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Un peuple caduc

Le rapport au peuple juif dans la pensée allemande depuis Luther

Jacques EHRENFREUND

Université de Lausanne

La lecture du texte de Luther Des Juifs et de leurs mensonges nous révèle la violence extrême des sentiments antijuifs du réformateur. Cette haine pure, d’une brutalité que l’on a rarement l’occasion de rencontrer, suscite aujourd’hui encore perplexité et stupeur. Comment cet homme, décisif dans le devenir de l’Europe, figure tutélaire d’une tradition religieuse suivie par des générations de fidèles, pouvait-il faire preuve d’une telle démesure dans la détestation ? Quel rôle a joué cette haine dans l’ensemble de sa doctrine et dans la diffusion de l’antisémitisme européen, qui a culminé, quatre siècles plus tard, dans la destruction des Juifs d’Europe ?1 Y a-t-il un lien, si oui de quelle nature, entre la haine exprimée par Luther et la « solution finale de la question juive » mise en œuvre par les nazis et leurs collaborateurs?

Les excès du texte de 1543 ont été expliqués de deux manières. On a suggéré d’abord de les replacer dans le contexte des outrances langagières caractéristiques du XVIe siècle ; ces excès proviendraient, peut-on lire aussi souvent, de la déception de Luther devant le refus des Juifs de se convertir à un christianisme enfin purifié et revivifié par la Réforme2. Telles ont été les stratégies interprétatives visant à euphémiser, à marginaliser, voire à excuser cette haine.

Pourtant, ce texte ne contient pas seulement l’arsenal complet des représentations de l’antisémitisme contemporain, il propose une série de mesures concrètes qui seront mises en œuvre par l’Allemagne nazie quatre siècles plus tard. Rappelons-les rapidement en citant le texte de Luther :

Premièrement, qu’on incendie leurs synagogues et qu’on recouvre de terre et ensevelisse ce qui refuse de brûler, afin que plus personne n’en voie la moindre trace pour toute l’éternité. [...]

Deuxièmement, qu’on abatte et qu’on rase leurs maisons de la même façon, car ils y pratiquent exactement la même chose que dans leurs synagogues. On n’aura qu’à les regrouper ensuite sous un toit ou dans une étable, comme les Tsiganes, afin qu’ils sachent qu’ils ne sont pas les maîtres dans notre pays, comme ils s’en vantent, mais plutôt exilés et captifs, comme ils s’en lamentent sans cesse à hauts cris lorsqu’ils s’adressent à Dieu à notre propos.

Troisièmement, qu’on leur confisque tous les livres de prière et tous les exemplaires du Talmud, lesquels enseignent cette idolâtrie, ces mensonges, ces malédictions et ces blasphèmes.

Quatrièmement, qu’on interdise à leurs rabbins, sous peine de mort, de continuer à enseigner, car ils ont perdu tout droit d’exercer un tel magistère, parce qu’ils retiennent les pauvres Juifs prisonniers de la parole de Moïse [...].

Cinquièmement, qu’on interdise aux Juifs la libre circulation, car ils n’ont rien à faire sur le territoire étant donné qu’ils ne sont ni seigneurs, ni fonctionnaires, ni marchands ni rien de la sorte, il faut qu’ils restent chez eux. [...]

Sixièmement, qu’on leur interdise l’usure et qu’on leur confisque toute monnaie et tous bijoux en argent et en or, et qu’on les mette de côté.

Septièmement, qu’on donne aux jeunes Juifs et aux jeunes Juives vigoureux un fléau, une hache, une houe, une pelle, une quenouille, un fuseau et qu’on les laisse gagner leur pain à la sueur de leur nez [...]3.

Hormis l’extermination, tous les éléments de la future politique juive des nazis sont présents dans ce texte : de l’expulsion violente à l’éradication des traces, de la confiscation des biens à la réduction en esclavage, tout y est. Les Juifs sont présentés comme des parasites, comme une plaie sur le corps pur de la chrétienté. Julius Streicher, rédacteur en chef du journal Der Stürmer affirma d’ailleurs lors du procès de Nuremberg que c’est Luther lui-même qui aurait dû se trouver sur le banc des accusés, sous-entendant que les nazis n’avaient rien fait d’autre que mettre en œuvre un programme établi au XVIe siècle4.

Pour Hannah Arendt une telle affirmation relève d’une téléologie dangereuse et anhistorique. Il n’existerait d’après elle aucun lien entre l’antijudaïsme traditionnel et l’antisémitisme moderne. Arendt préconise de considérer la destruction des Juifs d’Europe comme la quintessence d’une dérive techniciste et moderne, qui n’aurait aucun lien avec l’ancienne haine5. L’antijudaïsme relevait de la polémique religieuse, celle qui a vu s’affronter depuis l’Antiquité deux manières de lire et d’interpréter le texte biblique et d’en revendiquer l’héritage. L’antisémitisme moderne serait au contraire caractérisé par une essentialisation puis une racialisation des Juifs qui précèdera leur mise à mort industrielle. L’antijudaïsme relèverait de la sphère religieuse, l’antisémitisme appartiendrait à l’ordre politique et on ne gagnerait rien à mélanger les deux, d’autant que la modernité a été caractérisée par une sécularisation qui a mis à distance l’ensemble des thématiques religieuses.

