmes qu’à la créature, nous pouvons énoncer, au sujet du Dieu incompréhensible, des propositions affirmatives qui soient vraies. »31. Les noms attribués en propre à Dieu manifestent une réalité divine paradigmatique de ce que la créature est et a vocation à être ; cependant, pour être modèles, ils n’en sont pas moins d’une autre teneur.

Or, à côté de cette affirmation selon laquelle les noms propres, dans le contenu qu’ils signifient, s’appliquent d’abord à Dieu et ensuite, sous une autre modalité, à la créature, deux autres éléments sont mis en place dans le De Deo uno. Le premier vient au terme d’une réflexion sur Ex 3,14 : le vrai nom de Dieu est le Tétragramme car en raison de son caractère imprononçable il est à même de signifier le caractère incommunicable de la nature divine32. Le deuxième a trait à la question de savoir si Dieu appartient à un genre et la réponse est : « Deus non est in genere » ; en effet, Dieu ne peut être contenu dans une réalité plus grande que Lui puisqu’il est Lui-même « le principe de tout l’être » et donc au-delà de l’être33. Cette tension entre la représentation et l’au-delà de la représentation court tout au long de l’histoire de la théologie. L’analogie, selon la formule de Latran IV, insiste sur la dissemblance au sein même de la ressemblance34. Que l’être humain soit créé à l’image de Dieu n’efface pas l’altérité radicale entre le Créateur et la créature. Ainsi, l’argument de Thomas légitime l’usage des images de l’Irreprésentable comme paradigme du visible, mais il nuance en distinguant le contenu signifié et le signifiant qui le désigne.

La voie unitive mystique désigne l’insaisissabilité de Dieu et la défaillance des concepts à nous représenter l’au-delà de tout, mais elle produit aussi des représentations qui relèvent du poétique et qui, pour se dire, s’organisent en un discours articulé et cohérent. Le parcours théologique est en quelque sorte inverse qui désigne l’ineffable au bout du chemin et non son préalable, il lui faut pour cela traverser l’âpreté du concept et en dégager sa fonction analogique. Bien entendu, à travers l’histoire, le discours théologique s’exprime aussi à l’aide de représentations poétiques. Pourtant il y a en christianisme un récit et une révélation dans l’histoire, c’est pourquoi l’union mystique n’est pas seulement, ni même sans doute le chemin privilégié, mais bien la voie du Verbe, de l’intelligibilité et des médiations historiques. Ces deux voies renvoient au mystère abyssal du divin et, malgré les apparences, la voie de l’Esprit est aussi identification séparatrice, et communion unitive celle du Verbe ; en effet, le paradoxe du Dieu manifesté dans la proximité de la chair n’est pas un moindre indice de son insaisissabilité. Après avoir évoqué comment la perception de Dieu inatteignable est traversée par les mystiques et comment elle est pensée par la théologie, étudions un certain nombre de représentations du Dieu trine, notamment dans leur dimension sexuée.

2. Représentations et symbolique trinitaire

Il est sans doute relativement aisé de se déprendre des représentations de surface, soit qu’elles relèvent du moyen terme historique (le christianisme du XIXe s. trop immédiatement identifié à la morale bourgeoise de l’Occident) ou d’un contingent obsolète plus lointain (Anselme de Canterbury pensant les relations entre Dieu et sa créature sur le modèle social médiéval). Il est moins facile de se défaire de représentations inscrites dans la mémoire de long terme qu’on hésite à qualifier de structurelles ou de conjoncturelles. Qu’est-ce ce qui est anthropologiquement invariant et qu’est-ce qui est historiquement contingent ? Les débats actuels, tant sur le genre que sur l’animalité ou la robotique en sont un exemple. À une période où des variations culturelles tenues aujourd’hui pour contingentes furent absolutisées, succède une époque qui ne tient pour aucun invariant. Qu’en est-il alors des représentations de l’Absolu et des métaphores utilisées pour le signifier ou encore des imaginaires qui produisent et qui, simultanément, sont portés par les œuvres artistiques ? Nous analyserons d’abord le jeu subtil des représentations sexuées dans l’imaginaire symbolique des personnes trinitaires avant d’analyser le fonctionnement de ces représentations. Enfin nous nous interrogerons sur le statut des médiations conceptuelle, artistique et historique.

2.1. La symbolique trinitaire et son imaginaire

On sait la difficulté posée par l’expression paulinienne employée en Ép 4,13, ἄνδρα τέλειον, que la TOB traduit pudiquement par « parvenir à l’état d’adulte » plutôt que par l’homme (mâle) accompli ou parfait. Pourtant, ce n’est pas ce verset qui conduit Augustin à un étrange raisonnement mais la péricope où Paul traite du voile que la femme doit porter parce qu’elle est la gloire de son mari alors que le mâle est la gloire de Dieu (1 Co 11,7-15). Son exégèse le conduit à considérer le mâle (vir) comme image de Dieu dans son humanité et dans sa masculinité tandis que la femme (mulier) n’est image de Dieu qu’associée à son époux... autrement dit, en stricte dépendance de ce qui est considérée comme la pleine humanité (le masculin) et non point dans ce qui, aux yeux des mâles, la particularise – sa féminité35. Le féminin ne peut, de manière autonome, être considéré comme image de Dieu car il n’accède à l’humanité pleine et entière qu’en raison de sa dépendance au masculin. Autrement dit, le masculin est l’expression par défaut de l’humanité. Ce type de représentation affecte évidemment la conception que l’on a du divin, mais les choses se complexifient lorsqu’il faut le penser dans sa réalité trine et, nous le verrons, Augustin propose une représentation autrement plus intéressante dans la suite de son traité. Mais attardons-nous à présent sur quelques métaphores sexuées.

