Risque et existence chez Søren Kierkegaard
1. Ivresse et sobriété
« Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent » (Mt 6,24). Cette thèse de l’opposition du monde et du christianisme, Kierkegaard n’a eu de cesse de la défendre dans son œuvre, ce, avec une virulence croissante, trouvant son apogée polémique avec la publication de L’instant à partir de mai 1855. Pour le Danois (suivant en cela ce qu’il nomme le « christianisme du Nouveau-Testament ») l’homme ne peut servir à la fois le christianisme et le monde, s’attacher à l’éternité et à la temporalité – l’homme doit choisir, et parce que son existence est tout entière conditionnée par ce choix, son existence elle-même est choix. Précisément l’homme ne peut servir deux maîtres, l’homme doit choisir, parce que le christianisme et le monde s’opposent fondamentalement. Leur seul point d’accord, c’est que l’homme doit être « sobre » (1 P 4,7). Mais s’ils s’accordent sur ce point, ils s’opposent essentiellement sur le sens de cette sobriété. On lit dans Jugez vous-mêmes : « L’esprit du monde tient le christianisme pour une ivresse, et le christianisme voit de même dans l’esprit du monde une ivresse. »1 En effet, si la sobriété chrétienne enjoint inconditionnellement à lâcher le probable et le vraisemblable (termes utilisés alternativement par Paul-Henri Tisseau pour traduire le substantif danois Sandsynlighed), à risquer pour s’en remettre à Dieu, la sobriété mondaine se distingue par « l’esprit raisonnable, la circonspection, la sage prudence et autres qualités semblables », tandis que son ivresse relève de « l’exaltation, [du] risque audacieux où l’on se détache du vraisemblable [det at vove og saaledes at vove, at man slipper Sandsynligheden] »2. Et précisément, « l’homme sérieux », pour reprendre un personnage éminent du panthéon kierkegaardien, s’en tient au probable, n’en vient jamais à risquer. Ou plutôt, il n’accepte de risquer qu’à condition d’avoir assurances, certitudes et garanties, sinon dit-il, risquer est folie. Comme l’écrit Kierkegaard, il ne croit « que sur preuve – car [il s’en tient] au certain » lui qui est « l’entendement en ce qu’il a de plus froid, de plus calme et de plus clair [den koldeste og roligste og klareste Forstandighed] »3. Dès lors, l’homme sérieux, l’esprit du monde, se méprend sur la définition même du risque, dont le concept évince d’emblée tout rapport au probable, aux preuves ou encore à l’objectivement certain. Dans le Post-scriptum, Climacus écrit : « Mais qu’est-ce donc que risquer [at vove] ? Le risque ne va pas sans l’incertitude ; il en est le corrélatif ; dès qu’il y a certitude, il n’y a plus de risque. Si donc notre homme reçoit certitude et précision, il lui est impossible d’en venir à tout risquer ; car il ne risque alors rien du tout, même s’il renonce à tout [...]. Si la chose dont je dois obtenir la possession par le risque est certaine, je ne risque pas, je fais un échange [saa vover jeg ikke, saa bytter jeg]. »4 Climacus distingue ainsi le risque de l’échange, qu’il qualifie encore de troc, de commerce, etc., champ lexical qui n’est pas étranger à l’homme sérieux, à l’homme mondain et à son « esprit de boutiquier » pour reprendre la traduction du terme Spidsborgerlighed par Paul-Henri Tisseau.
Ainsi l’esprit du monde est-il, au sens de Kierkegaard, tout entier à la temporalité, et veut par conséquent tout ramener à la temporalité. Sa sobriété se fonde sur une « sage prudence » qui n’est pas la prudence aristotélicienne, qui se limite à l’éthique5, mais une prudence générale, faite d’habiles calculs et en définitive de médiocrité (Middelmaadighed), cherchant à tout prix à se soustraire au moindre geste décisif enjoignant à rompre avec le probable.
La mondanité s’appuie en outre sur une certaine conception du ne quid nimis, du « rien de trop », qualifié par Climacus de « la summa summarum de toute la sagesse de la vie dans le monde fini »6 dans le Post-scriptum. Parallèlement, dans l’Exercice en christianisme, Anti-Climacus fait du ne quid nimis la devise même de la mondanité – dans une formule rappelant le « Ce qui est effectif est rationnel [Was wirklich ist, das ist vernünftig] » des Principes de la philosophie du droit7 – : « Ne quid nimis ! l’ordre établi, voilà le rationnel [Det Bestaaende er det Fornuftige] ; et tu es heureux si tu prends possession du relatif qui t’est assigné. »8 La sobriété mondaine est donc tout au relatif, n’exigeant rien de plus que ce qui est relatif et se scandalisant de ce qui y contrevient. Ou encore, pour Kierkegaard, elle relativise l’ensemble de ses rapports : au monde, ce qui est dans l’ordre, mais également à ce qui n’appartient pas au monde. C’est pourquoi l’homme mondain, n’ayant de rapports que relatifs, ne peut envisager son avenir comme « éternité », mais seulement comme « temporalité » – comme simple « futur ». Et c’est précisément parce qu’il n’a pas conscience de l’éternité qu’il est incapable de risquer9, n’ayant pas la moindre « conviction éternelle »10, pour reprendre l’expression de Kierkegaard dans Le Livre sur Adler. N’ayant de mesure que le monde et n’aimant rien d’autre que le monde, le mondain ne peut rompre avec le monde comme l’exige inconditionnellement le christianisme.
En somme, pour reprendre les catégories climaciennes, si la sobriété mondaine se fonde sur l’échange, le troc, le commerce, la sobriété chrétienne s’appuie sur la rupture d’avec le probable, sur la « dialectique de l’invraisemblable », autrement dit, humainement parlant, sur le risque absolu. Par conséquent, et relativement à leur rapport de contradiction, risquer, pour le monde, c’est de l’ivresse, qu’importe que l’on risque en téméraire11 ou en chrétien. Mais pour le christianisme, c’est la sobriété mondaine qui est ivre, « sobriété » qui en fin de compte s’appuie sur la réduction du possible au probable et de l’éternel au temporel.
2. Christianité et chrétienté
Mais ce qui révolte Kierkegaard, ce n’est pas la mondanité en tant que telle, mais cette mondanité qui a la prétention – et, pour le Danois, l’illusion – de choisir à la fois le monde et le christianisme. Cette mondanité, la chrétienté (den Christenhed), Kierkegaard la décrit comme un christianisme sociogéographique où les hommes sont « de nom seulement chrétien[s] »12 ; chrétienté qu’il oppose au spécifique chrétien, à la christianité (det Christelige), qui est, comme l’écrit H.-B. Vergote, une « structure éternelle du fait d’être-chrétien »13.
Finalement, souligne Kierkegaard, dans la chrétienté, tous sont chrétiens ; tandis qu’aux premières heures du christianisme, on devenait chrétien en s’efforçant d’imiter le Christ, voilà le christianisme réduit à un banal héritage socioculturel : du devenir, on est passé à l’être. Pour reprendre l’expression de Kierkegaard : on est chrétien comme on est danois. Pourtant, le christianisme, dans son authenticité, est l’absolu, l’inconditionné14. Autrement dit, il est, pour la mondanité qui s’en tient au relatif et au probable, inépuisable source de scandale.
