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André Paul, Biblissimo, L’Antiquité judaïque par les livres et par les textes

Paris, Cerf, 2019, 480 p.

Jean BOREL

Dans cet ouvrage, fruit de cinquante années de recherches passionnées et qui se présente à la fois comme un outil de référence, de travail et de culture, André Paul nous plonge dans le « superlatif » de l’espace producteur, porteur et diffuseur d’un foisonnement de traditions et de textes en rapport avec la Bible, mais dont il ne reste qu’un nombre limité de témoins, souvent sous la forme de traductions, citations ou fragments auxquels il réussit magnifiquement à redonner vie et sens. Cette prolifération littéraire sur laquelle d’innombrables enquêtes archéologiques et travaux philologiques ont permis de remettre la main au cours du XXe s., et qui s’étend du IIIe  s. avant notre ère jusqu’aux premiers temps de notre Moyen Âge, permet aujourd’hui de replacer le corpus biblique des deux Testaments, comme on n'avait jamais pu le faire jusqu’ici, « à la croisée multidirectionnelle des courants d’images et d’idées, de créations et d’écritures qui ont nourri sa gestation et sa postérité ». Rédigés et collationnés par des générations de copistes, commentateurs et traducteurs, lecteurs et compilateurs en langues hébraïque, grecque, latine, syriaque, copte, ge’ez, arabe, arménienne, géorgienne et un éventail de dialectes slaves, ces écrits, dans le foisonnement de leur diversité, « corrigent, amplifient et souvent imaginent les gestes et les paroles de grandes figures bibliques, ancêtres primordiaux, personnages mythiques ou légendaires, pères fondateurs, héros nationaux ou éponymes, prophètes, sages, et jusqu’aux archanges célèbres ». La plupart, dans leur version originale, datent d’une époque où la Bible comme telle n’était encore ni réellement constituée ni moins encore nommée. Comme l’écrit André Paul, « la somme de ces traditions représente pour l’époque autant de façon de lire et d’interpréter le texte des livres saints, mais aussi de le compléter en l’actualisant, voire de l’amender sinon le suppléer ». Certaines figures auxquelles la Bible ne consacre que quelques lignes, comme Hénoch ou Melchisédech, y trouvent des développements du plus grand intérêt. L’a. distribue sa matière en deux parties principales. Dans la première, intitulée La production littéraire du judaïsme ancien, il propose la revue exhaustive de l’efflorescence littéraire des sociétés judaïques antérieures au christianisme. C’est donc, d’abord, l’ensemble des écrits qu’on appelle « pseudépigraphes », attribués fictivement à de grandes figures de l’Ancien Testament comme Hénoch, Abraham, Moïse, Élie ou Job, et que l’on doit aux auteurs judaïques anciens. Chapitre après chapitre, l’a. expose ensuite la fructueuse récolte et le bilan que l’on peut faire aujourd’hui des révélations que nous ont apportées les manuscrits de la Mer Morte, décrit l’avènement et la fortune extraordinaire de la première traduction grecque de la Loi de Moïse et des Prophètes qui a été faite au IIIe  s. av. J.-C. (la Septante), les nombreuses et importantes traductions qu’elle a très rapidement suscitées dans tout le Moyen-Orient et qui ont ouvert la connaissance des Écritures à d’autres peuples que le peuple d’Israël. Il révèle alors en une synthèse de traits fort significatifs les enseignements essentiels des commentaires qu’Aristobule et Philon d’Alexandrie ont fait de la Septante, les premiers développements historiographiques dont Flavius Josèphe est l’un des principaux témoins, l’origine et l’épanouissement de la poésie judaïque, la culture florissante des apocalypses et des testaments littéraires. C’est également à l’immense corpus rabbinique que l’a. introduit le lecteur : la Mishnah d’abord, le Talmud, les Midrashim et la riche collection des Targumim conservés, sans oublier les premiers développements des courants mystiques de la Merkavah et de la gnose. Dans la seconde partie, intitulée « Les figures bibliques dans une galaxie de légendes », André Paul répartit en trente chapitres de longueur variable les matériaux légendaires les plus signifiants qu’il a rassemblés sur quarante-six figures bibliques dans l’ordre de leur apparition dans la Bible : Adam et Ève, Caïn et Seth, Hénoch, Noé et Sem, Abraham, Isaac, Melchisédech, les douze fils de Jacob, Moïse, Jéthro, David et Salomon, Élie, Ésaïe, Jérémie, Manassé, Sophonie, Job et bien d’autres encore. Pour chacune de ces figures, il recourt de manière méthodique et didactique à toutes les sources disponibles, traditions, citations ou livres qu’il replace chaque fois dans leur contexte littéraire propre. Nous disposons là, pour la première fois, d’un éventail vraiment fascinant de textes dont le but est chaque fois la tentative, raisonnée ou désespérée, de s’approprier le sens des narrations bibliques et des nombreux mystères qu’elles recèlent, et qui ont nourri la vie intérieure de tous ceux qui les ont méditées, commentées, traduites. En annexe, nous trouvons tous les mots et formules grecs et hébraïques en transcription phonétique, les écrits judaïques cités ou mentionnés, un index thématique et pluridisciplinaire, un index des auteurs de l’Antiquité classique et des textes cités du Nouveau Testament. Nous ne pouvons que féliciter André Paul du soin qu’il a apporté dans la conception de cette somme, du talent pédagogique, de la clarté du texte et de sa mise en page avec lesquels il introduit le lecteur dans le dédale, à la fois déroutant et fascinant, de ces littératures religieuses si riches et si diverses dans leurs intentions et leurs réalisations.