Book Title

Johannes Bartuschat, Stefano Prandi (éds), Dante in Svizzera. Dante in der Schweiz

Ravenne, Longo Editore (Memoria del tempo 60), 2019, 158 p.

Ruedi IMBACH

Les huit contributions de cet ouvrage sont issues d’un colloque qui avait eu lieu à l’Université de Berne en 2015. Elles fournissent un beau panorama de la réception de l’œuvre, de la pensée et de l’art de Dante Alighieri en Suisse. Le premier, sur l’actuel territoire de la Suisse, à avoir proposé une traduction partielle de la Comédie est Johann Christoph Bodmer qui en 1741 a traduit un chant de l’Inferno, comme le rappelle Elena Polledri dans sa contribution sur les traductions dantesque en Suisse (p. 11-28). La première traduction complète en allemand publiée en Suisse est de 1921, et c’est la même année que le P. Berthier, professeur à Fribourg, publiera une traduction française (qui vient d’être rééditée par Ruedi Imbach, Paris, DDB, 2018). Tandis qu’Anett Lütteken analyse l’apport de Bodmer à l’interprétation de Dante (p. 29-48), Michele C. Ferrari situe les contributions de Johann Caspar von Orelli (1787-1849), un des fondateurs de la théologie libérale, auteur notamment d’une Vita di Dante (1820), dans le contexte de l’érudition européenne (p. 85-100). Le bâlois Johann Bernhard Merian (1723-1807), qui fut secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences de Berlin par son ouvrage (en français) Comment les sciences influent dans la poésie, a indéniablement préparé le terrain pour une redécouverte de Dante an Allemagne, comme l’article de Mario Zanucchi (p. 49-66) le suggère à juste titre. L’apport de Giovanni Andrea Scartazzini aux études dantesques est étudié par Stefano Prandi (p. 116-133). Les quatre volumes de son commentaire de la Divine Comédie (1874-1890) et son Enciclopedia dantesca (1896-1905) appartiennent indubitablement à l’histoire de l’érudition dantesque, comme le montre Stefano Prandi (117-133). Parmi les qualités de la méthode de commenter de Scartazzini il faut mentionner, outre le recours constant aux œuvres mineures de Dante, l’utilisation des commentaires anciens et l’identification des sources (p. 130). L’approche de Dante que pratiquait Theophil Spoerri (1890-1974, professeur à l’Université de Zurich), est bien différente, comme le montre déjà le titre d’une de ses contributions : actualité de Dante (1945). Selon la présentation de Bartuschat (p. 135-147), Spoerri défendait l’idée que « la poésie doit être à la racine d’un renouvellement moral de l’homme » (p. 130). L’importante étude que Giovanna Cordibella consacre au rôle de Dante dans la conception de la Renaissance chez Jacob Burckhardt (1818-1897, p. 101-116) montre que Dante est « une figure névralgique qui marque le passage entre deux époques » (p. 112). Pour l’historien bâlois le poète italien est « une pierre angulaire » entre le moyen âge et l’époque moderne (p. 112, 116). Ce tableau instructif de la présence de Dante dans la vie intellectuelle en Suisse au XIXe et XXe siècle est complété par une étude sur l’interprétation de Dante par le peintre Johann Heinrich Füssli (1741-1825, p. 67-83) dont les illustrations de thèmes dantesques sont aussi étonnantes que fascinantes, comme celle qui se trouve sur la couverture de l’ouvrage recensé et qui montre Virgile consolant Dante devant Paolo et Francesca. On peut donc dire que Füssli « sera pionnier d’un nouveau style de peinture grâce au dialogue avec Dante » (p. 9). Cet ouvrage collectif témoigne d’un intérêt soutenu pour l’œuvre de Dante en Suisse du XVIIIe au XXe siècle. Il est toutefois frappant que les auteurs étudiés appartiennent tous à un fonds culturel protestant. Par ailleurs, il faut noter qu’il est peu question de la Suisse romande (le cercle de Coppet autour de Madame de Staël est brièvement mentionné p. 22), mais il serait sûrement intéressant de faire quelques sondages dans l’entourage des universités romandes pour examiner comment on a enseigné et étudié Dante (on peut penser à Remo Fasani à Neuchâtel ou Gianfranco Contini à Fribourg). Le cas de Joachim-Joseph Berthier, un des premiers recteurs de la nouvelle université de Fribourg, qui a publié en 1892 une édition largement commentée de l’Inferno (La Divina Commedia di Dante con commento secondo la scolastica, Fribourg), montre déjà qu’un tel complément mériterait un examen.