Est-il possible de maintenir une polarisation aussi radicale ? N’est-il pas important d’envisager, sans déterminisme ni téléologie, le lien qui a pu exister entre l’antijudaïsme traditionnel et l’antisémitisme dans sa forme moderne ?

Dans un ouvrage paru en 2013, l’historien américain David Nirenberg a pris le contre pied de la position d’Arendt6. Il propose au contraire de considérer l’antisémitisme politique comme une sous-catégorie d’un antijudaïsme qui serait, dans l’histoire de l’Occident, un système théorique ancien, puissant mais surtout matriciel ayant pour fonction de donner un sens au monde. C’est précisément parce que l’antijudaïsme serait au cœur de la civilisation occidentale qu’il est indispensable de tenter d’en comprendre la logique et d’en mesurer la nocivité. Le contemporain et ses travers ne peuvent être véritablement saisis que par ce détour, par la convocation d’un motif culturel essentiel et oublié comme tel. Se pencher sur cette histoire ne consiste donc pas à s’interroger sur un moment marginal, sur un accident malheureux de l’histoire de l’Europe, mais au contraire de penser l’une de ses matrices. On le voit, l’enjeu du débat est considérable. Ce sont deux manières de comprendre l’histoire de l’Europe, de la modernité et la genèse religieuse des sociétés qui s’affrontent.

C’est à la question du lien entre antijudaïsme traditionnel et antisémitisme moderne que nous consacrerons cet article. Nous voudrions suggérer qu’il existe des formes de continuité, sans tomber dans une vision téléologique qui nierait les différences. Pour le dire en une phrase, la thématique que l’antisémitisme tire de l’antijudaïsme tient dans le postulat que la réconciliation de la société passe par l’exclusion des Juifs suite à leur dépassement et que celui-ci permettrait une forme de rédemption de l’ensemble du corps social7. Nous tenterons de montrer que cette thématique trouve son origine dans la polémique religieuse.

1. L’antisémitisme moderne est profondément distinct de l’antijudaïsme chrétien

Penchons-nous dans un premier temps sur les arguments qui plaident en faveur d’une rupture radicale entre antijudaïsme et antisémitisme.

L’antisémitisme est d’abord un phénomène qui relève d’une logique politique, et n’a que peu de lien avec la controverse religieuse. Le terme même d’antisémitisme date de 1879, on l’attribue à un agitateur viennois, Wilhelm Marr, qui en aurait fait un instrument dans le cadre d’un débat sur la modernisation de la société de son temps8. L’antisémitisme de Marr voit dans les Juifs un ferment de dissolution de la société traditionnelle. Depuis leur émancipation récente, les Juifs, devenus partis prenante de la société, la soumettraient à une puissante déstructuration au service de leurs intérêts. Étrangers à ce qui constitue le caractère propre du monde européen, les Juifs n’en respecteraient pas les modes d’agir et de vivre. Devenus invisibles du fait de la nouvelle législation, ils seraient de ce fait particulièrement dangereux. C’est en interaction avec la modernisation qui transforme l’Europe durant le dernier tiers du XIXe siècle qu’il faut comprendre la monté en puissance de ce mouvement transnational, dénommé d’abord en allemand, mais le terme sera traduit presque instantanément dans toutes les langues du continent et connaîtra son plus grand succès dans la France de la IIIe République, comme en témoigne l’intensité de l’antisémitisme pendant l’affaire Dreyfus9. L’industrialisation, l’urbanisation massive, la perte de repères de vastes segments de la société dans un univers libéral fondé sur le contrat entre égaux et non plus sur une vocation religieuse de la société : l’ensemble de ces facteurs expliquent le succès immédiat de l’antisémitisme. Les Juifs sont désignés comme responsables de ces transformations négatives et lutter contre elles signifie d’abord les mettre à l’écart, les empêcher de nuire. L’antisémitisme peut donc mobiliser aussi bien à droite qu’à gauche, il peut trouver des partisans parmi les pourfendeurs du capitalisme, dont il tient les Juifs responsables, ou parmi les opposants à la disparition des anciennes solidarités. La crise de modernisation qui frappe l’Europe à la fin du XIXe siècle est si puissante que la désignation du coupable prendra des formes inédites.

