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Sainte Catherine de Sienne, Œuvres complètes. Suivies de La vie de Sainte Catherine de Sienne par le bienheureux Raymond de Capoue son confesseur

Éditions et traductions de Étienne Cartier, Jourdain Hurtaud O.P. et Étienne Hugueny O.P., en supplément la traduction des Oraisons par Étienne Cartier et des Élévations par Louis Chardon O.P., texte établi par Maxence Caron, Préface de François Daguet O.P., Paris, Les Belles-Lettres (Les classiques favoris, 7), 2019, 1 660 p.

Jean BOREL

Depuis plus de six siècles, Catherine de Sienne ne laisse personne indifférent. C’est le moins qu’on puisse dire. De son vivant déjà, ses ascèses et pénitences hors normes, comme ses prises de position et ses diverses interventions dans les crises religieuses de son temps, furent aussi bien contestées qu’admirées. N’a-t-elle donc été, comme certains l’ont pensé, qu’une exaltée dont l’influence féminine dérangeait la sensibilité classique et l’idéologie masculine de l’époque ? Une visionnaire incontrôlable qui a porté une responsabilité dans l’éclatement du Grand Schisme ? Une délicieuse nonne pâmée aux bras de ses suivantes comme l’iconographie l’a souvent représentée ? Ou plus récemment encore, dans une série télévisée en 2015, intitulée Inquisitio, Catherine de Sienne a-t-elle vraiment été « l’inspiratrice fanatique d’une bande de tueurs, prête à diffuser la peste dans le Comtat Venaissin pour saper le pouvoir de l’antipape Clément VII en terrorisant la population » ? Face à l’outrance de ces jugements, heureusement, Catherine de Sienne n’a pas besoin d’autres défenseurs qu’elle-même. C’est ce qui fait sa force et le rayonnement qu’elle ne cesse d’exercer depuis toujours sur ceux qui savent entendre son message et lire attentivement les trois œuvres majeures qu’elle nous laisse : le Dialogue, dans lequel elle expose sa doctrine spirituelle, les 330 Lettres qu’elle n’a pas seulement adressées aux papes, cardinaux, rois et princes, mais à bien d’autres personnes de modeste condition et, enfin, les Oraisons et les Élévations. Ces trois œuvres, rééditées en un seul volume pour la première fois en France, rendent à Catherine de Sienne l’honneur et la réputation auxquels elle a droit, et confrontent les lecteurs avec une exigence, une rigueur et une autorité spirituelle dont on a plus aujourd’hui l’habitude. Il y a en effet dans la forme et dans le ton de son écriture – Catherine de Sienne a dicté la plupart de ses textes, car elle ne savait guère écrire – quelque chose de très particulier et d’immédiat qui peut d’abord peut-être rebuter, mais qui tout de suite interpelle et fascine. Catherine ne mâche pas ses mots. Elle va droit au but et n’épargne personne s’il s’agit de dire la vérité. Tout en demeurant dans la charité. Pour la comprendre telle qu’elle veut être comprise, il faut accepter l’unique et seul but qu’elle poursuit : unir dans sa vie, comme dans celle des autres, l’amour exclusif de Dieu et une charité en acte envers le prochain. La discrétion, qui renferme à la fois la signification de discernement et celle de réalisation concrète de ce qui doit être accompli, consiste à rendre à chacun – à Dieu d’abord, au prochain et à soi-même – ce qui lui est dû. Pour Catherine, seule une capacité de discernement permet à l’amour et au comportement moral de s’ajuster aux personnes et à la réalité. Ainsi, en unissant la connaissance et l’amour de la vérité dans l’action vertueuse, seules la discrétion et l’humilité parfaite permettent à l’homme d’acquérir sa vraie liberté et de la donner aux autres, en exerçant à leur égard une vraie justice. C’est de cette voie d’exception dont Catherine de Sienne a voulu témoigner, comme elle le dit elle-même en conclusion de son Dialogue : « Trinité éternelle, dans votre lumière que vous m’avez donnée, et que j’ai reçue avec la lumière de la très sainte foi, j’ai connu, par les explications aussi nombreuses qu’admirables, la voie de la grande perfection. Vous me l’avez montrée, pour que je vous serve dans la lumière et non dans les ténèbres, pour que je sois un miroir de bonne et sainte vie, et que je renonce enfin à cette existence misérable où jusqu’ici et par ma faute je vous ai servi dans les ténèbres ». En accordant le titre de Docteur de l’Église à Catherine de Sienne, le 3 octobre 1970, Paul VI a voulu ainsi donner à ses œuvres l’autorité spirituelle exemplaire et définitive qu’elles méritent dans l’Église universelle. Catherine de Sienne est en effet une illustration vivante et tout-à-fait remarquable de cette affirmation très forte de saint Paul : « Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort ; ce qui dans le monde est sans naissance et ce que l’on méprise, voilà ce que Dieu a choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est, afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant Dieu ». Pour Le Dialogue comme pour les Lettres un précieux index analytique et une table des matières détaillée ont été dressés avec soin. En plus de toutes les œuvres de Catherine de Sienne que le volume rassemble, Maxence Caron a eu l’excellente idée de joindre aussi La vie de Catherine de Sienne écrite par le bienheureux Raymond de Capoue, maître général des frères prêcheurs, qui fut son confesseur et directeur spirituel.