La seule explication, pour Kierkegaard, de cette « universalisation » du christianisme au sein de la chrétienté tient donc à la suppression pure et simple de la possibilité du scandale. Et précisément, aux yeux de Kierkegaard, le monde a transformé le christianisme en abstraction – la contemporanéité avec le Christ comme homme-Dieu (paradoxe absolu en tant qu’union insensée de Dieu et d’un homme singulier)15, contemporanéité d’où germe le scandale, a été abolie. En d’autres termes, au sein de la chrétienté, le Christ n’est plus cet individu paradoxal, mais quelque être imaginaire ; la plus haute subjectivité est devenue la plus impersonnelle des objectivités, la vie, une doctrine. Et ce passage est très exactement celui de la logique qualitative à la logique quantitative, de l’intensif à l’extensif ; si le christianisme était – est éternellement – exigence inconditionnée enjoignant « à lâcher le probable en s’en remettant à Dieu »16, Kierkegaard remarque qu’il n’est plus, au XIXe siècle danois, qu’une douce consolation, un « eudémonisme dano-protestant [dansk-protestantiske Lyksalighedslære] »17 qui n’a d’autre ambition que de grossir ses rangs.
Pour Kierkegaard, toute l’histoire du christianisme est l’histoire d’une chute. Au sérieux de la contemporanéité, la mondanité (le luthérianisme danois) a préféré le flottement de la spéculation, jusqu’à fonder sa « foi » sur les conséquences historico-mondiales de l’Incarnation, censées prouver18 la véracité du christianisme, autrement dit, amollir le paradoxe au point de le rendre conforme au monde – de le rendre vraisemblable19. Avec l’histoire se sont donc évanouis le Christ comme homme-Dieu et le risque comme rapport réel au paradoxe au profit d’une Église d’État, toute à l’admiration et saturée de mondaines assurances, Église se portant – comble de l’hypocrisie pour Kierkegaard – garante du christianisme véritable, du « christianisme du Nouveau-Testament »20.
La chrétienté a donc aboli la possibilité du scandale ; l’absurde fondamental sur lequel s’achoppait l’entendement est devenu, au fil de l’histoire, une évidence. Mais, insiste Kierkegaard, si le paradoxe de l’incarnation est devenu « vraisemblable », c’est parce que l’on a cessé de s’y rapporter réellement (comme paradoxe) au profit d’un rapport abstrait. Le Christ est en effet essentiellement paradoxe et par extension possibilité de scandale. On lit dans l’Exercice en christianisme : « La possibilité du scandale relatif à Christ qua homme-Dieu subsistera jusqu’à la fin des temps. Si la possibilité du scandale est supprimée, cela signifie que Christ l’est aussi, qu’il est transformé en autre chose que ce qu’il est, signe de scandale et objet de foi. »21 Le Christ est l’absolu, l’absolument Autre de l’entendement, entendement qui, finalement, ne peut qu’entrer en conflit avec lui.
Pour Kierkegaard, on ne peut donc supprimer la possibilité du scandale, inhérente au christianisme, sans supprimer le christianisme lui-même. Aussi, si l’on veut avoir affaire au christianisme, devra-t-on nécessairement en passer par la possibilité du scandale pour, ou bien lâcher le christianisme et épouser le monde, ou bien en venir à croire et rompre avec le monde. C’est en ce sens qu’Anti-Climacus comprend dialectiquement la possibilité du scandale comme possibilité de la foi, celle-là préservant la foi de la spéculation, étant finalement « rempart ou arme de la foi »22. À ce titre, il écrit : « La possibilité du scandale est un carrefour, elle place devant un carrefour. On s’écarte de la possibilité pour aller soit au scandale, soit à la foi ; mais l’on ne vient jamais à la foi sans passer par la possibilité du scandale. »23 Ainsi, supprimer la possibilité du scandale, c’est bien supprimer la possibilité de la foi, supprimer le christianisme authentique pour n’en conserver qu’un succédané édulcoré : un christianisme mondain.
La suppression de la possibilité du scandale et, par extension, l’abolition du christianisme authentique tient donc pour Kierkegaard d’un déplacement structurel : de la sobriété chrétienne comme idéal, on est passé à la sobriété mondaine. Au sein de la chrétienté, le noble risque est devenu ivresse et l’asservissement au probable sobriété. Et c’est ce déplacement – à l’issue duquel on a continué à se prétendre garant du « christianisme du Nouveau-Testament » – qui est aux yeux de Kierkegaard trahison. En effet, affronter le scandale et le vaincre par la foi, c’est rompre avec le probable et le vraisemblable (comme structures de l’entendement) ; de même, répondre à l’exigence inconditionnée, ou plutôt, s’efforcer d’y répondre, c’est, outre rompre « intellectuellement » avec ces catégories, rompre « existentiellement » avec le ne quid nimis, c’est, tout en s’y maintenant, lâcher la temporalité pour l’éternité, se faire, dans l’imitation, contemporain du Christ pour devenir contemporain de soi.
Mais, remarque Kierkegaard, au sein de la chrétienté, on ne s’efforce pas d’imiter le Christ, autrement dit, on ne s’efforce pas de l’imiter dans son abaissement – ce risque étant ivresse pour l’homme mondain, et, au vu de l’objet de foi, ivresse absolue ; au contraire, on l’admire, autrement dit, on l’admire dans son élévation, négligeant par là son abaissement. Si l’exigence du christianisme est, en définitive, à travers l’imitation, de s’approprier (par un effort infini) l’être-vrai du Christ afin de devenir soi-même vrai, dans la chrétienté, admiratif, on se tient à distance, autrement dit, on tient le Christ comme homme-Dieu et comme exigence à distance – on tient la Vérité à distance ! Et précisément, cette distance, consubstantielle à l’admiration, est ivresse pour le christianisme. Anti-Climacus écrit : « Seul “l’imitateur” est le vrai chrétien. L’attitude de l’“admirateur” devant le christianisme est proprement celle d’un païen. »24 Dès lors, la seule manière de sortir de l’ornière, de sortir de sa torpeur ce « paganisme chrétien », c’est d’appliquer la pointe du scandale, scandale décrit dans La maladie à la mort comme « de l’admiration malheureuse »25. Ainsi l’homme de la chrétienté, confronté dans la contemporanéité réelle au modèle christique, aura-t-il à choisir : ou bien refuser le christianisme, ou bien croire, ou bien maintenir sa vie dans le pur probable (« risque » au sens chrétien, puisque l’on s’expose à la perdition éternelle), ou bien, en s’en remettant à Dieu, rompre avec le probable et le vraisemblable, autrement dit : risquer « en vérité ». Et s’il ne parvient pas à imiter le Christ (ce qui est dans l’ordre, puisque le fini ne peut égaler l’infini), il lui faudra en faire l’aveu, s’humilier pour pouvoir prétendre quoi que ce soit du christianisme, sans pour autant, c’est entendu, que cette humiliation le dispense le moins du monde de risquer26.
Finalement, en supprimant le risque soutenant la possibilité du scandale – le risque prenant chair dans l’alternative essentielle entre scandale et foi –, et par conséquent, en abolissant la possibilité du scandale, la chrétienté a certes rendu le christianisme « facile », mais surtout, elle l’a dépossédé de son essence : de cette foi qui permet à l’homme de vaincre le désespoir et de devenir sobre – de devenir soi.