De plus, l’essentialisation des Juifs progressivement mise en œuvre durant cette période et qui culmine dans leur assignation à une race, complétera le tableau ; ceci n’est compréhensible que dans un univers mental transformé par l’omniprésence de la science10. Les délires de la prétendue science raciale participeront de la désignation des Juifs comme radicalement autres. L’invention du sémite a permis surtout de définir l’aryen par contraste11. L’idéologie antisémite renforcée par cette prétendue science raciale s’est pensée dotée de l’instrument ultime pour saisir le sens de l’histoire. Les nazis ont poussé cette logique à son paroxysme et ont désigné la supposée race juive seule responsable de l’ensemble des maux allemands.

Le vieil antijudaïsme se fondait quant à lui sur la polémique religieuse et considérait que les Juifs avaient été incapables de comprendre ce que leurs propres textes annonçaient. L’antijudaïsme chrétien avait pour ambition de convaincre les Juifs de leur erreur et en dernière instance de les convertir. En attendant cette issue, qui interviendrait nécessairement, Augustin avait produit, dès le IVe siècle, le cadre herméneutique à l’intérieur duquel s’est déployé l’antijudaïsme traditionnel. Les Juifs déchus, vetus Israel et non plus verus Israel, dispersés et souffrants, témoignaient par cette souffrance du prix de l’erreur religieuse12. La marginalisation sociale promue par l’Église et qui à partir du XIIIe siècle s’était transformée en ségrégation rigoureuse, visait à rendre impossible une éventuelle influence des Juifs sur la société et à augmenter la pression sur eux pour les amener enfin à la vérité13.

On le voit, ce sont deux logiques radicalement différentes qui sont à l’œuvre de part et d’autre d’une frontière chronologique à placer au XIXe siècle et le texte de Luther rappelle, à bien des égards, davantage la logique de l’antijudaïsme traditionnel que celle de l’antisémitisme racial. C’est cette différence irréductible qui est résumée par Raoul Hillberg, l’auteur d’une somme qui a fait date sur la destruction des Juifs d’Europe et seul historien mobilisé par Claude Lanzmann dans son film Shoah : l’antijudaïsme pouvait tout infliger aux Juifs, la ségrégation, l’humiliation, la dépossession, l’expulsion et l’ensemble des États d’Europe ne s’en est pas privé. Cependant la chose qui restait inconcevable à l’antijudaïsme chrétien, c’était l’extermination systématique, pour la raison simple que l’on n’extermine pas un témoin.

Un corollaire de l’affirmation de la rupture entre antijudaïsme et antisémitisme a consisté à considérer que les Juifs étaient des victimes non contingentes de l’extermination nazie. Le nazisme était analysé d’abord et avant tout en tant que produit d’une modernité radicale (capitaliste, pour les marxistes, modernité rationnelle des Lumières pour les critiques de l’École de Frankfurt) et la question de l’identité des victimes de ce totalitarisme était secondaire, voire superflue. Aussi bien Hannah Arendt que Theodor Adorno et Max Horkheimer proposaient de mettre l’accent sur le lien étroit entre extermination et modernité. Encore récemment, Zygmunt Bauman ou Giorgio Agamben ont vu dans le camp d’Auschwitz le paroxysme de la modernité technicienne et du bio pouvoir14. Le camp de concentration, qui, dans une telle lecture, n’est pas distinct du camp d’extermination, est érigé en paradigme de la modernité dans son ensemble, la différence entre le camp et la société étant pour ces auteurs de degré et non de nature15. L’identité des populations vouées à l’extermination est secondaire voire gênante, comme l’est la question de l’intention des acteurs de la solution finale. C’est ce que résume bien le sous-titre du livre d’Hannah Arendt sur le procès Eichmann, Essai sur la banalité du mal16. Eichmann n’est aux yeux d’Arendt qu’un exécutant sans importance, sa médiocrité rend inutile de s’attarder sur l’intention qui sous-tend son action. Seule compte la compréhension d’une mécanique qui le dépasse et dont il n’est qu’un rouage négligeable, mécanique qui interpelle la modernité en tant que telle. L’extermination aurait été un processus fonctionnel et technique, elle est à ce titre susceptible de se reproduire à tout moment et de concerner chacun d’entre nous.

Des historiens importants ont repris à leur compte cette manière de considérer et de comprendre l’extermination des Juifs. Depuis les années 1980, une querelle oppose deux écoles historiques qui s’interrogent sur le génocide, les fonctionnalistes et les intentionnalistes. Les premiers construisent leur analyse en considérant qu’étant donné, entre autre, qu’il est impossible d’isoler un document qui témoignerait d’une décision explicite de détruire les Juifs, on ne peut pas voir dans le génocide d’intention délibérée17. Pour Martin Broszat, figure de proue des historiens fonctionnalistes, comprendre l’extermination suppose d’examiner ce qu’il nomme un processus de « radicalisation cumulative ». Au fur et à mesure de la guerre, des actes se seraient succédés sans avoir été planifiés et dont la succession est presque le fait du hasard. La dimension idéologique, l’intention antisémite est sinon niée du moins fortement minorée. Par ailleurs, comme il l’affirme dans son article « Pour une historicisation du national socialisme », la position des historiens intentionnalistes serait surdéterminée par leur affiliation. Martin Broszat soupçonne ces derniers de ne pas être à même, parce que trop concernés par le sujet, d’émettre un jugement distancié et juste sur l’histoire de la Shoah. Voici ce qu’il écrit : « Les Israéliens veulent voir dans ce crime immense des causes majeures et définissables, alors qu’il se peut très bien que des faits tout à fait secondaires aient donné lieu à un résultat d’une ampleur terrible »18. Inutile donc de chercher plus loin pour expliquer le génocide.

