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La théologie libérale en Allemagne

De quelques questions que masque un chiffre théologique

Jean-Marc TÉTAZ

Fellow au Max-Weber-Kolleg, Erfurt

Une version abrégée du présent article a été présentée, à l’invitation de Valentine Zuber et de Pierre-Olivier Léchot, à l’Institut protestant de théologie (IPT) de Paris le 5 mai 2018 dans le cadre d’une journée d’étude du Groupe de recherche sur l’histoire des protestantismes (GRHP).

1. À propos de l’histoire d’un chiffre théologique

L’encyclopédie Die Religion in Geschichte und Gegenwart est l’un des projets phares du libéralisme théologique du début du XXe siècle1. Dans la première édition, parue entre 1909 et 1913, on cherchera pourtant en vain un article « Théologie libérale » ou « Libéralisme théologique ». Le lemme « Théologie libérale » est certes pris en compte dans la deuxième édition (1927-1931), mais il ne fait l’objet que d’un article bref d’une quarantaine de lignes2. Dans la troisième édition (1957-1965), le lemme renvoie à l’article « Libéralisme III : libéralisme théologique et ecclésial »3. C’est seulement dans la dernière édition en date, la quatrième, parue de 1998 à 2005 que la théologie libérale fait l’objet d’un article important et détaillé de 5 colonnes4, qui réunit les plumes de Friedrich Wilhelm Graf, Matthias Wolfes, Robert Schelander et, peut-être plus surprenant, Klauspeter Blaser pour la section « théologie de la mission ».

Cet état de fait est significatif de l’histoire du concept. Or, depuis les travaux de Reinhart Koselleck5, nous savons que faire l’économie d’une réflexion sur l’histoire des concepts que nous utilisons se paie d’une naïveté historiographique qui fait l’impasse aussi bien sur le lieu historique d’où parle (ou écrit) l’historien que des modifications de la structuration de son objet. Ces modifications sont toujours en interaction avec les transformations du monde social, politique, économique et mental ; elles se reflètent justement dans les variations de l’outillage conceptuel avec lequel tout à la fois nous décrivons et structurons le monde.

Cela vaut naturellement aussi pour le concept de théologie libérale. Que nous apprend donc, en première approche, le résultat de la comparaison des quatre éditions de la RGG ? Elle nous montre d’abord qu’au début du XXIe siècle, le concept de « théologie libérale » est devenu un concept historiographique fermement établi, en référence auquel on formule souvent des programmes théologiques6. Le concept de « théologie libérale » a donc aujourd’hui un double usage, un usage rétrospectif comme concept historiographique et un usage constructif comme concept programmatique. Ensuite, et c’est peut-être plus surprenant pour un francophone, la comparaison des éditions successives de la RGG nous montre qu’au début du XXe siècle, le concept de théologie libérale n’était pas revendiqué par ceux qu’un siècle plus tard, l’historiographie de la théologie identifie comme des « libéraux ». Ainsi, dans la rubrique « Libéralisme et Église » de l’article « Libéralisme », écrite par Hermann Mulert (1879-1950)7, on lit :

Il est préférable d’éviter de parler de libéralisme théologique ou de théologie libérale parce que les étiquettes désignant les partis de la politique ecclésiastique ne rendent pas justice à la complexité du travail théologique scientifique et aux différences innombrables des conceptions scientifiques8.

Mulert ajoute que ce terme trouve son origine dans les conflits de politique ecclésiastique et sert à désigner toutes les positions rejetées par les cercles conservateurs dans l’Église. Au début du XXe siècle, le concept de « théologie libérale » est donc un concept polémique et péjoratif, en général récusé par ceux qu’il est censé désigner.

C’est cet usage polémique que s’approprie la « théologie dialectique ». L’exemple le plus célèbre de cette reprise est probablement dû à Rudolf Bultmann. Dans un article de 1924 qu’il placera en tête de Glauben und Verstehen en 1933, « La théologie libérale et le récent mouvement théologique », Bultmann résume son diagnostic dans une formule lapidaire : « L’objet de la théologie est Dieu, et le reproche fait à la théologie libérale est qu’elle n’a pas traité de Dieu, mais de l’homme »9. Comme le relève Hans-Joachim Birkner dans un bref article de 1974 qui a fait date dans la recherche, l’usage du concept de « théologie libérale » usuel depuis les années 1920, qui est à mettre essentiellement au débit de la « théologie dialectique », correspond au « langage de la presse ecclésiastique que les nouveaux maîtres à penser de la théologie ont repris », dans le style d’une « théologie pour non-théologiens et pour étudiants de premier semestre »10. Bref, l’usage courant du concept de « théologie libérale » appartient à ce qu’en tradition francophone il faut bien appeler le « bêtisier » de la théologie.

Mais l’article de Birkner rend attentif à un autre élément encore, lui aussi important pour l’histoire du concept. Le rejet indifférencié de la théologie libérale par les représentants de la « théologie dialectique » s’inscrit dans un mouvement plus large, que la recherche a parfois qualifié d’« harmonie antilibérale »11. La plupart des représentants rassemblés par leurs adversaires sous l’étiquette de « théologie libérale » avaient en effet partie liée avec le libéralisme politique, qu’ils s’engagent en politique dans l’un des partis libéraux de l’Empire et de la République de Weimar ou qu’ils se contentent de défendre des positions libérales dans la politique ecclésiastique.

Sur ce point aussi, l’article de Mulert pour la première édition de la RGG est symptomatique. Mulert souligne en effet les affinités électives entre les idées du libéralisme politique et le protestantisme. Selon Mulert, le libéralisme politique est caractérisé par deux idées centrales : un élément démocratique, qui demande la participation de tous au règlement des affaires étatiques, et un trait individualiste, qui résiste aux violations étatiques des droits de la personnalité. Or ces deux idées, estime-t-il, trouvent des équivalents fonctionnels dans l’ecclésiologie protestante avec d’une part la constitution presbytéro-synodale (à la différence de la constitution aristocratique, voire monarchique, de l’Église catholique romaine) et d’autre part la liberté de confession reconnue aux membres des Églises protestantes, qui les autorise à contester la confession de foi normative de leur Église sans en être exclus12.

Qui lit ces développements de Mulert avec les lunettes rétrospectives de l’historien ne peut s’empêcher de constater que Mulert identifie le protestantisme, ou du moins l’ecclésiologie protestante, avec les buts politiques poursuivis justement par le parti ecclésiastique des libéraux. L’introduction du système presbytéro-synodal dans toutes les églises allemandes et le refus du caractère obligatoire, pour les pasteurs aussi, des confessions de foi, étaient en effet les deux éléments centraux du programme ecclésiastique libéral ; mais ils étaient loin de faire l’unanimité. Ainsi, pour les conservateurs qui, sous l’égide de Frédéric-Guillaume IV, le « Romantique sur le trône des Césars » (David Friedrich Strauß), dominaient sans partage les instances ecclésiastiques prussiennes dès les années 1840, le gouvernement direct de l’Église par le sumépiscope, c’est-à-dire par le roi, était la seule constitution ecclésiastique théologiquement légitime. Et jusqu’à l’aube de la Première Guerre mondiale, les procédures introduites contre les pasteurs pour des raisons doctrinales furent des sources de conflits constantes entre les défenseurs d’une théologie dénoncée comme libérale par leurs adversaires et les instances ecclésiastiques13.

Cette connotation politique de l’expression « théologie libérale » est constitutive de l’histoire du concept, aussi et surtout dans le champ théologique. Selon les options politiques que l’on défendait, qualifier une position de « libérale » pouvait ainsi exprimer un jugement de valeur appréciatif ou dépréciatif. Et lorsque, après 1918, il se fit une certaine unanimité contre le libéralisme, du moins parmi ce que l’on pouvait alors qualifier d’avant-garde intellectuelle, cette affinité entre le libéralisme politique et le libéralisme ecclésiastique viendra renforcer le rejet de ce qu’on regroupait sous l’étiquette maintenant infamante de « théologie libérale ». Nonobstant leurs divergences politiques, qui éclateront au grand jour en 1933 lorsque Gogarten adhérera aux Deutschen Christen, en 1918 Karl Barth et Friedrich Gogarten appartenaient sans conteste à ces avant-gardes intellectuelles, comme en témoigne le style de l’un et de l’autre, qui représente une forme d’expressionnisme théologique14.

Contrairement à une doxa répandue par Karl Barth et ses amis, la Première Guerre mondiale n’a pas mis fin à l’existence de la théologie libérale15. Les formes institutionnelles, les organes de presse et les vecteurs éditoriaux de la théologie libérale continuèrent d’exister après 1918, malgré l’influence toujours grandissante de ce que l’on ne craignait pas d’appeler alors l’« oekoumenê antilibérale »16. Quelques-uns des plus importants théologiens de l’entre-deux-guerres appartenaient à la tradition de la théologie libérale17 ; la plupart des théologiens libéraux allemands soutinrent la République de Weimar. Ce qui marqua véritablement la fin (provisoire) de la théologie libérale, ce fut la prise de pouvoir par les nationaux-socialistes en 1933. La « mise au pas » (Gleichschaltung) des Églises protestantes par les Deutschen Christen provoqua une polarisation des positions entre les partisans des Deutschen Christen et leurs adversaires, qui se regroupèrent en 1934 dans l’Église confessante. Les libéraux furent pris en étaux entre deux options ecclésiologiques qui avaient en commun un refus sans réserve du libéralisme, aussi bien théologique que politique. Dans ce contexte, il ne restait plus aux défenseurs d’une position libérale qu’à rejoindre les rangs de l’Église confessante, parfois avec d’importantes réserves théologiques, ou à se retirer dans une sorte d’exil intérieur18. La logique dualiste, qui ne connaît d’autre différence que l’opposition ami-ennemi (Carl Schmitt), avait pris le pouvoir dans le champ théologique19. Elle le gardera pendant un demi-siècle. Il n’y avait plus de place pour une position défendant la légitimité théologique du pluralisme.

Le cadre étant ainsi posé, il est possible de s’interroger de façon plus précise sur l’usage de l’expression entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XXe siècle. On constate alors que c'est dans la seconde moitié du XIXe siècle que l’expression « théologie libérale » prend un sens positionnel et programmatique20. Dans ce contexte, on peut distinguer trois usages du mot pour désigner des positions théologiques au sein d’une théologie protestante devenue plurielle.

1. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, l’expression « théologie libérale » désigne un groupe de théologiens héritiers de la tradition transcendantale et spéculative de l’idéalisme allemand, mais aussi du travail de critique historique de Ferdinand Christian Baur. Les noms les plus fréquemment cités à ce titre sont le théologien zurichois Alois Emmanuel Biedermann (1819-1885), parfois associé à son collègue Alexander Schweizer (1808-1888), un ancien élève de Schleiermacher à Berlin21 ; le professeur berlinois Otto Pfleiderer (1839-1908), un élève de Ferdinand Christian Baur22 ; Richard Adalbert Lipsius (1830-1892), professeur de théologie à Iéna23 ; enfin Hermann Lüdemann (1842-1933), un Allemand professeur de théologie à Berne. À ces systématiciens, il faut ajouter les représentants des disciplines bibliques, qui défendaient la légitimité théologique et la nécessité scientifique d’une approche « historico-critique »24 des textes bibliques et des autres documents des premiers siècles chrétiens. Les théologiens libéraux allemands s’organisèrent dans le Protestantenverein, fondé en 1863 par Richard Rothe et Daniel Schenkel, tous deux professeurs à Heidelberg (Schenkel était de nationalité suisse)25.

Dans ce contexte, la figure de Biedermann est particulièrement significative. C’est en effet Biedermann qui écrivit, en 1844, le livre qui peut être considéré comme le manifeste programmatique de cette conception théologique : Die freie Theologie, oder Philosophie und Christentum in Streit und Frieden26. C’est lui également qui, un an plus tard, dans un article, utilisa, semble-t-il pour la première fois, la formule « liberale Theologie » pour désigner le type de position que son manifeste défendait27. Enfin, c’est le seul parmi les représentants de cette conception de la théologie libérale à s’être engagé activement en politique : il siégea comme représentant du Freisinn (le parti libéral zurichois) au Grand Conseil zurichois dès 1871 et participait régulièrement à la Mittwochgesellschaft d’Alfred Escher. Il était par ailleurs très actif dans la vie sociétale zurichoise et fut durant de nombreuses années le président du Club Alpin Suisse28.

2. Au début du XXe siècle, on démarqua de ce groupe, alors réuni sous l’appellation « Alt-Liberalen », un nouveau groupe de théologiens, désignés comme les « Jung-Liberalen » : il s’agit des théologiens formant l’« École de l’histoire des religions », soit Hermann Gunkel, Wilhelm Bousset, Rudolf Otto, William Wrede, Ernst Troeltsch et quelques autres. À l’instar de Troeltsch, les membres de l’École de l’histoire des religions se démarquaient des positions défendues par les « libéraux » des générations antérieures. Après 1900, des théologiens comme Adolf Harnack, Martin Rade ou Wilhelm Herrmann se rapprochèrent des « jeunes libéraux » sans toutefois adhérer à toutes les positions qu’ils défendaient29. Les « jeunes libéraux » s’organisèrent essentiellement dans le cercle des « Amis de la Christlichen Welt »30 et dans le « Congrès évangélique social », présidé par Harnack de 1901 à 1912, puis par Otto Baumgarten de 1912 à 192531. Contrairement à une opinion répandue, les théologiens libéraux continuèrent à exercer une influence prépondérante dans l’université allemande après 1918, avec des figures comme Otto Baumgarten (Kiel), Horst Stephan (Leipzig), Georg Wehrung (Tübingen) ou Georg Wobbermin (Göttingen, puis Berlin)32.

De nombreux représentants de l’École de l’histoire des religions s’engagèrent après 1918 dans le « Parti Démocratique Allemand » (Deutsche Demokratische Partei), le parti libéral de gauche fondé par Alfred Weber (le frère de Max) et ses amis33. Ce parti, qui voulait rompre avec les pratiques politiques des partis libéraux de l’avant-guerre, prenait en quelque sorte la succession du Nationalsozialer Verein de Friedrich Naumann, le beau-frère de Martin Rade, dans lequel s’étaient retrouvés dans les années 1890 Martin Rade, Max Weber et Ernst Troeltsch (et qu’Adolf Harnack avait soutenu financièrement)34. Le Parti Démocratique Allemand fut la cheville ouvrière de la coalition dite de Weimar à laquelle appartenaient également les partis socio-démocrate et catholique (Zentrum) et qui porta les premiers gouvernements démocratiques de la République de Weimar. Ernst Troeltsch fut même durant presque deux ans Sous-secrétaire d’État parlementaire au Ministère prussien des Cultes.

3. Dans un sens plus large, le terme désigne une des trois grandes orientations théologiques de la théologie allemande du XIXe siècle. On distingue alors la théologie libérale de la « théologie de la médiation » (Vermittlungstheologie), qui rassembla nombre d’élèves directs de Schleiermacher, et de la théologie confessionnelle du néo-luthéranisme, désignée parfois aussi comme la « théologie confessionnelle positive », ce qui implique naturellement que la théologie libérale serait une théologie de la négation, une théologie négative.