3. Mondanité et désespoir
Précisément, la mondanité – la chrétienté – est désespérée. Pour reprendre les déterminations anticlimaciennes : elle manque d’infini. Parce qu’elle est toute au relatif, toute à la temporalité, la chrétienté est, selon l’expression de Kierkegaard, « sans esprit », « insensibilité spirituelle » : Aandløshed. Dans Jugez vous-mêmes, il écrit : « Qu’est-ce que l’esprit de boutiquier [Spidsborgerlighed], qu’est-ce que l’insensibilité spirituelle ? C’est, laissant de côté les idéaux, réduire la mesure à ce que nous sommes en cette vie. »27 Mais de son désespoir, l’homme du monde (l’homme de la chrétienté) n’a pas conscience – conscience qui, en somme, donne au véritable chrétien des « forces infinies » pour risquer. Il a, tout au plus, une conception romantique du désespoir. Aussi ne s’imagine-t-il pas lui-même désespéré ; au contraire, son désespoir (qu’il est quant à lui amené à qualifier, en un sens non-philosophique, de « pragmatisme ») lui permet de devenir « quelqu’un », non pas soi-même, mais « quelqu’un » : un membre de la foule. On lit dans La maladie à la mort :
C’est là une forme de désespoir à laquelle on ne porte aucune attention parmi nous. Justement en se perdant de la sorte, un tel homme a acquis l’aisance propre au commerce de ses semblables et même au succès dans le monde. Ici, point d’atermoiements, points de difficultés avec le soi et le souci de son infini ; notre homme est poli comme un galet et il circule comme une monnaie de bon aloi. Tant s’en faut qu’on le tienne pour un désespéré qu’il est justement l’homme comme il faut. Du reste, et la chose est naturelle, le monde n’a aucune idée de ce qui est vraiment terrible. Le désespoir qui, non seulement n’apporte aucun inconvénient dans la vie, mais la rend encore facile et confortable ne passe bien entendu en aucune façon pour du désespoir28.
Ainsi, l’homme du monde ne s’estime-t-il pas concerné par l’invitation du Christ – invitation qui en définitive est exigence inconditionnée. Il dit : « Et il va de soi qu’il ne m’invite pas, non plus ; car il invite seulement ceux qui sont travaillés et chargés. »29 Il n’a pas conscience, comme on peut le lire dans l’Exercice, que c’est « en toi-même [que] tu [es] travaillé et chargé »30, autrement dit, que le Christ ne vient pas guérir une maladie mortelle, mais la maladie à la mort. Aux yeux d’Anti-Climacus, il est entré en une telle congruence avec le monde qu’il a réduit le possible au probable, l’infini au fini – l’éternel au temporel. Il n’est plus, ou plutôt, il a oublié qu’il est essentiellement un soi devant Dieu ; pour reprendre Le concept d’angoisse, il soutient « avec l’esprit un rapport réduit au néant »31. Il est « sans esprit ». – Sa mesure n’est donc pas l’inconditionné (ce qui est le christianisme), mais « les autres » : toute son existence se réduit à la comparaison et aux différences interindividuelles. À ce titre, Anti-Climacus écrit dans La maladie à la mort : « À force de voir la foule autour de lui, de s’agiter fiévreusement en toutes sortes d’affaires de ce monde, de s’efforcer de comprendre comment les choses se passent, pareil homme finit par s’oublier lui-même ; il ne se rappelle plus le nom d’homme qu’il a devant Dieu ; il n’ose [tør] pas se faire confiance à soi-même, il trouve trop risqué d’être soi-même [for voveligt at være sig selv] et beaucoup plus facile et plus sûr d’être comme tout le monde, de devenir une contrefaçon, un numéro, un élément de la foule. »32
L’homme du monde, l’homme de la chrétienté est, aux yeux de Kierkegaard, en léthargie spirituelle : il est dépourvu d’intériorité. En effet, ayant, dans un processus de massification, « perdu » son soi, déterminé par son rapport à Dieu, il ne lui reste que le monde, le relatif, le fini, le temporel, autrement dit, il est pure extériorité. Or, risquer, au sens chrétien, c’est précisément rompre avec le monde : lâcher le relatif, le fini, le temporel, c’est creuser sa propre subjectivité pour rencontrer, au maximum de l’intériorité, le Sujet absolu.
S’il avait conscience de son désespoir, de l’état de désharmonie épouvantable dans lequel est son soi, autrement dit, s’il avait conscience de l’infini, de l’éternel qui sont en lui, sans doute l’homme de la chrétienté risquerait-il. Mais il n’a pas conscience, il n’est pas conscience. Dans le monde de la chrétienté, gouvernés par l’ivresse, asservis au probable, les hommes n’ont, vis-à-vis de l’exigence inconditionnée du christianisme, rien à gagner et tout à perdre. Finalement, ils n’ont « pas de soi pour lequel ils pourraient tout risquer, pas de soi pour Dieu »33. Ainsi le christianisme enjoint-il à risquer parce qu’il croit en l’éternité, parce qu’il frémit devant la perdition éternelle ; au contraire, la mondanité, la chrétienté, considèrent que lâcher le probable, risquer pour ne rien devenir en ce monde, c’est de l’ivresse, et que la sobriété consiste au contraire à se contenter du relatif, à devenir quelqu’un et peut-être même – si l’on a du talent et/ou de l’audace – à passer à la postérité. Nous en venons à un passage fondamental de La maladie à la mort :
Il est ainsi aux yeux du monde dangereux de risquer [at vove], et pourquoi ? Parce que l’on peut perdre. Il est donc sage de s’abstenir. Et pourtant, en omettant de risquer, on peut perdre avec une terrible facilité ce qu’on perdrait difficilement si l’on risquait même au prix de graves dommages et en tout cas, jamais avec autant de facilité, en le tenant pour quantité entièrement négligeable : on court le danger de perdre – son soi [sig selv]. Si je me trompe en risquant, tant pis ; la vie m’apporte le correctif du châtiment. Mais si j’omets complètement de risquer, qui me prêtera secours ? Et si par surcroît, laissant entièrement de risquer au sens le plus noble du mot (et risquer ainsi, c’est justement devenir attentif à soi [og at vove i høieste Forstand er just at blive opmærksom paa sig selv]), j’acquiers lâchement tous les avantages terrestres – et me perds moi-même : n’est-ce pas terrible !34
Risquer, comme l’indique Anti-Climacus, c’est ainsi devenir attentif à soi comme esprit devant Dieu, attentif à soi comme synthèse de fini et d’infini, et en définitive, attentif au désespoir qui désaccorde le soi et fait de l’homme une « conscience brisée »35. Risquer, c’est prendre conscience de son ivresse, c’est devenir sobre (et ce devenir est un effort infini, qui, à chaque instant, doit être repris, répété) – c’est devenir soi, lâcher les bavardages du désespoir pour le silence de la foi.
En conséquence, omettre de risquer, ce n’est pas renoncer à quelques contingences, c’est lâcher son rapport à Dieu, c’est se perdre soi-même36, c’est exister dans la non-vérité, ou plus exactement, c’est ne pas exister du tout. À ce titre, on lit dans Les œuvres de l’amour : « Agir par habile calcul, c’est escroquer à Dieu notre existence [Tilværelse] »37. Haïr le risque par amour du probable, c’est donc, pour Kierkegaard, haïr Dieu, haïr le bien par amour du monde, par amour du mal38.