Dieu confessé comme trine requiert de le penser simultanément selon la configuration tri-hypostatique et selon la communion des Trois – communion qui s’accomplit de manière « périchorétique » de telle sorte qu’aucune des Hypostases n’est close sur elle-même. Cette symbolique est construite autour de deux figures masculines, le Créateur nommé Père et le Logos qui est dit Fils, et d’une figure souvent associée au féminin, l’Esprit saint. Il s’agit certes d’analogies, c’est-à-dire de représentations élaborées à partir du monde de l’expérience sensible et qui traduisent une interprétation du monde. Et pourtant, en raison de l’incarnation, n’y a-t-il pas plus qu’analogie ? En effet, le Verbe fait chair nous présente bien un homme qui appelle Dieu son Père... « Qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14,9). Il y a là une image de Dieu réalisée dans la chair du monde, donc sexuée, et qui a dès lors une puissante force évocatrice. De plus, d’après la Genèse, l’humanité est structurellement différenciée, signifiant ainsi que nulle incarnation humaine, par son sexe ne peut prétendre assumer la qualité humaine dans sa seule réalisation.

Cependant la sexuation des métaphores divines est plus complexe que ne pourrait le laisser suggérer une approche superficielle. Jacques Briend recense le vocabulaire de la maternité dans la Bible et analyse les occurrences des verbes « concevoir » et « enfanter », appliqués à Dieu36. Retenons-en une seule :

Le Seigneur, tel un héros, va sortir, tel un homme de guerre il réveille sa jalousie, il pousse un cri d’alarme, un grondement et contre ses ennemis se comporte en héros. Je suis depuis longtemps resté inactif, je ne disais rien, je me contenais ; comme femme en travail, je gémis, je suffoque, et je suis oppressé tout à la fois. (És 42,13-14)

Dans le verset 14, évoquant la respiration d’une femme en travail, l’action de Dieu est exprimée comme un enfantement et s’articule de manière saisissante à la métaphore guerrière, traditionnellement masculine, du verset 1337. Et si le nom de Père est central dans le Nouveau Testament où Jésus s’adresse à son Père-Abba, Jésus utilise également la comparaison de la poule qui souhaite rassembler ses poussins38. Julienne de Norwich dans Revelations of Divine Love, appelle Jésus « notre mère véritable » douce et aimante et ajoute qu’il est notre mère, notre frère, notre sauveur39 ; cette image maternelle, conjuguée avec celle de la paternité, est très développée dans le récit de ses visions40. Cette métaphore n’est pas inhabituelle chez les médiévaux, par exemple Anselme de Canterbury, citant Lc 13,37, s’adresse à Jésus comme à une mère41.

Qu’en est-il de la troisième Hypostase ? Faut-il, comme l’affirme Elizabeth A. Johnson, lier l’oubli de l’Esprit à la marginalisation des femmes ?42 Il est certain que l’on attribue à l’Esprit saint des qualités dites féminines. Se référant aux distinctions sexuées conventionnelles, Sergeï Boulgakov et Paul Beauchamp ont largement utilisé cette métaphore. Boulgakov, sur fond de sa perspective théanthropique dont la sagesse est le pivot, conjugue les figures de l’Esprit et de Marie et développe le thème de la Déi-maternité43.

L’esprit sophianique de l’homme est androgyne, bien qu’en fait chaque homme, chaque individu ne soit que masculin ou que féminin ; c’est-à-dire que malgré la qualité androgyne de son esprit, il ne touche à l’être que par un seul principe, dont le second est complémentaire. Et cette androgynie est l’intégrité de l’image de Dieu en l’homme. [...]

Nous savons déjà qu’à cette distinction qui est parallèle aux principes masculin et féminin correspond, dans l’incarnation, le fait que le Christ a pris l’image d’un homme et que le Saint-Esprit s’est pleinement manifesté dans l’image de la Pneumatophore Vierge Marie ; de telle sorte que l’image de la Théanthropie parfaite dans sa plénitude, au ciel et sur la terre, n’est pas le Fils seul, mais le Fils de la Vierge, l’Enfant suréternel dans le sein de la Mère de Dieu44.

Distinguant un féminin-masculin selon la chair et un autre selon l’Esprit, Boulgakov tend vers une interprétation du féminin et du masculin dans leur version spirituelle comme propriétés de Dieu et non comme métaphores : la polarité féminin-masculin serait ainsi en Dieu le prototype de ce qui est réalisé dans la créature. En raison de sa perspective panenthéiste, la théanthropie qui pose l’humanité du Verbe de toute éternité en Dieu45, l’Irreprésentable est clef de compréhension du visible. L’expérience sexuée du créé trouve ainsi son paradigme dans l’Irreprésentable.