Dans cette acceptation large, le terme regroupe alors aussi des théologiens qui ne se seraient pas définis eux-mêmes comme « libéraux ». Car, ne l’oublions pas, si Albrecht Ritschl est considéré aujourd’hui comme une des figures centrales du libéralisme théologique, cette incorporation rétrospective va à l’encontre de la façon dont Ritschl se comprenait lui-même, et était d’ailleurs compris par les libéraux de son époque.

Outre cet usage positionnel, il existe un usage plus ancien de l’expression « théologie libérale », qui remonte à Johann Salomo Semler (1725-1791), professeur de théologie à Halle. Auteur d’une célèbre Abhandlung von freier Untersuchung des Canons (4 vol., 1771-1775) et d’un Apparatus ad liberalem Veteri Testamenti interpretationem (1773), il publia une Institutio ad Doctrinam Christianam liberaliter discendam (1774) qu’il traduisit trois ans plus tard en allemand sous le titre Versuch einer freieren theologischen Lehrart (1777). C’est dans ce texte qu’apparaît pour la première fois l’expression « liberalis theologia ». Mais, dans ce contexte, le terme « liberalis » n’a pas encore le sens programmatique et positionnel qu’il recevra dans la seconde moitié du XIXe siècle. Il désigne une forme plus généreuse, plus tolérante, et ce sens plus libre de pratiquer la théologie, d’où l’usage du comparatif dans le titre allemand. On retrouve le même emploi chez Kant lorsqu’il parle de « la manière de penser libérale du christianisme – également éloignée de la servilité et du dérèglement »35. Chez Semler, l’enjeu consiste à affranchir l’interprétation des Écritures du carcan dans lesquels les enfermait la lecture dogmatique de l’orthodoxie. Il s’agit donc d’utiliser la critique historique, dont Semler fut l’un des fondateurs, en faveur d’une lecture des Écritures capable de nourrir la religiosité personnelle des individus et de l’affranchir de la théologie officielle de l’Église.

Que conclure de ce survol de l’histoire complexe du concept « théologie libérale » ? Je résumerai le résultat en quatre thèses :

1. Au sens historique, le terme « théologie libérale » désigne dans le contexte allemand certaines positions théologiques développées dans le protestantisme à partir du milieu du XIXe siècle, en opposition aux théologies conservatrices (néo-confessionnelles ou revivalistes) et à la Vermittlungstheologie. Il est donc anachronique de qualifier Semler ou Schleiermacher de théologiens libéraux, même si les théologiens libéraux de la fin du XIXe siècle se placent eux-mêmes dans une généalogie théologique pour laquelle les figures philosophiques et théologiques de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle jouent un rôle systématique fondamental.

2. Entre les années 1860 et les années 1920, les groupes désignés comme représentants de la « théologie libérale » ont varié ; il s’agit essentiellement des théologiens héritiers de la tradition idéaliste et de l’École de Tübingen fondée par Ferdinand Christian Baur (« Alt-Liberalen ») et des membres de l’« École de l’histoire des religions » (« Jung-Liberalen »). Ces groupes ont toutefois deux points communs : ils comprenaient la tâche de la théologie libérale comme une contribution à la « réconciliation de la religion et de la culture »36 et défendaient une approche historico-critique du christianisme et de la Bible. Ils entendaient en effet surmonter la « profonde diastase entre le christianisme et la culture générale »37 en développant une « science psychologico-historique de la religion chrétienne » attentive entre autres à « ses effets culturels globaux sur la vie de notre génération »38. Martin Rade, le fondateur et rédacteur en chef de la Christliche Welt, résumera cette visée en parlant de la « signification culturelle du christianisme »39.

3. Les représentants de la théologie dialectique ont repris le terme de « théologie libérale » pour lui faire désigner l’ensemble de la théologie « libre » ou « moderne » dont ils entendaient se démarquer ; dans cet usage péjoratif, le terme « théologie libérale » désigne alors toute la tradition théologique issue de Semler et de Schleiermacher, y compris les auteurs qui, comme Ritschl, se comprenaient comme des adversaires de la théologie libérale.

4. Depuis quelques décennies, le terme a reçu un sens positif et constructif ; il désigne maintenant toutes les formes de théologie qui, d’une façon ou d’une autre, s’inscrivent dans la continuité de la tradition théologique issue de Semler et de Schleiermacher et conçoivent la théologie comme une démarche critique explicitant le sens du christianisme au gré d’un diagnostic porté sur le monde contemporain.

2. De quelles questions l’expression « théologie libérale » est-elle le chiffre ?

L’histoire complexe du concept « théologie libérale » nous incite à distinguer entre une acception positionnelle du terme, qui désigne un ou plusieurs groupes de théologiens au sein du spectre des positions en conflit au XIXe siècle, et une acceptation programmatique, qui fait commencer l’histoire de la théologie libérale à la fin du XVIIIe siècle et la relit à partir des résultats auxquels a abouti l’histoire ainsi reconstruite40. On pourrait alors parler d’une acception « généalogique » du terme, au sens où cette conception a partie liée à une démarche historiographique qui reconstruit la généalogie de la théologie libérale sans prétendre que les théologiens qu’elle fait figurer dans cette lignée se seraient eux-mêmes compris ou désignés comme des théologiens « libéraux ». Car il ne fait aucun doute que Schleiermacher, malgré son engagement politique libéral41, ne s’est jamais compris comme un théologien libéral, c’est-à-dire, à son époque, rationaliste42. Et Albrecht Ritschl, autre figure incontournable dans une généalogie du protestantisme libéral, s’est toujours positionné comme un adversaire aussi intransigeant des libéraux que des théologiens confessionnels. Il n’a d’ailleurs lui-même pas eu d’adversaires plus décidés que les représentants de la théologie libérale que l’on désignera plus tard comme les « Alt-Liberalen ». En témoignent les protestations des libéraux lorsque l’on nomma Hans-Hinrich Wendt (1853-1928), un élève de Lotze et de Ritschl, pour succéder à Lipsius à Iéna43, ainsi que l’opposition catégorique de Pfleiderer à la nomination de Harnack à Berlin44. Dans une perspective généalogique et systématique, ce qui importe n’est cependant pas tant l’intention des auteurs et leur positionnement concret dans le champ pluriel des positions théologiques de leur époque que la façon dont leur héritage a pu être revendiqué rétrospectivement comme une source ou une possibilité de la théologie libérale.

Cela oblige naturellement à s’interroger sur ce que pourrait signifier, dans une telle perspective généalogique, le terme « théologie libérale ». En accord, me semble-t-il, avec la recherche allemande récente45, je propose de comprendre la théologie libérale comme une théologie qui construit sa position en référence critique et constructive avec l’histoire de la théologie chrétienne afin de trouver dans cette histoire les ressources conceptuelles capables de mettre en évidence la pertinence religieuse et culturelle du christianisme comme religion de l’individu autonome en déployant une théorie du christianisme en prise sur les ambivalences de la modernité.

Cette définition permet d’esquisser cinq questions systématiques autour desquelles s’est cristallisé le travail de la théologie libérale et qui constituent aujourd’hui encore une sorte de topographie du libéralisme théologique.

2.1. Liberté

La théologie libérale se déploie à l’enseigne d’une théorie de la liberté comme autonomie. Elle s’oppose du coup à toute forme de contrainte en matière de religion : « contre toute culture de la contrainte, [le libéralisme] défend la liberté de l’individu religieux »46. Mais cette défense de la liberté ne s’arrête pas à la liberté religieuse ; elle a aussi une dimension politique, dont on trouve un exemple particulièrement probant dans l’Éthique théologique de Richard Rothe (3 vol., 1845-1848 ; 5 vol., 1867-18712). Comme Schleiermacher avant lui, Rothe défend un constitutionnalisme reconnaissant dans la liberté politique la « liberté véritablement morale et moralement véritable »47 et faisant obligation à l’État de préserver la « liberté personnelle et civique » de ses membres48.

Pour sa défense de la liberté religieuse et politique, la théologie libérale revendique l’héritage de la théologie réformatrice de Luther ; comme auparavant chez Hegel et Schleiermacher, la référence à Luther est constitutive du geste critique et constructif au gré duquel la théologie libérale assume et transforme ce qu’elle hérite de la tradition. Mais cette revendication ne va pas de soi. En défendant une conception hétéronome de la liberté, la théologie confessionnelle et le conservatisme politique semblent avoir bien davantage de droits à se réclamer de Luther et de sa théologie du serf-arbitre que les défenseurs libéraux de l’autonomie49. Pour riposter à cette critique en illégitimité, les théologiens libéraux font valoir que la liberté comme autonomie requiert non seulement sa réalisation dans la liberté politique, mais aussi l’explicitation de ses présupposés théologiques. Pour la théologie libérale, le défi consiste alors à expliciter la structure de la liberté en faisant comprendre l’Absolu comme le principe qui fonde la réalité de la liberté sans pour autant donner de cette dernière une interprétation hétéronome. À cette fin, la théologie libérale recourt aux ressources offertes par la tradition philosophique, qu’il s’agisse du transcendantalisme kantien, de la philosophie hégélienne de l’histoire ou des spéculations schellingiennes sur le fondement primordial. La constitution de la liberté relève du coup d’une théorie de la religion. Fondée théologiquement, l’autonomie devient « théonomie » (Otto Pfleiderer)50.

La question de la liberté est le champ dans lequel se pose avec le plus d’acuité la question des liens entre la théologie libérale et le libéralisme politique. Historiquement, la plupart des théologiens libéraux allemands de la seconde moitié du XIXe siècle et du début du XXe siècle se sont engagés aux côtés des partis politiques dans lesquels s’organisait le libéralisme politique. Mais ce dernier est aussi divers que les positions désignées comme « théologies libérales »51. Nonobstant leurs divergences politiques, les représentants de la théologie libérale partagent toutefois le souci de réfléchir aux formes politiques et institutionnelles dans lesquelles peut et doit se réaliser l’autonomie dont ils analysent les présupposés théologiques. Ils défendent à ce titre l’État national, le constitutionnalisme et le parlementarisme, dans lequel ils identifient le cadre le plus adapté à la réalisation politique de la liberté ; aussi soutiennent-ils la politique d’unification allemande sous l’égide de la Prusse menée par Bismarck (Bismarck est ministre-président du Royaume de Prusse dès 1862, puis chancelier de l’Empire allemand de 1871 à 1890), ainsi que l’alliance politique entre conservatisme et libéralisme sur laquelle s’appuie le chancelier jusqu’à la fin des années 1870. Contre une conception de l’État comme pure instance de pouvoir (Machtstaat), les théologiens libéraux soutiennent dans leur grande majorité une conception de l’État comme État de droit (Rechtsstaat) – se réclamant le plus souvent de la Philosophie du droit de Hegel – alliée à une vision culturelle de l’État (Kulturstaat), c’est-à-dire une conception dans laquelle l’unité et l’intégration de la nation reposent sur une dimension prépolitique, une appartenance culturelle partagée qui se marque en particulier par une communauté de langue, de mémoire culturelle et d’appartenance religieuse52.

Pour les théologiens libéraux de l’époque bismarckienne, le christianisme protestant est en effet la religion de l’Allemagne et, par conséquent, le ferment de cette unité intérieure de la nation qu’il convient d’assurer maintenant que son unification politique est chose acquise depuis la proclamation de l’Empire à Versailles le 18 janvier 187153. Dans une telle conception, la réalisation de la liberté semble requérir la restriction de la liberté religieuse, ou tout au moins soumettre la pleine participation à la liberté politique à des conditions d’intégration religieuse et éthique difficilement compatibles avec la reconnaissance inconditionnelle des droits individuels. Le problème de l’émancipation des juifs dans l’Éthique théologique de Rothe est particulièrement révélateur de cette ambiguïté54. Pour Richard Rothe, la question déterminante pour la jouissance des droits civiques n’est pas l’appartenance formelle à une confession religieuse, mais la participation à l’éthos chrétien. Les israélites peuvent donc devenir pleinement citoyens à condition qu’ils participent à cet éthos :

Si les israélites sont christianisés du point de vue de l’éthos [sittlich], alors ils ne sont certainement plus des juifs, mais de bons Allemands, etc. [...]. On ne doit au reste pas oublier que l’émancipation politique des israélites est en général elle aussi un puissant moyen pour favoriser leur christianisation éthique et leur nouvelle nationalisation [c’est-à-dire leur incorporation dans la nation allemande, JMT], un moyen sans lequel on ne peut absolument pas parvenir à un succès complet dans ces deux perspectives55.

Richard Rothe défend donc l’émancipation des juifs dans le but de favoriser leur intégration à la nation allemande et à l’éthos chrétien (qui est l’éthos de la nation allemande, appartenance nationale et appartenance éthique se conditionnant réciproquement)56. En revanche, si les israélites entendent conserver un éthos spécifique et former une nation juive, ils ne peuvent prétendre jouir des droits garantis aux citoyens allemands : l’intégration est à la fois le moyen et la condition de leur émancipation. L’État a pour tâche de favoriser cette intégration par sa politique scolaire et économique, mais il doit éviter de porter atteinte à la foi, aux pratiques et aux usages religieux des israélites57. Ce sont des raisons analogues qui expliquent que les représentants du libéralisme théologique aient soutenu la politique anticatholique de Bismarck (Kulturkampf) visant à priver le catholicisme allemand des bases institutionnelles assurant son autonomie juridique et sociétale.

Cette conception éthico-religieuse de la liberté comme principe de l’intégration culturelle de la nation constitue, au sens d’Isaiah Berlin, une conception positive de la liberté58. Cette dernière va de pair avec une compréhension « idéaliste » de la politique à laquelle souscrivaient à la même époque la plupart des représentants du libéralisme politique allemand. Dans une telle conception, l’État est reconnu en tant qu’agent institutionnel garant de la réalisation de la liberté comme autonomie personnelle, dans le cadre d’une communauté assurant l’intégration normative et la stabilisation axiologique des individus59. On retrouve cette option idéaliste pour une conception positive de la liberté comme autonomie personnelle dans l’apologie de L’Idée allemande de liberté publiée par Troeltsch en 1915 dans la Neue Rundschau60.

Il est toutefois caractéristique de l’évolution et de la réflexion (auto-) critique du libéralisme théologique allemand que Troeltsch ait plaidé après 1918 pour une synthèse républicaine des traditions personnalistes de la philosophie idéaliste et des traditions individualistes de la philosophie libérale occidentale61. Dans cette perspective, chacune des positions en présence doit servir de correctif à l’autre, la conception idéaliste de la personne et de la communauté nourrissant la conception contractualiste et individualiste du libéralisme tandis que cette dernière préserve la conception idéaliste des risques antipluralistes auxquels l’expose ses tendances à une intégration normative. On peut cependant douter que cette synthèse constitue une position philosophiquement consistante. Il convient plutôt d’y voir un dispositif mobile dans lequel chacune des positions contrebalance l’autre de façon à réaliser un équilibre en constant mouvement62.

