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Roland Meynet, Le Psautier. Cinquième livre (Ps 107-150) & Roland Meynet, Le Psautier. Troisième livre (Ps 73-89)

Leuven/Paris, Peeters (Rhetorica Biblica et Semitica, 12), 2017, 747 p. & Leuven/Paris, Peeters (Rhetorica Biblica et Semitica, 19), 2019, 270 p.

Jean BOREL

Jusqu’à récemment, le sommet de l’intelligence exégétique et critique du Psautier se devait de ne le considérer que comme un ensemble « composite », et surtout pas « composé » de manière réfléchie. La simple question d’une unité possible créait en effet une désapprobation alarmée. Le temps de cette idéologie est heureusement en train de passer. Les recherches que Roland Meynet, professeur émérite de théologie biblique à l’Université grégorienne de Rome, et quelques autres exégètes poursuivent depuis quelques années sur la rhétorique biblique et sémitique, commencent à porter de nouveaux fruits. Ces recherches le conduisent aujourd’hui à tenter de rendre au Psautier son « unité », d’autant plus structurée qu’elle ne saute pas aux yeux à la première lecture, mais demande au contraire d’être patiemment recherchée pour être mieux savourée dans la complexité signifiante de son architecture. Aux yeux de l’auteur, la composition des quarante-quatre psaumes du cinquième livre (Ps 107-150) se révèle être en effet « extrêmement élaborée ». D’abord par l’organisation « concentrique » des cinq sections qui le structurent, et dont la longue méditation sur la Loi du Ps 119 constitue le cœur. Ce centre est encadré par le Hallel (Ps 113-118), qui célèbre la libération de l’esclavage égyptien et par les Psaumes des montées (Ps 120-134), lesquels chantent et espèrent la libération et le retour de l’exil babylonien. Aux deux extrémités de cet ensemble se correspondent les deux autres sections, dont le lien, dit R. Meynet, « se découvre plus facilement si on l’examine en rapport avec le psaume central de la construction. En effet, le Ps 119 célèbre la Loi, la Parole de vie, souvent opposée à la parole mortelle des impies. Or, dans la première section, le psalmiste se voit confronté à la parole mensongère de ses ennemis qui l’accusent pour le faire mourir. Il en va de même dans la dernière section où le venin qui se cache sous la langue des méchants met en péril la vie du juste ». Ces deux sections sont donc à juste titre intitulées « De la bouche d’imposture à l’action de grâce du juste » (107-112), et « Du venin du serpent à la louange des justes » (135-145). C’est ainsi à l’action de grâce et à la louange que la victoire est donnée, et non pas à la parole mortifère de l’ennemi. Il apparaît en conclusion que cette construction de l’édifice littéraire du cinquième livre « brosse l’immense fresque de l’histoire d’Israël. De chaque côté de la longue méditation sur la Loi de Dieu sont mis en parallèle la libération du joug égyptien et celle du joug babylonien. D’autre part, sur le plan théologique, c’est le Ps 119 qui se trouve être la clé d’interprétation de l‘ensemble. Et puisqu’il ne fait aucune mention ni du temple, ni de Sion, ni de Jérusalem, on peut penser, dit R. Meynet, qu’il fut composé au milieu de l’exil, quand Israël n’avait plus rien d’autre que la Loi, « pilier central de la foi du peuple élu ». Quant aux cinq derniers psaumes 146-150, ils remplissent la double fonction de conclusion au cinquième livre lui-même et au Psautier dans son ensemble, « comme s’il avait fallu une doxologie finale de cinq psaumes pour les cinq livres du Psautier ». Dans l’impossibilité de résumer l’exégèse et l’analyse de la structure et de l’interprétation que R. Meynet fait de chaque psaume pour lui-même, avant de l’intégrer dans la section dont il fait partie, soulignons le soin avec lequel il les retraduit chaque fois dans leur littéralité, et reprend systématiquement toutes les expressions utilisées par les psalmistes pour en saisir la signification et la place respective dans l’architecture de chaque psaume. L’effort de R. Meynet est de vouloir nous faire coller au texte biblique lui-même et d’en imprégner le lecteur, de telle sorte qu’il soit porté par la puissance de ces prières qui, depuis trois millénaires, nourrissent et donnent sens à toutes les liturgies juives et chrétiennes dans le monde entier.

C’est avec la même attention qui a présidé aux analyses du Cinquième livre du Psautier que le professeur Roland Meynet poursuit ici ses recherches sur la composition du Troisième livre, soit les Psaumes 73 à 89. Par la place centrale qu’ils occupent dans le Psautier, ces dix-sept Psaumes, qui sont presque tous l’œuvre d’Asaph et des Fils de Coré, traduisent l’expérience récurrente de l’anxiété et de l’oppression d’Israël face à des ennemis toujours plus puissants et de l’appel désespéré du secours de Dieu. Leur tonalité générale, dit l’auteur, est en effet vraiment sombre ; ce ne sont que plaintes, supplications et questions angoissées qui sonnent comme autant d’accusations : est-ce que le Seigneur rejette à jamais ? Est-ce que sa fidélité est épuisée jusqu’à la fin ? Est-ce que Dieu oublie d’avoir pitié ? Et plus dramatique encore : Est-ce que pour les morts tu fais merveille ? Est-ce qu’on raconte ta fidélité dans la tombe ? Est-ce que ta merveille est connue dans les ténèbres ? La seule réponse à ces questions est toujours la même : Israël paye le prix de ses péchés et de son incurable infidélité à l’alliance. C’est pourquoi les ennemis prennent le dessus. Et pourtant, ce ne sera jamais là le dernier mot. En dégageant une structure de trois sections faites respectivement de six (Ps 73-78), cinq (Ps 79-83) et six psaumes (Ps 84-89), l’auteur discerne au centre de chacune d’elle l’action et la promesse de Dieu sur lesquelles Israël doit s’appuyer : au centre de la première section, le Ps 75 réaffirme que c’est Dieu seul qui juge et peut « abattre les cornes des méchants ». Au centre de la section centrale, le Ps 81 invite Israël à pousser des cris de joie vers Elohim, car c’est lui qui, parce qu’il a délivré Israël de l’oppression égyptienne et l’a conduit dans le désert, peut encore libérer son peuple de ses ennemis présents. Enfin, au centre de la troisième section, le Ps 86 voit déjà la conversion future des païens : « Toutes les nations que tu as faites viendront et se prosterneront devant ta face, Seigneur, et rendre gloire à ton nom ». Pour apprécier à leur juste mesure les analyses de détail sur les mots et les expressions utilisées par les psalmistes, la recherche de la structure interne de chaque psaume ainsi que la traduction très littérale qu’en fait Roland Meynet, il vaut la peine de suivre le conseil médiéval : « Lis peu, mais attarde-toi ». Ainsi seulement le lecteur pourra s’imprégner de la spiritualité exceptionnelle qui se dégage de la prière psalmique qui, dans son réalisme sans faille, révèle à la fois le cœur de l’homme tel qu’il est devant Dieu dans tous les états qu’il traverse et le cœur de Dieu tel qu’il a été, tel qu’il est et qu’il sera toujours pour son peuple d’Israël, pour son Église et pour chaque homme.