Dans son livre récent Où mène le souvenir, l’historien Saul Friedländer, directement interpellé par Martin Broszat, évoque sa stupeur à la lecture de ces lignes19. Ainsi pour Broszat être survivant de la Shoah, comme cela était le cas de Saul Friedländer, constituait un obstacle à une bonne compréhension du nazisme. Martin Broszat, qui de son vivant avait reconnu avoir été membre des Hitler Jugend, ce qui était une obligation pour les adolescents allemands, mais dont on a découvert après sa mort qu’il s’était engagé avec enthousiasme dans le parti nazi, ne semblait pas considérer que ce choix pouvait avoir une incidence sur son jugement historique.

On le voit, la question d’une distinction radicale entre antijudaïsme traditionnel et antisémitisme moderne est mobilisée immédiatement dans tout débat sur l’extermination des Juifs d’Europe. L’affirmation de la non continuité entre les deux phénomènes permet d’incriminer dans la Shoah d’abord et avant tout la modernité technicienne.

Mais est-il possible historiquement de distinguer avec une telle netteté antijudaïsme et antisémitisme ? La modernité européenne n’a-t-elle véritablement rien hérité de l’ancien monde ?

2. Il n’est pas possible de séparer radicalement antijudaïsme d’antisémitisme

La première raison de contester la séparation stricte entre antijudaïsme et antisémitisme tient d’abord à la présence dans l’antijudaïsme chrétien d’éléments qui essentialisent, parfois même racialisent les Juifs bien avant le XIXe siècle. Le texte de Luther n’est que l’une des illustrations de cela, il s’inscrit plus dans une continuité de ce qui le précède. Dès le XIIe siècle apparaissent des façons de caractériser les Juifs, de leur assigner une malignité singulière qui ne s’expliquerait pas d’abord par l’erreur religieuse et qu’il ne serait donc pas possible d’effacer par la conversion20. Les accusations de meurtres rituels, d’assassinats d’enfants chrétiens, d’empoisonnement des puits et de profanations diverses participent d’une démonisation des Juifs qui ne se différencie pas radicalement de ce qui se produira quelques siècles plus tard. En fait, dès la fin du Moyen Âge et le début de l’époque moderne on a attribué aux Juifs des particularités physiques et des infirmités caractéristiques que l’on expliquait par leurs infamies passées, mais qui s’inscrivaient dans leur descendance. De même que la queue ou les cornes, la « puanteur juive » est affirmée comme la punition et la juste rétribution du déicide. Les représentations infamantes ne sont pas cantonnées au seul domaine de la théologie, elles permettent de progressivement assigner à l’ensemble de cette population des caractéristiques physiques et mentales qui justifient leur avilissement et leur cantonnement aux marges de la société chrétienne.

Le cas ibérique du XVIe siècle, avec le déploiement de l’idéologie dite de la « limpieza de sangre », la pureté du sang, illustre la difficulté de distinguer rigoureusement l’antijudaïsme religieux de l’antisémitisme racial21. La Reconquista, le retour de l’hégémonie chrétienne sur l’ensemble de la péninsule, l’expulsion de la grande majorité des Juifs et la conversion de ceux qui sont restés ont permis d’établir une société religieusement homogène. C’est précisément à ce moment qu’est apparue une façon de considérer les nouveaux chrétiens comme inassimilables aux chrétiens de naissance et comme dangereusement nuisibles. C’est par le sang que se transmettait une impureté qui distinguait les nouveaux chrétiens des chrétiens « authentiques » et c’est pour cette raison que des mesures ont été prises pour les tenir à l’écart, les distinguer afin d’éviter qu’ils ne souillent le reste de la société. On ne peut certes pas parler d’idéologie raciale pleinement constituée au XVIe siècle, mais pendant plusieurs décennies on a cherché à endiguer ce que l’on considérait comme un danger majeur pour la société chrétienne. Ces stratégies de naturalisation, d’allégation d’une transmission par la naissance d’une marque juive infamante, s’accompagnaient de l’assertion que la conversion n’effaçait rien. Les conversos constituaient dès lors un danger pour la pureté chrétienne et pas uniquement pour la foi ou pour le dogme.