Il nous semble ainsi légitime de qualifier le risque de véritable catégorie polémique en ceci qu’il agit comme discrimen rerum de la christianité vis-à-vis de la mondanité et, en outre, de la chrétienté, se réduisant, quant à elles, aux notions de probabilité et de vraisemblance. Ce qu’exige le christianisme, c’est la sobriété, la rupture d’avec le probable – ce qu’exige le christianisme, c’est le risque ; non pas le risque qui ne va que « jusqu’à un certain point », le risque encore asservi au probable, mais le risque absolu. En d’autres termes, si la sobriété mondaine (la chrétienté) est extensivité, la sobriété chrétienne (la christianité) est pure intensivité.
Parallèlement à cela, c’est la constitution d’une véritable philosophie de la foi qui amène Kierkegaard à déterminer le risque comme une authentique catégorie théologico-existentielle, puisque c’est par le risque que l’homme peut s’extraire du désespoir (plus exactement, et dans l’angoisse d’un rapport adéquat : s’y efforcer) afin de retourner à soi, de retourner à Dieu. Il écrit dans Jugez vous-mêmes : « Il est certain que si l’on ne lâche jamais le probable, l’on n’entre jamais en rapport avec Dieu. Tout risque religieux, pour ne pas dire chrétien [christelig Voven], porte au-delà du probable et revient à l’abandonner. »39
4. Le risque : une catégorie existentielle
En somme, pour Kierkegaard, l’existence est une tâche. Mais comprendre – en un sens religieux – l’existence comme une tâche, c’est faire de l’homme un être inachevé, séparé de soi et par conséquent de Dieu, non pas naturellement, mais volontairement : par un acte fautif d’autoposition (entendu anthropologiquement comme désespoir et théologiquement comme péché40). Au sens de Kierkegaard, l’homme n’est pas immédiatement ce qu’il est (une synthèse de fini et d’infini fondée en Dieu, autrement dit, un soi, un esprit devant Dieu) ; ce qu’il est, il a à le devenir. Désespéré, pécheur – plongé dans le mal, l’homme n’est pas lui-même : il est une « conscience brisée »41, une conscience de soi où le rapport à soi, le rapport à Dieu a été rompu. Dès lors, advenir à soi, c’est refonder ce rapport et ainsi rompre avec son désespoir, rompre avec son péché (ce qui ne peut se faire définitivement mais est une tâche pour l’existence – la tâche de l’existence) : c’est avoir foi – foi où, pour reprendre la formule d’Anti-Climacus, « le soi qui se rapporte à lui-même et veut être lui-même devient transparent et se fonde en la puissance qui l’a posé »42.
Aux yeux de Kierkegaard, c’est en choisissant le monde (le relatif) que l’homme a rompu avec Dieu (l’absolu)43. En définitive, c’est par un « je », une auto-affirmation où il s’est mis hors de Dieu (hors de la volonté de Dieu) que l’homme est devenu pécheur. La tâche, autrement dit, la tâche de l’éternité, « l’exigence de l’éternité » écrit Anti-Climacus, consiste par conséquent, tout en s’y maintenant, à rompre inconditionnellement avec le monde de sorte à choisir inconditionnellement Dieu. Ainsi l’exigence est-elle de rompre avec sa volonté propre (qui est une volonté pécheresse), pour épouser celle de Dieu, pour devenir « un instrument entre ses mains » : pour devenir sobre, devenir soi. Dès lors, se dépouiller de sa volonté pour épouser celle de Dieu, c’est bien ne servir qu’un seul maître, c’est renoncer au monde en ceci que, pour citer Jugez vous-mêmes, « il est impossible à qui a la moindre attache de servir un seul maître. »44 Et précisément, il n’existe qu’un seul maître et par là qu’un seul choix45 : Dieu, puisque seul est maître celui qui a l’autorité. Choisir, c’est par conséquent choisir Dieu – c’est se choisir soi ; et puisqu’il s’agit là de rompre inconditionnellement avec le monde et ce qui y appartient, choisir, à vues humaines, c’est risquer absolument. Ainsi, la tâche est-elle de choisir, de risquer : devenir soi, c’est s’en remettre inconditionnellement à Dieu, c’est croire ; pour reprendre l’expression de Kierkegaard, c’est se « risquer dans l’infini »46, en ceci que Dieu est la possibilité infinie ; c’est oser, librement, épouser sa volonté, qui ne mène pas l’homme à la gloire mais à l’indigence – du moins en un sens temporel. Dans La maladie à la mort, Anti-Climacus écrit : « Le croyant voit et comprend que, sur le plan humain, il y va de sa perte (quoi qu’il arrive ou quoi qu’il ait risqué), mais il croit. C’est pourquoi il ne succombe point. Pour le secours, il s’en remet entièrement à Dieu mais il croit que tout est possible à Dieu. [...] Comprendre qu’il s’agit sur le plan humain de sa perte et garder néanmoins foi en la possibilité, c’est croire »47. Croire, c’est finalement jouer sa vie sur le « si » de l’éternité48 – « si » qui est, aux yeux du probable et du vraisemblable, infiniment absurde –, et bien sûr, la jouer dans le temps.
Rompre avec le monde pour ne servir qu’un seul maître, pour servir le seul maître : voilà donc, pour Kierkegaard, la tâche de l’éternité. Plus exactement, il s’agit de suivre celui qui n’a eu d’autre volonté que la volonté de Dieu, celui qui n’a jamais servi qu’un seul maître, celui – le seul – qui a accompli l’exigence inconditionnée, autrement dit : la tâche est d’imiter le Christ. On lit dans Jugez vous-mêmes : « L’exigence inconditionnée, c’est le sérieux du christianisme ; et si d’ailleurs nul homme n’a pu la réaliser, du moins en est-il un qui l’a accomplie, inconditionnellement accomplie [...], celui qui en toutes circonstances ne s’est pas contenté de dire la vérité, mais a été la vérité, celui qui, de la sorte encore, a été “la Parole” et a été ce qu’il a dit »49. La tâche consiste donc, pour Kierkegaard, à prendre le risque de rompre avec l’entendement et avec le monde pour, à l’image du Christ, choisir inconditionnellement Dieu, choisir le seul vrai maître, ceci afin d’advenir à soi.
Nous allons maintenant procéder à une rapide « catégorisation » du risque chez Kierkegaard, afin de relever et d’analyser ses différents aspects.
