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Olivier Andurand, Philippe Luez, Éric Suire (éds), Port-Royal et la sainteté

Actes du colloque international organisé par la Société des Amis de Port-Royal avec le soutien du Centre d’histoire sociale et culturelle de l’Occident (CHISCO) de l’Université Paris-Nanterre, de la Société d’étude du xviie siècle et du Musée national de Port-Royal des Champs, 11-12 octobre 2018, Paris, Société des Amis de Port-Royal/Bibliothèque Mazarine, 2019, 308 p.

Jean BOREL

Comme il se doit dans toute communauté religieuse, la sainteté est la préoccupation première. Mais, avec le mouvement de réforme de l’abbaye de la vallée de Chevreuse, qui débute lors de la fameuse « Journée du guichet », le 25 septembre 1609, cette préoccupation a pris une orientation et un développement tout-à-fait particuliers. « L’idéal de sainteté qui se met en place dans le milieu port-royaliste », disent les éditeurs en introduction aux conférences du colloque, « est traversé par un double mouvement : d’abord, affirmer la catholicité de l’abbaye en se fondant sur les règles établies par Rome pour canoniser ses membres et, ensuite, la référence permanente à l’Église primitive où la sainteté repose plus sur la réputation – la fama sanctitatis – que sur une quelconque procédure. [...] Bons catholiques, les jansénistes n’en entretiennent pas moins des liens assez distants avec les conceptions romaines de la sainteté et les positions thomistes qui inspirent les décisions de la sacrée Congrégation des Rites. Héritiers d’une théologie de l’élection divine, ils produisent des textes hagiographiques et des réflexions qui s’écartent souvent des règles prescrites par Rome et qui pourtant s’inscrivent pleinement dans le mouvement d’organisation et de contrôle voulue par le magistère pontifical. Tout comme les miracles, la sainteté et la canonisation spontanée sont des réponses à la persécution dont les jansénistes se disent victimes » (p. 13-14). Les douze communications qui se sont données lors de ce colloque mettent ainsi tour à tour en lumière l’un ou l’autre aspect des représentations de la sainteté que les maîtres de la spiritualité de Port-Royal ont développées, et les polémiques parfois âpres auxquelles elles ont donné lieu à l’époque. Parmi eux, Bérulle, Saint-Cyran et Pietro Tamburini jouent un rôle de première importance. Blandine Delahaye montre de manière pertinente comment le premier « aperçoit dans la distinction des Personnes la séparation caractéristique de la sainteté et dans leurs relations l’application qui en est l’effet positif : “comme la sainteté incréée est subsistante en relations mutuelles des personnes procédantes vers celles dont elles sont procédées, dit Bérulle, ainsi la sainteté créée a sa subsistence en ce rapport, en ce regard et en cette relation singulière vers Jésus et vers son humanité sainte dont elle est dérivée” » (p. 31). Dans ce sens, « chez Bérulle, à la suite de Duns Scot et de Luis de Léon, la relation dit mieux le mystère de la vie divine que la notion d’être. La relation parfaite dit mieux le mystère de la Trinité que l’être. De même la relation à Dieu est plus fondamentale et primordiale dans la créature que son existence même » (ibid.). Comment, dans cette vision, l’homme est-il invité à participer à la vie divine ? Pour y répondre, Bérulle part de la comparaison avec l’ange et dit : « l’ange fut sanctifié en lui-même et selon sa nature ; alors que l’homme est sanctifié hors de lui-même : il est sanctifié en Jésus-Christ, selon que le Christ a mesuré ses dons. Chaque ange est un Tout, mais subordonné. Chaque homme ne fait que partie dont Jésus est le Tout. Et il ne suffit à l’homme d’être subordonné, mais il doit être désapproprié et anéanti, et approprié à Jésus, subsistant, enté, vivant, opérant et fructifiant en Jésus » (p. 35-36). La perspective de Saint-Cyran est d’emblée plus pratique, car elle procède de son incessante activité de direction spirituelle. À l’injonction du Christ d’être parfait comme le Père céleste est parfait, il aime se rapporter également à celle du livre de la Sagesse, qui invite à « régler toutes choses avec mesure, nombre et poids ». C’est ce que développe Denis Donetzkoff en montrant comment « le microcosme qu’est la chambre du solitaire est appelé à devenir le champ d’action qui lui permet de conformer son action à celle de Dieu dans le macrocosme qu’il a créé, en procédant avec ordre et méthode sur le chemin de la perfection » (p. 47). Quant à la conception que Pietro Tamburini, le plus célèbre des jansénistes italiens du XVIIIe s., se fait de la sainteté, elle nous renvoie à sa longue méditation sur la vie et l’œuvre de Justin, dont le martyr est à ses yeux le modèle à suivre par excellence : « présentant ainsi la sainteté incarnée par les premiers martyrs de l’Évangile, écrit Grazia Grasso, Tamburini saisit l’occasion d’exprimer sa propre conviction de la supériorité de la morale chrétienne à toute action politique et de son utilité pour la vie civique ; l’éducation civique, continue-t-il en interprétant Justin, est incapable à elle seule d’obtenir le bon comportement des citoyens, à moins qu’elle ne se laisse façonner par les valeurs de la vraie religion » (p. 61). Les exposés qui suivent prennent alors en considération l’impact de la querelle janséniste sur les procédures romaines concernant les serviteurs de Dieu français des XVIIe et XVIIIe s., l’instrumentalisation du culte des reliques pour affirmer une orthodoxie de doctrine, ainsi que les deux courants d’écriture hagiographique mis en œuvre à Port-Royal pour honorer la mémoire des vies les plus exemplaires. Si le premier courant, dont Saint-Cyran est l’inspirateur, a fait la réputation historique de Port-Royal en prohibant toute expression personnelle du biographe, et s’en tenant à la traduction des Vies canonisées par la sainteté de leurs auteurs, le second, dont l’initiative est due à Antoine Le Maistre, a fait sa nouveauté littéraire, en se fondant au contraire sur le témoignage personnel, offrant ainsi, dans les Mémoires de Fontaine, une synthèse originale entre hagiographie et autobiographie. Le volume se termine par des informations diverses concernant la Société des Amis de Port-Royal, la liste de tous les ouvrages et articles parus au cours de l’année sur la pensée janséniste et antijanséniste, Port-Royal et Blaise Pascal, et un index complet de tous les noms d’auteurs cités, et des principaux thèmes théologiques abordés.