3. La persistance d’une thématique : celle du caractère caduc et incompréhensible de la persévérance du peuple juif

À la suite de David Nirenberg, on peut considérer que l’antisémitisme des XIXe et XXe siècles n’est à bien des égards qu’une sous-catégorie de l’antijudaïsme traditionnel. Une compréhension approfondie de l’antisémitisme moderne et de ses effets mortifères ne peut être obtenue que par sa réinscription dans une perspective de longue durée. Telle est le principal argument qui plaide en faveur d’une certaine continuité entre les deux phénomènes.

L’axiome chrétien de l’accomplissement et du dépassement du judaïsme, rendant le peuple juif caduc donc inutile, est constitutif de la façon dont on a considéré les Juifs au fil des siècles dans un monde dans lequel le christianisme était hégémonique. On trouve cette affirmation dans les écrits néo-testamentaires puis dans la patristique, mais cette allégation se décline aussi dans la modernité et dans différents registres de discours, théologique, philosophique ou historique. Pour comprendre les implications de cette affirmation, il est indispensable d’en rappeler la genèse ; cette thématique du dépassement et de la substitution, qui rend ce qui a été dépassé superflu, inutile et en dernière instance dérangeant, se trouve au cœur même du dispositif culturel de l’Occident. Il ne s’agit pas d’un trait marginal, mais du présupposé même qui fonde le christianisme. L’obstination des Juifs dans l’être suscite dès lors une perplexité qui se transforme parfois en animosité voire en haine, telle que celle qu’exprime Luther et que reprendra une certaine pensée allemande après lui. Si le peuple juif est caduc, s’il a été remplacé dans l’élection par le Nouvel Israël qu’est l’Église, que faire de lui dans le présent ? Que faire de ceux qui s’obstinent à ne pas comprendre que leur existence est une provocation, une contestation de la vérité même ?22

Le christianisme s’est institué dans l’affirmation qu’il accomplit ce qui est annoncé dans les textes de la Bible juive. Il en propose une lecture figurative qui a pour vocation d’installer l’Église comme verus Israel. La tâche du peuple juif est achevée, il est attendu de lui qu’il se rallie à la vérité et disparaisse comme entité autonome. Le peuple de l’ancienne alliance est accusé d’être incapable de s’élever à une lecture spirituelle de ses propres textes pour s’en tenir à une lecture littérale et charnelle.

Cette opposition entre une lecture littérale, caractérisée par une focalisation étroite sur la loi et sur la chair, et une compréhension spirituelle qui fait advenir une humanité unifiée par la grâce, est un topos matriciel et récurrent. Cette affirmation ne disqualifie pas uniquement les Juifs, elle considère qu’ils sont restés à un stade primitif d’un développement qui a culminé avec l’avènement du christianisme. L’Église s’institue comme héritière sans reste de l’ancien peuple déchu. Mais c’est parce qu’elle reconnaît que le peuple juif a joué un rôle fondamental dans l’économie du salut que la question de ce qu’il devient après l’avènement de l’Église est pleinement signifiante pour la construction de l’identité chrétienne. La théologie de la substitution est ce qui donne au devenir du peuple déchu toute son importance : le judaïsme est tout à la fois vrai et essentiel, puisque le christianisme en hérite, mais dépassé dans la forme que portait le peuple juif, il est donc attendu que celui-ci disparaisse. Cette disparition ne peut certes pas être provoquée, mais elle est attendue impatiemment23.

On peut illustrer cette thématique essentielle par quelques citations issues de contextes différents : « Ce n’est pas une vaine parole que le seigneur adresse aux Juifs, quand il leurs dit : “Si vous croyiez à Moïse, vous me croiriez aussi ; car c’est de moi qu’il a écrit”. Car ils sont dans l’intelligence charnelle de la Loi et l’ignorance de ses promesses, en tant que symboliques », écrit Augustin au IVe siècle24. L’opposition entre littéral et particulier d’un côté, spirituel pleinement et universel de l’autre sera l’épicentre de la posture anti-juive du christianisme depuis ce moment-là.

Onze siècles plus tard, Hans Folz (ca. 1435-1513), Meistersinger qui rénova cet art, reprendra cette même interpellation que l’on sent pleine de menace : « Écoute juif ! et comprends bien que toute l’histoire de l’ancienne alliance et toutes les paroles des prophètes ne sont qu’une figure de la nouvelle alliance. »25

Mais même la modernité des Lumières ne s’émancipera pas de cette thématique de l’incapacité juive à s’élever à la lecture spirituelle de leur texte, la seule qui permet d’échapper au dégoûtant particularisme. Montesquieu écrit ainsi :

Il faut avouer que la lecture de l’Ancien Testament serait bien dangereuse à un homme qui ne consulterait que les faibles lumières de sa raison et quiconque lirait l’endroit qui regarde la création du monde, le paradis terrestre, le déluge, la conduite d’Abraham, de sa femme, de Jacob à l’égard de ses deux femmes, l’endurcissement du pharaon, les miracles de Moise et de Josué, la traversée du désert, Judith, Daniel et la fournaise, ne sachant pas que tout cela est mystérieux et figuratif, sentiraient ce que saint Augustin dit : que tout l’Ancien Testament devient insipide et dégoûtant lorsqu’on y cherche pas Jésus-Christ26.