Dans Création et séparation, Paul Beauchamp montre comment l’acte créateur se réalise à la fois par l’acte de séparation et par la couvade : « L’esprit planait sur les eaux... ». Le Verbe, en signifiant la dimension centrifuge de l’action séparatrice, manifeste la transcendance divine, alors que l’esprit, par sa fluidité et l’esquisse d’un mouvement unificateur de rassemblement, équilibre ce que la séparation pourrait avoir d’austère et de radical, en manifestant la présence du divin dans le monde créé. Dans le récit de Gn 1, le souffle (rûach) et la parole jouent donc toutes deux un rôle : la ruâch est d’emblée présente, située entre ciel et terre (Gn 1,2c) et ensuite la parole qui organise et qui sépare. L’esprit (ou rûach) n’est pas chaos (tehom), mais « signe de la présence mobile et orientée de Dieu »46. L’acte créateur s’effectue par le principe fluide de l’esprit et par la parole qui s’apparente à la Loi, qui tranche, organise et sépare. La rûach et la parole, toutes deux actrices de l’acte créateur dans ce récit de création évoquent des symboliques traditionnellement attribuées la première au féminin et la deuxième au masculin47. Lecteur de Boulgakov et soucieux de valoriser la présence du féminin dans l’histoire de l’alliance48, Paul Beauchamp reprend la thématique du féminin comme enracinement anthropologique de l’Esprit saint. Le bibliste fait alors exploser les représentations sexuées du divin : alors que le Père et le Fils sont identifiés chacun, séparément, le premier par la paternité versus maternité (Créateur) et le second par la nuptialité (l’Époux), maternité et nuptialité sont deux métaphores réunies d’une part en l’Esprit saint et d’autre part en Marie puisque l’Esprit préside à la Déi-maternité de Marie et qu’il fait aussi œuvre de nuptialité en suscitant l’Église épouse du Christ. Tout comme Marie mère de Dieu est figure de l’Église-Épouse, l’Esprit concentre ces deux fonctions. Cependant chez Beauchamp les images sexuées du divin orientent vers un au-delà des figures. L’Esprit est pensé comme accomplissement de l’amour trinitaire, dans ses deux dimensions, interne et externe, puisqu’il est « le don que s’échangent le Père et le Fils et nous sommes le don que s’échangent le Père et le Fils »49. Et cet amour se dit par-delà maternité et nuptialité. Les métaphores doivent être dépassées car l’Esprit d’amour « n’est ni nuptial, ni maternel », il est simplement l’Amour. Aucune forme humaine d’amour n’est plus propre qu’une autre à signifier l’Amour trinitaire, toutes doivent être libérées par cet amour qui vient d’en-haut ; chacun de ces amours, de l’épouse et de la mère, nie qu’il soit l’autre, mais Dieu en Marie nie cette négation : « l’Esprit en Marie, l’attire vers l’unique Père, principe inaccessible de toute unité »50.

Il y a, certes, chez ces deux auteurs une précompréhension de ce que sont le féminin et le masculin, mais c’est l’usage herméneutique de ces représentations qui nous intéresse ici. Chez Boulgakov, en cohérence avec sa perspective panenthéiste, le visible est le reflet de l’invisible qui en est le paradigme ; différemment, Beauchamp considère que le visible désigne l’invisible, mais celui-ci est au-delà des formes historiques. La clef analogique est perçue par le premier dans une logique de continuité alors que, liée à une perception de la discontinuité, le second insiste sur le totaliter aliter entre le créé et l’incréé. Beauchamp se situe dans la logique du nom propre de Dieu : bien que désignant un attribut proprement divin, la manière de le signifier appartient au monde créé : en Christ, les différences contingentes sont abolies (Ga 3,28). Demeurent les distinctions persistantes : l’individualité, et l’on sait combien la notion de personne eut un rôle majeur dans l’élaboration du dogme. Il convient de désigner l’altérité sans l’identifier absolument à des différences propres au monde créé et donc évolutives, soit dans l’histoire (libre et esclave) soit dans le basculement du chronos au kairos christique (féminin et masculin Ga 3,28b).

2.2. Figurer Dieu

Plus il est facile de désigner qu’il y a un Dieu, moins on sait qui il est, nous rappelle Pascal ; plus Dieu est caché, mieux on le connaît, scandant ainsi la progressivité de la connaissance de Dieu par le témoignage de la nature, par l’incarnation du Verbe et enfin par l’eucharistie51. On peut ainsi considérer que l’accès à la proximité de Dieu nécessite au préalable la reconnaissance de son altérité, de sa dissemblance. Paradoxe du mystère de l’incarnation : l’Absolu se révèle au plus proche de l’humanité et au plus éloigné de sa transcendance ; reconnaître sa transcendance est la voie d’accès à sa proximité. Au terme de son histoire des représentations picturales de Dieu, François Bœspflug souligne l’ambivalence de cette épopée artistique : « Tant d’éblouissements, d’intuitions, d’admiration, de désirs d’union “au-delà de l’image”, et aussi tant d’ambiguïtés, de collusions, de rejets. Tant de risques, aussi, de se tromper de prendre Dieu pour un mâle dominant, un monarque, un grand-père-au-ciel. »52 Cette ambivalence traverse l’histoire de la chrétienté et le débat connut un sommet avec Nicée II, qui trancha en faveur de la vénération des images car « l’honneur rendu à l’image s’en va au modèle original ». En effet, « la figuration par l’image de personnes vivantes [...] fait accord avec le récit de la prédication évangélique, en vue de fortifier la foi en l’incarnation, véritable et non en apparence, du Verbe de Dieu »53.