Mais, dès les années 1860, la question politique n’est pas le seul cadre dans lequel se pose le problème de la liberté. Le succès culturel du matérialisme semble condamner la liberté à n’être qu’une illusion63. Dès lors se pose avec une nouvelle acuité la question qui était déjà au centre de la réflexion kantienne sur le problème de la liberté : dans quelle mesure la liberté est-elle compatible avec le déterminisme naturel ? La virulence prise par cette question après 1860 ne semble plus autoriser une position comme celle défendue par Schleiermacher, pour lequel liberté et nécessité s’impliquaient réciproquement : « Dans le domaine de l’être, tout est exactement aussi libre qu’il est nécessaire »64. Du coup, la référence à Kant sert à fonder la distinction entre deux perspectives irréductibles l’une à l’autre : la perspective descriptive de la nature, dans laquelle la liberté n’a pas de place, et la perspective religieuse, en « contraste » (Ritschl) avec la première, qui permet à l’homme de s’élever au-dessus de la nature et lui assure sa liberté65. Le fait de la conscience morale est le seul fondement dans lequel s’enracine la « vision religieuse du monde », qui s’exprime dans des « jugements de valeur ». C’est la position défendue par Ritschl et ses élèves. Ils récusent du coup toute pertinence théologique à la connaissance métaphysique et à ce qu’ils appellent la « théologie naturelle », préfigurant ainsi le rejet radical de toute forme de théologie naturelle par Karl Barth66.

Les représentants de la théologie libérale « ancienne » ne pouvaient souscrire à une telle conception. Ils tenaient en effet à défendre une « vision du monde unitaire » établissant la compatibilité du christianisme avec les résultats de la recherche scientifique67. Les « Alt-Liberalen » ne renoncent donc pas à une fondation métaphysique de la théologie, même s’ils sont conscients des difficultés systématiques auxquelles se heurte ce programme. Aussi le statut exact et la possibilité de la connaissance métaphysique font-ils l’objet de débats complexes entre les principaux représentants du libéralisme théologique du dernier tiers du XIXe siècle (Biedermann, Lipsius, Pfleiderer)68. Si l’on essaie de dégager rétrospectivement une sorte de consensus libéral sur ces questions, on le trouvera vraisemblablement dans la thèse selon laquelle le concept de Dieu a une double fonction. Il doit d’une part permettre de surmonter le dualisme entre liberté et dépendance, ou entre la conscience du monde, comme réalité régie par le déterminisme, et la conscience de soi, comme conscience d’indépendance ou de liberté, afin d’éviter que ce dualisme ne prenne la forme d’une diastase. Il doit d’autre part conférer une nouvelle qualité à la conscience de la liberté en élevant l’homme au-dessus du monde et en lui permettant de découvrir en Dieu le fondement de sa liberté ou de son « indépendance infinie »69. Jusque dans le choix du vocabulaire, ce type de positions renoue avec les analyses de Schleiermacher et de Hegel pour les reformuler dans un contexte intellectuel dominé par une conception déterministe de la nature qui ne laisse plus de place à l’organicisme des philosophies de la nature du début du siècle.

2.2. Religion

On vient de le relever, le débat sur le fondement théologique de la liberté dans la controverse avec le matérialisme et ses conséquences déterministes est mené dans le cadre de la philosophie de la religion. Dans la tradition libérale, cette discipline joue le rôle d’une théologie fondamentale.

Dans son dispositif disciplinaire, la théologie libérale présuppose la distinction, introduite par Semler, entre religion et théologie70. Pour Semler, la religion est une réalité vécue, individuelle, alors que la théologie est une démarche doctrinale et, à ce titre, institutionnelle. La religion est donc la réalité originelle, la théologie une dimension secondaire, qui tire sa légitimité de la première. Richard Rothe résume parfaitement cette position, dont il relève qu’elle « peut compter sur une acceptation assez générale » : « considérée en soi, la religion est à l’origine quelque chose de subjectif, la piété – la religion subjective est ce qui est primitif, la religion objective ce qui est dérivé. Notre théologie le sait grâce à Schleiermacher, et elle ne pourra plus jamais l’oublier »71. Le rôle fondamental reconnu à la religion explique l’importance prise par la question de l’expérience (Erfahrung), et même de l’expérience vive (Erlebnis) dans la réflexion théologique. Dans la théologie libérale, cette question sera mise à l’ordre du jour avec une vigueur particulière par Wilhelm Herrmann.

Chez Semler, l’enjeu de la distinction entre religion et théologie consiste à trouver dans la réalité vécue de la religion le principe d’une réforme de la théologie qui la libère du carcan de la dogmatique orthodoxe. La théologie libérale se considère à juste titre comme l’héritière de ce programme dont Schleiermacher a proposé la première réalisation classique. Son exposé de La foi chrétienne (1821/22, 1830/312) s’ouvre par une longue « Introduction » (près de 200 pages dans la seconde édition) dont l’essentiel du propos relève de ce que Schleiermacher appelle la « théologie philosophique »72. Telle que la comprend Schleiermacher, cette discipline conjoint une démarche transcendantale, consistant à déterminer l’essence de la piété (en termes plus modernes, on parlera de « l’essence de la religion »), et une démarche historique et comparative dont l’enjeu est de définir la place du christianisme au sein des religions (on parlera alors de « l’essence du christianisme »)73.

Il est caractéristique de toutes les formes de théologie libérale qu’elles placent une théorie de la religion au centre des prolégomènes à la dogmatique. Mais elles ne se contentent pas de reprendre le modèle schleiermacherien, même enrichi d’apports kantiens, fichtéens ou hégéliens. Le développement de la psychologie de la religion et de l’histoire des religions induit une transformation empirique de la théorie de la religion. Les exposés systématiques publiés par les principaux protagonistes de la théologie libérale durant le dernier tiers du XIXe siècle en fournissent de nombreux exemples : l’approche transcendantale, encore privilégiée par Schleiermacher, est ainsi transformée en une psychologie de la religion, tandis que la détermination de l’essence du christianisme prend maintenant la forme d’une histoire de la religion trouvant son accomplissement ultime dans le christianisme. Dans ces conditions, la question de la validité et du statut des énoncés religieux doit faire l’objet d’une interrogation spécifique, sous les traits d’une théorie de la connaissance portant sur la religion. C’est dans ce cadre qu’on verra apparaître la thèse d’un « a priori religieux »74. La théologie libérale met ainsi en œuvre une différenciation de la philosophie de la religion en une série de disciplines complémentaires, ce qui ne va pas sans poser la question de l’unité de la philosophie de la religion comme discipline théologique fondamentale.

La comparaison entre les deux versions de la Dogmatique de Biedermann donne un exemple particulièrement symptomatique de cette différenciation interne de la philosophie de la religion qui intervient dès les années 187075. Alors que la première édition proposait d’emblée une détermination de l’essence de la religion comme « élévation de l’homme, en tant qu’esprit fini, de sa déterminité naturelle propre à la liberté par rapport à cette déterminité dans une dépendance infinie »76, la seconde édition contient de longs développements introductifs sur la théorie de la connaissance (§ 9-66) et fait précéder l’analyse de l’essence de la religion (§ 81-137) de la discussion du « concept psychologique de la religion » (§ 69-80). Cette nouvelle disposition trouve son modèle dans la Dogmatique de Lipsius. Cet ouvrage définit la question de l’essence de la religion comme une question psychologique et historique, assignant à l’enquête psychologique la tâche de démontrer « contre le mépris moderne de la religion, que la religion [...] est un phénomène fondé nécessairement dans l’essence de l’esprit humain »77 ; il contient également d’importantes sections consacrées à la connaissance religieuse (§ 72-115) et à l’histoire de la religion (§ 116-139) qui débouchent sur la détermination de l’essence du christianisme (§ 140-162) et du protestantisme (§ 163-213). Cette option pour une approche psychologique de la religion trouvera son aboutissement dans l’œuvre de Georg Wobbermin, le traducteur allemand de William James, qui publia entre 1913 et 1925 une Théologie systématique d’après la méthode de la psychologie de la religion78.

Pfleiderer déplace pour sa part l’accent de la psychologie et de la théorie de la connaissance à l’histoire. Il reconstruit l’histoire de la religion comme la genèse de son contenu spéculatif, qu’il identifie dans une théorie de l’esprit à l’œuvre aussi bien dans le développement historique de la religion que dans la vie religieuse du sujet. La philosophie de la religion de Pfleiderer obéit à une démarche « génético-spéculative »79 ; elle trouve son aboutissement dans une métaphysique de l’Esprit comme raison se réalisant dans l’histoire de la religion. L’influence hégélienne est indéniable. Mais le titre choisi par Pfleiderer indique aussi ce qui distingue la démarche de Pfleiderer de celle de l’auteur de la Science de la logique : il ne présuppose pas une logique spéculative du concept, mais prétend découvrir le contenu spéculatif à l’œuvre dans l’histoire de la religion au gré de l’étude empirique de cette dernière.

Quoi qu’il en soit de cette différence, la pointe systématique de la démarche de Pfleiderer consiste sans conteste dans la thèse selon laquelle l’essence de la religion se révèle au terme de l’histoire de la religion, c’est-à-dire dans le christianisme. Le christianisme dévoile par conséquent la vérité de la religion dont il réalise le concept. Et si toute l’histoire de la religion est l’histoire de la révélation, le christianisme est « l’accomplissement de l’histoire de la révélation ; en tant qu’il est l’accomplissement et le but de l’histoire de la religion extra-chrétienne, il est aussi la réalisation et le dépassement de toute révélation »80. C’est cette affirmation du caractère absolu du christianisme que Troeltsch récusera deux décennies plus tard dans sa célèbre conférence sur L’Absoluité du christianisme (1902)81. La déconstruction de l’absoluité du christianisme est l’aboutissement critique des tentatives libérales pour restituer les conclusions de la philosophie hégélienne de la religion en renonçant aux ressources d’une logique spéculative : l’histoire est le règne du relatif dans lequel l’absolu n’a pas de lieu. Mais la critique de l’absoluité du christianisme laisse ouverte la question de sa validité actuelle. La façon dont Troeltsch a remis à deux fois l’ouvrage sur le métier82 montre les difficultés auxquelles se heurtent les tentatives pour répondre à cette question sans recourir aux ressources de la philosophie spéculative83.

La transformation empirique de la philosophie de la religion et l’« allongement du questionnaire » (Paul Veynes) qu’elle provoque trouvent une sorte d’aboutissement dans l’article de Troeltsch « Religionsphilosophie » pour la Festschrift de Kuno Fischer (2e édition 1907) dans lequel l’auteur dresse un panorama des recherches contemporaines en matière de religion, de l’ethnographie à la théologie84. Il n’y faut pas voir un simple éclectisme (même si cette dimension n’est pas absente), mais plutôt la recherche d’une théorie totale de la religion, cherchant à intégrer tous les aspects empiriques et systématiques du phénomène. Dans sa propre conception de la philosophie de la religion, Troeltsch reste d’ailleurs fidèle à la tradition de la théologie libérale puisqu’il la conçoit comme une quadruple démarche faisant se succéder la psychologie, la théorie de la connaissance, l’histoire des religions et la métaphysique85. Cette différenciation interne de la philosophie de la religion marque le siècle séparant Schleiermacher de Troeltsch. Elle signale que la théorie de la religion est, dans la théologie libérale, le lieu par excellence du débat, critique et constructif, avec la philosophie, mais aussi avec les sciences humaines et sociales en voie de constitution.

2.3. Statut de la théologie

Les débats autour du programme d’une philosophie de la religion et les questions soulevées par l’interprétation spéculative du christianisme font apparaître une autre problématique encore : celle du statut épistémologique de la théologie. On peut regrouper les questions débattues à cette enseigne autour de deux problèmes : l’organisation systématique des disciplines théologiques, c’est-à-dire la question de « l’encyclopédie », et le statut de la dogmatique.

La situation moderne de la théologie est caractérisée par la différenciation des disciplines constituant le canon de la théologie. Les théologiens sont dès lors obligés de réfléchir au statut épistémologique de la théologie et à l’agencement systématique des disciplines la composant. Le texte classique sur cette question est Le bref exposé des études de théologie de Schleiermacher (1810, 18302)86. Schleiermacher y définit la théologie comme une « science positive », c’est-à-dire une science dont le profil disciplinaire est déterminé par une fonction pratique, en l’occurrence la direction de l’Église protestante, sans que cette finalité pratique ne porte atteinte à la rigueur scientifique du travail théologique. Dans ce cadre, Schleiermacher distingue trois groupes de disciplines : la théologie philosophique, la théologie historique et la théologie pratique. La dogmatique et l’éthique, aujourd’hui regroupées avec la philosophie de la religion à l’enseigne de la théologie systématique, font partie chez Schleiermacher de la théologie historique.

Au sein de la théologie libérale, le manuel de Schleiermacher exercera une influence déterminante sur les discussions concernant le statut de la théologie et son organisation disciplinaire. Sa conception et sa disposition seront ainsi reprises très fidèlement par Richard Rothe dans son Encyclopédie théologique87. Au début du XXe siècle, c’est encore de Schleiermacher que s’inspire Paul Wernle pour son Introduction aux études de théologie88. Wernle y distingue trois groupes de disciplines : la théologie historique, la théologie systématique et la théologie pratique. L’inspiration schleiermacherienne de son approche se trahit dans la fidélité à la conception fonctionnelle de la théologie, dont la finalité est le « service ecclésial »89, et dans la reconnaissance de la pleine dignité de la théologie pratique comme discipline théologique. En revanche, Wernle se démarque de Schleiermacher en ce qui concerne le statut de la dogmatique. Il tient à lui reconnaître un statut normatif pour l’Église90 et la rattache pour cette raison à la théologie systématique dont les principes fondamentaux relèvent de la philosophie de la religion. Troeltsch défend une conception analogue dans son article « Regard rétrospectif sur un demi-siècle de science théologique »91.

La conception de Schleiermacher fut cependant loin de faire l’unanimité au sein de la théologie libérale. Nombre de ses représentants estimaient en effet que la finalité pratique que Schleiermacher assignait à la théologie était incompatible avec son caractère scientifique. Il convenait dès lors de renoncer au caractère fonctionnel de la théologie pour faire droit aux exigences épistémologiques de la science, et spécifiquement de la science historique. On sait les conséquences drastiques qu’en tira Overbeck dans son pamphlet Sur le caractère chrétien de notre théologie actuelle (1873), conçu comme le pendant théologique de la première Considération inactuelle de Nietzsche, consacrée à David Friedrich Strauß le confesseur et l’écrivain92. Au début du XXe siècle, August J. Dorner critique ainsi le « practicisme » de la théologie et plaide pour une conception purement historique. Il en résulte une bipartition des disciplines théologiques en théologie historique et théologie spéculative (apologétique, dogmatique, éthique), la théologie pratique se voyant réduite au rang de discipline technique, traitée dans une annexe. Mais, à strictement parler, seule la théologie historique peut prétendre au statut de science, la théologie spéculative n’ayant d’autre tâche que de systématiser les résultats de la théologie historique93.