Schleiermacher ne dit pas autre chose à l’aube du XIXe siècle : « Le judaïsme est depuis longtemps une religion morte, et ceux qui portent aujourd’hui encore ses couleurs, se tiennent auprès d’une momie dévastée et pleurent sa mort et son triste abandon. »27

Le point crucial de l’antijudaïsme, qui ne se distingue pas de l’antisémitisme, c’est le peuple de trop, ou celui qui usurpe illégitimement une existence qui ne repose sur rien.

La théologie contemporaine, même libérale, n’échappera pas à ce travers, celui de considérer la survie du peuple juif comme un problème auquel on souhaiterait qu’une solution soit apportée.

La science historique du XIXe siècle a été elle aussi mobilisée pour participer à la même affirmation et à la même démonstration. La théologie de la substitution est reprise par la recherche historique. C’est au nom de la science que retentit la même affirmation du caractère caduc du judaïsme. L’histoire comparée des religions à la fin du XIXe siècle construit une hypothèse historique que l’on peut résumer de la manière suivante : sont apparues d’abord des religions nationales, fondées par des figures prophétiques ; puis des religions légalistes (Gesetzreligionen) comme le pharisianisme et islam. Ça n’est qu’à la fin de cette aventure que sont apparues les religions morales (moralische Erlösungsreligion) telle le christianisme qui, dans sa forme protestante, est le point d’aboutissement ultime de l’évolution28. Lui seul donne naissance à un individualisme éthique et universel. Pour mettre en place ce récit porté par l’histoire des religions, il était nécessaire de tenir le judaïsme pour anachronique est dépassé29.

Pour que ce postulat soit effectif, il aura fallu qu’au XIXe siècle un discours théologique ou historique ait contribué à diffuser la vieille idée du caractère caduc du peuple juif. La description des Juifs en fossile ou, pour la philosophie de l’histoire du XIXe siècle, en peuple qui a accompli sa raison d’être dans l’histoire et qui refuse de disparaître, sera reprise par l’école de l’histoire de la religion (la religionsgeschichtliche Schule) : un peuple qui s’obstine à ne pas disparaître.

4. L’antijudaisme comme outil fondamental de la construction de la pensée occidentale

Depuis longtemps, les idées sur le judaïsme et les Juifs ont servi à construire la réalité du monde et affecté de ce fait l’existence même des Juifs réels. Dans la longue durée, de nombreux domaines de l’activité humaine étaient susceptibles d’être critiqués en termes de « judaïsme ». Au centre de cette critique, le reproche fait au judaïsme d’être incapable de discerner la lettre de l’esprit.

En 1990, le philosophe français Jean-François Lyotard a été ébranlé, comme beaucoup de ses contemporains, par la profanation du cimetière juif de Carpentras. Devant l’horreur de l’acte il a tenté de le comprendre, faisant pour cela un long détour, dans lequel je reconnais des éléments de ma propre démarche.

Ce qui commence à l’expliquer [l’antisémitisme], c’est ce que dit leur livre. Car c’est cela dont l’Europe, chrétienne d’abord, républicaine ensuite, aujourd’hui riche et permissive, ne veut ou ne peut rien savoir. Ce livre, qui est à la base de toute sa culture, en est resté exclu à l’intérieur.

C’est une vieille histoire. Elle commence avec les Épîtres que l’apôtre Paul adresse aux Romains et aux Hébreux. Qu’on me pardonne de faire court, donc de trahir. Le livre des juifs dit : Dieu est une voix, on n’accède jamais à sa présence visible. Le voile qui sépare les deux parties du temple, en isolant le Saint des Saints, ne peut pas être franchi (sauf une fois l’an par le sacrificateur, désigné par Dieu). Tout ce qui se fait voir comme divin est une imposture : idole, chef charismatique, guide suprême, faux prophète, Fils de Dieu. La loi, de justice et de paix ne s’incarne pas. Elle ne nous montre pas d’exemple à suivre. Elle vous a donné un livre à lire, plein d’histoire à interpréter. N’essayez pas de vous arranger avec elle. Vous lui appartenez, elle ne vous appartient pas.

Or, Paul dit : pas du tout, le voile du temple s’est déchiré au moment où Jésus meurt en croix, « une fois pour toutes ». Son sacrifice a racheté vos péchés, « une fois pour toutes », répète l’apôtre. La loi vous a fait grâce, Dieu vous a donné son fils et la mort de son fils en exemple visible. Par lui la voix s’est montrée. Elle dit clairement : aimez-vous comme des frères. [...]