Reprenons la notion de figure que la tradition chrétienne hérite des auteurs païens en lui donnant un sens nouveau : penser les formes historiques préfiguratives du salut dans l’histoire et son accomplissement. « Les figures ne sont [...] pas seulement transitoires ; elles sont la forme transitoire d’une chose éternelle et intemporelle »54. Puisque le Dieu de Jésus-Christ est, pour reprendre Eberhard Jüngel, à penser dans son unité avec ce-qui-passe, dans quelle mesure les formes transitoires sont-elles affectées par l’Éternel et affectent-elles Celui-ci ? La figure, souligne Beauchamp, est stabilité et mouvement ; elle est la forme qui se donne à voir, mais elle est aussi ce qui fait sens par un dispositif cohérent de la réalité : une même signification, mais polymorphe tout au long du récit. Les figures diffèrent par leur caractère irréversible, en tant qu’elles touchent à un événement spécifique, mais elles reviennent de manière circulaire ; cercle orienté qui accouche d’un définitif, qui va « jusqu’au bout de l’ancien pour expulser le nouveau »55. Lire les figures et leur accomplissement, c’est s’ouvrir au mystère, c’est-à-dire à cette totalité qui prend sens autour du Christ et qui est l’objet d’un dessein de Dieu dès les origines (Ép 1,9-11). Historiques, les figures sont donc évolutives. Que ce soit la plastique, la poésie, la musique ou le concept, il s’agit – à partir de la matérialité, de la règle grammaticale, harmonique ou logique – d’ouvrir à l’invisible et non pas de détourner « des choses spirituelles en submergeant les yeux dans le flot des choses charnelles »56.

Dans la deuxième partie du De trinitate, Augustin trouve ses images dans la structure de l’âme. L’âme est mémoire, intelligence et volonté et, lorsqu’elle est tournée vers son véritable bien et participe ainsi à la sagesse de Dieu : memoria Dei, intelligentia Dei et amor Dei, l’âme est image de Dieu57. Ces trois images mentales ne doivent pas être comprises comme un décalque terme à terme des personnes de la Trinité, car il s’agit d’« une analogie structurelle de l’unité de présence, d’action et de don de soi mutuel qui caractérise la vie divine »58. Cette image renvoie à une expérience commune que l’on peut considérer comme universelle et ne s’appuie donc pas sur des aspects contingents de l’expérience comme la réflexion faite par l’évêque d’Hippone à partir de 1 Co 1,7-15. Nous proposons de tenter une telle recherche symbolique à nouveaux frais : prendre des éléments structurants de l’expérience humaine, certes liées à la philosophie et à l’esprit du temps mais qui nous paraissent universalisables à partir du moment où on se situe évidemment dans une perspective non matérialiste ou, à l’inverse, gnostique.

3. Le vitrail des représentations

Lorsqu’on déambule à l’intérieur de la basilique Saint-Julien de Brioude, en Haute-Loire, la lumière irradie la pierre d’éclats colorés par les vitraux de Kim En Joong. Le vitrail filtre et transforme la lumière, mais l’irradiation des couleurs disparaît-elle en la présence bienheureuse de l’Absolu ? Les cercles qui apparaissent au poète visionnaire au terme de son voyage ne sont-ils pas colorés ?

Dans la profonde et lumineuse essence
De la divine lumière trois cercles m’apparurent
De trois couleurs et d’unique grandeur ;
Et comme arcs-en-ciel l’un par l’autre irisés
Et le troisième, comme feu,
De l’un et l’autre également souffle de vie59.

La ligne de crête sur laquelle se tient Henri Le Saux manifeste les enjeux des représentations symboliques du divin : tenir à l’historicité et ses médiations pour éviter la fuite hors du créé ; affirmer le caractère analogique des représentations et des concepts sous peine de réduire le divin à ce par quoi on tente de le désigner ; maintenir l’altérité en Dieu et l’altérité entre le Créateur et le créé. Il s’agit alors de maintenir le pivot historique de la révélation tout en tenant compte de l’intérêt accordé aujourd’hui à la vie spirituelle hors médiations, et enfin, de valoriser la notion d’altérité structurante. Trois dimensions qui peuvent se dire en termes de charité, de vie et de relation-source.

3.1. La charité ou l’analogie messianique

Puisque Dieu se révèle dans l’histoire, le récit biblique et évangélique constitue une pierre d’angle pour comprendre à la fois les représentations et l’insaisissabilité de Dieu. Dès le début de son ministère, Jésus lie la venue du règne à sa personne (Mc 1,15). Jon Sobrino exprime ainsi cette dimension fondamentale du Dieu biblique comme Dieu en relation avec l’histoire : « Ce qui est dernier pour Jésus, c’est Dieu dans sa relation avec l’histoire des hommes, explicitée comme royaume. »60 Dans la tradition vétéro-testamentaire trois traits caractérisent la royauté divine : la souveraineté cosmique du Créateur ; l’engagement historique du Seigneur auprès de son peuple et qui s’élargit à toutes les nations ; royauté divine qui s’exerce selon le droit et la justice puisque le Seigneur est par excellence le roi des justes, des humbles61. Jésus de Nazareth reprend à son compte cette attention aux pauvres et aux opprimés. Et après Pâques, l’annonce de la proximité du règne, Dieu dans sa relation avec les êtres humains, se réalise par la médiation centrale de la figure christique qui en est l’exemplum et la voie. C’est ce rapport analogique que nous examinons : la figure christique inaugure le règne, mais celui-ci se réalise pour autant que le partenaire humain entre dans une suite qui le configure analogiquement au Fils.