Les discussions sur le statut de la théologie pratique comme discipline scientifique, ainsi que la contestation de l’interprétation fonctionnelle de la théologie dans son ensemble, sont l’indice d’une prise de conscience des tensions croissantes entre les exigences épistémologiques de la science historique, qui développe dans les dernières décennies du XIXe sa « matrice disciplinaire », et les requêtes pratiques du travail ecclésial aux prises avec l’opposition de plus en plus marquée des appareils ecclésiastiques. Ces tensions mettent en difficulté l’équilibre du programme de Schleiermacher. Pour la théologie libérale, le caractère scientifique de la théologie est indispensable à la fonction tant culturelle que religieuse qu’ils lui confèrent. Mais cela ne signifie pas qu’ils aient renoncé à la visée pratique ultime de la théologie, comme le souligne expressément Pfleiderer dans son manuel consacré à la doctrine de la foi et à l’éthique chrétienne94.

La théologie pratique n’est pas la seule à faire problème dans les discussions épistémologiques de la théologie libérale. Comme le montrent les conceptions de Wernle et de Dorner, mais aussi les introductions aux exposés dogmatiques publiés par d’autres représentants de ce courant théologique, le statut épistémologique de la dogmatique est lui aussi controversé. Pour faire bref, on peut distinguer trois positions fondamentales. La dogmatique peut être comprise comme herméneutique de la conscience croyante (Schleiermacher), comme explicitation de la genèse de la foi (Herrmann) ou comme déploiement des contenus métaphysiques du christianisme dans la forme, inadéquate, des représentations croyantes (Biedermann).

On trouve d’abord les auteurs qui, malgré diverses modifications, restent en principe fidèle à la conception de Schleiermacher : la dogmatique est fondamentalement « doctrine de la foi » ; cela signifie qu’elle expose sous une forme systématique la façon dont s’articule la conscience religieuse. Cette explicitation conceptuelle de la foi chrétienne ne prétend pas au statut de connaissance métaphysique, pas plus qu’à celui de connaissance historique. En outre, et c’est un point essentiel pour ce type de positions, la dogmatique conçue comme « doctrine de la foi » n’est pas une discipline normative : elle ne prescrit pas ce qui doit être cru, elle décrit et systématise la façon dont la conscience croyante s’articule à l’époque présente. Pour satisfaire à sa fonction ecclésiale, elle s’efforce toutefois de se rattacher aux énoncés traditionnels de la dogmatique, sans craindre de les critiquer et de les transformer là où ils s’avèrent incompatibles avec la science moderne ou avec la détermination de la conscience croyante. Elle assume ainsi une fonction herméneutique consistant à réinterpréter les énoncés doctrinaux traditionnels afin de les faire comprendre comme des manières pertinentes d’articuler l’expérience croyante. À strictement parler, la doctrine de la foi ne peut donc prétendre à une autre validité qu’à l’adéquation avec l’état actuel de la conscience croyante. Elle ne saurait valoir comme une « vérité » au sens que Schleiermacher donne par ailleurs à ce terme, c’est-à-dire comme un accord entre la pensée et l’être95.

Parmi les théologiens considérés comme « libéraux », Wilhelm Herrmann est sans conteste celui qui s’est réclamé avec le plus de vigueur de la conception de Schleiermacher96. Il souligne à quel point cette manière de comprendre la fonction de la dogmatique rompt avec la façon dont on comprenait traditionnellement cette discipline. Comme « doctrine de la foi », la dogmatique n’expose pas l’objet auquel le croyant doit donner son assentiment ; elle cesse donc d’être une loi doctrinale qui s’imposerait au croyant. Mais, pour le professeur de Marbourg, Schleiermacher n’a pas été au bout de son intuition. Herrmann plaide par conséquent pour une radicalisation de la conception de Schleiermacher, un geste par lequel il estime renouer avec l’intention la plus propre de la théologie réformatrice de Luther97. La « doctrine de la foi » n’a pas pour première tâche de formuler les idées dans lesquelles s’articule la foi (ce que Herrmann appelle les « idées de la foi »), mais d’expliciter la genèse et l’essence de la foi. C’est en ce sens précis que la dogmatique est une doctrine de la foi : elle traite de la compréhension de la foi en tant qu’« obéissance morale », ce qui constitue la seule « doctrine normative du protestantisme »98. Comme la foi est une expérience vive dans laquelle l’individu découvre la « vérité de son existence humaine », celle-ci ne peut s’articuler que d’une façon à chaque fois individuelle. Aussi est-il exclu de vouloir donner une forme normative et véritative aux énoncés dans lesquels s’articule la foi (les « idées de la foi »). Toute tentative en ce sens ne peut qu’aboutir à édifier un nouveau carcan doctrinal, incompatible avec la véracité et l’authenticité de la foi.

Pour les théologiens qui, à un titre ou un autre, se réclament d’un geste spéculatif, les énoncés dogmatiques ont en revanche une validité théorique : ils expriment, peut-être sous la forme inadéquate des formules traditionnelles, le véritable concept de Dieu qui en constitue le noyau spéculatif. En ce sens, le moment dogmatique est essentiel, il forme le centre du christianisme dont il explicite la vérité. Dans cette optique, la Dogmatique d’Alois Emanuel Biedermann peut être considérée comme l’exposé classique d’une dogmatique libérale. Elle part de l’examen critique de la dogmatique chrétienne mise en œuvre par David Friedrich Strauß dans sa Doctrine de la foi99. Mais tandis que Strauß conclut de cet examen critique à l’obsolescence du christianisme dont les contenus doctrinaux succombent à ses yeux à des contradictions insolubles, Biedermann fait suivre l’examen critique (dans lequel il suit assez fidèlement Strauß) d’une reformulation doctrinale dans laquelle il s’efforce de mettre en œuvre cette pacification des relations entre théologie et philosophie dont il avait fait dès 1844 la visée programmatique de la théologie libérale100. En ce qui concerne la défense de la vérité du dogme, les représentants de la théologie spéculative sont ainsi en accord avec les défenseurs de l’orthodoxie comme avec les représentants d’une religion post-chrétienne de l’esprit, même s’ils se démarquent des uns et des autres sur le sens du dogme et sur la façon dont il convient de faire droit à sa vérité. Aussi attaqueront-ils avec la même verve les thèses défendues par Harnack, dans son Histoire des dogmes comme dans son Essence du christianisme101.

Dans ce débat, Ernst Troeltsch occupe une position ambiguë. Certes, il revendique régulièrement le modèle schleiermachérien pour sa conception de la Doctrine de la foi102. Mais, et cela fait tout à la fois l’originalité et la difficulté de sa position, il maintient l’exigence d’une validité normative de l’instance doctrinale : la « dogmatique doit être une science normative et une véritable connaissance »103 ; elle doit exposer « une vision d’ensemble normative de la religion chrétienne »104. Pour cela, elle doit pouvoir s’appuyer sur une philosophie de la religion qui trouvera son double achèvement dans une philosophie de l’histoire de la religion et dans une métaphysique de la religion. Du coup, la doctrine de la foi apparaît comme une adaptation des énoncés historiques et métaphysiques aux traditions doctrinales de l’Église, attentive à tenir la balance entre la nécessaire compatibilité avec les résultats des sciences modernes constitutifs de l’image scientifique du monde et la préservation du vocabulaire et des formules dogmatiques hérités du passé et constitutifs à ce titre de la mémoire culturelle du christianisme (protestant). La doctrine de la foi ne peut donc, à proprement parler, prétendre à un statut scientifique, même si elle présuppose les connaissances et les méthodes scientifiques105. Mais, d’autre part, la doctrine de la foi doit être l’expression de la foi. Elle doit exposer les idées dans lesquelles s’articule la conscience croyante. À ce titre, elle ne saurait trouver dans la philosophie la source de ses énoncés. Cette ambiguïté trouve sa solution dans une prémisse plus implicite qu’explicite : la conscience croyante exprime l’état actuel du christianisme, c’est-à-dire la forme prise par ce dernier dans une culture travaillée en profondeur par la conscience historique et scientifique. C’est le phénomène que Max Weber analyse à la même époque à l’enseigne de la rationalisation. Du coup, les thèses auxquelles parvient la philosophie de la religion ne sont pas étrangères à la conscience religieuse. L’intellectualisation du monde moderne rend la conscience religieuse perméable aux résultats des sciences modernes. C’est cette perméabilité intellectuelle de la conscience religieuse qui se reflète dans le statut ambigu que Troeltsch accorde à la doctrine de la foi.

Cette ambiguïté du statut épistémologique de la dogmatique est un héritage de la théologique des « Alt-Liberalen ». On trouve déjà un dédoublement analogue chez Otto Pfleiderer. La doctrine de la foi qu’il expose dans son Grundriss présuppose en effet « le concept idéal du christianisme » qui fait figure de « norme » pour les énoncés doctrinaux ; mais ces derniers n’ont de validité que relative, tant il est vrai qu’ils portent la marque tant de leur époque que des positions personnelles du dogmaticien et qu’ils obéissent à une finalité pratique106. Pour Pfleiderer, la dogmatique présuppose donc les résultats de la philosophie génético-spéculative de la religion, qui seule fournit le « concept idéal du christianisme » ; comme doctrine de la foi, la dogmatique a pour tâche d’adapter à la finalité pratique de l’enseignement et de la prédication ecclésiale les concepts spéculatifs exposés par la philosophie de la religion.

2.4. Histoire

Dans le sillage de Ferdinand Christian Baur et de l’École de Tubingue, l’histoire est pour la théologie libérale le garant et le paradigme du caractère scientifique de la théologie. La théologie libérale est fondamentalement une théologie historique et, à ce titre, une théologie critique. Certes, entre le milieu du XIXe siècle et les années 1920, la conception de l’histoire dans laquelle s’inscrit la théologie libérale se modifie de façon profonde. D’une compréhension qui cherche dans la logique hégélienne les structures conceptuelles susceptibles de saisir le sens du développement historique, on passe au début du XXe siècle au modèle de l’histoire des religions, qui trouve le moteur des changements historiques en ce domaine dans la constitution d’idéaux nouveaux, mais aussi dans les emprunts, les métissages et les syncrétismes donnant naissance à de nouvelles formes religieuses. Quoi qu’il en soit des modifications de la façon dont est comprise la réalité historique, la reconnaissance de l’autonomie épistémologique de la science historique joue un rôle central dans les programmes et les travaux de la théologie libérale. Lorsque, dans son célèbre essai « Sur la méthode historique et la méthode dogmatique en théologie »107, Troeltsch exige que la théologie adopte sans réserve la méthode historique et souscrive à ses présupposés épistémologiques et ontologiques (vraisemblance ; analogie ; interaction), c’est à cette tradition libérale qu’il se rattache.

Pour les représentants du libéralisme ancien, les travaux de Ferdinand Christian Baur et de ses élèves jouent un rôle essentiel. Dans la tradition hégélienne, Ferdinand Christian Baur comprend l’histoire du dogme comme le procès de l’explicitation de la liberté au gré de la réflexion sur le contenu doctrinal du christianisme, comme « le travail infini de l’Esprit en lutte avec soi, visant la liberté de sa conscience de soi dans le contenu absolu du dogme »108. La théorie spéculative de la liberté fournit à la fois le but du développement de l’histoire du dogme et le critère pour la reformulation contemporaine de la doctrine chrétienne. Dans la suite du siècle, les théologiens libéraux abandonnent toujours davantage la logique spéculative au profit d’une approche plus empirique, prétendant découvrir dans le cours du développement historique les processus au gré desquels advient progressivement la vérité de la religion qui s’accomplit dans le christianisme. Dès les années 1860 s’impose en effet un historicisme souvent positiviste109. On voit ainsi apparaître une théologie historique, ou même historiciste, dans laquelle les questions systématiques du présent sont abordées par le biais d’un travail historique dont la fonction est à la fois critique et constructive. Adolf (von) Harnack est caractéristique de cette conception110. Son Histoire des dogmes (1886-1890 ; 1908-19094) obéit à une intention systématique : en montrant comment le dogme est une « création de l’esprit grec sur le terreau de l’Évangile », il historicise le dogme et établit ainsi les limites de sa validité ; il peut du coup conclure sa fresque historiographique par la triple fin de l’histoire des dogmes, à savoir la Réformation luthérienne, le socinianisme et le catholicisme romain dans la forme qu’il prend avec le dogme de l’infaillibilité pontificale. L’histoire des dogmes de Harnack est un plaidoyer historique pour un christianisme post-dogmatique dont L’Essence du christianisme expose le programme111.

La spécificité libérale de la conception harnackienne apparaît peut-être plus clairement si on la compare à celle de son collègue et antipode (bien que balte lui aussi) Reinhold Seeberg112. Pour Seeberg, titulaire de la chaire « positive » créée à Berlin pour faire contrepoids aux positions libérales de Harnack, l’histoire des dogmes se conclut par la promulgation des textes normatifs du luthéranisme et du calvinisme, c’est-à-dire par la Formule de concorde et par les canons du synode de Dordrecht. Telle que la conçoit Seeberg, l’histoire des dogmes est un plaidoyer historique pour la validité actuelle des textes doctrinaux normatifs du protestantisme113.

La position de Harnack reste toutefois problématique : comme l’a relevé Troeltsch dans la longue étude qu’il consacra en 1903 à l’Essence du christianisme dans la Christliche Welt, la conception de l’histoire défendue par Harnack ne parvient pas à justifier la validité normative à laquelle il prétend pour les résultats auxquels il aboutit114. Car son historiographie ne se contente pas de nous exposer ce qui est effectivement advenu ; en faisant de l’histoire, elle propose un programme normatif pour le christianisme du présent. Comme celle de Baur, l’historiographie de Harnack obéit donc à une double intention, critique et constructive115. Mais cette prétention reste injustifiable dans le cadre de son historicisme. Le rôle reconnu à l’histoire par le libéralisme requiert une réflexion philosophique qui justifie les prétentions normatives du travail historique. Selon la formule souvent citée de Troeltsch, il s’agit de « surmonter l’histoire par l’histoire » pour préparer le terrain à une nouvelle construction du christianisme qui intègre celui-ci dans ce que Troeltsch appellera la « synthèse culturelle du présent »116.

2.5. Éthique

Cette visée d’une synthèse culturelle renoue avec une des intentions fondamentales de Richard Rothe, figure tutélaire de la théologie libérale : l’idée d’un « âge éthique du christianisme », une idée que Troeltsch reformule dans le contexte intellectuel et culturel des années 1920117. Fondateur du Protestantenverein, Richard Rothe avait exposé dans son Éthique théologique le programme d’une transformation éthique du christianisme se réalisant dans le Kulturstaat comme forme de réalisation du Bien suprême : « dans son essence la plus intime, le christianisme veut dépasser l’Église, il ne veut rien de moins que d’avoir pour organisme propre l’organisme tout entier de la vie humaine, c’est-à-dire l’État »118. D’inspiration schleiermacherienne, cette conception reconnaissait à l’éthique le rôle de discipline théologique fondamentale. Mais surtout, elle identifiait l’essence du christianisme dans sa substance éthique, et non dans son élaboration doctrinale. Avec l’idée d’un « âge éthique du christianisme » appelé à succéder à son « âge ecclésiastique », Richard Rothe est l’un des principaux représentants du programme visant à une transformation éthique du christianisme119, un programme que l’on peut sans doute considérer comme le centre systématique de la théologie libérale tant il est vrai que c’est dans la substance éthique du christianisme que les théologiens libéraux identifient la réalisation religieuse de la liberté.