Dans La maladie à la mort, Anti-Climacus note que la foi permet à l’individu de s’extraire de cette maladie de l’identité qu’est le désespoir. C’est donc bien par la foi, qui en fin de compte est foi en Christ, que l’on advient à soi – par le devenir chrétien que l’on devient soi. Mais parce que la foi se rapporte essentiellement à l’homme-Dieu, au paradoxe absolu, elle est, comme l’écrit Kierkegaard, « contre l’entendement [mod Forstand] »50 ; parce que son objet est, à vues humaines, l’absurde fondamental, la foi est rupture d’avec les structures mêmes de l’entendement. En d’autres termes, la foi est risque. Le premier aspect du risque est par conséquent un aspect « intellectuel » : il s’agit d’oser croire en l’être duel du Christ, être vis-à-vis duquel l’entendement entre en conflit ouvert, conflit encore nommé par Climacus et Anti-Climacus « scandale ». « Il s’agit de savoir si tu veux être scandalisé ou si tu veux croire. Dans ce dernier cas, tu traverses la possibilité du scandale, tu acceptes le christianisme à tout prix. Et tu es en bonne voie ; tu te moques de l’entendement [Forstanden] ; tu dis : secours ou tourment, je ne veux qu’une chose : appartenir à Christ, être chrétien »51. Croire, au sens chrétien, c’est donc rompre avec l’entendement : rompre avec le probable, le vraisemblable, rompre avec les preuves et en définitive, avec toute certitude historique ou objective. À vues humaines, la foi est donc ivresse ; pour le christianisme, au contraire, la foi – entendue comme risque – est la sobriété même. Ainsi, risquer, c’est donc tout d’abord s’efforcer de suspendre le scandale par la foi, c’est rompre intellectuellement avec les structures mêmes du monde, c’est devenir « attentif à soi » comme esprit devant Dieu. Finalement, c’est croire en vérité, espérer au-delà de toute espérance humaine, espérer contre toute espérance humaine, c’est, écrit Kierkegaard dans l’Examen de conscience, « mourir à l’entendement [at afdøe fra Forstanden] »52. Néanmoins, ce « risque intellectuel » ne saurait légitimer la moindre lecture fidéiste – et moins encore irrationaliste – de Kierkegaard. Pour le Danois, la foi ne relève pas du sentiment, de l’immédiateté, mais d’une « seconde immédiateté ». Elle n’est pas préréflexive mais postréflexive : elle surgit au moment où l’entendement, confronté à l’invraisemblance du paradoxe absolu, en vient à comprendre qu’il ne peut pas comprendre, laissant dès lors la passion (la foi) s’élever au-delà de cette invraisemblance. Climacus ne dit pas autre chose dans le Post-scriptum, décrivant la foi comme « l’incertitude objective, maintenue dans l’appropriation de l’intériorité la plus passionnée »53. Il ne s’agit donc pas, pour Kierkegaard, de saisir un entendement plus haut (qui, insiste Climacus, reste un entendement), mais de saisir de plus en plus profondément l’incompréhensibilité du paradoxe. La foi est ainsi, en un sens, dépendante de l’entendement (dépourvu d’entendement, le croyant ne pourrait se confronter au paradoxe, à la possibilité du scandale, condition de la foi), entendement qu’il s’agit d’utiliser négativement (« déraisonnablement »54) pour que se déploie la foi. Kierkegaard note dans Jugez vous-mêmes : « Il fut l’homme le plus raisonnable de son temps, le plus sage du pays ; tout le monde savait que si l’on avait besoin du meilleur conseil dans une affaire épineuse et compliquée, on n’allait pas le trouver en vain ; on ne perdait sa peine qu’en allant chez un autre – mais quant à avoir lui-même agi sagement, il ne l’a jamais fait ! [...] il a eu en horreur d’agir avec sagesse et prudence. Il vivait au-delà du probable [paa den anden Side af Sandsynligheden] ; c’est là qu’il vivait, là qu’il respirait, là qu’il risquait en s’en remettant à Dieu [der vovede han i Tillid til Gud] – lui, le plus raisonnable des hommes [den Forstandigste] ! »55 On ne saurait donc parler – quoique certaines expressions volontairement polémiques semblent le suggérer – de fidéisme kierkegaardien, la foi ne permettant pas, pour le Danois, d’accéder à une vérité plus haute (une autre vérité, un nouveau « Quoi »), mais, tout en s’efforçant de se l’approprier, de saisir avec plus d’acuité l’incompréhensibilité de la vérité (un nouveau « Comment »). Ainsi, le « risque intellectuel » ne consiste-t-il pas à « quitter » un entendement que l’on méprise (puisqu’il n’y a là aucun risque), mais, pleinement conscient du danger, à « quitter » un entendement que l’on estime, à pousser l’entendement jusqu’à son point de rupture (jusqu’à comprendre qu’on ne peut pas comprendre) ; risquer, pour Kierkegaard, c’est, à l’image d’Abraham, quitter ce que l’on aime pour s’en remettre inconditionnellement à Dieu56.
Et précisément, l’exigence est de rompre inconditionnellement avec le monde pour s’en remettre inconditionnellement à Dieu, autrement dit, d’imiter le Christ. Le deuxième aspect du risque est donc « existentiel » : il s’agit de rédupliquer sa foi afin de répondre à l’exigence de l’éternité. La tâche est en outre de mourir à soi-même (at afdøe) : de rompre avec la temporalité pour « miser » sur l’éternité, de mettre en jeu, à chaque instant, sa vie temporelle pour sa vie éternelle – sommet de l’intensivité57. Or, mourir à soi-même, devenir un néant devant Dieu, c’est très exactement épouser la volonté de Dieu, c’est ne servir qu’un seul maître. On lit dans la deuxième partie des Trois pieux discours de 1849 : « Car toute chose dans la nature n’est rien, en ce sens que chacune n’est que la volonté inconditionnée de Dieu. »58 Risquer « existentiellement », c’est ainsi s’efforcer de lâcher la temporalité pour l’éternité, c’est prendre le risque de ne rien devenir dans le monde en souvenir de son « nom d’homme [...] devant Dieu »59, c’est sacrifier sa vie temporelle à Dieu pour – peut-être, car le « si » est l’essence même du christianisme – obtenir la vie éternelle, échapper à la perdition – advenir à soi. Néanmoins, et Kierkegaard insiste lourdement sur ce point, rédupliquer sa foi, s’exercer en christianisme, c’est avoir les hommes contre soi. Il écrit dans Jugez vous-mêmes : « Comment des vivants, de toute leur âme accrochés à cette vie et à ses biens, accepteraient-ils tranquillement la compagnie d’un mort. »60 Aux hommes, le chrétien authentique apparaît en effet comme « le traître le plus vil de la condition humaine »61, en ceci qu’il s’efforce de mourir à soi, de ne rien devenir dans le monde (ce qui est la définition même de l’amour62), préférant, surnaturellement, le christianisme à la mondanité. Et parce que la vérité est essentiellement souffrante, le chrétien, l’imitateur (efterfølgelser) est naturellement persécuté (forfølges). Mais s’il doit répondre à l’exigence inconditionnée, le croyant ne cesse d’être un homme, et par conséquent, ne cesse d’être responsable devant Dieu, n’ayant pas le droit, comme on peut le lire dans les Papirer, de « se jeter à sa perte certaine »63. Dépourvu de rapport immédiat à Dieu, il ne peut sans témérité s’estimer « dans l’absolue possession de la vérité » ; il lui est donc interdit de « laisser les autres se rendre coupables de le mettre à mort pour la vérité »64. Par conséquent, si la tâche du croyant consiste à accomplir la volonté de Dieu, il n’acquiert jamais la moindre certitude d’agir en conformité avec elle. Aux prises avec le doute religieux (Anfægtelse), l’homme doit, seul, endosser toute la responsabilité de son risque, risque qu’il court librement, tout en s’achoppant à une épouvantable alternative : celle « d’omettre de risquer et celle de risquer en vain »65, constamment écartelé entre le trop et le trop peu. À ce titre, David Brézis écrit : « Ne recevant de l’extérieur aucun ordre direct, il [le croyant] doit assumer seul le risque d’un choix qui ne fait appel qu’à son libre vouloir. Mais en courant ce risque, il se charge d’une responsabilité absente du rapport immédiat à Dieu. »66 Pour conclure sur ce deuxième aspect qui, bien entendu, comprend le premier, et plus encore, l’exprime, tout en coordonnant dimension polémique et théologico-existentielle, nous citerons un passage du sixième numéro de L’instant :
Au terme de croire, Christ et le Nouveau-Testament attachent un sens très précis ; croire, c’est se risquer au-dehors avec toute la décision dont un homme est capable [at troe er at vove saa afgjørende ud som det er muligt for et Menneske], en rompant avec tout ce qu’il aime naturellement et, pour sauver sa vie, avec les choses où il a sa vie naturelle. [...] Mais dans « la chrétienté », nous jouons à croire, à être chrétiens ; tant s’en faut que nous rompions avec quoi que ce soit de cher à l’homme naturel que nous restons chez nous au salon, dans le train-train des occupations matérielles67.