Christoph Theobald reprend la question de l’analogie à partir de la notion de règne de Dieu telle qu’elle apparaît dans l’itinéraire de Jésus de Nazareth. Il s’agit d’ouvrir « une voie à l’expérience de la mystérieuse proximité du Dieu tout autre »62 : cette expérience est celle qui se réalise dans la suite des disciples sur le chemin ouvert par le Galiléen ressuscité. S’inscrivant dans le sillage d’Eberhard Jüngel mais s’en démarquant, Christoph Theobald propose d’honorer le lien intrinsèque entre paroles et actes de Jésus et de « situer le point de départ de l’analogia regni (comme analogatum princeps) dans la relation entre les signes des “temps messianiques” et Lui qui simultanément les détecte et les suscite »63. Il met en place une structure analogique de l’Évangile, centrée sur un agir, qui se déploie en trois dimensions. La première s’appuie sur un rapport d’exemplarité entre Jésus et ses disciples, analogie de proportionnalité qui part de la continuité pour dire la discontinuité radicale. Est maintenue ici la tension entre la suite des disciples et l’agir incomparable du Maître. La deuxième relève de l’analogie d’attribution entre le Christ ses disciples auxquels il attribue « une véritable identité singulière et collective, se montrant dans une ressemblance toujours plus grande par rapport à eux. » Partant de la dissemblance entre le ressuscité et les disciples est ensuite signifiée une ressemblance qui « ne vient pas annuler sa toujours plus grande dissemblance ; mais celle-ci s’avère, ici et maintenant, comme ressemblance toujours plus grande. »64 Il ne s’agit donc pas seulement d’un agir, mais bien d’une identité qui advient par cet agir. Enfin, l’analogia regni proprement dite est une analogie relationnelle pensée dans toute sa portée sociale. S’appuyant sur la messianité de Jésus qui advient dans son effacement même, et en écho à nos sociétés sécularisées, elle met en place une théologie de la création appuyée sur l’alliance qui la fonde. « Englobée par l’analogia fidei »65, elle fonctionne comme une analogia entis, désignant ce qui est commun à tout être humain, mais sous une modalité dynamique qui s’inscrit dans les anthropologies philosophiques contemporaines, avec une référence appuyée à la notion d’hospitalité reprise à Derrida.

L’analogie élaborée ici à partir de la figure du Messie valorise la ressemblance au sein même de la distance historique, de l’altérité identitaire et de l’écart entre les prémices et l’accomplissement du règne. Il s’agit d’une analogie pratique dans laquelle advient l’identité en référence, explicite ou non, au Christ (Mt 25). Référence au Christ, là est bien l’enjeu si on ne veut pas réduire le christianisme à des préceptes moraux. L’Esprit saint, révélateur de cette identité, permet d’y échapper et de situer la suite du Christ dans une perspective éthique de mode d’être au monde (1 Co 13) plutôt que de prescription simplement morale. En liant ici la charité à la figure du Messie plutôt qu’à celle de l’Esprit saint, on insiste sur son effectivité historique tout en l’inscrivant dans un registre théologal.

3.2. La vie ou l’analogie spirituelle

L’Esprit saint, par son étymologie même, est associé au souffle, à la vie. Celle-ci, tout comme les solidarités concrètes évoquées ci-dessus, est une expérience universelle interprétée diversement selon les options philosophiques ou religieuses. Le Dieu biblique, le Seigneur des vivants, donne la vie et fait vivre éternellement. Comment penser ce lieu analogique de l’esprit de vie ? Une approche matérialiste réduit la vie au biologique et ses expressions affectives, artistiques, etc. à des phénomènes neuronaux ; à l’inverse, une approche spiritualiste considère la chair comme entièrement domesticable par l’esprit. Or la vie du monde créé est traversée par cette ambivalence même : les êtres sont plus ou moins assignés à leur matérialité et plus ou moins capables d’en maîtriser le sens et l’orientation.

Pour Michel Henry, la vie est plus que l’homme compris comme vivant, c’est donc de la vie qu’il faut partir c’est-à-dire de Dieu puisque « la Vie constitue l’essence de Dieu et lui est identique »66. Dieu est cette vie capable de s’engendrer elle-même et le Christ, de filiation transcendante, est l’Archi-Fils, l’Archi-Vivant. Se référant à l’exultation de Jésus (Mt 11,25), le philosophe souligne que la vérité du christianisme relève de la vie et non de la pensée ou du langage. Cela n’exclut pas la réflexivité puisque la vie elle-même est pensée comme intelligibilité – entendue non pas selon la rationalité grecque mais comme jaillissant de la vie même. L’expérience de la chair est le lieu même où s’éprouve la transcendance puisque Dieu est la vie même67.

Étonnamment, chez cet auteur, la figure du Christ se substitue en quelque sorte à celle de l’Esprit ou, plus exactement, en lui sont rassemblées les caractéristiques des deux Hypostases : délié de la seule figure du Logos le Fils est aussi et d’abord le Vivant. Insistant sur la vérité existentielle du christianisme, le rôle des médiations historiques dans l’histoire de la révélation nous semble négligé mais l’intérêt de cette approche soucieuse de la vie dans sa double dimension immanente et transcendante, est de souligner combien la vie traverse les trois de la Trinité. Car la vie est aussi liée à la figure de l’Esprit saint figuré, comme le fait l’hymne grégorienne Veni Creator Spiritus, par les trois éléments fondamentaux de l’expérience cosmique : l’eau, le feu et l’air. Le Saint-Esprit n’est cependant pas indifférenciation mais bien principe de discernement, de séparation par identification ; accompagnant l’aventure historique de l’alliance et actualisant les dons de la grâce il ne laisse pas de produire des effets dans l’histoire malgré son invisibilité, la kénose est le lieu de sa manifestation.