Dans ce cadre, Wilhelm Herrmann défend une conception originale qui fait ressortir avec une netteté particulière certaines des préoccupations centrales du libéralisme théologique au tournant du XXe siècle. La position de Herrmann prend d’abord la forme d’une théorie de la religion présentant cette dernière comme le lieu par excellence dans lequel l’individu peut se comprendre comme un individu libre en se distinguant de la nature et de toutes les formes de déterminisme naturel120. Pour Herrmann, la conscience religieuse trouve en effet sa matrice dans la conscience morale comme conscience de l’incapacité du sujet à satisfaire les exigences de la Loi morale et comme découverte de Dieu en tant que « puissance de la bonté morale ». « Vie religieuse et connaissance morale » vont de pair121. L’émergence de la foi décrit ipso facto la constitution du sujet moral. C’est par conséquent dans le cadre d’une Éthique que Herrmann reformule la doctrine traditionnelle de la justification et de la réconciliation122. Dans la version qu’en propose Herrmann au tout début du XXe siècle, la transformation éthique de la théologie réfléchit les menaces qui pèsent sur la liberté de l’individu et sur la conscience que ce dernier peut avoir de lui-même comme d’un individu libre. En assurant la possibilité d’un agir éthique en accord avec la conscience du devoir dans laquelle se manifeste tout à la fois l’exigence morale et la liberté de l’individu, la religion assure à l’individu la capacité de conduire consciemment sa vie – au lieu d’être conduit par ses pulsions ou par les conditions sociales – et de s’inscrire comme un acteur compétent dans les interactions sociales. Dans cette interprétation éthique, la religion apparaît comme la dimension dans laquelle la personnalité se constitue et se stabilise ; elle trouve dans l’image de Jésus le modèle de cet idéal religieux de la personnalité.

Avec son Éthique, Wilhelm Herrmann expose l’une des théories théologiques de la personnalité les plus profilées du début du XXe siècle. Il fait droit ainsi à ce qui est une des préoccupations majeures de la théologie libérale de cette époque, le « sauvetage de la personnalité »123. Dans un monde dont les logiques sociales, économiques et politiques semblent enfermer toujours davantage l’individu dans une « boîte d’acier » (Max Weber), la religion apparaît comme une forme de contrefactualité qui trouve son point d’appui empirique dans le phénomène de la conscience morale et qui se déploie dans l’interprétation religieuse du monde.

C’est dans la même veine que s’inscrit la conception de « l’Évangile » exposée par Harnack dans sa célèbre présentation de L’Essence du christianisme (1900). La prédication de l’évangile par Jésus ouvre sur une nouvelle compréhension de la justice, libérée de toute casuistique et fondée dans une disposition d’esprit constante (Gesinnung), l’amour nourri d’humilité. C’est dans cette disposition d’esprit que se rejoignent la religion et la morale : « c’est en ce sens qu’on peut appeler la religion l’âme de la morale et la morale le corps de la religion »124. De même que l’Évangile trouve son centre religieux dans l’idée de Dieu comme père conférant sa valeur infinie à l’âme humaine, il trouve son centre éthique dans la constitution de l’individu moral, c’est-à-dire dans une éthique de la vertu dont Harnack déploie ensuite les conséquences dans les champs de l’ascèse, de la question sociale, du droit et de la culture. Cette focalisation sur la question de la vertu est caractéristique de l’éthique personnaliste du protestantisme libéral.

Un autre aspect de cette transformation éthique du christianisme concerne ce qu’on appelle à la fin du XIXe siècle la « question sociale ». Les transformations économiques et sociales induites dans le dernier tiers du XIXe siècle par l’industrialisation de l’Allemagne confrontent l’éthique théologique à des questions pour lesquelles les cadres systématiques de l’éthique protestante se révèlent insuffisants. Cela vaut tant de l’éthique de la conviction (Gesinnung), dont l’Éthique de Herrmann propose l’exemple le plus accompli, que des modèles traditionnels d’éthique sociale inspirés par l’organisation hiérarchisée des sociétés prémodernes. Pour faire face à ces défis inédits, le protestantisme libéral se dote d’un instrument de réflexion d’un nouveau genre, le Congrès évangélique social125 qui regroupe théologiens, économistes et sociologues (dont Max Weber) afin de réunir les compétences nécessaires à la conception d’une éthique et d’une politique sociales protestantes en prise sur les nouvelles réalités économiques et sociales. C’est dans ce cadre que le protestantisme libéral adopte le concept de « dignité humaine », d’origine socialiste, pour désigner le point où l’anthropologie chrétienne rejoint les problèmes d’éthique sociale. Le droit doit garantir la possibilité d’une existence conforme à la dignité humaine. Sur cette base, le Congrès évangélique social formule des exigences concrètes dans le domaine de la formation, du droit du travail, de la régulation du temps de travail et du contrôle des salaires, des assurances sociales mais aussi des mesures en faveur de l’épargne populaire126. Ces requêtes politiques rejoignent sur de nombreux points les mesures exigées de longue date par le parti social-démocrate. On ne s’étonnera donc pas que certains des membres les plus influents du Congrès tels Wilhelm Herrmann ou Martin Rade plaident en faveur d’une reconnaissance des buts politiques de la social-démocratie malgré les désaccords idéologiques fondamentaux127. Ce rapprochement pragmatique entre libéralisme théologique et social-démocratie initié par le Congrès évangélique social contribuera à rendre possible la collaboration politique entre les partis libéraux et social-démocrate au Reichstag ; elle débouchera sur l’association des socio-démocrates au gouvernement à partir d’octobre 1918 et sur la constitution de la Coalition de Weimar après la chute de la monarchie le 9 novembre 1918 et les élections à l’Assemblée constituante de Weimar en janvier 1919.

Ce n’est toutefois pas le seul chantier auquel les transformations du monde économique confrontent l’éthique du protestantisme libéral. Comme le montre Troeltsch dans son maître-livre consacré aux Doctrines sociales des églises et groupes chrétiens (1912), l’éthique chrétienne s’était organisée depuis le IIe siècle autour du modèle fourni par le droit naturel. Or ce modèle se révèle incapable de rendre compte des nouvelles réalités politiques, sociales et économiques caractéristiques du monde moderne. L’éthique sociale protestante requiert par conséquent la formulation d’un nouveau cadre systématique, en rupture avec l’héritage de la Réforme. Troeltsch en expose les grandes lignes dans un long essai, en discussion critique avec l’Éthique de Herrmann128. Il propose de concevoir cette nouvelle éthique en s’inspirant de Schleiermacher, et plus spécifiquement de son éthique du Bien qui analyse les cadres institutionnels de l’agir humain comme autant de formes tendant à la réalisation du Bien suprême. Mais, et c’est un trait typique de la conception de Troeltsch, les réalisations institutionnelles du Bien doivent être placées sous l’horizon d’une dimension transcendante qui tout à la fois anime la recherche humaine du Bien et relativise ses réalisations. La religion est certes la force qui nourrit le travail humain en vue du Bien ; mais elle est aussi l’instance critique qui exclut d’identifier les réalités d’ici-bas avec l’horizon absolu du sens que dessine l’au-delà.

Avec ces cinq questions, nous disposons de quelques repères pour une cartographie de la théologie libérale. Mais sa description serait incomplète si nous ne prenons pas garde à un aspect signalé dès la définition initiale que nous avons proposée de la théologie libérale : le travail de la théologie libérale est en prise sur les ambivalences et les conflits de la modernité. Il ne s’agit pas là d’une dimension qui viendrait s’ajouter de façon un peu extérieure et pour tout dire extrinsèque à la réflexion qu’on dirait alors « proprement théologique ». Elle en est au contraire un élément constitutif. La théologie libérale se conçoit comme une « science culturelle du christianisme ». À ce titre, elle s’interroge sur la pertinence de la théologie dans la société et la culture modernes.

Les réponses apportées par la théologie libérale furent diverses. La recherche récente a souvent souligné que de nombreux théologiens libéraux conféraient au christianisme protestant (dans sa version libérale, bien sûr) une fonction d’intégration sociale qui tendait à résorber le pluralisme des visions du monde et des orientations axiologiques. Car, pour les élites intellectuelles du protestantisme allemand, ce pluralisme était vécu comme une menace de désintégration sociale. Cela vaut des programmes d’une transformation éthique du christianisme de Richard Rothe comme de la conception théonome de la culture prônée par Otto Pfleiderer. Par certains aspects, on peut encore inscrire dans cette tendance la recherche d’une « synthèse culturelle du présent » qui devait faire l’objet du second volume de la philosophie de l’histoire d’Ernst Troeltsch. Dans toutes ces figures, il y a incontestablement un moment d’illibéralité au sein même de la théologie libérale129. C’est dans ce contexte aussi qu’il faut inscrire tous les programmes qui cherchent à expliciter le rôle de la religion comme stabilisation de la personnalité face aux mécanismes de dépersonnalisation à l’œuvre dans la modernité.

Nonobstant ces réserves sur les implications antipluralistes de la plupart des programmes libéraux exposés dans le protestantisme allemand entre 1860 et 1920, la théologie libérale a toujours compris qu’elle ne pouvait remplir son rôle qu’à condition de développer un diagnostic critique du monde moderne et de faire preuve d’une haute sensibilité herméneutique pour les risques et les potentiels dont est porteuse la modernité. Bien avant que Karl Barth et ses amis se fassent les hérauts d’une théologie de la crise dans laquelle s’articule surtout le malaise d’un corps professionnel – celui des pasteurs – et qui, pour cette raison, restera durablement une théologie écrite par des pasteurs pour des pasteurs, la théologie libérale avait développé, en dialogue avec la sociologie, l’économie politique et les sciences politiques de l’époque, un diagnostic de la crise du monde moderne autrement plus fin et précis.

Loin de succomber aux charmes d’une assimilation sans critique de la religion à la culture et du christianisme aux valeurs bourgeoises du monde moderne, la théologie libérale savait que « la grandeur de la religion consiste justement dans son opposition à la culture »130. C’est sur cette tension qu’elle avait construit sa théologie, en proposant de trouver dans la religion des ressources qui rendaient l’individu capable de résister aux effets délétères des conflits du monde moderne et de développer des stratégies de résistance. C’est dans cette perspective que doivent être lus les programmes d’intégration protestante de la société allemande, aussi illusoires fussent-ils.

La tension systématique entre le diagnostic critique porté sur la modernité et la formulation de programmes théologiques d’un protestantisme culturel est caractéristique de la théologie allemande, bien au-delà des représentants de la théologie libérale. Et elle indique une tâche que toute théologie doit relever : réfléchir à la pertinence sociale et culturelle de la religion en général, et du christianisme en particulier. Car, et le point mérite d’être relevé, dans leur immense majorité, les théologiens libéraux ont souligné la visée pratique de la théologie : elle est au service de l’Église et doit préparer à ce service. C’est pourquoi ils ont refusé de suivre Strauß et de conclure du conflit entre christianisme et vision moderne du monde, qu’elle soit matérialiste ou déterministe, à l’obsolescence du christianisme et à la nécessité d’une « transformation du christianisme en un pur humanisme »131. On sait que ce fut la voie suivie par Ferdinand Buisson et par de nombreux protestants libéraux français132. Les théologiens du protestantisme libéral allemand identifiaient en revanche dans le christianisme la religion capable de stabiliser l’individu menacé par la modernisation économique et sociale en fondant l’autonomie personnelle dans la dépendance absolue par rapport à Dieu. Dans la théologie libérale allemande, religion et culture forment un contrepoint complexe dont les tensions harmoniques restent fréquemment irrésolues.

Inutile de souligner que le diagnostic porté sur le monde moderne autour de 1900 ne peut plus être celui qu’on portera au XXIe siècle. Aussi serait-ce se méprendre sur le sens du travail des théologiens libéraux que de croire qu’on pourrait reprendre aujourd’hui les propositions théologiques développées voilà un siècle ou plus. Il est cependant au moins aussi illusoire de croire que l’on puisse aujourd’hui renouer plus ou moins directement avec les positions d’un Karl Barth ou d’un Rudolf Bultmann. Elles aussi portent un indice temporel ; mais à la différence des théologies libérales, elles ne l’explicitent pas, ou rarement (chez Bultmann). Et du coup, elles ne rendent pas transparents les attendus de leurs constructions, leur conférant ainsi une illusion d’intemporalité. De la théologie libérale, la théologie du XXIe siècle peut et doit apprendre à réfléchir expressément sa position dans les conflits du monde moderne et à concevoir la pertinence de la religion et le sens de la théologie en interaction avec un diagnostic critique porté sur le monde contemporain.

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1Ruth Conrad, Lexikonpolitik. Die erste Auflage des RGG im Horizont protestantischer Lexikographie, Berlin-New York, W. de Gruyter, 2006.

2Friedrich Traub, art. « Liberale Theologie », RGG2, vol. 3, 1929, col. 1612 sq. ; on comparera aussi les articles « Liberalismus II : Liberalismus und Kirche » et « Liberalismus III : Kirchlicher Liberalismus », dus respectivement à Erich Foerster et Martin Rade, col. 1624-1626 et 1626-1629.

3RGG3, vol. 4, 1960, col. 344 et 351-355 ; l’article « Liberalismus III : Theologischer und kirchlicher Liberalismus » est dû à Hans Grass.

4RGG4, vol. 5, 2002, col. 310-314.

5On pensera naturellement d’abord au grand dictionnaire Geschichtliche Grundbegriffe. Historisches Lexikon zur politisch-sozialen Sprache in Deutschland, 8 vol., paru de 1972 à 1997 chez Klett-Cotta à Stuttgart sous la direction d’Otto Bruner, Werner Conze et Reinhart Koselleck. En français, cf. Le futur passé. Contributions à la sémantique des temps historiques, Paris, EHESS, 1990 ; L’expérience de l’histoire, Paris, Seuil-Gallimard, 1997. La conception de Koselleck a donné lieu à d’importants débats, cf. Mark Bevir, Hans Erich Bödeker (dir.), Begriffsgeschichte, Metapherngeschichte, Diskursgeschichte, Göttingen, Wallstein, 2002 ; Hans Joas, Peter Vogt (dir.), Begriffene Geschichte. Beiträge zum Werk Reinhart Kosellecks, Berlin, Suhrkamp, 2011 ; Ernst Müller, Falko Schmieder (dir.), Begriffsgeschichte und historische Semantik. Ein kritisches Kompendium, Berlin, Suhrkamp, 2016.

6Cf. Friedrich Wilhelm Graf, Liberale Theologie. Eine Ortsbestimmung (Troeltsch-Studien, Bd. 7), Gütersloh, Mohn, 1993 ; Jörg Lauster, « Liberale Theologie. Eine Ermunterung », NZSTh 50 (2007), p. 291-307. Werner Zager (dir.), Liberales Christentum. Perspektiven für das 21. Jahrhundert, Neukirchen-Vluyn, Neukirchener, 2009.

