Patrick Boucheron, La trace et l’aura. Vies posthumes d’Ambroise de Milan, (IVe-XVIe siècles)
Paris, Seuil (L’Univers historique), 2019, 535 p.
De manière brillante, Patrick Boucheron démontre avec tout l’art d’historien qui est le sien, que la vie d’Ambroise, évêque de Milan de 374 jusqu’à sa mort en 397, est fondamentalement plurielle par le rayonnement inouï qu’elle a eu, non seulement de son temps, mais durant tout le Moyen Âge et jusqu’à la Contre-Réforme. En effet, la personnalité si forte d’Ambroise n’a cessé d’être commentée, réinterprétée, réécrite et scrutée jusqu’en ses moindres détails, et tout l’imaginaire hagiographique se l’est appropriée de mille et une manières, faisant de lui à la fois le héros de la romanité continuée, le champion de la liberté de l’Église, le saint patron de la Ville et protecteur céleste de sa conscience civique. Et pour tout dire : « l’inventeur d’un nouveau monde sensible qui prétendait réaménager tout l’univers ». Il est donc bien, comme le suggère l’auteur, un de ces bricolages mémoriels par lesquels une société s’invente, de façon plus ou moins heurtée, contradictoire et toujours conflictuelle, un passé commun et une identité collective, en relevant les traces de ce qui, du passé, demeure disponible. Suivre pas à pas au fil des siècles cette vivante présence, cette empreinte multiple d’Ambroise dans les consciences humaines, comme dans les mémoires urbaine, textuelle et liturgique, tel est le but que Patrick Boucheron a magistralement réussi. Grâce à un ensemble de notes historiques, littéraires et doctrinales extrêmement fouillées et précises, une liste de toutes les sources imprimées disponibles et une bibliographie sélective très complète, un index des apparitions, un index des noms cités et plus de vingt-cinq documents, cartes et illustrations de premier intérêt, cet ouvrage est un exemple de ce qu’on peut appeler « l’archéologie d’un nom propre ».