La vie est affirmation de soi et retirement. Voyons comment cette dynamique se réalise dans la construction du sujet puisque la vie n’existe que sous sa forme individualisée.

3.3. La périchorèse ou l’analogie de la relation-source

Que ce soit dans les configurations Grecque ou Latine, la symbolique trinitaire pose une Hypostase première, source des autres et cependant la théologie des processions veille à ne pas poser d’antériorité de l’une par rapport aux autres. En ce sens les métaphores paternelle ou maternelle sont significatives puisque l’identité de père ou de mère advient dans l’acte de filiation même. L’ordonnancement n’est pas signe d’inégalité. Ce levier métaphorique trouve aujourd’hui d’autres ressources philosophiques.

Alors que, dans Soi-même comme un autre, l’altérité constitutive de soi est pensée à hauteur anthropologique, dans la conférence Amour et justice, qui articule la juste équivalence et la surabondance de l’amour, Ricœur réfère le dynamisme de ces deux dimensions au don et spécifiquement au symbolisme « de la création, au sens le plus fondamental de donation originaire de l’existence »68 ; dans l’univers biblique, cette perception du donné s’articule au don de Loi, chemin de vie. Le toujours-déjà-là, expérience universelle, structure une anthropologie de l’altérité. La construction de soi par la médiation des autres, de l’histoire, du langage, est un chemin de vie personnalisée qui désigne une identité dynamique, non close sur elle-même. Cette ouverture structurelle à l’altérité tient également au retirement afin de laisser à l’autre l’espace d’exister, lui aussi. Cette dimension kénotique, qui affecte les trois personnes trinitaires, est ici référé à l’acte créateur : Dieu se retire pour laisser exister le créé et c’est déjà par retirement même qu’il advient dans l’immanence de sa vie trine.

La dynamique de l’alliance, dans sa double dimension unilatérale et bilatérale, répond de cette donation initiatrice qui n’exclut pas la réciprocité : la Source ne se dit pas sans l’autre, le don sans la réciprocité. La corrélation permet d’identifier chacune des personnes trinitaires sans les enfermer dans un rôle et de montrer comment elles se construisent l’une avec l’autre. Chacune des Hypostases assume des caractéristiques qui leurs sont communes, mais selon un dispositif qui lui est propre, original, l’Hypostase-source signifiant l’unique Dieu origine et simultanément altérité en lui-même.

Les trois figures ici dégagées s’enracinent chacune dans une expérience universelle – fraternité, vie, relation – et font écho à la révélation. L’analogie de la sociabilité juste et charitable inscrit dans la suite du Messie et du Dieu de l’alliance ; l’amour est exprimé ici en réalisations historiques plutôt qu’en termes de dilection. L’analogie de la vie, expérience de communion unitive dépassant toute médiation, se présente comme figure d’intelligibilité plutôt que de volonté. L’analogie de la relation-source tente d’équilibrer la vie périchorétique et l’incommunicabilité des personnes. Dieu charité, Dieu vie, Dieu relation-source : trois images ou noms propres, pour désigner trois attributs divins et les donner comme paradigme incomparable à actualiser dans l’expérience créée.

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Dans quelle mesure l’expérience sensible peut-elle représenter l’Irreprésentable et les images de l’Irreprésentable devenir paradigmatiques de notre expérience de créature ? Le signifié doit primer les figures qui l’attestent : assumer la contingence et l’historicité des formes tout en maintenant la relativité des représentations pour déjouer le piège de faire de l’Absolu la simple projection de nos propres idéaux. L’inouï de la révélation nous met sur un chemin de crête lorsqu’il s’agit de dire la Trinité dont nous percevons en aveugle la réalité. Il s’agit de trouver une coïncidence entre Créateur et créature en maintenant l’asymétrie dans le jeu des représentations – que celles-ci soient plus abstraites ou plus immédiatement sensibles et incarnées et donc évolutives. Nous éprouvons présentement l’altérité à travers les médiations présentes de l’ordre du créé ; Au-delà, le chatoiement coloré du vitrail subsistera, mais totalement autre.

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1Thérèse d’Avila, Le livre de la vie, 18,10, in Œuvres complètes, Paris, Cerf, 1995, p. 128-129.

2Thérèse d’Avila, Le livre de la vie, op. cit., 18,14, p. 129-130. Mêmes accents chez Jean de la Croix : « Je vis, mais sans vivre en moi-même, / Et mon espérance est si haute, / Que je meurs de ne pas mourir. / Déjà je ne vis plus en moi, / Et sans mon Dieu je ne puis vivre ; / [...]. » Poèmes, « Couplets de l’âme qui aspire à voir Dieu », in : Jean de la Croix, Œuvres complètes, Paris, Cerf, 2001, p. 135.

3« Chant entre l’âme et l’Époux », ibid., p. 187.

4« Le livre de la nuit obscure », ibid., p. 923.

5Voir François-Marie Genuyt, « La polyphonie des langages religieux », Lumière & Vie 113 (mai 1973), p. 36-37.

6Thérèse D’Avila, Le livre de la vie, op. cit., chap. 22, p. 158.

7Henri Le Saux-Swami Abhishiktānanda, Intériorité et révélation. Essais théologiques, Sisteron, Éditions Présence, 1982.

8En songeant à l’ambivalence du mot allemand Aufhebung, conserver et mettre fin.

9Colette Poggi, « L’expérience d’Henri Le Saux-Abhishiktānanda à la confluence de deux révélations », in : Isabelle Chareire et Christian Salenson (dir.), Le dialogue des Écritures, Bruxelles, Lessius, 2007, p. 27-44.