7Hermann Mulert est un représentant classique de la théologie libérale de la première moitié du XXe siècle ; élève d'Otto Baumgarten, le cousin de Max Weber, puis professeur à Kiel, il prendra en 1932 la direction du principal organe de presse du libéralisme théologique allemand, la Christliche Welt fondée par Martin Rade. Comme Max Weber, Martin Rade, Wilhelm Bousset, Rudolf Otto ou Ernst Troeltsch, Mulert était membre du parti libéral de gauche de la République de Weimar, la Deutsche Demokratische Partei ; adversaire du national-socialisme, il demandera en 1935 à être libéré de ses obligations professorales et se retirera après 1942 en Saxe (dont il était originaire) où il rejoignit le mouvement quaker. Sur Hermann Mulert, cf. Matthias Wolfes, Hermann Mulert. Lebensbild eines Kieler Theologen (1879-1950), Neumünster, Wachholtz, 2000.

8RGG1, vol. 3 (1912), col. 2107-2109, ici 2109. On trouve les mêmes réserves un quart de siècle plus tard sous la plume d’Erich Foerster, à l’occasion de sa recension du livre de Walter Nigg, Geschichte des religiösen Liberalismus. Entstehung, Blütezeit, Ausklang, Zürich, 1937 ; cf. Erich Foerster, « Die Aufklärung in der Theologie des 19. Jahrhunderts », Theologische Rundschau NF 10 (1938), p. 329-357, ici p. 334.

9Rudolf Bultmann, Glauben und Verstehen, vol. I, Tübingen, Mohr, 1933, p. 1-25, ici p. 2.

10Hans-Joachim Birkner, « Liberale Theologie », in : Martin Schmidt-Georg Schwaiger (dir.), Kirche und Liberalismus im 19. Jahrhundert, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1976, p. 33-42, ici p. 39. L’article avait paru d’abord en 1974.

11Klaus Tanner, Die fromme Verstaatlichung des Gewissens. Zur Auseinandersetzung um die Legitimität der Weimarer Reichsverfassung in Staatsrechtswissenschaft und Theologie der zwanziger Jahre, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht 1989, p. 64-68. Cf. aussi l’article inaugural de Klaus Scholder, « Neuere deutsche Geschichte und protestantische Theologie », in : ID., Die Kirchen zwischen Republik und Gewaltherrschaft. Gesammelte Aufsätze (K. O. von Aretin et G. Besier, éd.), Berlin, Siedler, 1988, p. 75-97 ; l’article fut publié d’abord en 1963 dans Evangelische Theologie. Pour tous ces débats, deux livres ont joué un rôle central : Kurt Sontheimer, Antidemokratisches Denken in der Weimarer Republik. Die politischen Ideen des deutschen Nationalismus zwischen 1918 und 1933 (1962), Munich, Deutscher Taschenbuch Verlag, 1992; Christian Graf von Krockow, Die Entscheidung. Eine Untersuchung über Ernst Jünger, Carl Schmitt und Martin Heidegger, Stuttgart, Enke, 1958 ; réimpression : Francfort, Campus, 1990 ; on ne saurait trop recommander la lecture de ce dernier livre aux interprètes de Rudolf Bultmann.

12RGG1, vol. 3, col. 2108.

13Ces conflits se nouèrent en particulier autour de la valeur obligatoire du Symbole des Apôtres et de son usage liturgique.

14Cf. Friedrich Wilhelm Graf, « Friedrich Gogartens theologische Deutung der Moderne. Ein theologiegeschichtlicher Rückblick » (1989) ; « “Der Götze wackelt”. Erste Überlegungen zu Karl Barths Liberalismuskritik », (1986) ; « Der Weimarer Barth – ein linker Liberaler ? » (1987), in : ID., Der heilige Zeitgeist. Studien zur Ideengeschichte der protestantischen Theologie in der Weimarer Republik, Tübingen, Mohr Siebeck, 2011, p. 265-328, 425-446 et 447-460. Cf. aussi l’article de Klaus Scholder, op. cit.

15Reprenant la façon dont Karl Barth aimait à styliser son propre parcours théologique, le rôle de l’automne 1914 et de l’« Appel des 93 intellectuels » a souvent été exagéré dans l’historiographie théologique. Ils ne constituent ni le symbole de l’effondrement de la culture nationale bourgeoise et protestante ni la crise ou la fin de la théologie libérale. Sur l’« Appel des 93 intellectuels », cf. Wilfred Härle, « Der Aufruf der 93 Intellektuellen und Karl Barths Bruch mit der liberalen Theologie », ZThK 72 (1975), p. 207-224 ; Bernhard vom Brocke, « “Wissenschaft und Militarismus”. Der Aufruf der 93 “An die Kulturwelt !” und der Zusammenbruch der internationalen Gelehrtenrepublik im Ersten Weltkrieg », in : William M. Calder III, Helmut Flashar, Theodor Lindken (éd.), Wilamowitz nach 50 Jahren, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1985, p. 649-719. Quant aux nouveaux mouvements théologiques qui se formèrent après la guerre, ils entretiennent des liens beaucoup plus complexes avec les théologies libérales que ce que veulent nous faire accroire leurs protagonistes, cf. Hartmut Ruddies, Karl Barth und die Liberale Theologie. Fallstudien zu einem theologischen Epochenwechsel, Diss. Theol., Göttingen, 1994 ; Heinrich Assel, Der andere Aufbruch. Die Lutherrenaissance. Ursprünge, Aporien und Wege Karl Holl, Emanuel Hirsch, Rudolf Herman (1910-1935), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1993. La recherche récente sur Karl Barth a en particulier montré que les prémisses de ses idées fondamentales ultérieures se trouvent déjà dans les prédications de 1913-1914, cf. Cornelis van der Kooi, Anfängliche Theologie. Der Denkweg des jungen Karl Barth (1909-1927), Munich, Chr. Kaiser, 1987, spéc. p. 21-36 et 92-121.

16Cf. Friedrich Wilhelm Graf, « Einleitung », in : ID., Der heilige Zeitgeist (op. cit.), p. 1-110, ici p. 48 et notes 137 et 138. On a trop oublié quels esprits présidèrent à la naissance du mouvement œcuménique.

17Cf. Matthias Wolfes, Protestantische Theologie und moderne Welt. Studien zur Geschichte der liberalen Theologie nach 1918, Berlin-New York, W. de Gruyter, 1999.

18Sur ce point Friedrich Wilhelm Kantzenbach, « Kirchlich-theologischer Liberalismus und Kirchenkampf. Erwägungen zu einer Forschungsaufgabe », ZKG 87 (1976), p. 298-320.

19Symptomatique, Alfred de Quervain, Die theologischen Voraussetzungen der Politik. Grundlinien einer politischen Theologie, Berlin, Furche Verlag, 1931 ; la référence à Carl Schmitt et à l’opposition ami-ennemi se trouve à la p. 170 (cité d’après Friedrich Wilhelm Graf, Der heilige Zeitgeist [op. cit.], p. 84, n. 237).

20Les meilleures synthèses de l’histoire de l’Église et de la théologie protestantes allemandes dans le cadre de l’histoire sociale et politique de l’Allemagne entre 1870 et 1933 sont les deux introductions de Friedrich Wilhelm Graf in : Friedrich Wilhelm Graf (dir.), Profile des neuzeitlichen Protestantismus. Bd. 2 : Kaiserreich Teil 1, Gütersloh, Mohn, 1992, p. 12-117, et ID., Der heilige Zeitgeist (op. cit.), p. 1-110. Fondamental pour l’histoire du protestantisme libéral, Gangolf Hübinger, Kulturprotestantismus und Politik. Zum Verhältnis von Liberalismus und Protestantismus im wilhelminischen Deutschland, Tübingen, Mohr, 1994.

21Sur Alexander Schweizer, cf. Emidio Campi et al. (dir.), Alexander Schweizer und seine Zeit, Zürich, TVZ, 2008.

22Sur Pfleiderer, cf. Friedrich Wilhelm Graf, Theonomie. Fallstudien zum Integrationsanspruch neuzeitlicher Theologie, Gütersloh, Mohn,1987, p. 128-192.

23Sur Lipsius, cf. Markus Iff, Liberale Theologie in Jena. Ein Beitrag zur Theologie- und Wissenschaftsgeschichte des ausgehenden 19. Jahrhunderts, Berlin-New York, W. de Gruyter, 2011, p. 35-42 et 93-107.

24Le terme « historico-critique » a été introduit par Ferdinand Christian Baur dans son article « Über Zweck und Veranlassung des Römerbriefs und die damit zusammenhängenden Verhältnisse in der römischen Gemeinde. Eine historisch-kritische Untersuchung » (1836), maintenant in : F. C. Baur, Ausgewählte Werke in Einzelausgaben (Klaus Scholder, éd.), vol. 1 : Historisch-kritische Untersuchungen zum Neuen Testament, Stuttgart-Bad Cannstatt, Frommann, 1963, p. 147-266.

25Cf. Claudia Lepp, Protestantisch-liberaler Aufbruch in die Moderne. Der deutsche Protestantenverein in der Zeit der Reichsgründung und des Kulturkampfes, Gütersloh, Kaiser, 1996.

26Tübingen, Fries, 1844. Sur la Freie Theologie, cf. en outre Thomas K. Kuhn, Der junge Alois Emanuel Biedermann. Lebensweg und theologische Entwicklung bis zur « Freien Theologie », Tübingen, Mohr, 1997, p. 379-387.

27Alois Emanuel Biedermann, « Das apostolische Glaubensbekenntnis und die schweizerische Predigerversammlung in Zürich. 23. Juli 1845 », in : Die Kirche der Gegenwart. Eine Monatschrift für die reformierte Schweiz 1 (1845), p. 333-347, ici p. 345 sq.

28Pour un aperçu biographique, cf. Rudolf Dellsperger, « Alois Emanuel Biedermann », in : Stephan Leimgruber, Max Schoch (dir.), Gegen die Gottvergessenheit. Schweizer Theologen im 19. und 20. Jahrhundert, Freiburg i. Br. [etc.], Herder, 1999, p. 86-103. Sur le système théologique de Biedermann, cf. Otto Reinmuth, Religion und Spekulation. Alois Emanuel Biedermann, Berne [etc.], Peter Lang, 1993. Un article de Biedermann a été traduit en français et publié en 1882 par la RThPh (p. 253-268) : « Strauss et la théologie contemporaine » ; il est caractéristique du positionnement de Biedermann.

29Sur l’« École de l’histoire des religions », cf. Gerd Lüdemann (dir.), Die « Religionsgeschichtliche Schule » (op. cit.).

30Hans Manfred Bock, « “Die christliche Welt” 1919-1933. Organisierte Akteure und diskursive Aktivitäten in der kulturprotestantischen Zeitschrift », in : Michael Grunewald, Uwe Puschner (dir.), Das evangelische Intellektuellenmilieu in Deutschland, seine Presse und seine Netzwerke (1871-1963), Berne [etc.], Peter Lang, 2008, p. 341-382.

31Gottfried Kretschmar, Der evangelisch-soziale Kongreß. Der deutsche Protestantismus und die soziale Frage, Stuttgart, Evangelisches Verlags-Werk, 1972 ; Harry Liebersohn, Religion and Industrial Society. The Protestant Social Congress in Wilhelmine Germany, Philadelphie, American Philosophical Society, 1986.

32Cf. M. Wolfes, Protestantische Theologie und moderne Welt (op. cit.).

33Sur le DDP, cf. Werner Stephan, Aufstieg und Verfall des Linksliberalismus 1918-1933. Geschichte der Deutschen Demokratischen Partei, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1973. Theodor Heuss, le premier président de la République fédérale allemande (1949-1959), fut l’un des quatre derniers députés de la DDP (devenue Staatspartei en 1929) dans le Parlement allemand en 1933 ; il vota les pleins pouvoirs à Hitler le 23 mars 1933.

34Dieter Düding, Der Nationalsoziale Verein (1896-1903). Der gescheiterte Versuch einer parteipolitischen Synthese von Nationalismus, Sozialismus und Liberalismus, Munich, Oldenbourg, 1972.

35Emmanuel Kant, « La Fin de toutes choses », in : Œuvres III (Ferdinand Alquié, dir.), Paris Gallimard (Pléiade), 1986, p. 307-325, ici p. 323.

36Richard Rothe, « Durch welche Mittel können die der Kirche entfremdeten Glieder ihr wieder gewonnen werden ? », in : id., Gesammelte Vorträge und Abhandlungen Dr. Richard Rothe’s aus seinen letzten Lebensjahren (Friedrich Nippold, éd.), Eberfled, R. L. Friederichs, 1886, p. 129-147.

37Werner Elert, Der Kampf um das Christentum. Geschichte der Beziehungen zwischen dem evangelischen Christentum in Deutschland und dem allgemeinen Denken seit Hegel und Schleiermacher, Munich, Chr. Kaiser, 1921, p. 258.

38Karl Sell, Die Entwicklung der wissenschaftlichen Theologie in den letzten fünfzig Jahren. Rede beim Antritt des Rektorats der Universität Bonn am 18. Okober 1912, Bonn, Marcus, 1912, p. 6.

39Martin Rade, « Die Bedeutung der theologischen Fakultäten für die heutige Kultur », in Akademische Rundschau 1 (1913), p. 632-650, ici p. 647.

40Sur cette distinction, cf. Manfred Jacobs, art. « Liberale Theologie », TRE 21, p. 47-68 ; Matthias Wolfes, Protestantische Theologie und moderne Welt (op. cit.), p. 12.

41Sur l’engagement politique de Schleiermacher, fondamental : Matthias Wolfes, Öffentlichkeit und Bürgergesellschaft. Friedrich Schleiermachers politische Wirksamkeit, Berlin-New York, W. de Gruyter, 2004 ; Andreas Arndt, Die Reformation der Revolution. Friedrich Schleiermacher in seiner Zeit, Berlin, Matthes & Seitz, 2019. Le lecteur francophone trouvera une brève présentation des activités politiques de Schleiermacher dans ma « Présentation générale » des « Conférences sur la théorie de l’État et l’art politique » in : Friedrich Schleiermacher, Conférences sur l’éthique, la politique et l’esthétique (1814-1833). Traduction, introduction, présentations et notes de Jean-Marc Tétaz, Genève, Labor et Fides, 2011, p. 267-281.

42« Au lieu de ces noms hésitants, on ferait mieux d’appeler les supranaturalistes les ultras théologiques et les rationalistes les libéraux théologiques » (Karl Gottlieb Bretschneider, « Die Ultras und die Liberalen in der Théologie » [1820], repris in : ID., Kirchenpolitische Zeitfragen behandelt in zerstreuten Aufsätzen, Leipzig, 1847, p. 1-7, ici p. 2.

43Cf. Hans-Joachim Birkner, « Liberale Theologie » (art. cit.), p. 37. Pour le contexte d’ensemble, cf. Markus Iff, Liberale Theologie in Jena (op. cit.), p. 72-75.

44Friedrich Wilhelm Graf, Theonomie (op. cit.), p. 139.

45Cf. en particulier Friedrich Wilhelm Graf, art. « Liberale Theologie », RGG4 ; Hartmut Ruddies, « Liberale Theologie. Zur Dialektik eines komplexen Begriffs », in : Friedrich Wilhelm Graf (dir.), Liberale Theologie (op. cit.), p. 176-203 ; Matthias Wolfes, Protestantische Theologie und moderne Welt (op. cit.), p. 56-72.

46Martin Rade, art. « Liberalismus III. Kirchlicher Liberalismus », RGG2, vol. III, 1929, col. 1626-1629, ici 1626.

