Olivier Hanne, L’Alcoran. Comment l’Europe a découvert le Coran
Préface de John Tolan, Paris, Belin, 690 p.
Il fallait que ce livre soit écrit et nous félicitons Olivier Hanne de l’avoir si bien fait. Alors que les sociétés européennes et américaines redécouvrent bon gré mal gré, depuis quelques décennies, la présence du Coran dont se réclament au quotidien les courants plus ou moins radicaux et prosélytes de l’islam salafiste ou wahhabite, et surtout les revendications politiques violentes de l’État islamique, quelle place au juste le Coran et la langue arabe tiennent-ils dans notre histoire intellectuelle et spirituelle occidentale ? Comment l’Europe a-t-elle découvert et compris le Coran depuis l’Hégire de Mahomet ? C’est à ce parcours qu’Olivier Hanne nous invite dans cet ouvrage remarquablement documenté et précis. De Jean Damascène à l’orientalisme romantique de l’époque coloniale, en passant par la conquête de l’Espagne au VIIIe siècle et les croisades du XIIe siècle, les recherches sur l’Alcoran – comme on le désignait à l’époque médiévale – et la langue arabe entreprises par les abbés de Cluny et celles des humanistes catholiques et protestants de la Renaissance et de la Réforme, les étapes sont nombreuses et fort complexes. Avec le triomphe de la raison au XVIIIe siècle, l’engouement de l’orientalisme dans le climat colonial des XIXe et XXe siècles, la découverte de la méthode historico-critique et de la philologie, « l’intérêt européen à l’égard de la langue arabe et du Coran, conclut l’auteur, ne s’est jamais démenti. Contrairement au monde islamique, qui ne connut guère d’attraction pour la culture et les textes européens avant le XVIe siècle, celle-ci est allée chercher son information sur l’islam avec une opiniâtreté et une constance impressionnante, afin de disposer d’armes intellectuelles et d’enrichir son raisonnement logique » (p. 591). Même si les chrétiens et les musulmans n’ont cessé de mesurer les distances culturelles et religieuses profondes qui les séparaient, et si les rivalités réciproques ont toujours été plus fortes que les affinités pourtant réelles qui auraient pu les rapprocher, le Coran demeura cependant « comme une référence évidente que tout homme bien né devait connaître, à défaut de l’avoir lu. Car ce livre assumait en Europe une fonction comparative essentielle, rarement énoncée explicitement : celle de dévoiler au lecteur combien ses valeurs propres et son identité culturelle étaient justes, raisonnables et libératrices. » (Ibid.). Cet ouvrage est important par le recul historique qu’il nous permet de prendre sur une situation qui nous touche aujourd’hui de plein fouet et dont nos sociétés occidentales subissent les conséquences sans trop savoir encore comment y répondre. Une bonne bibliographie des sources et des études consacrées à ce sujet, une série de cartes explicatives et d’illustrations de documents importants, un lexique des termes et concepts arabes utilisés et, enfin, un index des personnes et des dynasties achèvent de donner à ce volume sa valeur de référence désormais incontournable pour toute recherche, discussion et rencontre interreligieuse à venir.