Nous en venons maintenant à un dernier aspect du risque, décrit en particulier dans Jugez vous-mêmes. Ici, le risque est un aveu. Parce que l’on ne parvient pas à répondre à l’exigence inconditionnée, à rompre inconditionnellement avec le monde pour s’en remettre inconditionnellement à Dieu, parce qu’en définitive, on ne parvient pas à imiter le Christ, il est essentiel de s’humilier. Mais c’est très exactement parce que la tâche est inépuisable et l’idéal inatteignable que ce risque est fondamental, décrivant les plus intimes contours du christianisme. L’humilité consiste à avouer qu’il y a une différence absolue entre l’homme et Dieu, à avouer que l’homme ne peut en venir à égaler le Christ : à accomplir l’imitation. Un être fini ne peut, naturellement, réaliser une tâche infinie, et moins encore la réaliser en un instant (comme tend à le croire le téméraire). C’est précisément pour cette raison qu’on ne peut parler de kairos chrétien dans l’œuvre kierkegaardienne : l’existence ne se joue pas en une chance unique, tragiquement perdue si celle-ci venait à être manquée68. Au contraire, il s’agit de s’efforcer à chaque instant et de se maintenir dans l’effort, tout en faisant l’aveu que son risque (quel qu’il soit) est un rien face à l’exigence de l’éternité, puisque « l’inconditionné se joue inconditionnellement de tout effort humain. »69 En outre, Climacus note dans le Post-scriptum : « Si je dois tout risquer dans l’existence, c’est déjà une tâche pour toute une vie. »70 De ce fait, avoir la foi, c’est, pour Kierkegaard, s’efforcer à chaque instant de l’acquérir71, autrement dit, s’efforcer, à chaque instant, de supprimer le scandale pour s’approprier la foi. Il ne s’agit donc pas de « posséder » la foi, mais, en toute humilité, de tendre vers la foi, non pas d’« être » vrai, mais, avec crainte et tremblement, de tendre vers la vérité – de devenir vrai. En somme, risquer, c’est faire l’épreuve de sa finitude, de son impuissance à épuiser l’idéal, à répondre à l’exigence, à réaliser la tâche ; ce n’est pas avoir foi ni imiter (égaler) le Christ, mais tendre vers la foi, tendre vers l’imitation, sans jamais cesser de reconnaître l’abîme qualitatif séparant l’homme de Dieu. C’est, en outre, s’approfondir de plus en plus passionnément dans le paradoxe, avec pour seule certitude (objective), celle de ne pouvoir parvenir, dans le temps, à la moindre positivité. Kierkegaard écrit : « Si j’avais à définir la perfection chrétienne, je ne dirais pas que c’est la perfection d’un effort mais justement la reconnaissance profonde de l’imperfection de cet effort et par conséquent la conscience de plus en plus profonde du besoin de la grâce. »72
Finalement, le risque chrétien consiste en une double rupture, à l’image du double danger décrit dans Les œuvres de l’amour. « La véritable lutte chrétienne comporte toujours un double danger, parce qu’elle se déroule sur deux points : d’abord dans le for intérieur où l’on doit lutter avec soi-même, puis, quand on a fait des progrès dans ce combat, au-dehors, avec le monde. »73 Ainsi, au sens chrétien, risquer, c’est, d’une part, s’efforcer de rompre avec le probable et le vraisemblable pour en venir à croire (intériorisation), puis, s’efforcer de rompre avec le monde pour imiter le Christ (extériorisation). Mais parce que l’exigence est infinie, ce risque est essentiellement humiliation – sans jamais cesser d’être angoisse. Le risque accuse par conséquent d’une faute profonde : c’est parce que l’homme a rompu avec Dieu pour s’asservir au monde qu’il doit rompre avec le monde et ce qui y appartient, qu’il doit mourir à soi-même pour se (re)fonder en Dieu. Le risque est donc à la fois témoignage de la négativité en l’homme et effort infini, soutenu par la grâce, de la subjectivité vers elle-même (et c’est en ce sens que le risque est salvateur).
5. Risque et instant
Ainsi, aux yeux de Kierkegaard, l’homme doit risquer. Et précisément, il doit risquer parce qu’il est une synthèse désaccordée, parce qu’il a à devenir soi, à devenir vrai (en ceci que le péché a essentiellement séparé l’homme de la vérité : l’a rendu non-vrai). Or, devenir vrai, c’est, pour Kierkegaard, imiter la vie de celui qui fut la vérité : c’est imiter le Christ. Mais très exactement, le Christ est, à vues humaines, l’avatar du risque : il est celui qui n’a eu d’autre volonté que celle de Dieu, celui qui n’a jamais servi qu’un seul maître et par conséquent, celui – le seul – qui n’a jamais été asservi au monde. S’efforcer d’imiter le Christ, de réinscrire l’idéal dans le monde de la réalité (au sens de Virkelighed), c’est par conséquent s’efforcer d’imiter celui qui a, à vues humaines, absolument risqué. Au sens de Kierkegaard, c’est bien à travers l’effort infini d’imitation que l’homme s’« approprie » son être-vrai, s’« atteint » soi-même, le Christ étant la vérité et, en tant qu’union paradoxale de fini et d’infini, de temporel et d’éternel, l’authentique réalisation de la synthèse, le paradigme même de l’identité. Pour Kierkegaard, c’est donc par l’imitation que l’on devient soi74, et c’est précisément en ce sens que le risque permet d’articuler, dans l’œuvre kierkegaardienne, philosophie de la foi et philosophie de l’existence.
Somme toute, imiter (s’efforcer d’imiter), c’est, sans pour autant le quitter, s’affranchir du monde pour, à l’image du Christ, devenir libre. Et en effet, rompre avec le monde pour s’en remettre inconditionnellement à Dieu, ce n’est pas s’asservir à Dieu, mais au contraire, s’épanouir en lui. On lit dans Le concept d’angoisse : « On ne peut pas être replié en Dieu, ou dans le bien, puisque ce repliement désigne la plus haute expansion »75. Dès lors, mourir à soi, mourir à sa volonté pour épouser celle de Dieu, c’est devenir libre, et en définitive, devenir soi, en ceci que « le soi est la liberté »76. Rompre librement avec le monde pour s’en remettre inconditionnellement à Dieu, pour devenir la liberté même, pour advenir à soi, voilà en un mot ce qu’est pour Kierkegaard le christianisme77. Et parce que le Danois décrit, dans les Discours chrétiens, le christianisme comme « la religion de la liberté »78, on peut encore ajouter qu’elle est la religion de l’identité et, par suite, la religion du risque.