Ainsi se poursuit, dans l’inconscient de l’Europe permissive, l’anéantissement de ce que dit leur livre, qui est que la loi ne nous appartient pas et que notre réconciliation avec elle reste en souffrance. Cela, c’est l’antisémitisme constitutif de l’Europe qui, d’une manière ou d’une autre, a toujours pensé le contraire : son auto-constitution30.

La discussion dont je viens de faire état met en scène, du point de vue de la théorie de l’histoire, deux positions frontalement opposées. Pour la première, le caractère irréductiblement neuf de la modernité est indiscutable et ce n’est qu’à partir de lui que l’on peut tenter de comprendre ce qui s’est accompli au cœur du XXe siècle. Pour critiquer la dimension meurtrière intrinsèque de la modernité technicienne, il est indispensable de ne se focaliser ni sur l’intention des meurtriers, ni sur l’identité des victimes. C’est la modernité et elle seule qu’il s’agit de mettre sur le banc des accusés et il est inutile de s’encombrer de vieilles lunes dont on suppose qu’elles sont depuis longtemps oubliées.

Pour d’aucuns à l’inverse, on gagnerait en intelligence du moment moderne en mettant en évidence qu’il hérite de thématiques antérieures encore très puissantes et pleinement agissantes. Les sociétés modernes ont profondément métabolisé, certes, mais aussi repris peut-être à leur insu, inconsciemment, des représentations qui leurs venaient de très loin. C’est seulement en acceptant de faire l’effort de se pencher sur ces filigranes présents dans les sociétés modernes que l’historien accomplit pleinement son travail.

La façon dont l’Occident chrétien a pensé le judaïsme n’a pas causé la solution finale, qui ne peut pas être pensée comme inévitable dans l’histoire de l’Europe. Les individus qui ont porté directement la responsabilité de la mise en œuvre de cette politique doivent être évalués à la hauteur de cette responsabilité et c’est pour cette raison que l’on ne doit pas considérer leur action comme surdéterminée religieusement ou culturellement. Ce qui s’est produit aurait pu ne pas se produire.

Cependant, à l’inverse, la Shoah n’est pas concevable sans cette longue histoire de l’antijudaïsme, sans cette représentation du peuple juif comme un anachronisme incompréhensible, dont on espérait qu’il disparaisse. Et d’ailleurs, cet espoir de le voir disparaître a-t-il complètement disparu des sociétés européennes aujourd’hui ?

Je souhaite terminer par un appel méthodologique que l’on pourrait généraliser à d’autres champs de la connaissance historique. Il est temps de faire face à des enjeux épistémologiques importants, de prendre de la distance par rapport à une segmentation excessive de l’histoire qui la rend insignifiante, par crainte compréhensible des effets d’une lecture téléologique. La longue durée, si elle sait maintenir à distance une vision déterministe, peut seule réintroduire dans la pratique de l’histoire une pertinence qu’elle a parfois perdue.

Marc Bloch voyait dans la confusion entre « commencements » et « causes » un défaut majeur de l’écriture historique, qui menaçait de la faire tomber du côté du déterminisme31. Cet écueil doit être évité absolument, mais il ne faut pas s’interdire de partir à la recherche de causes profondes, lointaines, pour comprendre des phénomènes contemporains. Les manifestations de l’hostilité anti-juive peuvent apparaître ainsi à n’en pas douter enracinées, mais pas déterminées, par une histoire singulièrement longue.

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1Je reprends ici l’expression utilisée par Raoul Hilberg dans son travail pionnier publié aux États-Unis en 1961, traduit au français seulement près de trois décennies plus tard : La destruction des Juifs d’Europe, Paris, Fayard, 1988.

2Thomas Kaufmann, Les Juifs de Luther, Genève, Labor et Fides, 2017.

3Martin Luther, Des Juifs et de leurs mensonges, (1543), traduction de l’allemand par Johannes Honigmann, introduction et notes Pierre Savy, Paris, Honoré Champion, 2015, p. 164-170.

4Cet épisode est évoqué par Thomas Kaufmann, Les Juifs de Luther, op. cit., ch. 6.

5Hannah Arendt développe cette affirmation dans la première partie de son livre Les origines du totalitarisme, Pierre Bouretz éd., Paris, Quarto Gallimard 2002.

6David Nirenberg, Anti-Judaism. The Western Tradition, New York-Londres, W. W. Norton, 2013. Pour une recension critique de ce livre, voir Maurice Kriegel, « L’esprit tue aussi. Juifs “textuels” et juifs “rééls” dans l’histoire », in Annales. Histoire, Sciences sociales 69/4 (2014), p. 875-899.