10H. Le Saux, Intériorité et révélation, op. cit., p. 238-239.

11C. Poggi, Dialogue des Écritures, op. cit., p. 34.

12La tradition śivaïte du Cachemire perçoit l’unité du réel comme mouvement, vibration dans laquelle le Soi n’est plus statique mais dynamique ; voir Colette Poggi, Le miroir de la conscience. Du reflet à la lumière, chemin de dévoilement selon Abhinavagupta (Xe-XIe siècles), Paris, Les Deux Océans, 2016, p. 23. Colette Poggi souligne combien Henri Le Saux fut marqué par cette perception de l’indicible (Le dialogue des Écritures, op. cit., p. 106).

13« Ce qui m’intéresse comme la valeur universelle de l’expérience hindoue, c’est exactement ceci : retrouver la vérité au-delà de l’eidos [concept]. Bien sûr le concept a sa valeur, mais il n’est pas absolu, il est lié à l’évolution de la conscience humaine [...]. Ne faudrait-il pas que l’expérience occidentale et sa conceptualisation soient revivifiées par cette expérience trans-noétique ou plutôt trans-intellectuelle ? C’est cela seul qui m’intéresse ici. Retrouver cette expérience à son lieu de jaillissement, avant sa conceptualisation... Quel renouveau de son expérience de l’Esprit quand le chrétien a découvert cette petite source au-delà de tout... » Henri Le Saux, Lettre à un ami (1968), in : Initiation à la spiritualité des Upanishads, p. 20-21, cité par C. Poggi, Dialogue des Écritures, op. cit., p. 36.

14H. Le Saux-Swami Abhishiktānanda, Intériorité et révélation, op. cit., p. 253.

15Ibid.

16Ibid., p. 254.

17Ibid., p. 257. Voici le texte des Upanishad auquel il est fait ici allusion : « Lis, Étudie et sans cesse médite les Écritures, / Cependant, une fois que la lumière a brillé au-dedans de toi, / laisse-les tomber comme on laisse tomber le brandon qui a servi à allumer le feu ». Cité par C. Poggi, Dialogue des Écritures, op. cit., p. 38.

18Voir Jacques Dupuis, Jésus à la rencontre des religions, Paris, Desclée, 1989, p. 89-115.

19« Syllabe sacrée dénuée de sens conventionnel, OM se situe, comme la révélation, entre un au-delà de la parole inaudible, et la parole humaine audible. » C. Poggi, Dialogue des Écritures, op. cit., p. 42.

20Cité par J. Dupuis dans l’introduction de Intériorité et Révélation, op. cit., p. 16.

21Ghislain Lafont, Dieu, le temps et l’être, Paris, Cerf, 1986, p. 305-306.

22Ibid.

23Henri de Lubac, Sur les chemins de Dieu (1956), (Œuvres complètes, t. 1), Paris, Cerf, 2006.

24Ibid., p. 248.

25Ibid., p. 140.

26De Veritate, q. 2, a. 1, ad 9 ; « quidquid intellectus noster de Deo concipit, est deficiens a repraesentatione eius », https://www.corpusthomisticum.org.

27Somme contre les Gentils, I, 30, trad. Cyrille Michon, Paris, Flammarion, 1999.

28Thomas d’Aquin, Somme théologique (ci-après ST) 1a pars, q. 13, a. 3, resp. Voir aussi 1a, q. 33, a. 2. Trad. Revue des Jeunes.

29ST, 1a, q. 13, a. 3, ad. 3

30ST, 1a, q. 33, a. 3, resp.

31Henri Bouillard, Karl Barth, t. 3 : Parole de Dieu et existence humaine. Deuxième partie, Paris, Aubier, 1957, p. 201.

32Thomas opère ici une distinction intéressante mais étonnante entre le Tétragramme et le nom « Celui qui est » Thomas d’Aquin, ST, 1a, q. 13, a. 11, trad. Aimon-Marie Roguet, Paris, Cerf, 1984.

33Thomas d’Aquin, ST, 1a pars, q. 3, art. 5, resp.

34Les Conciles œcuméniques. Les Décrets. Tome II-1. Nicée I à Latran V, Giuseppe Alberigo et al. (éds), Paris, Cerf, 1994, p. 499 (#232).

35Augustin d’Hippone, La Trinité, XII, VII, 10, trad. Paul Agaësse (Bibliothèque augustinienne 16), Paris, DDB, 1955, p. 231.

36Jacques Briend, Dieu dans l’Écriture, Paris, Cerf, 1992, p. 71-90.

37J. Briend, op. cit., p. 80.

38« Que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble sa couvée sous ses ailes » Lc 13,34 // Mt 23,37.

39« [...] our true mother », « he is our mother, our brother, and Saviour ». Julian of Norwich, Revelations of Divine Love, trad. et éd. Barry Windeatt, Oxford, Oxford University Press, 2015, § 59 du texte long, trad. anglais moderne, p. 129.

40Maternité du Créateur, du rédempteur et de l’Esprit au travail dans le monde : « I understood three ways of regarding motherhood in God: the first is how he is the foundation of our nature’s creation; the second is his taking on of our nature (and there the motherhood of grace begins); the third is the motherhood at work, and in this, by the same grace, there is a spreading outwards of length, and breadth, and of height and of depth without end, and all is one love. » Julian of Norwich, Revelations of Divine Love, op. cit., p. 129. « Je compris trois façons d’entendre la maternité en Dieu : la première tient à ce qu’il est le fondement de la création de notre nature humaine ; la deuxième tient au fait qu’il a pris notre nature (et là commence la maternité de la grâce) ; la troisième est la maternité en travail et, en elle, par la même grâce, il y a diffusion sans fin en longueur et en largeur, en hauteur et en profondeur, et tout cela n’est qu’un seul amour. » (notre traduction).