Ainsi, au même titre que le scandale est, pour reprendre l’expression d’Anti-Climacus, le « repoussoir » de la foi, le risque est-il le repoussoir de la christianité. En exigeant le risque absolu, le christianisme pousse les hommes à s’humilier. En effet : aucun homme ne peut, sans témérité, prétendre réaliser l’idéal. Aussi la tâche, pour Kierkegaard, est-elle de devenir l’Individu (den Enkelte), le chrétien authentique, non pas celui qui réalise l’idéal, mais celui qui, conscient de sa finitude (de son humanité), s’efforce de le réaliser, s’efforce de devenir « l’homme de l’instant »79 – qui n’est pas l’homme d’un instant, mais l’homme de tous les instants –, contemporain de soi parce que contemporain du Christ80. Finalement, risquer, c’est jouer son identité, c’est s’éprouver soi-même en tant que subjectivité existante ; risquer, c’est exister – c’est, tout en s’y maintenant, s’efforcer de rompre avec la temporalité pour embrasser l’éternité, pour invoquer, ou encore – le mot est plus juste – pour incarner l’instant – pour devenir esprit. Kierkegaard écrit : « C’est seulement quand l’homme est là et risque comme il se doit [han vover som der skal voves] (justement ce que veulent éviter la sagacité et la médiocrité de ce monde) que l’instant est là. »81
En outre, si le risque est polémique, il n’en est pas moins théologico-existentiel, en ceci qu’il dé-couvre le chemin du devenir-soi, qui est, pour Kierkegaard, à son paroxysme, celui du devenir-chrétien. Nous laisserons le mot de la fin à Anti-Climacus : « L’héroïsme chrétien, et vraiment il est assez rare de le rencontrer, consiste à oser devenir entièrement soi-même [at vove ganske at blive sig selv], un homme individuel [et enkelt Menneske], cet homme précis que je suis, seul devant Dieu, seul dans cet immense effort et dans cette immense responsabilité. »82
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1S. Kierkegaard, Jugez vous-mêmes, in : Œuvres complètes, trad. Paul-Henri Tisseau et Else-Marie Jacquet-Tisseau, t. 18, Paris, Éditions de l’Orante, 1966-1986, p. 150 (nous citerons dorénavant les œuvres de Kierkegaard en utilisant le sigle « OC », suivi de la tomaison et du numéro de page).
2Ibid., p. 151-152.
3Ibid., p. 150-151 (traduction modifiée). Nous avons ici choisi de rendre Forstand par « entendement » plutôt que par « raison » (en danois : Fornuft) afin de ne pas tomber dans le piège du « fidéisme » et de l’« irrationalisme », que l’on attribue parfois à Kierkegaard. Nous étudierons cette question plus en détail dans la quatrième partie.
4Post-scriptum aux Miettes philosophiques, OC, t. 11, p. 117.
5Cf. Pap. IV C 16, cité par Henri-Bernard Vergote, Lectures philosophiques de Søren Kierkegaard. Kierkegaard chez ses contemporains danois, Paris, PUF, 1993, p. 287 : « La proposition que la vertu est le juste milieu, Aristote ne la fait pourtant valoir que pour les vertus dites morales. Ici, la remarque est parfaitement juste ; car ce avec quoi elles ont à lutter n’est ni bien ni mal ; désirs et aversion, en effet ne sont en soi ni bien ni mal. »
6Post-scriptum aux Miettes philosophiques, OC, t. 11, p. 99.
7G. W. F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, trad. Jean-François Kervégan, Paris, PUF, 1998, p. 129.
8Exercice en christianisme, OC, t. 17, p. 83-84 (trad. modifiée).
9Cf. Un discours de circonstance, OC, t. 13, p. 84 : « “[...] je dois envisager mon avenir, sans tout risquer ainsi d’un seul coup [ikke saaledes at sætte Alt ind paa Eet].” Oui, Dieu donne à cet homme d’envisager non seulement son avenir, car c’est trop peu, mais de n’avoir pas d’autre considération devant les yeux, et de se rappeler que son avenir, c’est... l’éternité [hans Fremtid er – en Evighed] ».
10Le livre sur Adler, OC, t. 12, p. 47.
11Que le chrétien considère lui-même comme une ivresse : cf. notamment Discours chrétiens, OC, t. 15, p. 63 et Jugez vous-mêmes, OC, t. 18, p. 153-154.
12Point de vue explicatif de mon œuvre d’écrivain, OC, t. 16, p. 31.
13Henri-Bernard Vergote, Lectures philosophiques de Søren Kierkegaard, Paris, PUF, 1993, p. 7.
14Cf. Exercice en christianisme, OC, t. 17, p. 200 : « [...] il [le christianisme] est l’inconditionné [det Ubetingede], il n’a d’être qu’inconditionné ; s’il n’est pas l’inconditionné, il est aboli. »
15Anti-Climacus insiste sur ce point – exacerbant le paradoxe – que le Christ est l’union de Dieu et d’un homme singulier, et non pas l’union de Dieu et de l’homme – de la nature humaine, comme l’avait décrit Hegel dans la Phénoménologie de l’esprit (trad. Jean Hyppolite, t. 2, Paris, Aubier, 1941, p. 267) : « L’esprit vient à être su comme conscience de soi, et il est immédiatement révélé (manifeste) à cette conscience de soi, car il est celle-ci même ; la nature divine est la même que la nature humaine et c’est cette unité qui devient donnée à l’intuition. »
16Jugez vous-mêmes, OC, t. 18, p. 155.
17Pap. XI 1 A 226, cité par David Brézis, Temps et présence. Essai sur la conceptualité kierkegaardienne, Paris, Vrin, 1991, p. 264.
18Sur la critique de la preuve, cf. Exercice en christianisme, OC, t. 17, p. 26-27.
19Cf. Miettes philosophiques, OC, t. 7, p. 88-92.
20Cf. notamment Vingt et un articles, OC, t. 19.
21Exercice en christianisme, OC, t. 18, p. 87.
22Ibid., p. 98.
23Ibid., p. 76.
24Ibid., p. 224.
25La maladie à la mort, OC, t. 16, p. 241.
26Cf. notamment Pap. X1 A 279.
27Jugez vous-mêmes, OC, t. 18, p. 242-243.
28La maladie à la mort, OC, t. 16, p. 191.
29Exercice en christianisme, OC, t. 17, p. 43.
30Ibid., p. 21.
31Le concept d’angoisse, OC, t. 7, p. 194.
32La maladie à la mort, OC, t. 16, p. 191 (trad. modifiée).
33Ibid., p. 192 (trad. modifiée).
34Ibid., p. 191-192 (trad. modifiée).
35Jugez vous-mêmes, OC, t. 18, p. 244.
36Cf. Dix-huit discours édifiants, OC, t. 6, p. 183 : « [...] car la lutte est telle que quiconque perd l’éternel, perd Dieu et soi-même ; et quiconque perd Dieu, perd l’éternel et soi-même ; et quiconque se perd soi-même, perd l’éternel et Dieu. »
37Les œuvres de l’amour, OC, t. 14, p. 241.