47Richard Rothe, Theologische Ethik. Vol. 2, Wittenberg, 18672, p. 437.

48ID., Theologische Ethik. Vol. 3, Wittenberg, 1848, p. 913. Sur l’éthique politique de Rothe, cf. Arnulf von Scheliha, Protestantische Ethik des Politischen, Tübingen, Mohr Siebeck, 2013, p. 132-144 ; Angelika Dörfler-Dierken, Luthertum und Demokratie. Deutsche und amerikanische Theologen des 19. Jahrhunderts zu Staat, Gesellschaft und Kirche, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2001, p. 49-113. Les citations de Rothe sont tirées du chapitre d’Arnulf von Scheliha.

49L’exposé classique des positions conservatrices luthériennes est : Friedrich Julius (von) Stahl, Die Philosophie des Rechts nach geschichtlicher Ansicht (2 vol. en 3 tomes), Heidelberg, Mohr, 1830-1837 ; cf. aussi ID., Der Protestantismus als politisches Prinzip. Vorträge zu Berlin März 1853, Berlin, Schulze, 1853 (réimpression : Aalen, Scientia, 1987). Pour une interprétation d’ensemble, cf. Panagiotis Kondylis, Konservatismus. Geschichtlicher Gehalt und Untergang, Stutttgart, Klett-Cotta, 1987. Pour une mise en perspective du conservatisme luthérien dans l’histoire de l’éthique protestante du politique, cf. Arnulf von Scheliha, Protestantische Ethik des Politischen (op. cit.), p. 124-132.

50Cf. Friedrich Wilhelm Graf, Theonomie (op. cit.).

51Sur le libéralisme politique allemand, cf. Dieter Langewiesche, Liberalismus in Deutschland, Francfort, Suhrkamp, 1988 ; ID. (éd.), Liberalismus im 19. Jahrhundert. Deutschland im europäischen Vergleich, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1988.

52La conception de l’État-nation comme Kulturstaat a trouvé son programme classique dans les Discours à la nation allemande, prononcés par Fichte à Berlin à partir du 31 décembre 1807 ; ils furent publiés en 1808, cf. J. G. Fichte, Discours à la nation allemande. Traduction d’Alain Renaut, Paris, Imprimerie nationale, 1992. L’histoire de la réception des Discours, en Allemagne et à l’étranger (en particulier en France) est complexe et controversée ; elle ne peut être abordée ici.

53Cf. Wolfgang Mommsen, Das Ringen um den Nationalstaat. Die Gründung und der innere Ausbau des Deutschen Reichs unter Otto von Bismarck 1850 bis 1890, Berlin, Propyläen, 1993.

54En Allemagne, l’émancipation des juifs sera réalisée progressivement à partir de 1862 (l’édit prussien de 1812, qui accordait aux juifs établis dans le Royaume de Prusse les droits civils et politiques avait été partiellement révoqué en 1822). Le premier État allemand à accorder aux juifs la pleine émancipation fut le Grand-Duché de Bade, auquel appartenait l’université de Heidelberg où enseignait Rothe. La Prusse et le Norddeutscher Bund accordèrent l’émancipation aux juifs en 1869 ; cette loi s’appliqua à l’ensemble de l’Empire allemand dès 1871.

55Richard Rothe, Theologische Ethik. Vol. 3, Wittenberg, Zimmermann’sche Buchandlung, 1848, p. 972 sq. (cité d’après A. von Scheliha, op. cit.).

56Ibid., 2e éd., vol. V, p. 362.

57Ibid.

58Sur l’opposition entre liberté positive et liberté négative, cf. l’essai classique d’Isaiah Berlin, « Deux conceptions de la liberté », in : ID., Éloge de la liberté, Paris, Calmann-Lévy, 1988. Dans la droite ligne de sa défense de la liberté négative, Berlin a identifié en Fichte un des ennemis de la liberté, titre qu’il partage entre autres avec Rousseau et Hegel, cf. Isaiah Berlin, La liberté et ses traîtres. Six ennemis de la liberté, Paris, Payot & Rivage, 2009, p. 98-134.

59Sur l’opposition de l’idéalisme et du libéralisme comme paradigmes politiques, cf. Peter Hoeres, Krieg der Philosophen. Die deutsche und die britische Philosophie im Ersten Weltkrieg, Paderborn [etc.], Schöningh, 2004, p. 80-88.

60Ernst Troeltsch, « Die deutsche Idee von der Freiheit », Neue Rundschau 27 (1916), p. 50-75 ; le texte est repris dans Ernst Troeltsch, Deutsche Zukunft, Berlin, Fischer, 1916, p. 7-60. Le texte a été publié, dans une version légèrement abrégée, par Hans Baron in : Ernst Troeltsch, Deutscher Geist und Westeuropa. Gesammelte kulturphilosophische Aufsätze und Reden, Tübingen, Mohr, 1925, p. 80-107. Sur les écrits de guerre de Troeltsch et les problèmes que pose leur interprétation, cf. mon article « Nationalisme et christianisme : deux évangiles ? L’interprétation de la Grande Guerre par Ernst Troeltsch (1914-1915) », ETR 89 (2014), p. 225-263 et les indications bibliographiques qu’il contient. On ajoutera : P. Hoeres, Krieg der Philosophen (op. cit.), p. 262-275.

61Ernst Troeltsch, Naturrecht und Humanität in der Weltpolitik. Vortrag bei der 2. Jahresfeier der Deutschen Hochschule für Politik, Berlin, Verlag für Politik und Wirtschaft, 1923 ; maintenant in : ID., Schriften zur Politik und Kulturphilosphie (1918-1923) (Kritische Gesamtausgabe, vol. 15 ; Gangolf Hübinger, éd.), Berlin-New York, W. de Gruyter, 2012, p. 477-512. Traduction française in ID., Religion et histoire. Esquisses philosophiques et théologiques, traduction, introduction et notes de Jean-Marc Tétaz, Genève, Labor et Fides, 1990, p. 263-298. Sur les débats autour du libéralisme politique dans l’entre-deux-guerres, cf. maintenant Jens Hacke, Existenzkrise der Demokratie. Zur politischen Theorie des Liberalismus in der Zwischenkriegszeit, Berlin, Suhrkamp, 2018.

62Ce type de dispositif est caractéristique de la réflexion de Troeltsch en éthique politique, cf. déjà Ernst Troeltsch, Politische Ethik und Christentum, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1904, maintenant in : ID., Schriften zur Religionswissenschaft und Ethik (1903-1912). Kritische Gesamtausgabe, vol. 6.1, Trutz Rendtorff (éd.), Berlin-New York, W. de Gruyter, 2014, p. 134-195.

63Sur la discussion du matérialisme autour de 1860-1870, cf. l’ouvrage classique de Friedrich Albert Lange, Geschichte des Materialismus und Kritik seiner Bedeutung in der Gegenwart, 2 vol., Leipzig, Iserlohn, 1876-1877; traduction française : Histoire du matérialisme et critique de son importance à notre époque. Traduction de B. Pommerol, Paris, Reinwald, 1877-1879, réimpression avec une préface de Michel Onfray, Chécy, Coda, 2004. Le livre de Lange ne joua pas seulement un rôle essentiel pour Nietzsche (dans sa première édition) ; il fut aussi largement reçu par les théologiens libéraux qui le citent fréquemment.

64Friedrich Schleiermacher, Vorlesungen über die Dialektik (Kritische Gesamtausgabe, II/10 ; Andreas Arndt, éd.), Berlin-New York, 2002, Teilband I, p. 134 (cahier de 1814/1815, § 197). Schleiermacher commente cette thèse de la façon suivante : « Tout est libre dans la mesure où il est une identité posée pour soi de l’unité de la force et de la pluralité des manifestations : il est nécessaire dans la mesure où il est mêlé au système de l’être-ensemble comme une succession d’états » (ibid.). Cf. aussi les compléments du cours de 1822 : « Nous devons ainsi présupposer l’identité de la liberté et de la nécessité en chaque point de l’être fini » (leçon XLIV, ibid., p. 259), ainsi que les cahiers d’étudiants correspondants, Teilband II, p. 218-220 et 543-545. Pour la critique de cette conception, cf. Wilhelm Herrmann, Ethik, Tübingen, Mohr, 19094, p. 70.

65Cf. Albrecht Ritschl, Die christliche Lehre von der Rechtfertigung und Versöhnung, t. 3, Bonn, Marcus, 1874, 18883, p. 173 sq.

66Wilhelm Herrmann, Die Metaphysik in der Theologie, Halle, Niemeyer, 1876 ; ID., Die Religion in ihrem Verhältnis zum Welterkennen und zur Sittlichkeit. Eine Grundlegung der systematischen Theologie, Halle, Niemeyer, 1879 ; Albrecht Ritschl, Theologie und Metaphysik. Zur Verständigung und zur Abwehr, Bonn, Marcus, 18872. Cf. Falk Wagner, « Le problème de la théologie naturelle chez Albrecht Ritschl », in : Pierre Gisel et al. (dir.), Albrecht Ritschl. La théologie en modernité. Entre religion, morale et positivité historique, Genève, Labor et Fides, 1991, p. 35-60 ; Helga Kuhlmann, « Le concept de liberté dans le cours de Ritschl “Morale théologique” », ibid., p. 109-133.

67Cf. Richard Adelbert Lipsius, Philosophie und Religion. Neue Beiträge zur Grundlegung der Dogmatik, Leipzig, Joh. Ambr. Barth, 1885, p. 276. Pour la critique libérale de Ritschl, cf. Otto Pfleiderer, Die Ritschlsche Theologie kritisch beleuchtet, Braunschweig, Schwetschke, 1891 ; Richard Adelbert Lipsius, « Die Ritschlsche Theologie. Vortrag gehalten auf dem Thüringer Kirchentag zu Hildburghausen 1888 », in : ID., Glauben und Wissen. Ausgewählte Vorträge und Aufsätze (F. R. Lipsius, éd.), Berlin, Schwetschke, 1897, p. 321-355.

68Sur ces questions, cf. Markus Iff, Liberale Theologie in Jena (op. cit.), p. 93-188, ainsi que les indications bibliographiques données par l’auteur.

69Cf. Alois Emanuel Biedermann, Die christliche Dogmatik, Zürich, Orell Füssli & Co., 1869, p. 32. Sur le problème de la métaphysique en théologie, cfID., « Eine Bilanz über die rationellen Grundbegriffe in der Theologie », Zeitschrift für wissenschaftliche Theologie 14 (1871), p. 1-30.

70Trutz Rendtorff, Kirche und Theologie. Die systematische Funktion des Kirchenbegriffs in der neueren Theologie, Gütersloh, Mohn, 19702, p. 32-49.

71Richard Rothe, Zur Dogmatik, Gotha, Perthes, 1863, p. 2.

72Cf. Friedrich Schleiermacher, Kurze Darstellung des theologischen Studiums zum Behuf einleitender Vorlesungen (1811 ; 18312) ; traduction française de Bernard Kaempf : Le statut de la théologie. Bref exposé, Paris-Genève, Cerf-Labor et Fides, 1994, § 24, § 32-42 et 63-68.

73Cf. Martin Rössler, Schleiermachers Programm der Philosophischen Theologie, Berlin-New York, W. de Gruyter, 1994 ; Christian Albrecht, Schleiermachers Theorie der Frömmigkeit, Berlin-New York, W. de Gruyter, 1993.

74Classique : Ernst Troeltsch, « Zur Frage des religiösen Apriori », in : ID., Zur religiösen Lage, Religionsphilosophie und Ethik (Gesammelte Schriften 2), Tübingen, Mohr, 1913, p. 754-768.

75A. E. Biedermann, Christliche Dogmatik (op. cit.) ; 2e édition en deux volumes : Berlin, Reimer, 1884 et 1885.

76Op. cit. (1869), § 13, p. 30.

77Richard Adelbert Lipsius, Lehrbuch der evangelisch-protestantischen Dogmatik, Braunschweig, 1876, 18933, ici 1876, § 16, p. 19. Biedermann a consacré une importante recension à la Dogmatique de Lispius, cf. A. E. Biedermann, « Die Dogmatik von Lipsius », Protestantische Kirchenzeitung 24 (1877), p. 21-32, 45-52, 65-72, 89-96 et 105-111. Cette recension joue un rôle essentiel dans la transformation à laquelle Biedermann soumet les prolégomènes de sa propre dogmatique.

78Georg Wobbermin, Systematische Theologie nach religionspsychologischer Methode, 3 vol., Leipzig, Hinrichs, 1913-1922-1925 ; sur Wobbermin, cf. Matthias Wolfes, Protestantische Theologie und moderne Welt (op. cit.), p. 251-405.

79Otto Pfleiderer, Genetisch-spekulative Religionsphilosophie, Berlin, Reimer, 1884.

80Markus Iff, Liberale Theologie in Jena (op. cit.), p. 165. Sur la théologie de l’histoire de la religion chez Pfleiderer, cf. aussi Reinhard Leuze, Theologie und Religionsgeschichte. Der Weg Otto Pfleiderers, Munich, Chr. Kaiser, 1980.

81Ernst Troeltsch, Die Absolutheit des Christentums und die Religionsgeschichte (1902/1912), Kritische Gesamtausgabe vol. 5 (Trutz Rendtorff, éd.), Berlin-New York, W. de Gruyter, 1998 ; traduction française in : ID., Histoire des religions et destin de la théologie, Paris-Genève, Cerf-Labor et Fides, 1996, p. 63-178 et 401-445.

82Outre la seconde édition de L’Absoluité du christianisme en 1913, qui donna lieu à d’importants remaniements et ajouts, Troeltsch aborda à nouveau la question dans le cadre des conférences qu’il avait l’intention de donner au Royaume Uni (et qui n’eurent pas lieu en raison de son décès), cf. Ernst Troeltsch, « La place du christianisme parmi les grandes religions », in : ID., Le christianisme, l’histoire et les grandes religions. Conférences britanniques de 1923. Traduction française de Bernard Reymond, Paris, van Dieren, 2013, p. 83-107.

83Pour une reprise actuelle de cette question, cf. Jörg Dierken, Fortschritte in der Geschichte der Religion. Aneignung einer Denkfigur der Aufklärung, Leipzig, Evangelische Verlagsanstalt, 2012.

84Cf. Ernst Troeltsch, « Religionsphilosophie », in : ID., Schriften zur Religionswissenschaft und Ethik (1903-1912). KGA 6,1 (op. cit.), p. 535-613 ; traduction française : « Philosophie de la religion », in : ID., Religion et histoire (op. cit.), p. 53-128.

85Ernst Troeltsch, « Wesen der Religion und der Religionswissenschaft » (1909), maintenant in : ID., Zur religiösen Lage (op. cit.), p. 452-499. Sur l’interprétation de la conception troeltschienne, cf. Georg Pfleiderer, Theologie als Wirklichkeitswissenschaft. Studien zum Religionsbegriff bei Georg Wobbermin, Rudolf Otto, Heinrich Scholz und Max Scheler, Tübingen, Mohr Siebeck, 1992, p. 43-72.

86Friedrich Schleiermacher, Kurze Darstellung des theologischen Studiums (op. cit.) ; traduction française : Le statut de la théologie (op. cit.).

