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In memoriam Pierre Furter (1931-2020)

Christophe CHALAMET

Université de Genève

Pierre Furter, qui figurait depuis plusieurs décennies parmi les collaborateurs de la Revue de théologie et de philosophie, est décédé des suites du coronavirus le 30 mars 2020, dans sa 88e année. Né le 7 décembre 1931 à La Chaux-de-Fonds (canton de Neuchâtel), il étudia la philosophie et la pédagogie aux Universités de Lausanne et de Neuchâtel. Licencié en lettres et en sciences de l’éducation, il se spécialisa en littérature comparée, à Lisbonne, Zurich et Recife et enseigna durant six années le portugais dans l’enseignement secondaire suisse. Docteur ès lettres, en philosophie de l’éducation, de l’Université de Neuchâtel (1965), il vécut ensuite pendant six ans au Brésil, où il effectua des recherches sur l’alphabétisation et la culture populaire, puis au Vénézuela, où ses travaux portèrent sur l’évaluation de l’éducation des adultes et de l’éducation permanente. Il fut nommé professeur à l’Université de Neuchâtel (leçon inaugurale donnée le 8 décembre 1971, publiée dans la RThPh en 1972 ; cfinfra), rejoignant également en 1970 l’Institut universitaire d’études du développement, à Genève, où il travailla jusqu’en 1987. Parallèlement, en 1973, il fut nommé professeur au sein de l’École des sciences de l’éducation de l’Université de Genève, future Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation. Il resta fidèle à cette Faculté jusqu’à son départ en retraite en 1997. Il présida le Conseil de l’Université de Genève de 1979 à 1981.

Ayant vécu de nombreuses années en Amérique latine, Pierre Furter consacra une partie de ses travaux aux questions du développement et de l’organisation de l’éducation extra-scolaire dans ces régions du monde. Il s’intéressa également aux problèmes des inégalités entre diverses régions de Suisse par rapport au développement de l’éducation. Il était connu bien au-delà des frontières de notre pays pour ses travaux sur des thématiques comme celles de la planification de l’éducation ou encore l’éducation comparée.

À partir de 1970, Pierre Furter fut également consultant pour l’UNESCO dans le cadre de l’Institut international de planification de l’éducation, devenant membre de la commission nationale suisse pour l’UNESCO dix ans plus tard. De 1986 à 1990 il présida la Société suisse de la recherche en éducation (SSRE). En 2000 il reçut le titre de docteur honoris causa de l’Université de Saint-Jacques de Compostelle.

Parmi ses publications, mentionnons sa thèse : La vie morale de l’adolescent. Bases d’une pédagogie, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1965 (19702), dont le dernier chapitre était intitulé, de manière surprenante pour certains lecteurs, notamment français : « Dieu dans la vie juvénile ».

Proche de la théologie politique, de la théologie de la libération et notamment de la pensée de l’espérance articulée par divers philosophes comme aussi par des théologiens protestants dans les années 1960 (principalement Ernst Bloch et Jürgen Moltmann), Pierre Furter publia deux ouvrages en 1966 : Perspectivas e tarefas na educação brasileira (Perspectives et tâches de l’éducation brésilienne, Belo Horizonte), et Educação e vida (Éducation et vie ; trad. espagnole, Montevideo, 1972). Ce dernier livre portait notamment sur la question de l’éducation ou de la formation continue.

L’année suivante, en 1967, il préfaçait, avec un texte intitulé « Paulo Freire ou la puissance de la parole » (paru en portugais), un ouvrage devenu classique du grand pédagogue brésilien Paulo Freire (1921-1997) : Educação como prática da liberdade (Rio de Janeiro, 1967). Pierre Furter accueillit cet éminent collègue à l’Université de Genève lors de son exil en 1970 et collabora avec l’Institut Paulo Freire (Sao Paolo, Brésil), dont il était membre.

En ces années il publia plusieurs études sur la philosophie de l’espérance de Ernst Bloch, à commencer par L’imagination créatrice, la violence et le changement social (Cuernavaca, CIDOC, 1968) et A dialêtica da esperança. Introduçao ao pensamento de Ernst Bloch (Dialectique de l’espérance. Introduction à la pensée de Ernst Bloch, Rio de Janeiro, 1974). Dans « Utopie et marxisme selon Ernst Bloch » (Archives de sociologie des religions, vol. 21, 1966, p. 3-21), il présente les principaux contours de la notion d’utopie dans la pensée de Bloch avant d’y regretter l’absence de toute dimension pédagogique, avec le risque d’« hermétisme ésotérique » (p. 21) que cela entraîne. Dans « L’espérance sans garantie » (Cahiers de Villemétrie, 1971), il poursuit son dialogue avec Bloch.

Dans la RThPh, outre diverses recensions, il avait notamment publié les études suivantes : « Révélation et éducation » (vol. 12, 1962, p. 117-123 ; à propos des travaux de René Voeltzel) ; sa leçon inaugurale donnée à l’Université de Neuchâtel en 1971 : « De la grandeur et de la misère de la pédagogie » (vol. 22, 1972, p. 320-334) ; « Visages d’Ernst Bloch » (vol. 26, 1976, p. 206-217).

Parmi les autres ouvrages de Pierre Furter, signalons celui-ci, publié au terme de son enseignement à l’Université de Genève : Mondes rêvés. Formes et expressions de la pensée imaginaire, paru aux éditions Delachaux & Niestlé en 1995. Tout en prenant acte de la fin des utopies sociales du siècle finissant, Pierre Furter y défend l’esprit de l’utopie, qui suscite de nouveaux mouvements sociaux et qui inspire de nouveaux modes de vie et de nouvelles visions du monde. Comme il l’écrit dans les dernières pages de Mondes rêvés : « L’espérance “docte et militante” est un principe de survie qui peut contribuer à changer nos univers. »

Le Comité de rédaction de la Revue de théologie et de philosophie ainsi que le Comité général présentent leurs sincères condoléances à la famille et aux proches de cet estimé collègue.

Au nom des deux Comités, Christophe Chalamet