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Rabindranath Tagore, Œuvres

Paris, Gallimard (Quarto), 2020, 1 630 p.

Jean BOREL

« Rarement l’argile humaine a-t-elle montré plus beau visage d’homme, disait Saint John Perse de Rabindranath Tagore (1861-1941). Il s’assit parmi nous comme l’hôte dans les fables : vêtu d’étoffe blanche et porteur de message. Il nous parlait en musicien autant qu’en philosophe, avec cette douceur étrange, dans le regard, des âmes très altières. Une légende l’entourait comme une aura de grâce. Et de cette légende nous aimions retenir ceci : que des poèmes de jeunesse aient pu rejoindre l’anonymat sur d’humbles lèvres de vivants... » Il ne pouvait donc pas y avoir de plus généreuse idée que celle de concevoir ce volume Quarto de plus de mille six cents pages, offrant pour la première fois au lecteur français la possibilité d’explorer l’ensemble de l’œuvre poétique, romancière, théâtrale, philosophique, religieuse, politique et artistique de Tagore, en la replaçant, grâce à un fil chronologique précis qui permet de suivre l’évolution de sa pensée, dans son contexte historique et culturel unique, celui d’une Inde en plein éveil d’indépendance. Premier auteur non-occidental à recevoir le prix Nobel de littérature en 1913, Rabindranath Tagore était doté d’une extraordinaire clairvoyance : l’élévation des peuples ne pourra se faire, disait-il, qu’au travers du développement de la connaissance et de l’art par une éducation en osmose avec la nature. Fondamentalement tourné vers la jeunesse et préoccupé par son avenir, il incarnait selon Gandhi la « Grande sentinelle » de l’Inde. Ce qui ne l’a nullement éloigné de l’Occident où il accepté de participer à de multiples rencontres littéraires, philosophiques et culturelles au cours desquelles il noua des liens aussi précieux que féconds. Comme le dit le présentateur Fabien Chartier : « si la pluralité des dimensions de l’œuvre et la diversité des domaines abordés ont de quoi déconcerter, un trait toutefois les unit en profondeur, la quête du beau et de l’harmonieux. C’est elle qui motive les choix ainsi que les initiatives du poète et qui donne à l’ensemble sa cohérence ». Et c’est bien ce qui ressort avec une particulière clarté dans l’un de ses derniers ouvrages, le dernier que reproduit intégralement cette anthologie : la Religion de l’homme, qui date de 1933 et rassemble les conférences Hibbert données à Oxford au Manchester College, pendant le mois de mai 1930 : « le fait qu’un seul thème s’y retrouve tout au long, écrit-il en préface, me prouve que la religion de l’homme a évolué dans mon esprit, pas simplement comme un sujet philosophique, mais comme une expérience religieuse. À vrai dire, une très grande partie de mes écrits, depuis les premières productions de ma jeunesse inexpérimentée, jusqu’au temps présent, porte une trace presque continue de l’histoire de ce développement. Aujourd’hui je deviens conscient que les œuvres que j’ai commencées et les mots que j’ai prononcés sont liés profondément par une unité d’inspiration, dont la définition appropriée m’est restée souvent non révélée. Dans le présent volume, j’apporte le témoignage de ma vie personnelle que je me suis efforcé de rendre précis. Quelques-uns de mes lecteurs trouveront là matière à un intérêt psychologique ; mais j’espère que pour d’autres, ce témoignage aura sa propre valeur idéale qui importe pour un sujet tel que celui de la religion » (p. 1317). Et Tagore d’affirmer en conclusion, après avoir développé les thèmes qui lui sont chers comme l’univers de l’homme et l’union spirituelle, le prophétisme de Zarathustra et la solidarité entre les races, la liberté spirituelle et les quatre étapes de la vie : « ce que j’ai essayé de montrer dans ce livre est le fait que, quel que puisse être le nom donné à la Réalité divine, elle a trouvé son sommet dans l’histoire de notre religion, grâce à son caractère humain, donnant un sens à l’idée de péché et de sainteté, et offrant une base éternelle à tous les idéaux de perfection qui ont leur harmonie avec la propre nature de l’homme ». (p. 1411). D’excellents dossiers sont ajoutés à la suite : d’abord, Tagore vu par ses contemporains dans lequel s’expriment des écrivains et des philosophes comme Mircea Eliade et Saint John Perse, André Gide et Henri Michaux, Claudel et Romain Rolland, Bergson et Georges Duhamel, et ensuite Tagore et l’art où différentes plumes invitent le lecteur à l’appréciation du talent de peintre que Tagore a manifesté de manière si originale, et enfin un ensemble de contributions littéraires, théologiques et linguistiques sur le thème de « la traduction et de la réception du Gitanjali en France ». Pour guider le lecteur dans sa découverte de l’œuvre de Tagore, un appareil critique propose, d’une part, des notes éclairant les références littéraires, historiques, mythologiques ou culturelles auxquelles renvoie l’auteur ; d’autre part, un glossaire répertoriant et explicitant les termes et notions philosophiques et religieuses propres à la culture indienne. Figurent également en fin de volume une galerie de portraits, livrant un éclairage sur les personnalités de l’entourage de Tagore, ainsi que deux cartes, l’une consacrée à l’Inde, replaçant les différentes villes où le poète a séjourné, l’autre, retraçant ses voyages à travers le monde, entre 1912 et 1934.