87Richard Rothe, Theologische Encyclopädie. Aus seinem Nachlasse herausgegeben von Hermann Ruppelius, Wittenberg, Koelling, 1880.

88Cf. Paul Wernle, Einführung in das theologische Studium, Tübingen, Mohr, 1908, 19112.

89Op. cit. (19112), p. 15 sq.

90Ibid., p. 301.

91Ernst Troeltsch, « Rückblick auf ein halbes Jahrhundert der theologischen Wissenschaft » (1909), maintenant in : Zur religiösen Lage (op. cit.), p. 193-226. Traduction française in ID., Histoire des religions et destin de la théologie (op. cit.), p. 243-274 et 487-516, ici p. 224-226 et 272-274.

92Franz Overbeck, Über die Christlichkeit unserer heutigen Theologie. Streit- und Friedenschrift, Leipzig, Fritzsch, 1873 ; maintenant in : ID., Werke und Nachlass, Ekkehard W. Stegemann und Niklaus Peter (éds.), t. 1 : Werke bis 1873, Stuttgart, Weimar, Metzler, 1994, p. 155-256.

93Cf. August Johannes Dorner, Grundriss der Encyclopädie der Theologie, Berlin, Reimer, 1901.

94Otto Pfleiderer, Grundriss der christlichen Glaubens- und Sittenlehre, Berlin, Reimer, 1880, 18935, p. XIII.

95Schleiermacher déploie sa conception de la vérité dans les premières pages de la Dialectique. Une pensée est vraie (c’est-à-dire peut prétendre au statut de savoir) lorsqu’elle satisfait à trois conditions cumulatives : être en accord avec l’être ; être cohérente avec toutes les autres pensées constituant le savoir ; être produite par tous de la même façon. Dans ces trois conditions, la première est décisive ; les deux autres indiquent les critères (nécessaires, mais non suffisants) auxquels doit satisfaire une pensée pour pouvoir prétendre au statut de savoir, donc pour être un candidat sérieux à la vérité.

96Wilhelm Herrmann, « Christlich-protestantische Dogmatik », in : J. Wellhausen et al., Die christliche Religion mit Einschluss der israelitisch-jüdischen Religion (Die Kultur der Gegenwart I,IV), Berlin-Leipzig, Teubner, 1906, p. 583-630.

97ID., Der Verkehr des Christen mit Gott. Im Anschluß an Luther dargestellt, Tübingen, Mohr, 19217.

98ID., « Christlich-protestantische Dogmatik », p. 620.

99David Friedrich Strauss, Die christliche Glaubenslehre in ihrer geschichtlichen Entwicklung und im Kampf mit der modernen Wissenschaft (1841), Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2009 ; sur Strauß, cf. Friedrich Wilhelm Graf, Kritik und Pseudo-Spekulation. David Friedrich Strauß als Dogmatiker im Kontext der positionellen Theologie seiner Zeit, Munich, Chr. Kaiser, 1982.

100Cf. Alois Emanuel Biedermann, Die freie Theologie (op. cit.).

101Cf. mon « Introduction » à Adolf von Harnack, L’Essence du christianisme. Texte et débat. Édition, traduction, introduction et notes de Jean-Marc Tétaz, Genève, Labor et Fides, 2015, spéc. p. 59-61.

102Cf. Ernst Troeltsch, « Die Dogmatik der “religionsgeschichtlichen Schule” », in : ID., Zur religiösen Lage (op. cit.), p. 500-524 ; traduction française : « La dogmatique de l’“École de l’histoire des religions” », in : ID., Histoire des religions et destin de la théologie (op. cit.), p. 331-355. Le cours de Troeltsch sur la Doctrine de la foi a été traduit par Bernard Reymond : Ernst Troeltsch, Traité du croire. Glaubenslehre, Paris, van Dieren, 2014. Sur la conception de Troeltsch, cf. Hans-Joachim Birkner, « Glaubenslehre und Modernitätserfahrung. Ernst Troeltsch als Dogmatiker », in : Horst Renz, Friedrich Wilhelm Graf (dir.), Umstrittene Moderne. Die Zukunft der Neuzeit im Urteil der Epoche Ernst Troeltschs (Troeltsch-Studien, vol. 4), Gütersloh, Mohn, 1987, p. 325-337 ; Walter E. Wyman Jr., « Troeltschs Begriff der Glaubenslehre », ibid., p. 352-373 ; Dietrich Korsch, « Identité et intégration. Le rapport entre religion et culture dans l’interprétation troeltschienne de Schleiermacher », in : Pierre Gisel (dir.), Histoire et théologie chez Ernst Troeltsch (op. cit.), p. 41-62.

103Ernst Troeltsch, « Rückblick » (art. cit.), p. 224/272 (traduction modifiée).

104Id., « Die Dogmatik » (art. cit.), p. 505/337 (traduction modifiée).

105Ibid., p. 514/346.

106Otto Pfleiderer, Grundriss (op. cit.), § 3 et 4.

107Ernst Troeltsch, « Ueber historische und dogmatische Methode in der Theologie » (1900) ; maintenant in : ID., Zur religiösen Lage (op. cit.), p. 729-753. Traduction française in Ernst Troeltsch, Histoire des religions et destin de la théologie (op. cit.), p. 39-62.

108Ferdinand Christian Baur, Lehrbuch der Dogmengeschichte, Tübingen, Fuess, 1858; Leipzig, 1867; réimpression : Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1979, p. 10. Le protestantisme est la réalisation de l’Esprit comme liberté, cf. Christian Albrecht, « Historisch gebildete Differenzvermittlung. Ferdinand Christian Baurs Deutung von Wesen und Funktion des protestantischen Prinzips », in : Arnulf von Scheliha, Markus Schröder (dir.), Das protestantische Prinzip. Historische und systematische Studien zum Protestantismusbegriff, Stuttgart [etc.], Kohlhammer, 1998, p. 137-164. Sur la conception de l’histoire chez Baur, cf. Wolfgang Geiger, Spekulation und Kritik. Die Geschichtstheologie Ferdinand Christian Baurs, München, Kaiser, 1964 ; Peter C. Hodgson, The Formation of Historical Theology. A Study of Ferdinand Christian Baur, New York, Harper & Row, 1966 ; Ulrich KöPF, « Ferdinand Christian Baur als Begründer einer konsequent historischen Theologie », ZThK 89 (1992), p. 440-461.

109Cf. Friedrich Jaeger et Jörn Rüsen, Geschichte des Historismus, Munich, Beck, 1992, p. 34-40.

110Sur Harnack, cf. Kurt Nowak, « Bürgerliche Bildungsreligion ? Zur Stellung Adolf von Harnacks in der protestantischen Frömmigkeitsgeschichte der Moderne », in : ID., Kirchliche Zeitgeschichte interdisziplinär. Beiträge 1984-2001, Jochen-Christoph Kaiser (éd.), Stuttgart, Kohlhammer, 2002, p. 119-142 ; Kurt Nowak et Otto G. Oexle (dir.), Adolf von Harnack. Theologe, Historiker, Wissensschaftspolitiker, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2001 ; Kurt Nowak et al. (dir.), Adolf von Harnack. Christentum, Wissenschaft und Gesellschaft. Wissenschaftliches Symposium aus Anlaß des 150. Geburtstages, Göttingen, Vandenhoek & Ruprecht, 2003.

111Cf. Kurt Nowak, « Postface. Un christianisme sans dogme », in : Adolf von Harnack, Histoire des dogmes. Traduit de l’allemand par Eugène Choisy (1893), Paris-Genève, Cerf-Labor et Fides, 1993, p. 462-473. Mon « Introduction » (p. 7-72) à Adolf von Harnack, L’Essence du christianisme (op. cit.) donne toutes les informations nécessaires sur le programme du livre et les controverses auxquelles il donna lieu.

112Sur Reinhold Seeberg, cf. Friedrich Wilhelm Graf, « Konservativer Kulturlutheraner. Ein Lebensbild Reinhold Seebergs », in : ID., Der heilige Zeitgeist (op. cit.), p. 211-264.

113Pour les conceptions de l’histoire des dogmes de Harnack et Seeberg, cf. Michael Basse, Die dogmengeschichtlichen Konzeptionen Adolf von Harnacks und Reinhold Seebergs, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2001. En français, cf. les indications données dans ma Postface à ma traduction de Dietrich Bonhoeffer, Qui est et qui était Jésus-Christ. Cours de christologie à Berlin 1933, Genève, Labor et Fides, 2013, p. 111-156, spéc. p. 120-126.

114Cf. Ernst Troeltsch, « Que signifie “Essence du christianisme” ? » (1903), in : Adolf von Harnack, L’Essence du christianisme (op. cit.), p. 307-354.

115Cf. Ernst Troeltsch, Adolf v. Harnack und Ferd. Christ. v. Baur. Aus der Festgabe für A. v. Harnack zum 70. Geburtstag, Tübingen, Mohr, 1921.

116La formule « surmonter l’histoire par l’histoire » apparaît pour la première fois sous la plume de Troeltsch in : « Regard rétrospectif sur un demi-siècle de science théologique » (art. cit.), p. 256 ; elle revêt alors un sens négatif et désigne la façon dont l’école de Ritschl prive l’histoire de son pouvoir critique. Troeltsch se réapproprie cette formule dans sa philosophie de l’histoire tardive dont il expose les principes dans Der Historismus und seine Probleme (1922), maintenant : Kritische Gesamtausgabe, vol. 16, Berlin-New York, W. de Gruyter, 2008. La « synthèse culturelle du présent » est la visée pratique à laquelle est ordonnée cette philosophie de l’histoire. Les phrases conclusives du livre conjoignent les deux formules : « L’idée de la construction signifie surmonter l’histoire par l’histoire et aplanir la plateforme d’une création nouvelle. C’est sur cette idée que doit reposer la synthèse culturelle présente, qui est le but de la philosophie de l’histoire ». Pour une interprétation systématique de ces questions, cf. Hans Joas, Comment la personne est devenue sacrée. Une nouvelle généalogie des droits de l’homme, Genève, Labor et Fides, 2016, p. 155-210 ; cf. aussi Pierre Gisel (dir.), Histoire et théologie chez Ernst Troeltsch, Genève, Labor et Fides, 1992.

117Sur Richard Rothe, cf. Volker Drehsen, « La vision d’un âge éthique non ecclésial du christianisme : Richard Rothe (1799-1867), in : Figures du néo-protestantisme. RThPh 130/2 (1998), p. 173-192 ; Christian Albrecht, « Zur hermeneutischen Funktion der Theorie von der Auflösung der Kirche in den Staat bei Richard Rothe », in : Albrecht Grözinger et al. (dir.), Protestantische Kirche und moderne Gesellschaft. Zur Interdependanz von Ekklesiologie und Gesellschaftstheorie in der Neuzeit, Zürich, TVZ, 2003, p. 155-168. E. Troeltsch a consacré une étude à Richard Rothe : Richard Rothe. Gedächtnisrede gehalten zur Feier des hundertsten Geburtstages in der Aula der Universität (1899), maintenant in : ID., Schriften zur Theologie und Religionsphilosophie (1888-1902). Kritische Gesamtausgabe, vol. 1, Berlin-New York, W. de Gruyter, 2009, p. 722-752.

118Richard Rothe, Theologische Ethik, vol. V, Wittenberg, 1871, p. 397.

119Sur l’ensemble de cette question, cf. Stefan Atze, Ethik als Steigerungsform der Theologie ? Systematische Rekonstruktion und Kritik eines Strukturprozesses im neuzeitlichen Protestantismus, Berlin-New York, W. de Gruyter, 2008.

120Wilhelm Herrmann, Die Religion (op. cit.) ; cf. Falk Wagner, « Theologischer Neukantianismus. Wilhelm Herrmann 1846-1922 », in : Friedrich Wilhelm Graf (dir.), Profile des neuzeitlichen Protestantismus. Bd. 2 : Kaiserreich, Teil 2, Gütersloh, Mohn, 1993, p. 251-278.

121W. Herrmann, « Christlich-protestantische Dogmatik » (art. cit.), p. 621 et 593.

122Cf. Wilhelm Herrmann, Ethik, Tübingen-Leipzig, Mohr, 1901 ; 5e édition : Stuttgart-Tübingen, Mohr, 1908 = 6e édition, Tübingen, Mohr, 1921. Pour l’interprétation de la conception de Herrmann, cf. Dietrich Korsch, Glaubensgewißheit und Selbstbewußtsein. Vier systematische Variationen über Gesetz und Evangelium, Tübingen, Mohr, 1989, p. 74-144 ; Jörg Dierken, « Wollen und Erleben. Wilhelm Herrmann über Sittlichkeit und Religion », in : ID., Selbstbewußtsein individueller Freiheit. Religionstheoretische Erkundungen in protestantischer Perspektive, Tübingen, Mohr Siebeck, 2005, p. 281-298.

123Friedrich Wilhelm Graf, « Rettung der Persönlichkeit. Protestantische Theologie als Kulturwissenschaft des Christentums », in : Rüdiger vom Bruch, Friedrich Wilhelm Graf, Gangolf Hübinger (dir.), Kultur und Kulturwissenschaften um 1900. Krise der Moderne und Glaube an die Wissenschaft, Stuttgart, Franz Steiner, 1990, p. 103-132.

124Adolf von Harnack, L’Essence du christianisme (op. cit.), p. 134. La notion de Gesinnung est aussi au centre de l’Éthique de Herrmann.

125Fondé en 1890, le Congrès évangélique social regroupe à l’origine les représentants d’un protestantisme social conservateur, autour du pasteur Adolf Stöcker, et les défenseurs d’un protestantisme libéral, héritiers pour l’essentiel de Ritschl. Mais les premiers quitteront le Congrès en 1896 déjà.

126Cf. Julius Kaftan, Die Wahrheit der christlichen Religion, Basel, Detloff, 1889, p. 544 ; ID., « Christentum und Wirtschaftsordnung », in : Bericht über die Verhandlungen des Vierten Evangelisch-sozialen Kongresses, Berlin, 1893, p. 12-34, ici p. 34, cité d’après A. von Scheliha, Protestantische Ethik des Politischen (op. cit.), p. 147 sq.

127Cf. Friedrich Wilhelm Katzenbach, Politischer Protestantismus. Historische Profile und typische Konstellationen seit 1800, Saarbrücken, 1987, p. 135-144 ; A. von Scheliha, Protestantische Ethik des Politischen (op. cit.), p. 149-151.

128Cf. « Grundprobleme der Ethik. Erörtert aus Anlaß von Herrmanns Ethik », in : ID., Zur religiösen Lage (op. cit.), p. 552-672.

129Les théologiens libéraux ne furent pas les seuls à aspirer à une réintégration des sociétés modernes. On retrouve par exemple ce trait dans la sociologie de Durkheim.

130Ernst Troeltsch, « Die Kirche im Leben der Gegenwart », in : Zur religiösen Lage (op. cit.), p. 100.

131David Friedrich Strauss, Der politische und der theologische Liberalismus, Halle, C. A. Kümmel, 1848, p. 15 ; cité par Markus Iff, Liberale Theologie in Jena (op. cit.), p. 3, note 8.

132Cf. Vincent Peillon, Une religion pour la République. La foi laïque de Ferdinand Buisson, Paris, Seuil, 2011.