41Prière citée par Elizabeth A. Johnson, Dieu au-delà du masculin et du féminin. Celui/Celle qui est, Paris, Cerf, 1999, p. 243.

42Ibid., p. 213.

43L’image féminine de la Troisième hypostase, qui est incarnante, est non seulement liée à la dimension féminine de l’Esprit lui-même (comme ruach), mais aussi à Marie par qui se réalise l’incarnation grâce à la puissance de l’Esprit. La participation de l’Esprit à la création est également pensée comme dei-maternité : Sergeï Boulgakov, Le Paraclet, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1996, p. 186.

44Ibid., p. 179-180.

45Sergeï Boulgakov, La Sagesse divine et la théanthropie. I. Du Verbe incarné. L’Agneau de Dieu, Lausanne, L’Âge d’homme, 1982, p. 114-116.

46Paul Beauchamp, Création et séparation. Étude exégétique du chapitre premier de la Genèse, Paris, Aubier Montaigne-Cerf-Delachaux & Niestlé/Desclée de Brouwer, 1969, p. 181. Catherine Keller, différemment, valorise la dimension matricielle de l’acte créateur : s’appuyant sur le tehôm de Gn 1,2b, elle privilégie la continuité. Catherine Keller, Face of the Deep. A Theology of Becoming, Londres/New York, Routledge, 2003, p. 9. Analyse reprise par John D. Caputo, La faiblesse de Dieu. Une théologie de l’événement, Genève, Labor et Fides, 2016, p. 95 sq.

47Paul Beauchamp retrouve cette double polarité avec la sagesse et la loi en Pr 8,22-31.

48Paul Beauchamp, Le récit, la lettre et le corps. Essais bibliques, Paris, Cerf, 1992, p. 179.

49Ibid., p. 168.

50Ibid., p. 186. Significative ici la référence faite au sermon 21 de Maître Eckhart : « “Un” désigne ce à quoi rien n’est ajouté [...]. “Un” désigne la négation de la négation. Toutes les créatures sont elles-mêmes une négation ; l’une nie qu’elle soit l’autre [...]. Mais Dieu a une négation de la négation. Il est Dieu et nie toute chose [...]. Dieu est “Un”, il est négation de la négation. » (cité d’après la trad. de Jeanne Ancelet-Hustache, Paris, Seuil, 1974, p. 185-186). « Découvrir qu’aucune forme de l’amour n’est plus l’amour que les autres formes, c’est là un effet particulièrement libérant produit par cet Esprit qui vit aujourd’hui parmi nous. » P. Beauchamp, Le récit, la lettre et le corps, op. cit., p. 187.

51Lettre à Charlotte de Roannez, oct. 1656, in Blaise Pascal, Œuvres complètes, t. 2, Michel Le Guern (éd.), Paris, Gallimard (Pléiade), 2000, p. 30.

52François Bœsplug, Dieu et ses images, Paris, Bayard, 2017, p. 446.

53Les Conciles œcuméniques. Les Décrets. Tome II-1, op. cit., p. 305, citant Basile de Césarée, et p. 303.

54Erich Auerbach, Figura. La Loi juive et la Promesse chrétienne, (1938), Paris, Macula, 2017, p. 71.

55Ibid., p. 228.

56F. Bœsplug évoquant la position d’Agobard de Lyon, Dieu et ses images, op. cit., p. 146.

57De trinitate, op. cit., livres XIV-XV.

58Rowan Williams, « La Trinité », in : Allan D. Fitzgerald et Marie-Anne Vannier (dir.), Encyclopédie saint Augustin. La Méditerranée et l’Europe. IVe-XXIe siècle, Paris, Cerf, 2005, p. 1429.

59Dante Alighieri, Commedia, Milan, Garzanti, 1987, « Paradiso » XXXIII, 115-120, notre traduction. « Ne la profonda e chiara sussistenza / de l’alto lume parvermi tre giri / di tre colori e d’una contenenza ; e l’un da l’altro come iri da iri / parea reflesso, e’l terzo parea foco / che quinci e quindi igualmente si spiri. »

60Jon Sobrino, Jésus en Amérique latine. Sa signification pour la foi et la christologie, Paris, Cerf, 1986, p. 140.

61Voir notamment la contribution de Joseph Coppens à l’article « Règne de Dieu » du Supplément au Dictionnaire de la Bible, Paris, Letouzey & Ané, 1981, t. 54, col. 1-58.

62Christoph Theobald, « Analogia regni. Approche contextuelle du “principe” de la théologie chrétienne », in : Selon l’Esprit de sainteté. Genèse d’une théologie systématique, Paris, Cerf, 2015, p. 456.

63Ibid., p. 455.

64Ibid., t. 2, p. 469.

65Ibid., t. 2, p. 470.

66Michel Henry, C’est moi la vérité. Pour une philosophie du christianisme, Paris, Seuil, 1996, p. 40.

67Ibid., p. 176.

68Paul Ricœur, Liebe und Gerechtigkeit/Amour et justice, Tübingen, Mohr Siebeck, 1990, p. 44.