38Cf. Discours chrétiens, OC, t. 15, p. 172 : « Car le monde ne hait vraiment pas le mal ; en revanche, il a en horreur, il hait une conduite dénuée de sagesse terrestre ; c’est-à-dire qu’il aime le mal. »
39Jugez vous-mêmes, OC, t. 18, p. 153.
40Cf. André Clair, « Identité, négativité et fondation du soi », in : Flemming Fleinert-Jensen et Jacques Message (dir.), Kierkegaard, l’œuvre de l’accomplissement, Paris, Classiques Garnier, 2017, p. 103 : « [...] si l’on peut fixer l’analyse sur la première section du livre [La maladie à la mort], qui est ordonnée à partir de l’anthropologie, c’est à la condition de se souvenir que la problématique est finalement théologique. »
41Ibid., p. 244.
42La maladie à la mort, OC, t. 16, p. 285.
43Cf. Deux petits traités éthico-religieux, OC, t. 16, p. 115 : « [...] la relativité où nous vivons est le péché. »
44Jugez vous-mêmes, OC, t. 18, p. 215.
45Cf. L’évangile des souffrances, OC, t. 13, p. 221 : « [...] il est un seul nom dans les cieux et sur la terre, un seul et, partant, une seule voie à choisir – si l’on doit choisir avec sérieux et bien choisir. Il faut en effet plusieurs voies, puisque l’on doit choisir ; mais il faut aussi qu’il n’y en ait qu’une seule à choisir, si le sérieux de l’éternité doit reposer sur le choix. Un choix où l’on peut tout aussi bien choisir l’un ou l’autre parti n’a pas le sérieux éternel du choix ; pour avoir ce sérieux de l’éternité, il faut que dans le choix il y ait absolument tout à gagner et tout à perdre, bien que, comme on l’a dit, il faille une possibilité de choisir autre chose, afin que le choix puisse réellement être un choix. »
46Jugez vous-mêmes, OC, t. 18, p. 166.
47La maladie à la mort, OC, t. 16, p. 196.
48Cf. Discours chrétiens, OC, t. 15, p. 225 : « À l’encontre d’un “si” [dersom], angoissé par ce “si”, je me suis risqué au large [vovet mig ud] (on appelle cela : oser [at vove]) : maintenant, je crois. »
49Jugez vous-mêmes, OC, t. 18, p. 204-205.
50Pour un examen de conscience, OC, t. 18, p. 135 (trad. modifiée).
51Exercice en christianisme, OC, t. 17, p. 107 (trad. modifiée).
52Pour un examen de conscience, OC, t. 18, p. 136 (trad. modifiée).
53Post-scriptum aux Miettes philosophiques, OC, t. 10, p. 189.
54David Brézis, op. cit., p. 194 (note) : « Reconnaître la préséance de la foi, ce n’est pas renoncer à user de la raison ou de la réflexion, c’est plutôt en user à l’inverse de leur usage raisonnable, en user déraisonnablement en les mettant au service de ce qui les transcende, de ce qu’elles ne peuvent approcher qu’en consentant à leur propre perte. »
55Jugez vous-mêmes, OC, t. 18, p. 156.
56Si le risque chrétien consiste à rompre avec les structures de l’entendement (Forstand) que sont le probable et le vraisemblable, il ne néglige donc pas une certaine forme de rationalité. Comme nous l’avons indiqué, il s’agit de faire un usage déraisonnable de l’entendement – de saisir le « manque » de l’entendement (de comprendre que l’on ne peut pas comprendre) et de dépasser ce « manque » par la foi. Finalement, si le risque/la foi ne sont pas raisonnables, ils ne sont pas dépourvus de rationalité (ce que manifeste notamment le caractère « postréflexif » de la foi).
57Cf. Pap. XI 1 A 558, cité par David Brézis, op. cit., p. 168 : « Mourir au monde est de toute une puissance plus haute que mourir. [...] Mourir est une souffrance de courte durée tandis que mourir au monde est l’affaire d’une vie entière. »
58Trois pieux discours, OC, t. 16, p. 314.
59La maladie à la mort, OC, t. 16, p. 191.
60Jugez vous-mêmes, OC, t. 18, p. 168.
61Ibid., p. 190.
62Cf. Deux petits traités éthico-religieux, OC, t. 16, p. 115 : « [...] Il [le Christ] fut mis à mort précisément parce qu’Il ne chercha en rien son avantage. C’est justement pour cela que les humbles et les grands furent également irrités contre Lui ; car chacun d’eux cherchait son avantage et voulait qu’Il se joignît égoïstement à eux. Il fut crucifié justement parce qu’Il était amour ou, plus explicitement, parce qu’Il ne voulait pas être égoïste. »
63Pap. X 5 A 95, cité par David Brézis, op. cit., p. 169.
64Deux petits traités éthico-religieux, OC, t. 16, p. 142.
65Pap. XI 2 A 273 (nous traduisons).
66David Brézis, op. cit., p. 169.
67L’instant, OC, t. 19, p. 209.
68Cf. Pap. IX A 35, cité par David Brézis, op. cit., p. 45 (note) : « Ce n’est au fond qu’une superstition démoniaque et une passion superstitieuse portée à la plus haute intensité de croire que tout dépende d’une minute – qu’il n’y ait qu’une minute ou une demi-heure où tout se décide – qu’autrement tout soit perdu. »
69Jugez vous-mêmes, OC, t. 18, p. 199.
70Post-scriptum aux Miettes philosophiques, OC, t. 11, p. 119. On trouve par ailleurs ici une véritable articulation entre deux types de risque : le premier, axé sur la probabilité (tout risquer) et le second, axé sur la temporalité (à chaque instant).
71Cf. Dix-huit discours édifiants, OC, t. 6, p. 15-16 : « [...] aussi est-elle [la foi] le seul bien indéfectible, car on ne l’a qu’à condition de l’acquérir sans cesse, et on ne l’acquiert qu’en le produisant constamment. »
72Pap. X 3 A 784, cité par David Brézis, op. cit., p. 110.
73Les œuvres de l’amour, OC, t. 14, p. 176.
74Cf. Vincent Delecroix, « Imitation et vérité », in : Flemming Fleinert-Jensen et Jacques Message (dir.), Kierkegaard, l’œuvre de l’accomplissement, op. cit., p. 406 : « C’est dans l’imitation de l’être-vrai de la subjectivité (le Christ) que la subjectivité s’approprie son être-vrai : on devient soi en imitant. »
75Le concept d’angoisse, OC, t. 7, p. 230.
76La maladie à la mort, OC, t. 16, p. 186.
77Cf. Discours chrétiens, OC, t. 15, p. 169 : « Mais tout quitter volontairement, c’est le christianisme ».
78Ibid.
79L’instant, OC, t. 19, p. 298.
80Anti-Climacus écrit (cf. Exercice en christianisme, OC, t. 17, p. 63) que le rapport à l’absolu, autrement dit, que la contemporanéité réelle, ou encore existentielle, est un pur présent (nærværende). Or, le croyant « est un “présent” [en Nærværende] » (Discours chrétiens, OC, t. 15, p. 69). C’est donc par la contemporanéité avec le Christ (par l’imitation) que l’homme devient contemporain de soi-même – qu’il « devient » une subjectivité vraie dans un processus infini d’appropriation de son être-vrai.
81L’instant, OC, t. 19, p. 298.
82La maladie à la mort, OC, t. 16, p. 165.