7Saul Friedländer a développé cette idée d’un antisémitisme rédempteur dans L’Allemagne nazie et les Juifs, t. 1 : Les années de persécution, 1933-1939, Paris, Seuil, 1997. L’idée est reprise par Alon Confino, A World Without Jews. The Nazi Imagination from Persecution to Genocide, New Haven, Yale University Press, 2014.

8Moshe Zimmermann, Wilhelm Marr. The Patriarch of Anti-Semitism, New York-Oxford, Oxford University Press, 1986.

9La bibliographie sur cette question est très abondante, voir par exemple la synthèse de Michel Winock, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Paris, Seuil, 1990.

10George Mosse, Les racines intellectuelles du Troisième Reich. La crise de l’idéologie allemande, trad. Claire Darmon, Paris, Calmann-Lévy/Mémorial de la Shoah, 2006.

11Maurice Olender, Les langues du Paradis. Aryens et sémites, un couple providentiel, Paris, Gallimard-Seuil, 1989 ; rééd. Paris, Seuil, 1994.

12Marcel Simon, Verus Israel. Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l’Empire romain (135-425), Paris, Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 1948.

13Mark R. Cohen, Sous le croissant et sous la croix. Les Juifs au Moyen Âge, Paris, Seuil, 2008.

14Theodor Adorno et Max Horkheimer, La dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, Paris, Gallimard, 1974. Zygmunt Bauman, Modernité et holocauste, Paris, La Fabrique, 2002, rééd. Complexe, 2009. Giorgio Agamben, Ce qui reste d’Auschwitz. L’archive et le témoin, traduit de l’italien par Pierre Alferi, Paris, Rivages Poche-Petite Bibliothèque, 2003.

15Danny Trom a bien analysé ces dérives dans La promesse et l’obstacle. La gauche radicale et le problème juif, Paris, Cerf, 2007.

16Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Essai sur la banalité du mal, Pierre Bouretz éd., Paris, Quarto Gallimard 2002.

17Rudolf Augstein (éd.), Devant l’histoire. Les documents de la controverse sur la singularité de l’extermination des Juifs par le régime nazi, Paris, Cerf, 1988.

18Martin Broszat, « Plädoyer für eine Historisierung des Nationalsozialismus », in Merkur 39, no 435 (1er mai 1985), p. 373-385.

19Saul Friedländer, Où mène le souvenir. Ma vie, Paris, Seuil, 2016.

20Elsa Marmursztejn, « La raison dans l’histoire de la persécution. Observations sur l’historiographie des relations entre Juifs et chrétiens sous l’angle des baptêmes forcés », in Annales. Histoire, Sciences sociales 67/1 (2012), p. 7-40 ; Id., « La hantise de la téléologie dans l’historiographie médiévale de l’hostilité antijuive », in Revue d’histoire moderne et contemporaine 62/2-3 (2015), p. 15-39.

21Yosef Yerushalmi a consacré un important article à la comparaison de l’idéologie de la « limpieza de sagre » et du racisme nazi : « Assimilation et antisémitisme racial. Le modèle ibérique et le modèle allemand », in Sefardica. Essais sur l’histoire des Juifs, des marranes et des nouveaux chrétiens d’origine hispano-portugaise. Paris, Chandeigne, 1998.

22Marcel Simon, Verus Israel, op. cit.

23Erich Auerbach, Figura. La Loi juive et la Promesse chrétienne, trad. Diane Meur, Paris, Macula, 2003.

24Augustin d’Hippone, De l’esprit et de la lettre, XIV, 23.

25Cité par Auerbach, op. cit., p. 34.

26Montesquieu, Spicilège, cité in Javier Teixidor, Le judéo-christianisme, Paris, Gallimard, 2006, p. 81.

27Friedrich Daniel Ernst Schleiermacher, Schriften aus der Berliner Zeit (1796-1799), Günter Meckenstock éd., Berlin, W. de Gruyter, 1984, p. 286.

28Adolf von Harnack, L’essence du christianisme. Texte et débats, trad. Jean-Marc Tétaz, Genève, Labor et Fides 2015. Paru à Berlin en 1900, ce texte présente jusqu’à la caricature cette manière de comprendre l’histoire des religions.

29Wilhelm Bousset illustre cette posture : « Eine Nation, die nicht leben und nicht sterben konnte, eine Kirche, die sich vom nationalen Leben nicht löste und deshalb Sekte blieb. » « Das Judentum entwickelte sich zu einer “Religion der Observanz und des absoluten Beharrens”, während das Christentum “der Erbe des Judentums” wurde. » Cité par Christian Wiese, Wissenschaft des Judentums und protestantische Theologie im wilhelminischen Deutschland. Ein Schrei ins Leere ?, Tübingen, Mohr Siebeck, 1999, p. 269.

30Jean-François Lyotard, « L’Europe, les juifs et le livre », in Esprit (juin 1990), p. 114 et 116.

31Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris, Armand Colin, 1949.